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70s - Page 2

  • Babylon (Damien Chazelle, 2022) & Othon (Jean-Marie Straub & Danièle Huillet, 1970)

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    Hier, j'ai fait un babylonothon. C'est très particulier : il s'agit de voir le même jour "Babylon" de Damien Chazelle et "Othon" de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. C'est usant mais ça fait du bien au corps et à l'esprit. Le but, c'était de tenir le plus grand écart possible, entre le trop-plein et le trop-vide, avec deux films qui plongent dans le passé mais en insistant sur leur réalisation au présent et en affrontant bravement l'anachronisme (les thèmes, le style, la caractérisation des personnages de "Babylon", l'environnement et les accents d'"Othon"), deux films qui posent le problème du décor autour des personnages, à admirer ou dont il faut faire parfois abstraction (les figurants dénudés qui gesticulent dans les fêtes ou la circulation automobile dans Rome). L'un veut tout dire, au risque de frustrer sur certains points aussitôt abandonnés, l'autre ne veut donner que le texte de Corneille mais en laissant penser que beaucoup plus de choses se jouent là, dans son déplacement en 1969. L'un est strié de "fuck", "dick", "pussy" significatifs, l'autre perd régulièrement son intelligibilité à cause de l'environnement, la monotonie, le débit, les accents. J'ai vraiment bien aimé le premier, qui cueille d'entrée et qui tente d'agripper jusqu'au bout son spectateur par un régime de courtes pauses et de longues accélérations (parfois avec des coups en-dessous de la ceinture mais, parmi de nombreux moments excessifs, difficile par exemple de ne pas être ému par les dix dernières minutes), et je n'ai pas du tout détesté le second, qui demande beaucoup de temps d'adaptation pour y trouver sa place. Ce qui me fait rire, en revanche, c'est le récent "Conseil des Dix" des Cahiers avec la farandole d'étoiles offertes à "Othon" (comme le diadème de l'Empereur, sans doute) et la pluie de points noirs jetés sur "Babylon" (comme le caca de l'éléphant, probablement).

  • La Maudite Galette (Denys Arcand, 1972)

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    Sorti en 1972, "La Maudite Galette" de Denys Arcand est vraiment dans son époque dans le sens où sous chacun de ses plans, on sent la présence du politique. Surprenant du début à la fin, le film fait d'abord penser au nouveau cinéma allemand contemporain, avec préoccupations sociales, décors réalistes mais rigoureusement cadrés, distanciation parfois théâtrale, le tout arrondi par l'accent et les expressions québécoises. Puis il devient progressivement film noir à l'américaine, disposant de plusieurs éléments du genre. Ce qui est fort et réjouissant, c'est que le glissement s'opère sans jamais changer de principe de mise en scène, avec plans souvent longs et fixes, sons mixés de manière très sélective (une radio, puis des aboiements, puis des ressorts de matelas) presque tatiesque, et humour à froid qui ne disqualifie pas non plus les personnages. Jolie découverte.

  • La Momie sanglante (Seth Holt et Michael Carreras, 1971)

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    Adapté d'un roman méconnu de Bram Stocker, le film appartient à la veine des mystères de l'antiquité égyptienne de la Hammer mais la momie aux bandelettes en décomposition a laissé la place au physique intact (à une main près) d'une défunte reine affriolante. A plusieurs reprises, la caméra effleure ce corps magnifique sous lequel on perçoit aisément la respiration de l'actrice, négligence qui sert finalement l'histoire plutôt qu'elle ne la gâche, tout comme le choix de Valerie Leon, dont la beauté étrange et surnaturelle finit par s'accorder à ce double rôle et à cette idée de possession par delà les siècles. La réalisation est due à Holt puis Carreras, après la mort du premier avant la fin du tournage. C'est sans doute en partie pour cela qu'elle apparaît inégale, décousue, tantôt coincée dans ses décors de studio, tantôt complètement folle. Mais finalement, ce côté foutraque, à l'image et dans un récit traversé de retours en arrière fantasmatiques, convoquant lieux et personnages assez nombreux, avec reliques diaboliques et réplique de chambre mortuaire, n'est pas désagréable. 

