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60s

  • Les Dégénérés (Gian Luigi Polidoro, 1969)

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    Pour la sortie de son film, Fellini a décidé d'utiliser son propre nom pour compléter son titre après avoir été furieux d'apprendre qu'il ne pouvez pas utiliser le seul "Satyricon", en raison d'un projet d'adaptation lancé peu de temps avant le sien. Rebaptisé "Les Dégénérés" pour une très discrète sortie en France (en 72), cet autre "Satyricon", signé Gian Luigi Polidoro, n'a pas beaucoup d'intérêt. Seule la qualité très médiocre de la copie visible sur youtube empêche d'être trop catégoriquement négatif envers un film qui est en quelque sorte tout ce que le Fellini se refuse d'être. La recherche d'une continuité classique malgré un matériau parcellaire a poussé les auteurs à épouser le genre du récit picaresque, alors en vogue. Il s'agit donc d'une comédie (sauf les cinq dernières minutes, à la noirceur en porte-à-faux) où même l'érotisme se trouve invariablement rabaissé à la rigolade (là aussi, sous réserve que la copie vue ne soit pas trop tronquée, deux coupes un peu bizarres dans les deux moments les plus sexuels m'ont fait douter). Même s'il faut reconnaître que les déshabillages concernent, comme chez Fellini, les hommes autant que les femmes, l'homosexualité n'a rien de naturelle, plutôt sujette à plaisanteries et toujours liée au travestissement. Le film s'en tient clairement au regard commercial de son époque. Éventuelles petites curiosités : l'apparition de Tina Aumont, Franco Fabrizi en Ascylte et Ugo Tognazzi en Trimalcion (sa "participation exceptionnelle" faisant durer plus que de raison la séquence du banquet).

  • Fellini-Satyricon (Federico Fellini, 1969)

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    Sans doute le plus fou des Fellini (ce n'est pas peu dire), et pari réussi qui ouvre ses très libres années 70 plutôt qu'il récapitule les précédentes. Son adaptation de Pétrone pose la question de la représentation d'une Antiquité qui nous resterait inconnue : elle s'ouvre de manière théâtrale en monologue du héros, se clôt sur des fresques altérées par le temps, multiplie les lieux et les architectures où des spectacles, publics ou intimes, se déroulent, utilise un procédé mystérieux et déstabilisant de regards caméra fixes de la part de certains figurants sur les bords. Le monde dépeint est pré-chrétien et "innocemment" amoral, le désir (et la violence) y circulant entre tous les sexes, tous les âges, toutes les races, tous les statuts sociaux, sans distinction (une des belles conséquences est l'équilibre érotique hommes/femmes, jusque dans des dévoilements égalitaires). Comme il le fera dorénavant, Fellini recrée tout un univers, avec une inventivité sidérante, du détaillé au monumental, et cela à chaque instant (le moindre plan du film peut donner lieu à une magnifique capture), quitte à ce qu'une superbe composition n'apparaisse que deux secondes. La mosaïque (les langues utilisées sont innombrables et souvent inconnues) mêle constamment le beau et le laid, sans jugement : le visage le plus avenant peut être tout à coup rayé d'une grimace, ou décapité. Mais ce qui en fait l'un des grands films sur l'Antiquité, c'est l'audace de sa narration, succession de heurts, de trous, de détours, d'enchâssements, Fellini s'affranchissant de toutes les règles conventionnelles, inopérantes selon lui pour rendre compte de l'époque lointaine, et offrant, via son imaginaire, une représentation possible.

  • The Intruder (Roger Corman, 1962)

    **
     
    Malgré la facilité de Corman à s'exprimer par l'image, la force du message a tendance à rigidifier un peu le film. Il est en tout cas délivré de façon très directe, sans détour, mais pas sans intelligence. Tout d'abord parce que le point de vue dominant est, audacieusement, celui du (des) salaud(s), ensuite parce que ce qui peut apparaître légèrement forcé dans le scénario (la coucherie avec la voisine par exemple) sert plus tard à enrichir la trame et les personnages, enfin parce que s'opèrent d'étonnants retournements (le premier citoyen à s'opposer est assez vite stoppé, la relève, décisive au final, est assurée par quelqu'un qu'on n'attend pas). La longue séquence du discours de William Shatner face à la foule (prôner la "vérité" contre les "mensonges" pour attiser la haine) fait, par-delà les décennies, toujours froid dans le dos.

