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  • Paris nous appartient (Jacques Rivette, 1961)

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    "Paris nous appartient" demande un temps certain d'adaptation (montage brut, cadrages qui se voient, interprétation inégale, discussions ou très simples ou très obscures), s'appréhende très progressivement jusqu'à ce qu'on saisisse à peu près de quel jeu il s'agit ici. Des comédiens de théâtre sont en quête d'un décor (et d'argent). En même temps, ils se montent la tête avec des histoires de suicide, de meurtre, de secret, de complot. Mais Rivette ne tranche jamais, laisse délibérément flotter, ajoute des éléments factuels pour mieux les soustraire aussitôt, intègre un absurde pas si absurde que ça, construit sur rien ou sur l'absence (celle du suicidé qui enclenche la fiction). C'est un jeu de piste qui fait aller d'un point A à un point B, en suivant les indications données par d'autres. On se retrouve ici ou là dans Paris, on rencontre de multiples personnages, mais c'est un film policier, criminel ou d'espionnage sans aucune action (sauf dans les 5 dernières minutes où la condensation sème encore le doute). A ce jeu déroutant qui finit par être addictif, le temps en a ajouté un autre : reconnaître à l'écran Chabrol, Godard, Demy, Rivette lui-même (et voir les Cahiers du Cinéma posés en évidence sur une étagère), soit la Nouvelle Vague, qui fait donc partie du complot.

  • C'était mieux avant... (Octobre 1984)

    Pas vu septembre passer. Rouvrons vite l'album-souvenir au chapitre Octobre 1984, afin de voir ce qui s'offrait alors aux regards des spectateurs sur les écrans français :

    Le cinéphile, qu'il appartienne à n'importe laquelle des chapelles, fut, en cette période, relativement gâté car en puisant dans les différents genres et styles, il était possible d'y trouver un ou plusieurs motifs de satisfaction. En octobre 84, comme le disait Jacques Martin, "tout le monde a gagné".

    troispantheres.jpgCeux qui aimaient la série B étaient peut-être les moins bien lotis. Trois produits de Hong-Kong, pas franchement attirants, sortaient en salles : Kung fu lama contre boxeur chinois (de N.G. See Yuen), Poings d'acier contre les griffes du tigre (Yeh Yung Chou) et Les quatre forcenés de Shaolin (Liu Chia Fei). Dans le même esprit, Trois panthères au combat, signé par Cirio H. Santiago, battait pavillon philippin. Côté occidental, la moisson n'était pas plus emballante : USA : Profession tueur, un polar espagnol, comme son nom ne l'indique pas, de José-Luis Merino, Sévices à la prison des femmes, dont le sujet tient dans le titre, de Sergio Garrone, Le baroudeur un post-Rambo anglais de Philip Chalong et Catherine chérie un film érotique soft hispano-allemand de Hubert Frank.

    Ceux qui aimaient les comédies avaient déjà plus de chance. Oh certes pas avec le Bébel de saison ! Dans Joyeuses Pâques ("mis en scène" par Georges Lautner) Monsieur "Toc-Toc-Badaboum" se vautrait dans le pire boulevard en compagnie de Sophie Marceau. Pierre Richard n'était pas non plus au mieux de sa forme (Le jumeau d'Yves Robert). Et que dire d'Aldo Maccione (La classe de Juan Bosch) ? En revanche, La tête dans le sac, de Gérard Lauzier, avec Guy Marchand et Marisa Berenson, a peut-être quelques mérites. Toutefois, la grande affaire dans le domaine, ce fut la sortie de Marche à l'ombre, première réalisation de Michel Blanc (devancé dans l'exercice de quelques mois par Gérard Jugnot). Gros succès public, confirmé ensuite par les multiples rediffusions télévisées (assurant ainsi la cultisation de certains dialogues), le film sentait bon la comédie socialement bien observée, presque "à l'Italienne". Un peu trop vu en nos jeunes années, nous préférons attendre encore avant de nous repencher dessus...

    thehit.jpgCeux qui aimaient les polars avaient le choix entre le singulier sérieux et le singulier déconnant. The hit, deuxième long-métrage cinéma de Stephen Frears, est un polar écrasé par le soleil espagnol et dont la distribution fait saliver : Terence Stamp, John Hurt, Laura del Sol, Tim Roth. Je ne l'ai malheureusement toujours pas vu. Les trottoirs de Bangkok non plus (franchement, il me tarde moins). C'est apparemment une parodie d'espionnage, un peu olé-olé, filmée par Jean Rollin.

