On trouve ces jours-ci sur le toujours recommandé Inisfree, entre une merveilleuse note autobiographique sur La prisonnière du désertet une brève réjouissante à propos des Monty Pythons, une vive réaction de notre ami Vincent, suite à la publication récente d'une liste des "100 plus beaux films du monde" établie par la crème des critiques professionnels et mettant en première position, comme toujours, Citizen Kaned'Orson Welles. Cette perche ainsi tendue, l'occasion est trop belle pour ne pas jeter ici un regard rapide sur la carrière de l'Ogre.
Commençons par le cas Kane. Comme tous les autres films-charnières de l'histoire du cinéma, Citizen Kanepeut aussi bien être considéré comme une révolution que comme un génial récapitulatif. Welles réalise là un condensé provocant et ludique de l'esthétique de l'époque. Il s'offre tout à la fois un documentaire, un film noir, une comédie, un mélodrame, un conte gothique, une pièce de théâtre... Il use de plans-séquences, de montage court, de plongées, de gros plans, de profondeur de champ, de jeux d'ombres et de lumières... Et, ironie du sort, le parcours de Welles se reflètera dans celui de Kane : aux brillantes années de jeunesse succédent les temps où, comme Xanadu, rien n'est jamais achevé.
Mais s'il faut choisir, alors moi aussi je répondrai que non, Citizen Kane n'est pas le plus beau film du monde, puisque ce n'est pas le Welles que je préfère. Le saisissant drame d'Othello ou la poisseuse Soif du mal me touchent plus. Et mieux encore : Mr Akadin, oeuvre hallucinante, impénétrable, toute vouée à la vitesse et à la beauté plastique, véritable film-cerveau.
La splendeur des Amberson récolte généralement beaucoup de suffrages. Je l'ai vu il y a fort longtemps, de même que la Dame de Shanghaï. Le procès n'est, dans mon souvenir, pas dépourvu de tunnels, mais des images fortes me restent en tête. Finalement, seuls Le criminel, le moins personnel de tous, et Vérités et mensonges me laissèrent sur ma faim. Et je cours désespérément après Falstaff...
Mes préférences, donc :
**** : Citizen Kane (1941), Othello (1952), Mr Arkadin (1955), La soif du mal (1958)
*** : La splendeur des Amberson (1942), La dame de Shanghaï (1947), Macbeth (1948), Le procès (1962), Une histoire immortelle (1967)
** : Le criminel (1946), Vérités et mensonges (1973)
* : -
o : -
Pas vus : Falstaff (1966), Filming Othello (1978)
N'hésitez pas à faire part des vôtres...
Commentaires
Malgré mon coup de dent, je suis plutôt wellsien. j'ai toujours aimé, outre son style, sa haute conception du cinéma, son humour et sa voix inimitable.
J'ai une nette affection pour "Les Ambertsons", "Lady from Sanghai" (le finale et Rita rampant à terre, quelle émotion), "Mr Arkadin" sorte de remake plus baroque de "Kane", "Touch of evil", et effectivement il est plein de fougue, son "Falstaff".
Un cran dessous (mais quand même), "Citizen Kane", les deux Shakespeare et son inachevé "It's all true".
"Le criminel" est plus mineur, en fait je n'ai guère de souvenir précis.
Pas vu les autres.
Comme acteur, même s'il a fait tout et n'importe quoi, je voudrais citer "Moby Dick", "Un homme pour l'éternité", "La ricotta", son magnifique Le Chiffre de "Casino Royale" et son général mexicain dans "Tepepa" (quand même !)
A force de l'avoir revu, j'ai plus de mal aujourd'hui qu'hier avec Arkadin, finalement trop baroque à mon goût et je lui préfère, dans cette veine débridée "Le procès".
Falstaff me paraît le plus beau des "trois Shakespeare", plastiquement mais aussi émotionnellement, et dans les polars, "The Lady Of Shangaï" plus troublant et noir que "La soif du mal".
Tout en haut, je mettrais "La splendeur des Ambersons", même s'il fut mutilé, pour l'intelligence balzacienne de ses relations entre personnages et son inventivité constante ; et "Une histoire immortelle", justement parce que je suis revenu du baroque échevelé.
Sino, en curiosités, "Le criminel" a de beaux mais rares restes, comme son "Don quichotte" monté par Jess Franco, mais il y manque rythme et cohérence.
Même si j'approuve le billet d'humeur de Vincent, je confesse être Wellsiens sans modération.
Ca donnerait :
**** : La soif du mal, la dame de Shangai (Ah Rita! Ah la scène des miroirs!), la soif du mal (ah le plan séquence d'ouverture!)
*** : Monsieur Arkadin (pas revu depuis longtemps), La splendeur des Ambersons (idem), Othello, Le procès, MacBeth
** : Le criminel, Une histoire immortelle
Lapsus involontaire, j'ai oublié, malgré tout :
**** : Citizen Kane (au lieu du deuxième "la soif du mal"!)
Je me considère aussi comme wellessien, même si je n'ai pas vu énormément de ses films. Comme j'ai pu le dire sur le blog de Vincent, j'aime bien Citizen Kane pour son sens de la démesure (film avec lequel j'ai découvert l'acteur Welles et sa voix caverneuse), auquel je préfèrerais McBeth ; j'adore cette théâtralité poétique, la liberté de la caméra et la dramaturgie du récit. J'ai adoré aussi ma récente découverte de La soif du mal, excellent film noir. Par contre, je me suis assez ennuyé devant la Spendeur des Amberson (aille! ouille! Pas taper!) auquel il faudrait que je donne une seconde chance. Voilà, j'ai fait le tour ! Il me reste Othello dans ma dvdthèque que je n'ai pas vu...
