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70s

  • Vices privés, vertus publiques (Miklos Jancso, 1976)

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    En coproduction italo-yougoslave, Jancso brode autour du drame de Mayerling. L'héritier du trône austro-hongrois mène une vie dissolue, s'épanouit en ménage à trois avec sa demi-sœur et son demi-frère, y inclut les servantes (et la gouvernante Laura Betti), lance une invitation à la jeune noblesse de la région pour une orgie destinée à créer un scandale et à fragiliser son tyran de père. Il finit assassiné pour cela, contrairement à la version officielle. Souhaitant montrer un élan révolutionnaire à travers une soif de liberté sexuelle absolue, le cinéaste prend plaisir à filmer des jeunes gens nus quasiment du début à la fin, et ne faisant pas, cette fois-ci, que danser. On n'est pas en 1976 pour rien et l'érotisme joue franchement avec les limites. Mais bien qu'il en atténue la radicalité, le style de Jancso lui joue des tours. Dans la partie centrale, les plans sont trop longs, la bande son trop chargée (quand les fanfares s'arrêtent enfin, les rires prennent le relai), le scénario trop limité, et surtout le déchaînement subversif concerne un groupe entier, donc des corps nombreux et indifférenciés, ce qui entrave le partage d'un trouble érotique. Il n'est sensible que dans la dernière partie, de loin la meilleure, la plus concentrée, avec d'une part l'implication dans l'équation amoureuse et sexuelle d'une maîtresse hermaphrodite, et d'autre part la tension de la répression politique, l'ensemble étant dès lors présenté, plutôt que dans les rondes habituelles, en quelques tableaux cruels annonçant le cinéma de Greenaway.

  • Pour Électre (Miklos Jancso, 1974)

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    Électre s'oppose au roi Égisthe et attend le retour de son frère Oreste pour venger leur père Agamemnon et libérer le peuple de l'emprise du tyran. Un décor ouvert mais unique est parcouru en une dizaine de plans séquences (la plupart atteignant les dix minutes). Partout des cavaliers, des danseurs de ballets, des musiciens, des animaux, des enfants, des femmes nues, dont les mouvements et les actions doivent signifier ou évoquer. Ils sont cent, peut-être deux cents. Devant eux, ou au milieu de leurs rondes, évoluent les personnages principaux. Inhabituellement chez Jancso, une séparation narrative s'impose entre ces derniers et le chœur figurant, ce qui est dû au respect de l'origine du scénario : une pièce de théâtre hongroise. A un moment, Oreste dit : "Ce n'est pas de ce cirque dont le peuple a besoin." Pendant quarante minutes, le film est en sur-régime, épuisant, monotone. Puis Électre récupère le pouvoir et c'est comme si, avec ce renversement, l'équilibre était trouvé d'un seul coup, à l'image d'une scène dansée où la nudité masculine rejoint enfin la nudité féminine. Les derniers longs plans sortent du programme établi et surprennent : le tyran se réfugie sur une énorme boule, Électre et Oreste s'éloignent en un sublime pas de deux, une musique extradiégétique monte pour la première fois, le glissement s'opère vers le contemporain (un vol en hélicoptère) dans l'espoir d'une Révolution constamment recommencée. Alors il faudrait presque reprendre le film au début.

  • Roma rivuole Cesare (Miklos Jancso, 1974)

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    Le second téléfilm de Jancso tourné pour la Rai, "Rome veut un nouveau César", est moins connu en France que le premier, La Technique et le Rite, présenté à Cannes en 1972. Il me paraît pourtant bien meilleur, plus clair, moins prisonnier du texte et du lieu. Dans le royaume de Numibie sous influence romaine, quelques patriciens, dont le jeune et fougueux Claudius (Daniel Olbrychski), poussent les populations à se rebeller contre les armées de César. Mais à la mort de ce dernier, le pouvoir revient par surprise à l'un d'entre eux, Octave. En Tunisie, le désert, le bord de mer et les habitations de terre offrent à Jancso un terrain idéal pour l'adaptation de son esthétique que l'on s'étonne de voir parsemée de réminiscences de westerns (chevauchées et intrigues sous le soleil) au-delà du mélange de rites numides et de complots impérialistes. La narration est relativement alerte et, dans ses meilleurs moments, le film atteint son but : mettre en images, en action, à travers un nombre restreint de personnages et de situations, de purs concepts (la République, la démocratie contradictoire, la morale politique, la désignation de chef).