    Ceux qui aimaient les films populaires ont-ils apprécié le Rive droite, rive gauche de Philippe Labro (Depardieu, Baye et C. Bouquet à l'affiche) ? Pour le grand public (et pour nous, les ados) le véritable évènement c'était plutôt Greystoke, la légende de Tarzan, seigneur des singes. Hugh Hudson réalisait là l'adaptation la plus fidèle du récit original d'Edgar Rice Burroughs et Christophe Lambert était une star internationale.

    Ceux qui aimaient aller au cinéma en famille se sentaient très bien devant Splash de Ron Howard avec le jeune Tom Hanks en amoureux de la sirène Daryl Hannah. A survoler quelques critiques d'époque, assez bienveillantes, nous n'avons pas vraiment envie de ricaner en repensant à notre intérêt d'alors. En ce qui concerne Supergirl, par contre, si. Jeannot Szwarc dirigeait Helen Slater (qui ça ?) et Faye Dunaway en méchante (mais aussi Peter O'Toole et Mia Farrow !).

    Ceux qui aimaient les documentaires pouvaient regarder passer Les nuages américains (un épisode du "journal filmé" de Joseph Morder), s'installer devant le Cinématon (concept de Gérard Courant : faire des portraits cinématographiques en Super-8 de personnes connues ou pas) et réflechir à Euskadi hors d'état (Arthur Mac Caig).

    Ceux qui aimaient les découvertes pouvaient voir Le montreur d'ours, fable régionaliste tournée en occitan par Jean Fléchet et deux chroniques soviétiques (Amoureux volontaires de Sergueï Mikaelian et Vols entre rêve et réalité de Roman Balaian).

    Ceux qui aimaient le cinéma français du milieu n'avaient pas de grands noms à retrouver mais s'essayaient à l'Ave Maria de Jacques Richard, au Côté coeur, côté jardin de Bertrand Van Effenterre et aux Fausses confidences de Daniel Moosmann (et de Marivaux).

    amadeus.jpgCeux qui aimaient les grands auteurs affichaient un large sourire. Broadway Danny Rose est en effet l'un des meilleurs Woody Allen, hommage drôlatique et en noir et blanc à tous les artistes de seconde zone (Woody lui-même en impresario inoubliable). Milos Forman, lui, frappait très fort avec Amadeus, film rieur et funèbre, bien plus passionnant que les films-opéras de prestige réalisés à l'époque. Revue il y a quelques années, l'oeuvre tient diablement le coup. Maria's lovers, le mélodrame d'Andreï Konchalovsky, avec John Savage et Nastassja Kinski, est l'un des titres-phares du soviétique expatrié (mais mon souvenir est bien trop brumeux). Les yeux la bouche est un étrange projet de Marco Bellocchio, une mise en abyme, avec la complicité de Lou Castel, à partir de leur coup d'essai-coup de maître de 1966, Les poings dans les poches. Enfin, Souleymane Cissé voyait distribué son film de 1978, Baara.

    Ceux qui aimaient les artistes exigeants pouvaient compter sur Jacques Rivette (L'amour par terre avec Géraldine Chaplin, Jane Birkin, André Dussolier et Jean-Pierre Kalfon, pour un jeu autour du théâtre qui n'est, à mon sens, pas le plus enthousiasmant de l'auteur), sur Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (Amerika/Rapports de classe, adaptation de Kafka) et sur Philippe Garrel (Liberté, la nuit ou Paris pendant la guerre d'Algérie, avec Emmanuelle Riva, Maurice Garrel, Christine Boisson et Laszlo Szabo).

    ecran49.jpgCeux qui aimaient lire les revues pouvaient prolonger leurs réflexions sur L'amour à mort d'Alain Resnais, sorti le mois précédent, grâce à Positif (284) et à La revue du Cinéma (398) et sur Le futur est femme de Marco Ferreri, également à l'affiche depuis septembre, grâce à Cinéma 84 (310). Ils pouvaient aussi regarder dans les yeux Christophe Lambert sur les couvertures de Première (91), de Starfix (19) et de L'Écran Fantastique (49), lire un dossier "Méthodes de tournage" dans les Cahiers du Cinéma (364, photo d'Eric Rohmer tournant Les nuits de la pleine lune) et s'attacher au cinéma documentaire par l'intermédiaire de Jeune Cinéma (161, en couve : The good flight de Noel Buckner, Mary Dore et Sam Sills).

