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70s - Page 6

  • Carrie au bal du diable (Brian De Palma, 1976)

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    Véritable redécouverte d'un film que j'avais initialement sous-estimé. Il se trouve que les procédés chers à De Palma ne sont ici absolument pas gratuits car ils collent parfaitement au personnage de Carrie, la mise en scène prolongeant avec une grande efficacité son espace mental (par les mouvements de caméra, la mise en relation des personnes dans le cadre, l'accompagnement sonore ou encore l'éclatement "démiurgique" des points de vue dans la scène de "vengeance" au bal). De Palma nous place dans la tête de Carrie et nous la fait comprendre, avec beaucoup d'émotion (Sissy Spacek est épatante, fragile et inquiétante), alternant magistralement observation de détails de la dure vie de jeune fille en classe et débordements surnaturels provoqués par un caractère singulier. 

  • Les Démoniaques (Jean Rollin, 1974)

    °
    "Film expressionniste de Jean Rollin", comme il est écrit au générique, de par son sujet (des naufrageurs, une vengeance, une malédiction), ses éclairages, ses cadrages et sa direction d'acteurs. Réalisé entre La Rose de fer et Lèvres de sang, deux "réussites" (il faut toujours relativiser avec Rollin), celui-ci est très pénible à suivre, les défauts de ce cinéma passionné mais aléatoire sautant cette fois à la figure, jamais effacés par quelque vision fantastique, poétique ou érotique (la nudité y est pourtant régulière). Tournant en rond entre trois décors, les acteurs ne s'en sortent pas et rendent plusieurs scènes risibles par leur outrance ou par leur manque de rigueur, à l'opposé de l'inquiétude recherchée.

  • L'emmerdeuse blonde

    deneuve,rappeneau,france,70s

    Catherine Deneuve a-t-elle jamais été aussi blonde que dans Le Sauvage, l'agréable comédie de Jean-Paul Rappeneau (meilleure que me le laissaient croire de vagues souvenirs) ? Est-ce le bronzage ou la nature luxuriante qui réhausse ici cette blondeur ? Toujours est-il que ses cheveux y sont si blonds qu'ils tirent presque, par moments, vers le blanc (quand ils ne sont pas mouillés, bien sûr : là, ils brunissent par endroits et se chargent de tout leur poids, donnant à voir des changements de forme et de couleur aussi spectaculaires que les revirements émotionnels du personnage).

    Cette blondeur/blancheur éclate et éblouit comme une glace reflète soudain le soleil à la faveur d'un mouvement imprévu et nous brûle la rétine. Yves Montand, lui, veut rester seul, ne pas être dérangé sur son île déserte et vivre tranquillement son fantasme de robinsonade. Seulement, ce reflet blond n'arrête pas de surgir et de le faire sursauter, ce reflet ou ce qui signale sa présence : la voix qui résonne tout à coup, un moteur qui démarre... Ne pas porter son regard sur l'emmerdeuse blonde est impossible tant celle-ci attire l'attention, l'exige même. Le problème pour Montand, c'est que, à la regarder, l'aveuglement est assuré, parfois pour des semaines (très joli passage de la révélation de l'ellipse de la construction du radeau, lorsqu'il lui répond qu'il a eu la grippe la semaine passée : on réalise alors par cet échange qu'ils ne se sont ni parlé ni croisé pendant plusieurs jours, bien qu'ils vivent l'un à côté de l'autre !). Il arrive pourtant que l'intensité lumineuse baisse. Lorsque Deneuve sort de l'eau et se hisse, trempée, sur le ponton, elle se trouve plongée dans le rouge orangé du soleil couchant derrière elle, belle image de carte postale. Seulement, Montand refuse alors de la voir. Excédé qu'il est par la perte de son bateau, il se barricade, ferme les yeux en même temps que tous les volets de sa maison.

    Le Sauvage, c'est l'histoire d'un couple qui se forme en s'écharpant, histoire que l'on aimerait d'ailleurs délestée de toute autre présence, les récits naturels, inconséquents, lâchés comme en passant, tête blonde en l'air, de ses aventures d'antan par Deneuve se suffisant à eux-mêmes. Le sauvage, c'est surtout cette folle crinière blonde qui ne cesse de s'agiter sur le fond vert des plantes et des arbres exotiques. Moins mince que ne l'était sa sœur onze ans plus tôt quand elle tournait L'homme de Rio avec Philippe De Broca, Catherine Deneuve impose sa présence avec toute l'énergie et la franchise nécessaires. Sur le jaune du sable ou le bleu de l'océan se dessinent ses courbes, silhouette rendue plus nette et attirante encore par les chemises régulièrement mouillées et entrouvertes, qu'elle ne tarde d'ailleurs pas trop, pour notre bonheur, à enlever. L'éblouissement ne tient donc pas seulement au jeu, déjà précieux, de la chevelure.

