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altman

  • Punch-Drunk Love (Paul Thomas Anderson, 2002)

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    Il est entendu que le travail de dingue effectué ici par PTA sur le son, l'espace et le tempo rappelle les précédents Jacques Tati et Blake Edwards. L'hommage au père spirituel Robert Altman n'en passerait dès lors que par deux signaux, certes évidents mais relevant du détail une fois considéré l'ensemble : l'heureuse reprise du "He Needs Me" initialement chanté par Shelley Duvall dans Popeye et le choix d'Emily Watson (dire qu'elle irradie ici dans chaque séquence me semble encore un cran en-dessous de la vérité) quelques mois après Gosford Park. Il existe pourtant un lien plus secret et plus serré avec une autre œuvre d'Altman, malheureusement oubliée : Un couple parfait / A Perfect Couple (1979). Passage en revue des correspondances :
    - Punch-Drunk Love est la seule comédie romantique (adulte) de la filmographie de PTA (Licorice Pizza, par le jeune âge des protagonistes et le recul dans le temps, c'est un peu différent) comme A Perfect Couple est la seule comédie romantique d'Altman.
    - Le personnage masculin n'a rien du beau mec. A la limite de l'embonpoint, il est coincé dans son costume comme dans sa routine. Jusque sur son lieu de travail, il vit sous la forte pression d'une famille intrusive : Barry a sept sœurs qui l'appellent constamment et l'une d'entre elles tient à lui faire rencontrer quelqu'un ; Alex partage le même toit et la même entreprise que son père, son frère et ses sœurs.
    - Le personnage féminin est (en apparence) plus libre, sans attache, sans passé encombrant : on ne connaît pas la famille de Lena ; ni celle de Sheila.
    - Entravé, l'homme est casanier, alors que la femme voyage, pour son emploi ou en tournée avec son groupe. C'est une impulsion, un coup de tête, qui produit le mouvement déterminant pour la suite : par surprise, Barry rejoint Lena à Hawaï ; par surprise, Alex rejoint Sheila sur la route des concerts.
    - La rencontre amoureuse n'est pas fortuite mais arrangée : Lena est présentée dans ce but à Barry par la sœur de celui-ci ; Alex et Sheila sont passés par des petites annonces vidéo.
    - La violence surgit là où l'on ne l'attend pas, dans ce cadre de romcom habituellement préservé : Barry se fait agresser par une fratrie de voyous avant de leur rendre plus tard leurs coups en voyant Lena blessée ; Alex en vient aux mains avec un prétendant de Sheila et finit assommé par un tisonnier.
    - La scène consécutive au déchaînement de violence se déroule à l'hôpital : Lena est soignée pour son choc à la tête ; Alex se fait suturer une plaie au même endroit.
    - La tentative désespérée de combler le manque physique pousse à tenter le diable et à s'en mordre les doigts : Barry a recours au "téléphone rose", ce qui va entraîner chantage et violence ; Alex sort avec une femme qui s'avère adepte de pratiques sexuelles multiples et extrêmes, ce qui lui fait prendre ses jambes à son cou.
    - La preuve ultime de l'amour c'est l'aveu spontané, la mise à nu confiante, le dur travail sur l'honnêteté absolue : Barry avoue qu'il a mis à sac les toilettes du restaurant alors que Lena ne lui a rien demandé ; Alex, ayant retrouvé Sheila, reconnaît tout de suite qu'il aurait dû prendre sa défense devant sa famille de culs-bénits.
    - La mise en scène intègre la musique pour que celle-ci donne le rythme : Punch-Drunk Love, très syncopé, avance, court parfois, entraîné par des sons insolites transformés en pulsations ; A Perfect Couple progresse dans l'alternance de deux styles musicaux différents, séparant Alex et Sheila, pour mieux s'entremêler au final.
    - Enfin, évidemment, l'intrigue prend place à Los Angeles.
    Malgré tout cela, on peut soutenir que la mise en scène très étudiée de Punch-Drunk Love ne ressemble pas à celle d'Altman telle qu'elle est habituellement identifiée. La seule exception serait la séquence du coup de téléphone passé par Barry, tout juste débarqué à Hawaï : Adam Sandler est filmé de loin, en pleine rue, au beau milieu des spectateurs d'une parade, des têtes de passants le masquant régulièrement en traversant le premier plan, alors qu'un mille-feuille sonore mélange les bruits et les musiques d'ambiance, sa voix à lui, celle de Lena au bout du fil et la version instrumentale de "He Needs Me". En fait, esthétiquement, Punch-Drunk Love fait penser à l'autre Altman, celui des portraits de femmes fragmentés. Il est en effet beaucoup plus proche d'un film stylisé comme Trois Femmes (jusque dans ses étranges transitions en effets numériques de peinture liquide).
    A ma connaissance, Anderson n'a pas évoqué A Perfect Couple lors de sa promo. Sans doute les journalistes ne l'avaient-ils pas en tête et Paulo ayant passé son temps à citer Short Cuts au moment de Magnolia, il devait avoir envie de parler de Tati pour changer. Peu importe. L'essentiel est qu'à partir de Punch-Drunk Love, l'influence est parfaitement assimilée, moins aveuglante que dans les trois premiers films, si redevables dans leur réussite respective. C'est à partir de là, même si le lien n'est jamais rompu (dans ses films suivants il y a toujours au moins un détail altmanien), que PTA s'élève tout seul et très haut.