    Voilà pour octobre 1984. La suite le mois prochain...

  • Ne touchez pas la hache

    (Jacques Rivette / France / 2007)

    L'arrivée du dernier Chabrol sur les écrans me fait revenir sur Rivette et Ne touchez pas la hache, sorti en avril dernier. C'est vrai, le rapprochement de deux anciens de la nouvelle vague est totalement gratuit tant leurs oeuvres sont dissemblables. Il s'agit juste du plaisir à évoquer un film magnifique, selon moi le plus beau vu depuis le début de l'année.

    Cette adaptation de La duchesse de Langeais de Balzac n'offre pas une tentative de modernisation par une esthétique contemporaine (ce sur quoi avait buté, à mon avis, Patrice Chéreau avec Gabrielle). On se trouve au contraire face à un certain archaïsme revendiqué, tellement la mise en scène joue sur la transparence. Le travail sur le son est direct : les parquets et les portes grincent, les canes et les semelles frappent le sol. Les sources de lumières semblent toujours naturelles : les bougies éclairent imparfaitement les visages. Ces choix radicaux peuvent rebuter, ils collent pourtant au plus près de la réalité et font ressortir des traits particuliers de l'époque comme la pénombre des appartements ou l'importance des parures. Débarrassée du superflu, la caméra devient attentive au moindre détail, mettant en valeur gestes et postures.

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    Apparemment déjà dans le roman (je suis un piètre connaisseur en littérature), la construction avec un flash-back enchâssé entre un prologue et un épilogue évite la progression trop habituelle du coup de foudre vers la déchéance ou la rédemption. Il y a abondance de dialogues qui pourraient ennuyer bien sûr (enfin, Balzac, c'est déjà quand même pas mal à entendre), mais ceux-ci sont traversés de fulgurances qui, par contrecoup, rendent les moments de calme tout aussi admirables. Ces fulgurances naissent de plusieurs procédés. Une coupe brutale sur un cri ou une phrase forte peut clore une séquence. L'insertion de cartons, qui apparaît dans certains films, à l'instar de la voix-off, comme une facilité, se révèle parfaite ici, souvent avec humour ("- Le lendemain, donc..." ou "- En vain"). Rares, les apparitions de la musique sont extraordinaires. La première rencontre entre Langeais et Montriveau scelle le début d'une histoire; au même moment, des violons s'accordent donc dans le salon voisin, avant d'entamer un morceau. Calme et rigoureuse, la caméra peut devenir tout à coup mobile. A ce titre, le début de la séquence de la vengeance de Montriveau ("- Acier contre acier"), est saisissant. Un plan en contre-plongée de Depardieu dans la rue et entrant dans la maison est enchaîné à un gros plan du même à l'intérieur. Puis un travelling avant va chercher, en gros plan également, Balibar au milieu des convives. En marge du bal, le duel peut commencer, au moins aussi intense que celui entre Close et Malkovitch dans Les liaisons dangereuses de Stephen Frears.

    Certains diront que le film est trop théâtral. Alors oui, il l'est dans le sens où l'on sent se cristalliser, dans chaque scène, à vif, l'incarnation par les deux acteurs principaux de leur personnage. Guillaume Depardieu impressionne en soldat de Bonaparte blessé au physique et au moral. La force de sa présence est évidente dès les premiers plans dans l'église. Jeanne Balibar est géniale, comme jamais auparavant. Elle excelle dans le jeu de la dissimulation, autant que dans le foudroiement de la douleur, tout à coup visible sur son visage défait, assise au piano après le départ de Montriveau. Leurs confrontations sont inoubliables.

    Plus le film avancera, plus il se fera ample, émouvant, plastiquement admirable. La tonalité fantastique de l'enlèvement et les plans du retour à la maison sont beaux comme du Murnau. Le complot final et l'épilogue sur le bateau nous rappelle Lang et Moonfleet. La filmographie de Rivette est selon moi une succession de hauts et bas (fragile...), mais Ne touchez pas la hache rappelle quels pics le cinéaste peut parfois atteindre.

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    Photos : Allocine.com