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60s - Page 3

  • Charles mort ou vif (Alain Tanner, 1969)

    ***
    Au moment où son entreprise familiale de fabrication de ressorts de montres fête ses 100 ans et où la télévision vient l'interviewer, un petit patron suisse, la cinquantaine, décide de tout laisser tomber et de disparaître du tableau industriel et bourgeois pour vivre autrement. La rencontre avec le journaliste TV est l'occasion d'une première longue introspection. Ensuite, Tanner, et un extraordinaire François Simon, vont remarquablement intégrer au récit ces réflexions quasi-philosophiques sur la vie, les placer dans le nouveau quotidien du personnage et préserver leur naturel (d'autant plus qu'elles ne sont pas assénées mais produites généralement en reponse à des interlocuteurs, d'où un vrai film de rencontres et d'échanges). Ce pas de côté, se dit-on, est un peu plus facile à effectuer dans cette situation de départ socialement confortable. Tanner ne l'oublie pas et ne fait donc pas de son film un programme, montrant, dans une économie des plus modestes et dans une suite de saynètes réalistes, simples, fluides, musicales, honnêtes et émouvantes, une trajectoire possible dans un monde si difficile à réenchanter. 

  • Snobs (Jean-Pierre Mocky, 1962)

    °
    Un Mocky des débuts, et des plus pénibles, malgré ses compositions en noir et blanc, ses moqueries adressées à l'Armée et à l'Église, sa constitution d'une troupe. La caricature règne sans partage, jusque dans les voix des comédiens, forcées pour mieux atteindre la cible désignée, le snobisme. Cette cible est pourtant rendue floue, tout le monde finissant par se traiter de "snob", sans distinction. Les répliques, saturées de bons mots et de formules, se referment constamment sur elles-même, le comique est souvent de répétition, et la narration se révèle purement mécanique, guidée par le compte à rebours d'une élection servant à désigner un directeur général parmi quatre prétendants ambitieux, histoire prétexte trop hachée qui ne prend jamais.

  • Nuages épars (Mikio Naruse, 1967)

    **
    Le dernier film de Naruse bénéficie encore d'un style délicat, dispose toujours des ellipses temporelles assez audacieuses (car souvent non désignées tout de suite comme telles), intéresse par son aspect social (les difficultés que doivent soudainement affronter des personnages appartenant à une classe moyenne/aisée), offre bien sûr quelques très belles scènes de cristallisation ou de séparation amoureuse. Le ton est malheureusement un peu monocorde et tout cela semble long et plus appuyé que d'habitude. C'est que le scénario est très franchement mélodramatique, tirant sur la corde pour organiser des rencontres successives, et que les sentiments sont plus abruptement verbalisés que dans d'autres films, plus vibrants, émouvants et inventifs, du cinéaste.

  • One Plus One (Jean-Luc Godard, 1969)

    **
    Un plus un, ça fait bien deux. Le film sur les Stones et le film sur les Black Panthers se regardent en chiens de faïence. Aujourd'hui moins encore qu'à l'époque, sans doute, leur collage et leur alternance ne créent du sens. Malgré le même recours au plan séquence et malgré les quelques chevauchements sonores laissés çà et là, on ne peut que les distinguer et les séparer. Évidemment, la partie Rolling Stones (les cinq et Nicky Hopkins au piano) est inestimable, document sur la création mais aussi description d'un fonctionnement interne et révélation des personnalités, et cela sans une intervention, seulement en laissant se succéder les versions de Sympathy for the Devil dans le studio. A côté, les séquences fictionnelles sur les militants sont assommantes car uniquement faites de discours et de slogans. Même s'ils n'arrivent pas plus à faire le lien, les inserts avec Anne Wiazemsky apportent un peu de fraîcheur (car généralement "volés" dans les rues londoniennes) et le roman politico-pornographique lu en off est plutôt marrant. 