  • Les Horreurs de Frankenstein (Jimmy Sangster, 1970)

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    Pas vraiment un fleuron de la Hammer, ce Horror of Frankenstein qui ne vaut que pour l'interprétation pleine de morgue de Ralph Bates, bientôt Dr Jekyll et sister Hyde, et éventuellement un dénouement cynique (et désinvolte) où seuls le baron et le spectateur sont au courant que le monstre a été fortuitement détruit. Rien de particulier n'est fait par Sangster sur le plan visuel, lumière et espace étant peu exploités. Les deux attraits habituels perdent de leur pouvoir : l'horreur est caoutchouteuse et l'érotisme est trop limité au personnage licencieux de la gouvernante "servant" le fils après le père. Tout cela est bien mécanique, comme le scénario qui réunit laborieusement, six ans après et dans un petit périmètre, cinq ami(e)s d'études et qui oppose paresseusement la grande méchanceté du baron (il décide invariablement de tuer tous ceux qui finissent par le gêner dans son entourage) et la non moins grande naïveté des autres.

  • Darling Lili (Blake Edwards, 1970)

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    Un chant d'amour à Julie Andrews, amplement mérité, et un film ambitieux d'Edwards, qui connut un échec cuisant. Le sujet n'était peut-être pas à même de faire se déplacer les foules (durant la première guerre mondiale une chanteuse anglaise à succès espionne les Alliés pour le compte des Allemands) mais c'est le mélange des genres qui a dû braquer le public. C'est pourtant ce qui le rend assez passionnant, très agréable à suivre, d'autant que la mise en scène du cinéaste, malgré les tripatouillages de la production, fait mouche, par les recherches plastiques, la maîtrise du rythme (bien que chaque scène soit assez longue), le rendu de l'espace. Conformément aux règles du film d'espionnage, les surprises sont régulièrement au rendez-vous mais elles sont très diverses, loin d'être réduites à des idées de scénario. Les changements de ton, les révélations de présences inattendues, l'alternance entre instants érotiques et pauses fleur bleue, l'omniprésence des chansons (le film n'est pourtant pas tout à fait une comédie musicale), les débordements burlesques, rendent l'ensemble imprévisible et charmant, presque fou dans la dernière demi-heure. 

  • Romances et Confidences (Mario Monicelli, 1974)

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    Avec une peinture de la classe ouvrière milanaise en fond, l'histoire d'un couple à la différence d'âge marquée est racontée en comédie triste et en chronique terne. Tognazzi et Muti, et les autres en support, ont du mal à rendre leurs personnages émouvants et à les arracher à la superficialité malgré les variations d'humeur affichées. Ils ne sont pas aidés par une post-synchronisation simpliste, réduisant fortement la visée réaliste. Quelques procédés de distanciation, par voix off et arrêt sur image, réveillent à peine et sont d'ailleurs prolongés par l'interminable récit du cocufiage, aveu de la jeune femme à son mari qui ne touche absolument pas, à cause de cet étirement de la durée virant à la farce. 

  • Le Lien (Ingmar Bergman, 1971)

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    Une tentative de renouvellement de Bergman par l'éloignement de son île, la co-production avec les États-Unis, l'embauche d'Elliott Gould, l'emploi de musique parfois pop, effectuée cependant sur une structure basique, voire banale, mari/femme/amant, sous le point de vue, évidemment, féminin. Gould convient parfaitement au rôle perturbateur mais le personnage peine tellement à gagner notre sympathie que l'on en vient à la donner plutôt à celui, tout en stabilité bourgeoise, de von Sydow. La cyclothymie de l'amant décide trop souvent des virages du récit (comme les explications possibles, judéité, sœur "cachée", pèsent un peu trop, même laissée à l'état d'hypothèses). Mais l'impact bergmanien ne s'est heureusement pas évaporé. Il se signale surtout là où il ne se passe rien en apparence : confrontation initiale avec la mère défunte à l'hôpital (champs-contrechamps muets entre le regard et les instruments médicaux ou bien des fragments du corps allongé), rangement par le couple de leur salon après la réception du futur amant comme si de rien n'était alors que l'on sait que quelque chose s'est enclenché, logorrhée nerveuse d'avant l'amour... Et puis il y a ces plans sur le visage de Bibi Andersson qui nous donnent l'impression de lire ses pensées et d'observer la faille qui s'y ouvre.