  • Sirocco d'hiver (Miklos Jancso, 1969)

    ***
     
    1934, des Oustachis, nationalistes croates accueillis, surveillés et instrumentalisés sur le sol hongrois, préparent un attentat contre Alexandre II de Serbie. Jancso commençait à lasser certains, allant toujours plus loin, même dans ce cadre de coproduction franco-hongroise. Passé un temps d'adaptation à l'utilisation du français, la greffe prend, Jacques Charrier et Marina Vlady (et beaucoup plus brièvement Laszlo Szabo et Michel Delahaye) trouvant rapidement leurs marques et ne déparant pas au milieu des habitués hongrois. Plus aucun plan court ici mais le tour de force de treize plans séquences, intérieurs et/ou extérieurs, menés avec virtuosité. Leur longueur, le nombre élevé de protagonistes et la volonté constante de parler politique font qu'ils peuvent glisser de l'observation comportementale à l'allégorie plus distanciée, mais l'intérêt est maintenu dans la représentation des forces en présence et des revirements (symbolisés par d'innombrables passages de main en main de revolvers et de fusils de toutes sortes). Dans un décor quasi-unique, les mouvements de caméras incessants et calculés sont justifiés par la situation du personnage principal, placé dans un endroit qu'il ne connaît pas, entouré d'hommes et de femmes dont il doit douter à chaque fois des intentions. Politiquement, c'est une alerte sur les organisations structurées pyramidalement qui entravent toute liberté personnelle et qui préfèrent créer des martyrs plutôt que s'appuyer trop longtemps sur de fortes individualités.

  • Ah, ça ira ! (Miklos Jancso, 1968)

    **
     
    1947, des étudiants des Collèges populaires investissent un établissement catholique pour débattre et rallier les élèves à la cause socialiste, sous le regard de militaires. Face aux refus, ils finissent par user de l'intimidation et de la force, avant d'être recadrés par des membres du parti qui poussent les plus radicaux à quitter l'organisation. Le film est en couleur et musical, chants très nombreux et danses, qui deviennent de plus en plus contraignantes, rondes servant finalement à encercler les opposants. Jancso filme des groupes bien définis, même s'ils peuvent se scinder. Et toujours par la seule mise en scène des mouvements (ici, donc, ceux du ballet), il montre le possible basculement dictatorial et bureaucratique des révolutions, dans un récit bouclé sur lui-même. Il avance loin dans l'allégorie, par conséquent, on cherche absolument le sens, ce à quoi renvoie ce face à face, ce chant, ce discours, ce leader, ce procès, cette exclusion... D'autant plus que les habits et certains slogans ou certaines pratiques appartiennent aux contemporaines années 60 plutôt qu'à l'immédiate après-guerre. Au-delà du tour de force, contrairement aux précédents, les idées me semblent ici trop masquer les personnages, trop les essentialiser.

  • Silence et Cri (Miklos Jancso, 1968)

    ****
     
    Après la fin de la courte République des Conseils hongroise de 1919, divers partisans du régime de Horthy éliminent les révolutionnaires. Enfin ça, c'est Jancso qui le dit en entretien, car il n'en laisse à l'écran que des signes, indéchiffrables pour nous, en réalisant son film le plus radical à ce stade. Il y a un refus absolu de dramaturgie classique, d'approche émotionnelle ou psychologique des personnages, dont les liens réels (amicaux, familiaux, conflictuels ou érotiques) ne sont que suggérés. La représentation de l'oppression et de la résistance uniquement en termes dynamiques et plastiques est fascinante.
    Dans le vaste espace (quasiment pas d'intérieurs, sinon pour cadrer des ouvertures, portes, fenêtres), seuls les révolutionnaires courent. Les soldats, eux, qui balancent entre cruauté et indifférence, marchent tranquillement, ajustent lentement leur fusil et tirent. Ils savent que l'étendue du paysage ne sera d'aucun secours. D'ailleurs, le personnage de révolté le plus lucide n'arrête pas de faire demi tour, conscient de l'impossibilité de la fuite. Pas d'indécision, mais l'idée de plus en plus forte que la lutte doit se faire sur place. On a l'abstraction des lignes, l'arbitraire apparent des déplacements, et en contrepoint, les gestes doux, les marches calmes, les paroles rares. La lenteur et l'épure ne sont jamais un handicap car le mouvement est finalement constant, les glissements de la caméra, associés aux entrées et sorties de champ, en très longs plans séquences remplacent le montage.

