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wiseman

  • City Hall (Frederick Wiseman, 2020)

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    Si la méthode ne varie pas d'un iota, Wiseman, pour une fois, laisse entendre qu'il éprouve une grande sympathie pour son personnage principal, le maire démocrate de Boston Marty Walsh, en passant une grande partie de son film à enregistrer sa parole. Cette parole est relayée par les différents services municipaux, dont le travail nous est présenté pendant plus de 4 heures. C'est une succession de réunions, de cérémonies, de discours, de dialogues. A ce flux s'intègre celui des intermèdes muets et tournés en extérieur, dans la ville, fascinante suite de plans de voies et de bâtiments dans lesquels on n'entre pas si ils ne sont pas gérés par la mairie, ce qui crée un petit jeu de frustration. La parole annonce ou rappelle des actions pour l'égalité des droits de tous les citoyens, de n'importe quelle communauté, dans une démarche à l'opposée de celle de Trump alors en poste. Il n'y a toujours pas grand chose de mieux que le cinéma de Wiseman pour voir l'Amérique. 

  • Ex Libris : New York Public Library (Frederick Wiseman, 2017)

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    Il ne s'agira pas, on s'en doute, de passer 3h17 dans une salle de lecture. Wiseman profite du vaste réseau que constitue sur New York la bibliothèque municipale, avec ses multiples annexes réparties dans les quartiers, pour donner une nouvelle fois une ampleur insoupçonnée à son œuvre. Il traite le sujet au bon moment, en un temps de bascule qui redéfinit le rôle et les missions de ce type de service public. Ici, le livre n'est qu'un élément parmi d'autres. Le numérique entraîne évidemment des mutations, et interrogations. Mais c'est toute l'action sociale qui est également révélée, d'où l'impressionnant évantail ouvert par le film, des sans-abris des rues adjacentes aux riches administrateurs. Peut-être parce que les orientations culturelles sont montrées à travers plusieurs captations de rencontres, exposés, débats, l'accent est mis, côté administration, sur l'économie (partenariat public-privé) et le rapport avec le pouvoir politique local. On parle donc peu de livres. Wiseman semble cependant garder (ou relayer) un certain optimisme, au fil de séquences sensiblement plus courtes qu'il y a quelques années, sans doute pour en faire entrer un plus grand nombre dans ce panorama qui renseigne de manière passionnante, comme toujours, sur l'Amérique du moment.

  • Monrovia, Indiana (Frederick Wiseman, 2018)

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    Le rendez-vous, quasi-annuel, de dessillement a été à nouveau honoré par Wiseman (90 ans cette année). Encore une fois l'impression de voir des images neuves, claires et vraies, de choses a priori banales (activités professionnelles, cérémonies, assemblées, réunions...), assemblées en un montage merveilleux, net, rythmé par des plans de transition de toute beauté mais pourtant jamais esthétisants et servant à la fois à respirer et à avancer d'un endroit à un autre. Les habitants de la ville filmée ici ont voté pour Trump à 76%. Mais ça, c'est le distributeur du film qui le dit. Wiseman, lui, s'en garde bien. Libre à nous de déceler dans ses images et ses sons, des signes de cet état de fait et d'esprit. Le cinéaste esquive, peut-être un sourire en coin mais sans jamais "laisser penser que...". Et c'est heureux qu'il évite ainsi la réduction au message, à la dénonciation (restant en cela, de toute façon, totalement fidèle à sa démarche habituelle). Cependant, son film intéresse constamment, étonne, fascine, mais il inquiète également. Il interroge par la façon dont il donne à voir ces instantanés : non reliés entre eux (sinon bien sûr géographiquement). La société y apparaît donc sous forme de cellules non communicantes. En coupant net avant et après, en ne revenant que rarement une deuxième fois sur un lieu, en ne présentant personne dans un autre environnement que celui dans lequel nous le rencontrons, Wiseman donne à sentir la réalité d'une société de communautés indépendantes. Et en même temps, sa manière de faire pousse à s'interroger à chaque moment : qu'est-ce que ce fragment peut nous dire de ces gens et de cet endroit ? Peut-on lui accoler une signification particulière ? Comme il est très difficile de répondre, on se dit que le cinéma de Wiseman est décidément celui qui dialogue le plus intensément avec la réalité, tout en restant admirablement organisé.

