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naruse

  • Nuages épars (Mikio Naruse, 1967)

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    Le dernier film de Naruse bénéficie encore d'un style délicat, dispose toujours des ellipses temporelles assez audacieuses (car souvent non désignées tout de suite comme telles), intéresse par son aspect social (les difficultés que doivent soudainement affronter des personnages appartenant à une classe moyenne/aisée), offre bien sûr quelques très belles scènes de cristallisation ou de séparation amoureuse. Le ton est malheureusement un peu monocorde et tout cela semble long et plus appuyé que d'habitude. C'est que le scénario est très franchement mélodramatique, tirant sur la corde pour organiser des rencontres successives, et que les sentiments sont plus abruptement verbalisés que dans d'autres films, plus vibrants, émouvants et inventifs, du cinéaste.

  • Au gré du courant (Mikio Naruse, 1956)

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    Naruse filme la vie quotidienne dans une maison de geishas. C'est une histoire contemporaine et, en même temps, on le sent, la fin d'un monde. Ce qui frappe tout de suite, c'est le calme, qui va jusqu'à donner l'impression d'une absence de dramatisation. La construction accentue cette impression : avec ces courtes séquences, parfois réduites à un ou deux plans, ces bribes de quotidien, ces personnages multiples et non hiérarchisés, ces scènes semblant prises en cours de route et semblant interrompues avant leur terme, ces coupes enjambant aussi bien, et sans distinction, quelques minutes ou plusieurs jours, la mise en scène est, malgré sa modestie apparente, d'une grande modernité, ou du moins ne date jamais. Rien n'y est surligné, pas plus l'émotion que les croisements incessants de personnages (presque exclusivement féminins) qui ne sont absolument pas posés comme des "types" mais qui révèlent leur caractère et leur personnalité au fil du film. Et par-dessus tout cela, le voile de tristesse propre à Naruse. 

  • Tourments (Mikio Naruse, 1964)

    Dans un petit magasin en difficulté éclot un amour impossible entre une veuve et son beau-frère. D'un problème social, Mikio Naruse fit en 1964 un beau mélodrame, illuminé par son actrice fétiche, où les pulsions de vie combattaient la grisaille environnante.

    Nous savons depuis 1984, année de sa tardive découverte en France, que Mikio Naruse était l'un des quatre grands du cinéma japonais classique, aux côtés d'Ozu, Mizoguchi et Kurosawa. L'éblouissement procuré par Le Grondement dans la montagne (1954) ou Nuages flottants (1955) provoquait alors une sous-estimation de la dernière partie de sa carrière. Or plusieurs diffusions récentes ont prouvé que celle-ci recelait encore quelques joyaux, dont cette Femme dans la tourmente de 1964. Par la caméra d'un artiste anxieux sous un calme apparent, une mise en scène musicale toute en modulations nous fait glisser de la chronique sociale posant le problème de la modernisation du pays aux dépens des petits commerçants vers une nouvelle approche du sentiment amoureux contraint dans son déploiement par les carcans moraux. Un art de la caractérisation en douceur, qui notamment ne fait apparaître la malveillance de la belle-famille de l'héroïne que progressivement, ordonne une alternance de séquences où avance l'intrigue et de longues plages peu bavardes pensées en harmonieux enchaînements. Dans un magasin ou un train, regards et positions disent alors tout d'un lien noué. En une montée dramatique régulière et sans coup de force, s'affirment des personnages droits, l'interrogation de la notion de sacrifice, l'importance de l'appétit retrouvé, de l'activité féconde, de l'évasion et de l'amour, tout cela malgré la tristesse enveloppant le monde. Des violons, d'abord en sourdine, vont finir par déborder aux derniers plans, comme les mèches mouillées par la bruine sur le visage magnifiquement vibrant d'Hideko Takamine.