  • Rouges et Blancs (Miklos Jancso, 1967)

    ****
     
    Quelque part, des Russes blancs affrontent des rouges qui sont aidés de Hongrois réunis en brigades internationales.
    En pensant au film, on pense d'abord à l'auteur, qui obtint là sa consécration, et donc à son style. On oublie souvent qu'il s'agit aussi de l'un des plus grands films de guerre jamais réalisés. Pas le plus riche ni le plus spectaculaire, mais peut-être celui qui montre le mieux la guerre en mobilisant les notions d'espace et de mouvements. Et cela dès le premier plan séquence. Ordres reçus, fuites ou attaques provoquent les mouvements, mais souvent ceux-ci sont effectués dans plusieurs sens ou sont aussitôt annulés par un mouvement inverse (et dans le même plan). Ainsi sont représentés l'oppression et la résistance, l'arbitraire et l'absurdité, tout en laissant courageusement se glisser les ambiguïtés (les multiples déshabillages/rhabillages et l'économie narrative circulaire, ou "sans fin", peuvent sous-entendre, non pas qu'il faille renvoyer dos à dos mais que des renversements, des revirements, des reniements sont toujours possibles, surtout lorsque des armes sont en mains). Ce qui est admirable, c'est que ces longues séquences "disent tout" de la guerre sans jamais verser dans le symbolisme, ni dans la performance. C'est notamment dû au tournage en extérieur, en pleine lumière et en adaptation au terrain (utilisation extraordinaire de la rivière, des creux, des bosses, du bois de bouleaux), mais encore à la présence corporelle de chacun ou chacune, qui peut devenir personnage principal de longues minutes ou disparaître brutalement (il n'y a donc pas de "héros" dans le film, même si le beau blond Andras Kozak l'ouvre, le traverse et le ferme), toujours dans l'imprévu pour le spectateur. Immense film.

  • Les Sans-Espoir (Miklos Jancso, 1966)

    ***
     
    66, début de la jancsomania avec cette histoire des sans-espoir, révoltés matés en 1869 par les serviteurs du régime austro-hongrois. Tout est en place. Manque juste peut-être, connaissant la suite, un peu de souplesse, à cause du cadre militaire et carcéral sans doute. Il n'empêche qu'on a rarement aussi bien montré la contrainte, à la fois physique et psychologique, tout en réduisant les dialogues au minimum : les lignes tracées par les murs du fort et par les rangées de soldats d'une part, l'organisation infernale d'une succession de dénonciations parmi les prisonniers d'autre part.

  • Mon chemin (Miklos Jancso, 1965)

    ***
     
    Début de la conquête de l'espace Hongrois par Jancso, avec ces hommes qui courent dans la plaine (parfois après des femmes nues) et se heurtent à des groupes antagonistes, ici, en 45, les Russes prenant possession du territoire, les Hongrois soupçonnés de complaisance avec les Allemands, les Juifs rescapés des camps. Ce sont les va-et-vient qui font que la simplicité de la situation est dépassée, ainsi que le point de vue adopté, celui d'un jeune prisonnier hongrois, ballotté et se liant amicalement à celui supposé le surveiller (Jancso lui-même fut brièvement entre les mains des Russes). Prisonnier dans son pays, ne se posant pas vraiment la question de "l'évasion", plus ou moins tenu de rester dans cet endroit très ouvert, vaste mais borné sur certains côtés (champ de mines) et au-dessus (présence mystérieuse d'un avion).

  • Cantate (Miklos Jancso, 1963)

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    Un jeune chirurgien plonge dans une crise existentielle après avoir douté des capacités d'un médecin plus âgé. C'est le conflit entre anciens et nouveaux qui est interrogé, le chirurgien, d'origine paysanne, finissant par rendre visite à son père. Mais conflit non résolu, et sous-tendu par un autre, brièvement mais directement évoqué, sur l'engagement socialiste et ses possibles aveuglements. S'effectue surtout une dérive du personnage, appartenant aussi au milieu intellectuel de Budapest. Un film dans le film s'insère à la moitié et a pour effet de rendre le dernier mouvement, à la ferme familiale, insolite, comme une projection dans le passé. Sans doute y a-t-il une influence antonionienne autant qu'une impulsion partagée à l'Est à ce moment-là (un court métrage projeté en privé est jugé par un personnage de "style polonais"). Jancso étonne déjà, commence à étirer ses plans et à gérer les mouvements. La troisième partie, avec ses ouvertures soudaines de l'espace, annonce clairement la suite.