  • Un couple parfait (Robert Altman, 1979)

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    Comédie romantique où Altman démontre une nouvelle fois que son mépris envers ses personnages est une légende totalement infondée. Le couple qu'il réunit ici, un homme et une femme mal appariés et plein de défauts, est très attachant (Paul Dooley et Marta Heflin). Chacun vit dans le carcan d'une communauté : grande famille bourgeoise rigide et interventionniste pour lui, groupe de pop vivant sous le même toît pour elle. La comédie naît de la mise en miroir de ces deux situations mais Altman se moque bien de symétrie et déforme ce miroir par sa mise en scène sineuse qui attrape régulièrement au vol des silhouettes ou des micro-événements sur les côtés de la fiction principale. Il s'agit par ailleurs de l'un de ses grands films musicaux. La musique, classique ou pop, s'étire tout du long, déborde d'une scène à l'autre, raccorde deux moments séparés, brouille les repères pour créer un monde légèrement décalé du nôtre, réaliste mais propre au film. La façon dont sont filmés ces répétitions et ces concerts, dans la longueur, traduit un respect et une compréhension uniques. Au final, les genres musicaux opposés se rencontrent, l'orchestre symphonique jouant avec le groupe sur scène. Moment improbable car nullement annoncé mais choix parfaitement cohérent au regard de la mise en scène. L'humour particulier, l'esthétique de l'étirement et de l'ellipse, le rythme musical, la non-idéalisation de ses deux principaux personnages, le surgissement inattendu de la violence, le maintien d'un certain optimisme coûte que coûte... tout fait d'Un couple parfait le modèle de Punch Drunk Love, connaissant le lien de filiation artistique Altman/Anderson. 

  • Nashville (Robert Altman, 1976)

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    Premier accomplissement du style altmanien, du moins dans le cadre du film choral. Encore que ce terme a renvoyé par la suite à des œuvres tellement moins audacieuses et inventives qu'il ne paraît même plus convenir ici. Altman crée un monde, à sa manière, comme Fellini à la même époque (Altman-Nashville comme Fellini-Roma, qu'une séquence d'embouteillage rapprochent). On en vient à se demander pourquoi le cinéaste passe si souvent après tant d'autres lorsqu'il s'agit d'évoquer les grands expérimentateurs de forme des années 70, alors que Nashville ne ressemble à rien d'autre. Le hasard, le chaos, le mouvement règnent, sans que jamais l'amateurisme, l'artificialité, le débraillé ne se pointent. Faisant exploser les limites entre fiction et documentaire, Nashville pourrait par moments passer pour une œuvre de Frederick Wiseman, autant par sa rigueur que par ses capacités de captation. En partie improvisé ou co-écrit avec ses interprètes, le film avance on ne sait comment sinon par croisements et sauts d'un personnage à l'autre, d'un lieu à l'autre. Altman joue de l'illusion de la réalité et des différentes représentations en filmant un univers de spectacle, en prenant des actrices et acteurs qui chantent (et composent) vraiment, en fondant les autres dans le public ou au contraire en convoquant Elliott Gould et Julie Christie dans leurs propres rôles. Il n'est même plus question de récit, celui-ci se dissout dans la création chaotique d'un monde-microcosme-miroir. Les rencontres sont coupées au moment où les personnages se disent bonjour, les pistes sonores se superposent pour ne laisser passer que des bribes. Et partout, la musique. Filmée comme rarement (jamais ?) : on croit tout de suite à cette séance d'enregistrement (alors que d'habitude, tout sonne faux dans ce genre de scène) et non seulement le cinéaste laisse se dérouler les chansons mais plus d'une fois, pour les concerts, il offre les enchaînements avec les suivantes. Enfin, Altman (et ses 24 magnifiques actrices/acteurs principaux) donne à voir des personnes changeantes, des caractères mouvants, des destinées insoupçonnables. Il ne s'agit pas de décrire des "types" et aucun des personnages n'y est réduit. De là perce l'émotion, au milieu de ce bordel organisé magistralement. 