  • La Clepsydre (Wojciech Has, 1973)

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    Rares sont les films à larguer autant les amarres, dès les premiers instants. Aucun point d'ancrage sinon quelques éléments dépendant de l'interprétation globale que l'on peut donner au fur et à mesure à cette histoire. La plus "simple" est celle d'un voyage du héros, que l'on ne quitte pas d'une semelle, au pays des morts, voyage devenant surtout un voyage dans le temps (le temps semblant "jouer" avec l'espace). C'est morbide et très obscur (envolées poétiques, références aux Empires et à la culture juive), virtuose dans les longs mouvements de caméra et surtout très impressionnant dans la création de décors baroques jamais vus. De W. Has, il faudrait que je revoie Le Manuscrit trouvé à Saragosse, beau mais trop vague souvenir, pour comparer.

  • Psaume rouge (Miklos Jancso, 1972)

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    Par-delà 3 années et 4 films, Psaume rouge poursuit l'expérience de Ah, ça ira ! et fait figure d'aboutissement d'une poétique musicale, historique, symbolique de la Révolution. Celle qui est décrite cette fois concerne, à la fin du XIXe, un groupe de paysans socialistes se heurtant à leur régisseur et à leur propriétaire, aux militaires et aux prêtres. Les chorégraphies de la caméra sont donc à nouveau augmentées de danses et de chants. Leur variété est un premier avantage sur le film de 68 : chant populaire ou révolutionnaire, complainte au violon, commentaire folk à la guitare, marches militaires... Souvent, deux ou trois registres musicaux se succèdent à l'intérieur même des plans, très longs (4 ou 5 minutes en moyenne), qui accueillent aussi toutes les vitesses, toutes les échelles (du gros plan au lointain), évitant ainsi la monotonie. L'idée de montage traditionnel a complètement disparu. Cette représentation fluide et musicale, cette narration dans l'illusion d'un seul mouvement, fait tout accepter. Les résurrections et les nudités, pour la première fois "positives" (littéralement désarmantes), font cheminer une espérance énergique résistant à la répression. Riche de plusieurs compositions impressionnantes et d'inoubliables déclinaisons du rouge sang (ruban, cocarde, rivière teintée), c'est l'une des plus grandes réussites plastiques de Jancso.

  • Ya, Ya, Mon Général (Jerry Lewis, 1970)

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    Bien plus jeune, j'avais trouvé le film vraiment nul mais j'ai toujours eu l'envie de revérifier et finalement, ça ne l'est pas complètement. Le délire critique de l'époque reste cependant difficile à comprendre, qui plus est répandu par quelques sommités (8 pages dans Positif, inévitablement par Robert Benayoun, autour de la "saine mégalomanie" de Lewis, en face d'un texte de Serge Daney dans les Cahiers, plus court mais pas facile à suivre sur le corps et le langage, et bien d'autres que je n'ai pas lus comme Noël Simsolo dans la Revue du Cinéma ou René Prédal dans Jeune Cinéma). Déjà handicapé par son titre français, ce Which Way to the Front ? est à la fois ambitieux et facile, risqué sur le plan narratif (peu d'enchaînements logiques ce qui laisse perdurer l'impression d'une succession de sketchs, long - presque interminable - prologue repoussant le générique à 18 minutes, insertion d'images documentaires, aucun moment d'attendrissement) et visuellement pénible (lumière et ombres désagréables, mise en images frontale des actions dans les décors fabriqués ressemblant à une captation de show TV). Malgré le n'importe quoi et le manque d'idées marquantes (le ballet au ralenti pour les retrouvailles entre le Führer et son stratège préféré), c'est quand même intéressant de voir jusqu'où va Lewis pour traiter ce sujet "énorme" de satire du capitalisme et de l'armée sur le terrain de la Seconde Guerre, en convoquant Hitler (et indirectement Chaplin). Finalement, le "meilleur" est le dernier tiers, paroxystique, hystériquement chargé, avec la série de confrontations entre les nazis et le personnage de Lewis déguisé qui ne cesse de hurler ses phrases avec l'accent allemand. On est très au-delà du raisonnable. Bref, c'est une expérience. Pas étonnant qu'il ait enchaîné aussitôt avec son fameux et invisible The Day the Clown Cried.

