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welles

  • Dossier secret (Orson Welles, 1955)

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    Au début de "Dossier secret" (ou "Mr. Arkadin" ou "Confidential Report"), je me suis dit qu'à 20 ans il était normal d'être impressionné par ces cadrages bizarres, ces angles impossibles, ce montage fou-fou, ces faux-raccords volontaires, ces entassements baroques, mais qu'à le revisiter maintenant, Welles y allait quand même un peu trop à l'épate. Enfin quand même, on s'incline devant le génie à partir du moment où on le voit vraiment à l'écran, lui. Au moment où Arkadin apparaît, au moment où Welles apparaît, le récit s'élance, le film prend tout son sens (quoiqu'il repose sur un "minable secret", sur du vent, celui qui porte quelques secondes l'avion sans pilote), la forme s'impose dans toutes les larges dimensions de son auteur et se marie idéalement au fond, puissance, vitesse et don d'ubiquité. Arkadin est partout (un tour de l'Europe à en perdre haleine) et le montage est si court, les cadres si encombrés, qu'au début de certains plans, pendant une demi-seconde, on croit encore avoir affaire à lui, alors que ce n'est qu'un autre personnage ou une silhouette quelconque qui se tient à côté ou devant Van Stratten. Autre détail qui en dit long, le "jeu" de la couverture tirée par celui-ci et Zouk (redoublé juste après par celui entamé de part et d'autre d'une porte séparant les deux mêmes) : ce n'est pas qu'un élément burlesque, c'est une façon d'étirer l'espace, de le tordre, de le rendre insolite.

  • Falstaff (Orson Welles, 1966)

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    Le cinéma impur de Welles, qui me semble plus relever ici de l'agrégat, en comparaison avec ses précédents films, plus admirables et attachants à mes yeux. Le matériau de base, bien que shakespearien, est lui-même hétéroclite, le personnage de Falstaff se retrouvant dans des pièces différentes du dramaturge. Le ton passe sans arrêt de la farce à la tragédie. Il s'agit bien sûr d'opposer (un peu lourdement) les mornes conciliabules autour du roi Henry IV et la vie de plaisir menée par Falstaff et ses amis. Visuellement, l'alternance est encore la règle. Aux cadres stricts et sombres accompagnant en plans relativement longs les dialogues et monologues de John Gielgud, repond l'agitation dans l'auberge. Welles y deconstruit l'espace avec son montage follement rapide et ses angles de prises de vue insensés (toujours cette profondeur de champ et ces plafonds...). Cette désorientation par la mise en scène culmine dans la séquence de bataille, violente et confuse, n'offrant qu'un seul point de repère, d'ailleurs en retrait de l'action : l'énorme silhouette craintive de Falstaff en armure. Ce personnage, Welles le fait sien, le fait presque déborder du film, ventre et trogne en avant, et semble régulièrement effectuer des clins d'oeil à son public, incitant à confondre créature et créateur, leur situation, leur art de vivre.

  • Citizen Kane

    welles,etats-unis,40s

    Les révolutions ne naissent pas d'un claquement de doigt, elles ne surgissent pas comme ça du néant. Si voir Citizen Kane c'est se projeter inévitablement vers l'après (un lien parmi tant d'autres se fait avec Scorsese : l'utilisation de la musique, les nombreux changements d'échelles de plans, la simultanéité des actions, les séquences de fête minées par des tensions profondes...), c'est en même temps bénéficier d'un extraordinaire condensé de tout ce qui s'est fait avant. Le geste est excessif, provocateur et ludique : l'esthétique d'une époque est poussée vers ses points ultimes et paraît ainsi renouvelée.

    Comme Charles Foster Kane se transforme en collectionneur compulsif, Orson Welles s'acharne à faire tenir dans son film tout le cinéma (et, contrairement à son héros, réussit son coup, produit quelque chose d'unique à partir de cet amoncellement, même si c'est, pour ainsi dire, la dernière fois qu'il y parvient "entièrement"). Sous l'angle du genre, tout d'abord, il est difficile de ratisser plus large : en deux heures de temps, on nous offre un documentaire, un film noir, une comédie, un mélodrame, un conte gothique, une satire politique, une pièce de théâtre et d'autres encore.

    Dans le cadre lui-même, doivent entrer le maximum d'éléments. D'où l'emploi d'une immense profondeur de champ qui permet de démultiplier les actions et d'effectuer des chevauchements qu'une coupe rendrait impossible (comme dans le flash-back venu de l'enfance, où nous voyons le petit Charles continuer à jouer dans la neige, dehors, derrière la fenêtre, alors que se joue, à l'intérieur de la maison, son avenir entre ses parents et son tuteur). D'où, également, la profusion décorative, l'expressionnisme des angles choisis, la franchise des contre-plongées. Cette exacerbation de la forme est complètement assumée : on remarque la surcharge qui caractérise le décor de la chambre à coucher de la "maîtresse" de Xanadu et aussitôt la pièce est saccagée par Kane, excedé par la décision de départ prise par sa femme.