    Peu vraisemblable apparaît le dénouement dans une communauté de campagne mais l'important est ailleurs. Les cheveux de Deneuve sont maintenant recouverts d'un chapeau de papier. Seules quelques boucles s'en échappent sur les côtés, comme un piquant rappel. Montand revient à elle. Nul doute qu'elle saura par la suite l'habituer progressivement à supporter la vue de sa fabuleuse blondeur.

    deneuve,rappeneau,france,70s

  • Une mort interminable

    bunuel,france,70s

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    bunuel,france,70s

    bunuel,france,70s

    "Seulement, il frappe ses personnages d'une malédiction qui est à la mesure de leur dérisoire petitesse : ils ne parviennent jamais à s'asseoir tous ensemble autour d'une table sans que des incidents fâcheux les précipitent dans la gêne, l'inconfort ou la disgrâce. Les fruits de leur position leur échappent comme la couronne de Richard III ramenée à une tranche de gigot. Même les commissaires de police sont en proie à la frustration : leurs prisonniers leur échappent, et leur rôle social reste incompris. Tout cela demeure inconscient, on peut le dire, entre la poire et le dessert. C'est un enfer bien plus intime que celui des séquestrés de la rue de la Providence, dans L'Ange exterminateur, dont ce film offre un peu l'écho sarcastique. Quelle que soit l'origine du complot qui les malmène (métaphysique, politique, obsessionnel), le complot est serein, la malédiction limitée, les victimes sinon consentantes, sont velléitaires et pleines d'allant. L'issue récurrente qui nous les montre cheminer ad aeternam sur une route en rase campagne n'est ni échevelée, ni hagarde : ces gens s'en tireront toujours, leurs agapes sisyphéennes n'auront ni terme ni début. Peut-être sont-ils morts comme leur classe, embaumée et réanimée pour un intemporel dîner en ville. Peut-être cheminent-ils sur cette voie lactée située au-delà du temps, celle de l'imagination bunuélienne, plus picaresque que jamais. Où qu'ils aillent, fût-ce en enfer (s'ils n'y sont déjà) ils trouveront encore quelqu'un à soudoyer, et se tailleront les places les plus tièdes. Bref cette mort est interminable, autrement dit ce n'est pas une mort, c'est un état crépusculaire, doucereux, et confortable. On comprendra que la bourgeoisie n'est pas seule en cause, dans ce film, même si dans son apparence extérieure il satisfait à ce point l'image que le Français moins que moyen se fait d'une classe scandaleusement désuète, et qui se repaît de ses propres scandales : ceci expliquant d'ailleurs que pour la première fois un film de Bunuel mène le box-office."

    Extrait de "Dîner en ville avec le commandeur", sur Le Charme discret de la bourgeoisie par Robert Benayoun, Positif n°146, janvier 1973

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  • 1974, une partie de campagne

    depardon,france,documentaire,70s,2000s

    Présenté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac

    L'histoire de 1974, une partie de campagne (dont le premier titre était 50,81%) est connue. Cette année-là, Raymond Depardon filme Valéry Giscard D'Estaing, à sa demande, pendant la campagne pour l'élection présidentielle. Voyant le résultat, ce dernier refuse la sortie en salles (il se justifiera plus tard, de façon peu convaincante, en avançant que le film n'y était pas destiné). Le blocage dura jusqu'en 2002.

    De cette campagne, Depardon a tiré une série d'impressions, des sensations, quelques piques. Loin de faire un compte-rendu, il a fractionné, coupé, monté, éludé (le titre le dit astucieusement : nous avons là une portion). Il a rendu la course effrénée des rendez-vous, des réunions et des meetings, le tout ayant l'apparence d'un mélange. Un mélange des discours, notamment. A ceux-ci ne sont en effet jamais accordés une durée, un cadre, une mise en perspective qui les rendraient intelligibles. Par conséquent, le programme du candidat n'est aucunement présenté. La machinerie politique, Depardon, en adepte du cinéma-direct, préfère l'aborder en montrant les à-côtés, les petits faits, les bribes. Les grandes réunions publiques sont filmées, la plupart du temps, de derrière la tribune, avec donc Giscard de dos. Peut-être doit-on chercher par ici les raisons du refus giscardien concernant l'exploitation en salles. Ici, dans l'escamotage de son discours, plutôt que dans la captation de détails de comportement pouvant toucher au ridicule, comme la manie du coup de peigne.

    Ce qui frappe dans ces images de 74, c'est le désir absolu du candidat d'incarner la nouveauté. Giscard se veut moderne et cherche une nouvelle façon de faire de la politique : il mène une campagne à "l'américaine", dynamique, rythmée, en lien constant avec les médias, en collaboration avec une armée de consultants. Et à cette organisation doit prendre part le documentariste, supposé rendre compte de l'histoire en marche comme le fit Robert Drew au début des années soixante quand il filma John F. Kennedy dans son fameux Primary. Bien sûr, le dévoilement qu'impose le pacte n'est pas sans risque et Giscard le sait pertinemment. Sur ce point, les quelques coups d'œil qu'il peut lancer à la caméra juste après avoir lâché une vacherie sur un adversaire ou un allié en disent long et sont assez savoureux, donnant presque à entendre : "Voilà, c'est dit, c'est enregistré, tant pis, on verra bien plus tard...". Toutefois, il est sinon étrange du moins piquant de voir que cette modernité est revendiquée au cours d'une campagne pendant laquelle, entre les deux tours, Giscard décide de faire le moins de vagues possibles, d'être le candidat qui rassure les français, quasiment de "ne rien faire" afin de ne pas commettre l'erreur qui lui coûterait la victoire tendant ses bras.