  • Falstaff (Orson Welles, 1966)

    **
    Le cinéma impur de Welles, qui me semble plus relever ici de l'agrégat, en comparaison avec ses précédents films, plus admirables et attachants à mes yeux. Le matériau de base, bien que shakespearien, est lui-même hétéroclite, le personnage de Falstaff se retrouvant dans des pièces différentes du dramaturge. Le ton passe sans arrêt de la farce à la tragédie. Il s'agit bien sûr d'opposer (un peu lourdement) les mornes conciliabules autour du roi Henry IV et la vie de plaisir menée par Falstaff et ses amis. Visuellement, l'alternance est encore la règle. Aux cadres stricts et sombres accompagnant en plans relativement longs les dialogues et monologues de John Gielgud, repond l'agitation dans l'auberge. Welles y deconstruit l'espace avec son montage follement rapide et ses angles de prises de vue insensés (toujours cette profondeur de champ et ces plafonds...). Cette désorientation par la mise en scène culmine dans la séquence de bataille, violente et confuse, n'offrant qu'un seul point de repère, d'ailleurs en retrait de l'action : l'énorme silhouette craintive de Falstaff en armure. Ce personnage, Welles le fait sien, le fait presque déborder du film, ventre et trogne en avant, et semble régulièrement effectuer des clins d'oeil à son public, incitant à confondre créature et créateur, leur situation, leur art de vivre.

  • La Tombe de Ligeia (Roger Corman, 1964)

    ***
    Le dernier et peut-être le meilleur film du cycle Edgar Poe de Corman, le mieux équilibré en tout cas. En beaux extérieurs réels ou en intérieurs gothiques travaillés, les couleurs s'affrontent à distance, rouge, bleu, vert, pour être finalement effacées par le jaune orangé de l'incendie purificateur, terme logique d'un dénouement cependant insensé. Corman a dirigé Vincent Price vers une interprétation plus mesurée que d'ordinaire pour donner vie à un personnage schizophrène soumis à d'étranges moments d'absence plus fréquents que ceux où il explose. Face à lui, une certaine Elizabeth Shepherd se révèle, avec sa rousse chevelure, admirable de dynamisme, de volonté, de tension érotique sans quasiment rien montrer de son corps. Loin des victimes naïves habituelles n'ayant guère que leur décolleté à offrir, elle compose un personnage à la force de caractère étonnante. L'équilibre du film vient aussi de là, les deux points de vue, celui de l'homme et celui de la femme, pouvant alterner sans problème, sans nous faire prendre trop de distance avec cette nouvelle description d'un cerveau malade, sous l'emprise d'une morte (interprétée, aussi, par notre Elizabeth, sans que l'on s'en rende compte avant le générique de fin !). L'entremêlement des destins est montré dans une magnifique séquence, lorsque l'héroïne avance le long de couloirs sombres et inconnus et gravit d'inquiétants escaliers, alors que la bande son ne laisse entendre que la voix du maître des lieux racontant à son ami, à l'extérieur, sa vie passée avec son épouse défunte.

  • Colorado (Sergio Sollima, 1966)

    ***
    L'écriture de Sollima est d'une rigueur et d'une fluidité remarquables dans le genre. Jamais son style n'apparaît haché, heurté, arbitraire, bien que son scénario, comme son découpage ou ses cadrages, ne soient pas avares de surprises (les réapparitions du personnage de Lee Van Cleef chassant sa "proie" sont toujours originales, sans jamais ressembler à des facilités). C'est que, au-delà du serieux de l'exécution, son récit est ancré dans un espace cohérent, que les silhouettes le traversant sont aussi singulières que crédibles, et que le tout repose sur un fond moral clair, ou plutôt qui s'éclaircit peu à peu (la dimension politique devient de plus en plus évidente au fil du film). L'intelligence de Sollima, de ce point de vue, est de laisser longtemps planer le doute sur la culpabilité du personnage du Mexicain (c'est un autre exploit d'être parvenu à justifier les pitreries et la "folie" de Tomas Milian) et de ne pas mâcher ainsi le travail au spectateur, qui peut apprécier pleinement le jeu de Van Cleef et la façon dont celui-ci et le cinéaste parviennent à décrire sans discours un retournement moral, un dessillement face aux puissants dictant leur loi. 