    (Texte paru dans L'Annuel du Cinéma 2016)

  • Histoire d'une femme

    (Mikio Naruse / Japon / 1963)

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    histoirefemme.jpgDès les premières séquences, tout sonne juste. Mikio Naruse commence par passer d'un personnage, ou d'un groupe, à un autre, laissant assez longtemps flotter son récit avant d'en désigner plus clairement la ligne directrice (la vie d'une femme japonaise depuis son mariage dans les années 30 jusqu'au moment où elle devient grand-mère, dans les années 60). Ces premières descriptions de parcours professionnels, sentimentaux et domestiques, ce brassage choral se font sans ostentation aucune, le regard restant à hauteur d'homme et de femme sans jamais les surplomber. Peu à peu, des flash-backs brisent la linéarité temporelle. Leur articulation avec le présent de la narration est aussi fluide que le sont les transitions entre les séquences consacrées aux différents personnages et si le déroulement de l'histoire peut surprendre ou dérouter, il le fait à la façon de la vie elle-même. La subtile subjectivité qui s'affirme dans ces retours en arrière (le point de vue adopté étant d'abord celui de la grand-mère puis celui de sa belle-fille, qui finit par être placée au centre du film) est déjà un premier signe du talent de Naruse pour façonner des caractères et dégager une psychologie d'une remarquable justesse.

    L'itinéraire familial dessiné sous nos yeux, accompagné de ses petites arborescences, finit par donner vie à un tableau sociologique du Japon de l'avant à l'après-guerre et ce sont les destinées individuelles qui éclairent les moments historiques et non l'inverse. De la même manière, les flash-backs ne sont pas là pour illustrer scolairement une idée de scénario ou un thème cher au cinéaste. Ils sont déclenchés par le souvenir que provoque tel comportement ou par une association d'idée, et ils prennent le temps de détailler un contexte, de laisser se développer chaque composant du "sous-récit", avant d'exposer l'événement dramatique qui, pour le coup, devient inattendu. Cette délicatesse de construction, obtenue grâce à un enchaînement fluide plutôt qu'à un empilement répétitif et arbitraire des malheurs de l'existence, gouverne l'avancée du mélodrame. Dans ce qui est peut-être la plus belle scène du film, la lecture par l'héroïne, en pleine rue, de la lettre d'adieu laissée par l'homme qu'elle aime entraîne la perte (provisoire) de son petit garçon dans la foule (situation qui sera reprise à la fin, de manière encore une fois très délicate, lorsque l'arrière-grand-mère, dans le parc, relâchera brièvement sa surveillance du petit dernier de la lignée).

    Histoire d'une femme, Histoire de la femme voire Une histoire de femme : l'existence de ces différents titres français donnés à Onna no rekishi par les diffuseurs dit bien l'ampleur que Naruse parvient à donner à cette évocation d'un destin singulier. Il faut se garder cependant de chercher là une exaltation du sens du sacrifice qui caractériserait la femme japonaise. Pour Naruse, il s'agit plutôt de faire un constat tragique, en suivant les générations successives sur cette trentaine d'années : les femmes survivent et les hommes meurent. Et ce ne sont pas ces derniers qui sont le plus à plaindre. La mort de l'être aimé est une épreuve mais c'est une épreuve qui en annonce presque toujours une autre, plus terrible encore : la révélation tardive d'une erreur, d'un malentendu, d'une tromperie ou d'une trahison. La tristesse recouvre ce film pluvieux et nocturne. Seule la scène finale semble laisser une place au soleil. Il faut le chercher loin ce rayon annonçant un avenir moins douloureux, reposant sur... un petit garçon.

    Chez Naruse, la moindre silhouette impose sa présence en quelques secondes, les plans durent exactement le temps qu'il faut, la mise en scène a l'apparence de la simplicité (du Ozu en plus souple, en moins intimidant peut-être). Réalisé six ans avant sa mort et quatre ans avant son dernier film, Histoire d'une femme infirme le jugement qui consiste à stopper le temps des beaux mélodrames "narusiens" à la fin des années 50 (après la série comportant, entre autres, les magnifiques Frère et sœur, Le repas, L'éclair, Le grondement de la montagne et Nuages flottants).