Difficile de me prétendre ouvertement Wellesien, je le crains. Pas anti- non plus, loin s'en faut, mais nombre de réalisateurs devraient avoir la priorité sur mon façonnage cinéphilique (work in progress rassurez-vous !), des plus psychotroniques aux moins formels.
J'ai tôt vu, enfant même, le Kane pour les fameuses raisons que l'on sait, celles à la peau décidément bien dure ! Cependant j'eus un autre choc (plastique, sensuel) avec Lady from Shangai ou un autre encore (plastique, mental), avec The Trial. Etonnamment je n'ai que peu de souvenirs du supposé choc bis (plastique, sensuel) de Touch of Evil, mais je ne doute pas qu'un revisionnage ne répare l'affront, comme le fit dernièrement celui de la bien nommée Splendeur des Amberson, assez épatant.
Quant au Criminel, les vagues réminiscences que j'en ai ont à voir avec du Hitch-like (et peut-être même un peu proto-); là encore une vérification s'imposerait.
Pas encore vu ses Shakespeareries mais ça ne saurait tarder pour l'une d'entre elles: restez à l'affût sur EIGHTDAYZAWEEK !
Welles fut une de mes premières fixations cinéphiliques et figure toujours en très bonne place dans mon panthéon personnel. Je suis toujours fasciné par la réflexivité de ce cinéma et la prégnance du schème de la manipulation que l'on trouve à des degrés divers dans Arkadin, la dame de Shangaï, touch of evil et Kane. J'aime aussi beaucoup les trois films Shakespeariens et en particulier Chimes at midnight. La vision de My private Idaho m'a d'ailleurs donné une furieuse envie de le revoir - pas encore passé aux actes...
Ma dernière découverte ce fut donc la splendeur des Ambersons qui n'est pas le moins beau en vérité ! C'est très récent et je crois pourtant que c'était dans la version raccourcie qui a longtemps circulé.
Si je n'avais peur de me montrer conformiste, je pourrais même avouer que Kane est à tout prendre celui qui m'a donné le moins de plaisir... Mais de là à en faire une oeuvre mineure, quand même !
Je demande ce que je penserais aujourd'hui du Procés que j'avais beaucoup aimé (comme tout le reste d'ailleurs) et qui n'a pas trop bonne presse chez les critiques.
A propos, quelqu'un a-t-il lu, ou à tout le moins mis le nez dans le monument d'Ishaghpour ?
Le criminel et le voyage au pays de la peur n'ont quand même pas le même statut que le reste
Wellesien,wellesolâtre,wellesophile,wellesomaniaque.Le meilleur film de tous les temps pour Kane?A mon avis oui.J'aime tout et derrière Kane je placerai s'il faut vraiment placer Ambersons et une pure merveille,plus shakespearien que Will,Falstaff.Je n'en dis pas plus car je m'enflamme sur Welles.
Citizen Kane est un film choc; on peut le voir plusieurs fois et le connaître bien on est toujours surpris voire fasciné.
J'ai bien aimé aussi Une Histoire immortelle.
Le Procès : Beaucoup d'images effrayante mais dans l'ensemble ça correspond bien au livre de Kafka, et Welles nous fait partager l'univers de cet auteur qu'il semble avoir bien compris.
La Dame de Shangaï , un film impressionnant, plus facile à suivre que les autres. Son film le plus "médiatique" ce qui ne l'empêche pas d'être un chef d'oeuvre.
Je m'aperçois, levant les yeux vers les rayonnages de ma bibliothèque ciné, que même sans être donc un furieux wellesomaniaque, j'ai quand même le Bessy et le Bazin (je concède ne les avoir pas compulsés depuis 6-7 ans, mais bon)...
Réponses en vrac pour tout le monde :
"Permanence de Welles" dirait un professionnel de la critique. Il faudrait que je vérifie, mais il me semble qu'aucune autre proposition faîte dans ma rubrique "Êtes-vous..." ne vous aura autant inspirés. Ceci est sans doute lié au fait que Welles est pour tout jeune cinéphile un passage obligé qui se transforme vite en "fixation" comme dis Arnaud. Si son cinéma marque tellement lorsqu'on le découvre, c'est en partie je pense pour le baroque (Ludovic), pour cette exubérance, pour cette mise en scène souveraine et "voyante". Découvrant l'âge classique, on tombe sur Welles qui, tout en en faisant partie, détonne et paraît extraordinairement moderne (moins avec les "Amberson", qui est peut-être le film qui doit le plus mûrir, au fil du temps : sans parler d'ennui comme Raphael, je n'y avais pas trouver, il y a de ça une quinzaine d'année, voire plus, la même force que dans "Kane". Mon regard serait sans doute différent aujourd'hui). D'autres oeuvres de cinéastes sont moins directes : celle de Lang, par exemple, aussi belle, demande finalement plus "d'efforts". Il est possible donc qu'avec le temps, certains prennent un peu de recul par rapport aux diamants Wellessiens les plus éclatants.
Les commentaires me mettent un peu plus sur les dents : il faut absolument que je découvre "Falstaff". Sinon, je suis assez content de voir que "Le procès" reste plutôt bien accueilli.
Enfin, pour les livres, j'ai pour ma part celui des entretiens fleuves de Welles avec Peter Bogdanovich (l'un des mes tous premiers livres de cinéma, acheté en 93/94), dans lequel je n'ai pas replongé depuis longtemps, mais qui m'avait fortement éclairé à l'époque.