  • Qui a tué le chat ? (Luigi Comencini, 1977)

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    On commence avec de la caricature plutôt épaisse mais le film trouve son rythme progressivement, astucieusement scénarisé et bien réalisé, dans le registre du comique policier. L'histoire, les efforts engagés par un frère et une sœur propriétaires d'un immeuble pour se débarrasser de leurs locataires afin de le vendre, est bien sûr prétexte à étaler toutes les tares d'une société italienne corrompue à chaque niveau, mais l'intérêt provient surtout de la belle mécanique qui permet d'arpenter, dans les pas de Tognazzi, au fil de son enquête interne sur la mort de son chat, la tortueuse construction, d'un appartement à l'autre. Le dernier tiers, aéré sans doute pour ne pas lasser puis précisant l'ampleur de la symbolique via un procès impliquant mafia, préfecture et gouvernement, tend toutefois à éparpiller les forces, malgré plusieurs bons gags. Tognazzi est excellent, de même que sa camarade Mariangela Melato, frère et sœur s'insultant à longueur de journées mais ne pouvant se séparer, contraints de s'épauler dans leur quête/épreuve. 

  • Maddalena (Jerzy Kawalerowicz, 1971)

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    Cinquième film de Kawalerowicz, Maddalena ne vaut ni Mère Jeanne des Anges ni Pharaon mais se révèle suffisamment curieux. L'histoire, celle d'une femme aux mœurs légères qui tourmente un jeune prêtre, est une variation érotique et contemporaine autour des figures de Marie Madeleine et du Christ. Cette co-production italiano-yougoslave dans laquelle Ennio Morricone rode un thème qui sera plus tard celui du Professionnel, souffre quelque peu de l'apparence aléatoire de sa construction, bien que le récit se voit bouclé au final. C'est que Kawalerowicz mêle fantasmes et réalité sans s'abstenir d'utiliser à fond les tics modernistes de l'époque : zooms, ralentis, caméras subjectives, plans qui se répètent... Il fait cependant sentir habilement, par les couleurs des habits ou par les dialogues (réels, opposés aux monologues déguisés des autres), le rapprochement de la femme et de l'homme de foi (en train de la perdre) et il signe plusieurs scènes marquantes, centrées sur le désir débordant de son héroïne. Montrée sous toutes les coutures, qu'elle craque d'ailleurs rapidement, Lisa Gastoni est une femme gironde entre deux âges, ce qui fait le principal intérêt du film, son personnage ne finissant ni jugé ni châtié mais au contraire sans doute libéré de l'emprise masculine. 

  • Au nom du peuple italien (Dino Risi, 1971)

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    Un Risi mêlangeant comme souvent rires et grinçements de dents, la balance penchant ici franchement du côté sombre, la noirceur de la vision culminant dans une dernière séquence d'une méchanceté incroyable envers ce peuple italien (à travers des scènes de liesse, de désordre et de bêtise consécutives à une victoire au foot de la squadra azzura sur l'Angleterre). On ne sait pas trop sur quel pied danser, le cinéaste zigzagant entre rigidité et débordements, tentant quelques effets de distanciation bienvenus, notamment pour ses flashbacks, plaçant ses personnages dans des décors au symbolisme appuyé mais efficace (plage jonchée de détritus, palais de justice s'effritant) et bien sûr réunissant les monstres Tognazzi et Gassman. Leurs face-à-face sont les piliers de l'édifice. Ils sont étirés parfois plus que de raison, ce qui fait que le duo/duel bouffe littéralement tout le reste du film, qui essaie pourtant d'exister. Tout du long, Risi semble vouloir donner raison au premier, au juge inflexible et vertueux (et de gauche), et non à l'entrepreneur magouilleur et dépravé (et fasciste). Sans savoir exactement comment, on sent bien qu'à la fin, quelque chose va se retourner ou du moins, brouiller ce net partage.