  • La Technique et le Rite (Miklos Jancso, 1971)

    °
     
    Attila le Hun, aux portes de l'Empire romain, s'adonne aux jeux de pouvoir avec ses hommes, un centurion ou son frère Bleda.
    C'est une épreuve de voir Jancso assécher ainsi son cinéma, même s'il œuvre ici dans le cadre d'une production TV pour la RAI. Fidèle à son style, il tend cette fois à l'extrême vers le théâtre, en un lieu unique à ciel ouvert, entre terre et mer. Le format de l'écran ainsi que le terrain, trop accidenté pour permettre de belles arabesques, altèrent le rapport aux corps et à l'espace. Mouvements et plans longs se révèlent alors d'une grande monotonie. Et comme reviennent les figures habituelles (morts qui se relèvent, groupes qui encerclent, valse des armes qui symbolise l'arbitraire des décisions), le texte se retrouve seul à devoir soutenir tout l'intérêt de cette histoire, allégorie sur l'autorité. Derrière les rituels, ce texte s'efface d'ailleurs peu à peu, ce qui rend la fin à peu près incompréhensible. Pour couronner le tout, très tôt, la bande son ajoute au bruit du vent perpétuel celui de tambours peu supportables rythmant les pas ou les songes des protagonistes. Je vais vite passer à (et revoir) Psaume rouge.

  • Agnus Dei (Miklos Jancso, 1971)

    **
     
    Beaucoup aimé lors d'une première vision très isolée il y a cinq ans. A la deuxième, vraiment dans la continuité des précédents cette fois, j'ai plus de réserves. Après l'échec de La Pacifista, Jancso revient en terrain connu, un peu trop connu. A nouveau la plaine, à nouveau l'année 1919 (la lutte entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires, ici attisée par un prêtre fanatique), à nouveau les longs plans, à nouveau les soldats, les chevaux, les femmes nues (dès les premières secondes et avec une régularité parmi les moins justifiées). Le film, qui joue lui-même sur la répétition des gestes, n'évite pas l'impression de surplace. On reste certes dans la réalité des corps et des éléments, et les images marquantes ne manquent pas, mais la volonté de représenter dans un seul lieu et un temps ramassé des enjeux historiques complexes donne des chorégraphies qui finissent par nous perdre (le dernier tiers est assez abscons).

  • Scandalo (Salvatore Samperi, 1976)

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    Pas vraiment un film de Noël, plutôt un film "problématique" comme on dit aujourd'hui ou un film "à scandale" comme on disait avant et comme l'annonce bien le titre. Avec deux personnages féminins prénommés Juliette et Justine, on se dit que ça va rapidement dégénérer en rituel sadien et effectivement, à peu près toutes les lignes rouges sont franchies dans cette histoire d'employé de pharmacie (Franco Nero) révélant, par méprise et contrainte d'abord involontaire, les désirs profonds de sa patronne (Lisa Gastoni) et développant avec elle une relation sado-masochiste, ou dominant-dépendante, jusqu'à réclamer au final le "don" de sa fille mineure. On a donc tous les détecteurs qui s'affolent. Pourtant Samperi parvient à ne pas sombrer dans le sordide ni dans la dégueulasserie grâce à une mise en scène maîtrisée, une distance rétro (la France en 1940) et une certaine théâtralité qui font passer cette fiction en jeux d'ombres, jeux de lumière, jeux de rôles. Le film va au bout de son sujet avec aplomb et se termine sur un dernier long plan saisissant remontrant sans coupe visible toutes les pièces de cet appartement-officine, point final d'un quasi-huis clos augmentant la dimension "imaginaire" de tout cela.

  • La Pacifista (Miklos Jancso, 1970)

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    Premier échec patent pour Jancso avec ce film tourné en Italie sans son scénariste Gyula Hernadi ni son chef op Janos Kende (Carlo Di Palma à la place). Pari difficile d'aborder avec son style la réalité italienne de l'époque puisque l'histoire est contemporaine, mélange de passion amoureuse et de luttes politiques (une journaliste bourgeoise de gauche tombe sous le charme d'un jeune homme traqué par ses anciens camarades terroristes parce qu'il a refusé de commettre un assassinat). On y trouve des traces d'humour, des petits détours presque felliniens, mais les mouvements chorégraphiés semblent contraints dans l'espace d'une villa, d'une rue, d'un jardin milanais. Au centre, Monica Vitti ne semble pas parfaitement accordée aux désirs de Jancso. Autour d'elle, une sorte d'internationale auteuriste : Pierre Clementi, Daniel Olbrychski et l'acteur fétiche Joszef Madaras. Encombrée d'une musique romantique et mise en scène avec la distanciation habituelle, l'histoire d'amour indiffère et n’élève jamais le constat sociétal sur les tensions italiennes, très simplifiées, à l'image de ces fonds de plans où quelques figurants agitent côte à côte des drapeaux rouges et noirs.