    La figure fétiche de Citizen Kane est celle du puzzle (dont les coins des pièces seraient parfaitement ciselés : les séquences du film s'ouvrent et se ferment régulièrement sur des images, des mouvements identiques, complémentaires ou inversés). Un puzzle à assembler mais qui deviendrait de plus en plus complexe au fil du jeu. Welles laisse son film se ramifier partout, à chaque station, l'enquête mené par le personnage de journaliste éclaircissant des points de détails mais densifiant encore l'ensemble. Cette arborescence est repérable jusque dans les entretiens avec les témoins qui parsèment le récit : dans chaque conversation, il y a un ou plusieurs instants où la parole bifurque, untel réclamant des cigares, un autre repensant à une jeune femme croisée longtemps auparavant...

    Au milieu de ce puzzle, "Rosebud" n'est qu'une pièce. Trace subsistant d'une enfance volée, elle ne se transforme pas en clé qui donnerait soudain accès à toute la connaissance (malicieusement, Welles nous fait in extremis une faveur, à nous spectateur et à nous seuls, en nous donnant la réponse à la question inlassablement posée par le journaliste). L'homme n'est pas réductible à un mot comme "Rosebud", pas plus que "fasciste" ou "communiste". Toutefois, il faut préciser que pour Welles la vérité n'est pas à chercher entre les deux, elle est dans les deux, ambivalence morale qui trouve son brillant prolongement dans la mise en scène. Kane vit entouré de miroirs et il semble même en faire un de Leland, son associé, son meilleur et peut-être seul ami. De même, les visages et les corps entiers se retrouvent souvent dans l'ombre mais, la plupart du temps, finissent par entrer dans la lumière, dans le même plan (et inversement), ce procédé ne devant pas inciter à penser blanc et noir mais plutôt distinct et indistinct, montré et caché.

    Enfin, de ce film exubérant et tonitruant comme la voix qui accompagne le "documentaire" qui forme la première partie, on retient également que l'itinéraire de Kane annonce clairement celui d'Orson Welles, les éclatantes années de jeunesse laissant peu à peu la place aux temps où, comme Xanadu, rien n'est achevé avant la disparition.

     

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    welles,etats-unis,40sCITIZEN KANE

    d'Orson Welles

    (Etats-Unis / 119 min / 1941)

  • Êtes-vous Wellessien(ne) ?

    mrarkadin.jpgOn trouve ces jours-ci sur le toujours recommandé Inisfree, entre une merveilleuse note autobiographique sur La prisonnière du désertet une brève réjouissante à propos des Monty Pythons, une vive réaction de notre ami Vincent, suite à la publication récente d'une liste des "100 plus beaux films du monde" établie par la crème des critiques professionnels et mettant en première position, comme toujours, Citizen Kaned'Orson Welles. Cette perche ainsi tendue, l'occasion est trop belle pour ne pas jeter ici un regard rapide sur la carrière de l'Ogre.

    Commençons par le cas Kane. Comme tous les autres films-charnières de l'histoire du cinéma, Citizen Kanepeut aussi bien être considéré comme une révolution que comme un génial récapitulatif. Welles réalise là un condensé provocant et ludique de l'esthétique de l'époque. Il s'offre tout à la fois un documentaire, un film noir, une comédie, un mélodrame, un conte gothique, une pièce de théâtre... Il use de plans-séquences, de montage court, de plongées, de gros plans, de profondeur de champ, de jeux d'ombres et de lumières... Et, ironie du sort, le parcours de Welles se reflètera dans celui de Kane : aux brillantes années de jeunesse succédent les temps où, comme Xanadu, rien n'est jamais achevé.

    Mais s'il faut choisir, alors moi aussi je répondrai que non, Citizen Kane n'est pas le plus beau film du monde, puisque ce n'est pas le Welles que je préfère. Le saisissant drame d'Othello ou la poisseuse Soif du mal me touchent plus. Et mieux encore : Mr Akadin, oeuvre hallucinante, impénétrable, toute vouée à la vitesse et à la beauté plastique, véritable film-cerveau.

    La splendeur des Amberson récolte généralement beaucoup de suffrages. Je l'ai vu il y a fort longtemps, de même que la Dame de Shanghaï. Le procès n'est, dans mon souvenir, pas dépourvu de tunnels, mais des images fortes me restent en tête. Finalement, seuls Le criminel, le moins personnel de tous, et Vérités et mensonges me laissèrent sur ma faim. Et je cours désespérément après Falstaff...

    Mes préférences, donc :

    **** : Citizen Kane (1941), Othello (1952), Mr Arkadin (1955), La soif du mal (1958)

    *** : La splendeur des Amberson (1942), La dame de Shanghaï (1947), Macbeth (1948), Le procès (1962), Une histoire immortelle (1967)

    ** : Le criminel (1946), Vérités et mensonges (1973)

    * : -

    o : -

    Pas vus : Falstaff (1966), Filming Othello (1978)

    N'hésitez pas à faire part des vôtres...