  • Le Masque de la mort rouge (Roger Corman, 1964)

    **
    Le titre ne ment pas : pour raconter cette histoire, pleine de cruauté et de sadisme, appartenant à son "cycle Edgar Poe", Corman pousse au plus loin son traitement des couleurs, donnant à certains de ses décors un aspect violemment monochrome. C'est seulement l'une des nombreuses étrangetés de ce film montrant un monde clos créé par un tyran, cruel et sadique sous son allure raffinée (Vincent Price s'en donne à cœur joie, un peu trop d'ailleurs), que rien ne rattache à l'Italie moyenâgeuse sinon les noms des personnages. Avec sa palette de couleurs marquante et ses mouvements de caméra, comme avec son sujet autour du Bien et du Mal, le cinéaste ne manque pas d'ambition, quitte à étirer parfois un peu trop ses séquences et à négliger les jointures entre les intrigues parallèles, les personnages semblant souvent trop éloignés les uns des autres par la mise en scène.

  • Le Rite (Ingmar Bergman, 1967-1969)

    ****
    Une pierre noire aux arêtes encore plus tranchantes que dans mon souvenir, pourtant déjà assez intense. Tourné très rapidement, en 1967, pour la télévision, dans des décors minimalistes et avec quatre acteurs seulement, Le Rite, qui dure à peine plus d'une heure, donne à voir à l'état pur ce que le cinéma de Bergman peut avoir de plus saisissant. Sur son versant le plus sombre et même, le plus obscène. Exposant des rapports douloureux, mettant à jour des névroses, reposant sur une série de confrontations qui virent régulièrement à l'humiliation, le film reste pourtant brillant, vivifiant, vivant, impressionnant. Le parti pris théâtral, dans l'épure absolue, porte immédiatement ses fruits, permettant un constant va-et-vient entre une extrême proximité et un placement à distance (désamorçant la violence, physique ou psychologique, qui pourrait être insoutenable). La mise en scène réussit ce miracle, en étant à la fois charnelle (les plans très rapprochés sur les parties du corps, les visages) et abstraite (les décors réduits au minimum, les dialogues changeant de direction ou se transformant en monologues, le découpage serré des scènes, toutes annoncées par un carton, démarrant sur un élément indistinct du décor et se clôturant avec un surgissement musical), et en offrant de sublimes variations dans les cadrages, les angles, les compositions et les raccords. En si peu de temps, sont entendues, vues et comprises des tonnes de choses sur le paradoxe du comédien, sur l'art et ses censeurs, sur les rapports de domination, sur les inversions possibles, sur les limites de la représentation, sur le pouvoir évocateur du spectacle... Et il est inutile d'ajouter que le jeu des quatre interprètes est admirable.

  • Le Diable par la queue (Philippe de Broca, 1969)

    °
    Confirmation de mon allergie au cinéma de Philippe de Broca devant ce qui est considéré comme l'un de ses meilleurs films, d'après Positif à l'époque et plusieurs de mes amis aujourd'hui. Le rythme relativement soutenu (dû à Sautet au "découpage"?) et l'ambiance libertaire n'y font rien : dès les premiers instants, tout paraît forcé, mécanique, vain, des dialogues à l'interprétation. Le casting est pourtant aux petits oignons. Malheureusement, les partitions de Marielle, Rochefort, Piéplu sont sans surprise. Madeleine Renaud fait un numéro sans intérêt particulier. Marthe Keller ne fait que montrer sa culotte toutes les 10 minutes. Yves Montand cabotine, ne parvient pas à adopter une démarche burlesque convaincante et pousse jusqu'à l'insupportable son accent du sud. Horrible.