  • The player

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    Bien sûr, The player c'est d'abord ce fabuleux plan-séquence de huit minutes en ouverture. Il permet de suivre les arrivées successives des gens du studio, dont le producteur Griffin Mill, personnage principal du film. Ce plan sert à l'inscription dans le genre policier puisqu'il en reprend des procédés caractéristiques : passages musicaux imposant un rythme de suspense, caméra visant soudain un objet dont personne ne semble se soucier mais ô combien important (une carte postale), actions et dialogues perçus à travers des persiennes anticipant sur le thème du voyeurisme... Et en même temps, il nous plonge dans un flux cinématographique proprement altmanien : des gens traversent le champ en offrant des bribes de conversations, sérieuses ou comiques, primordiales ou anecdotiques ; les mouvements à l'intérieur d'un groupe sont orchestrés ; l'acidité des dialogues se coule dans la fluidité du tempo. Cette fluidité, cette virtuosité, elles s'affichent clairement et Altman en joue, faisant parler l'un de ses protagonistes des plus fameux plans-séquences de l'histoire du cinéma (l'homme ne connaît cependant que des exemples américains, Altman s'amusant ainsi de l'hollywoodo-centrisme de ce milieu).

    Mais, passée cette introduction grisante, c'est une autre figure de style qui semble s'imposer de manière particulièrement pertinente dans The player. Une figure déjà plus tellement utilisée dans ces années quatre-vingt-dix, j'ai nommé le zoom. Très fréquemment convoqué ici, il est un outil formidable dans les mains du cinéaste pour filmer les groupes, pour y intégrer ou en extraire ses protagonistes (au cours de la séquence de déjeuner où apparaît Burt Reynolds, Altman remplace même un instant son zoom optique par un très étonnant effet de "zoom sonore" en passant d'une conversation à une autre). Ensuite, il traduit la paranoïa qui envahit l'esprit de Griffin Mill en resserrant le cadre sur son visage fébrile, en amplifiant le rendu de sa perception. Il signale également l'importance du voyeurisme, de façon très directe lorsque Mill observe en cachette la femme avec qui il est en train d'avoir une conversation téléphonique pour la première fois, situation qui le trouble et qui le fait verser dans la passion. Enfin, il nous rappelle que nous sommes bien à notre place de spectateur. Car le zoom est peut-être l'effet cinématographique qui se dénonce lui-même avec le plus de force, l'effet le moins naturel qui soit. Avec malice, Altman y a à nouveau recours pour son tout dernier plan. Il filme le happy end, le couple uni et le héros débarrassé de son angoisse, sous une lumière solaire et une musique adéquate, et cette focalisation marque en même temps une distance, accentuée par la présence de branchages en amorce. Il y a là tout à la fois une manière d'accuser l'artifice et le don de ce qu'il souhaite au spectateur. Nous avons pleine conscience de notre statut mais nous nous délectons aussi de cette fin. Altman gagne sur les deux terrains.

    Cette double victoire, réflexion et croyance, elle est possible parce que d'une part l'ironie et les jeux de miroirs ne transforment pas pour autant les personnages en pantins et d'autre part parce que le cinéaste n'a pas fait l'économie d'un scénario serré et prenant. Ce Griffin Mill que nous ne lâchons pas d'une semelle a, sur le papier, tout pour déplaire mais l'art d'Altman, conjugué à l'interprétation de haut vol de Tim Robbins (récompensé à Cannes), nous le rend attachant. Rongé par l'inquiétude consécutive au harcèlement dont il est victime et bouleversé par une rencontre amoureuse, il se voit au fil du récit dépouillé de son costume pour se retrouver en maillot de corps et disparaître quasiment en se plongeant nu dans un bain d'argile. Si il revêt à nouveau son habit pour se rendre à une convocation chez l'enquêtrice, celle-ci, le voyant avancer comme un zombie, lui demande aussitôt si il "dort dans ce costume". De plus en plus hagard, il nous fait penser, au bout de sa mésaventure, au Paul Hackett de l'After hours de Scorsese. Autour de Robbins, personne de dépare (surtout pas une Greta Scacchi qui, en une poignée de films en ce temps-là, nous tourneboula assez), en charge d'un personnage ou se représentant soi-même à l'écran puisque certaines stars apparaissent sous leur vrai nom (c'est un autre "jeu" proposé par le cinéaste : ces acteurs et actrices connus vont ils jouer leur propre rôle ou pas ?). Enfin, à travers cette histoire criminelle située dans ce monde-bulle qu'est Hollywood, où les gens ne cessent de se raconter des films à longueur de journée, histoire imaginée et extrêmement bien menée par Michael Tolkin (adaptant son propre roman), Altman rend un magnifique hommage aux scénaristes, à ceux qui tiennent le spectateur en éveil avec leurs récits.

    The player est une charge, une satire. Mais, démontrant que la revitalisation de l'art cinématographique est toujours possible, il est aussi une célébration.

     

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    theplayer00.jpgTHE PLAYER

    de Robert Altman

    (Etats-Unis / 120 min / 1992)