  • La danse, le ballet de l'Opéra de Paris

    (Frederick Wiseman / France / 2009)

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    ladanse.jpgL'institution que Frederick Wiseman a décidé de radiographier cette fois-ci est l'Opéra de Paris. Il le fait en long, en large et en travers, filmant aussi bien le bureau de la directrice artistique que les ruches sur le toit du bâtiment ou le dédale des sous-sols. Toutefois, l'essentiel se passe bien sûr au cours des répétitions et des représentations.

    Wiseman reprend sa démarche habituelle : pas de voix-off, pas d'inscriptions sur l'écran, pas d'entretien, pas d'intervention. Il construit son documentaire en faisant se succéder de grands blocs de séquences se déployant en des espaces que l'on quitte toujours sur la pointe des pieds avant de se retrouver dans le suivant (le son d'ambiance diminue progressivement et la transition se fait à l'image par l'insertion de quelques plans de coupe fixes sur les lieux intermédiaires, portes, couloirs, escaliers).

    Une narration classique impose, dans ce genre de sujet, de décrire une évolution allant des répétitions à la représentation. La danse n'y obéit qu'en apparence, la trame se complexifiant sans cesse, le fil revenant sur lui-même. Cela est dû notamment au nombre important de ballets en préparation (nous en suivons une demie-douzaine) et au saupoudrage d'instantanés échappant à ce mouvement tendu vers un seul point puisqu'ils concernent des activités moins visibles bien qu'essentielles (services de confection, de nettoyage...).

    L'enregistrement des répétitions provoque tout de suite la fascination. Les instructions incessantes des maîtres de ballet et des chorégraphes aux danseurs nous aident à saisir les infimes mais ô combien importantes variations pouvant émaner d'un mouvement ou d'une pose. Tension, retenue, délié, harmonie... Il s'agit de mettre un mot sur chaque geste. Le mouvement est morcellé, chaque segment est scruté, suspendu, soupesé, repris, modulé de façon à obtenir en bout de course, une unification parfaite, une libération de flux ne rencontrant aucun obstacle. Le travail, au final, ne doit plus se faire sentir, le danseur accédant progressivement à un état second. L'effort s'efface et le mystère entoure la scène. Le cinéma, art du mouvement, ne peut que sortir grandi de cette magnifique auscultation.

    Lors de la représentation, le costume recouvre de son voile opaque les petites imperfections et prolonge les mouvements au-delà du corps alors que la lumière découpe et précise encore les gestes. De même, la coupe sociologique qu'exerce Wiseman ne vise pas seulement à l'information, par le montage et la gestion du temps, elle tend aussi à donner au final une forme harmonieuse à tous ces segments.

    Une réunion est organisée afin d'informer les danseurs sur la réforme des régimes spéciaux de retraite, la directrice évoque au téléphone l'hommage rendu à Maurice Béjart après sa mort, des masques morbides trônent dans la réserve de l'accessoiriste, on s'interroge sur l'âge des danseurs, on monte Le songe de Médée (les cadrages, ailleurs larges, se resserrent, rendant l'intensité du ballet, ménageant la surprise des intrusions et de la violence), on descend vers les égouts, les plans extérieurs de nuit et d'aurore se succèdent... Ainsi, à mi-chemin, La danse prend une ampleur incroyable en rendant compte d'une lutte contre le temps et d'une cyclique renaissance (la jeune danseuse et ses progrès, l'éternel retour aux répétitions), et s'étire, sur un rythme étrange, comme si Wiseman ne voulait pas en finir.