    Intégré à ce programme, Depardon cherche (et trouve) bien sûr son espace de liberté. Sa position, il l'assume. Esthétiquement d'abord : des éclairages violents sont braqués sur le candidat lorsqu'il conduit sa DS ou lorsqu'il rentre à son domicile tard dans la nuit et la façon dont il est filmé à son appartement ministériel, dans l'attente des résultats, passant sans cesse du salon au balcon, permet à la fois l'observation des faits et gestes et la prise de conscience de la "fabrication", de la "mise en scène" qu'il organise pour le cinéaste. On remarque également que Depardon place régulièrement dans son champ la presse et les photographes, créant un étonnant effet de miroir et semblant même parfois désarçonner, par sa position, ces derniers (six ans plus tard, notre homme réalisera Reporters). Ainsi, la vision est en quelque sorte circulaire ; parcellaire, l'ensemble paraît pourtant complet.

    La projection à laquelle j'ai assisté fut un peu pénible. Les personnes dans le public ne venaient pas voir le film pour les mêmes raisons. Certains venaient y retrouver une époque et des têtes disparues, et revoir Giscard. Pour s'en moquer le plus souvent, pour réagir d'un air entendu à la moindre réplique un peu tranchante sur l'air, ironique, de "Il est vraiment fort" ou "C'est tout lui ça". Comme si le film était une charge, et une charge faite aujourd'hui. Or, bien que les attitudes risibles soient nombreuses et que le masque ne puisse s'empêcher de tomber pour révéler l'homme hautain et avide, il me semble que l'on peut se garder de s'esclaffer devant ces manières de monarque éclairé (et je me demande à quoi aurait ressemblé et comment serait reçu aujourd'hui le film s'il avait pris pour objet un homme de gauche). Car à bien y regarder une question se pose, à mon sens, dans cette Partie de campagne. Pour insister tellement sur les caméras et les appareils photo, Depardon doit tout de même nous glisser par là que si ce cirque politique et ce point de basculement médiatique sont bien relayés par les journalistes, derrière l'objectif, il n'y a pas que le reporter, il y a aussi notre regard à nous. Les responsabilités de la dérive du politique au médiatique ne seraient donc peut-être pas toutes regroupées d'un seul côté du pupitre ?

     

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    depardon,france,documentaire,70s,2000s1974, UNE PARTIE DE CAMPAGNE (ou 50,81%)

    de Raymond Depardon

    (France / 90 min / 1974-2002)

  • La classe ouvrière va au paradis

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    Présenté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac

    Prenons une séquence de ce célèbre film d'Elio Petri, celle de la baise dans la petite Fiat de l'ouvrier Massa, le héros, qui déflore là une jeune collègue de travail. L'inconfort des postures y est souligné par une caméra scotchée aux visages grimaçant et aux corps morcelés. Le déshabillage est difficile, les jambes et les bras se cognent, la montée est laborieuse. La longueur insistante de la séquence ainsi que la logorrhée masculine, les commentaires incessants que suscite chez le mâle le moindre geste, accentuent le grotesque de la situation mais surtout, épuisent le spectateur. Le découpage, qui ne s'embarrasse pas, bien au contraire, de mouvements aléatoires de caméra et de raccords insignifiants, achève de rendre tout cela informe.

    La classe ouvrière va au paradis, qui obtint en 1972 une demi-palme d'or à Cannes (l'autre moitié allant à L'Affaire Mattei de Francesco Rosi), est, sur toute sa longueur, à l'image de cette séquence. Criant le discours confus de son metteur en scène, Gian Maria trucule à Volonté (le mégaphone est un objet important dans le récit et l'univers de l'usine qui est arpenté pousse les voix à s'élever sans cesse). Eructant sur toute la surface de l'écran, il bouffe toutes les scènes passant à sa portée, le visage en sueur. S'appuyant une nouvelle fois sur cet ogre, Elio Petri veut réaliser un film comique, ironique, pamphlétaire, qui renvoie dos à dos toutes les parties : patrons, petits chefs, syndicalistes, étudiants gauchistes... Personne n'échappe au bruyant jeu de massacre. Tout le monde baigne dans la médiocrité et la laideur. Dans cette caricature, les changements de cap ne peuvent se faire qu'à la suite de revirements brutaux : c'est la perte d'un doigt lors d'un accident sur son outil de travail qui fait passer Massa du rôle de stakhanoviste lêche-cul à celui de leader de la contestation sociale.

    Si il y a un intérêt à voir aujourd'hui La classe ouvrière va au paradis, disons qu'il se trouve dans la façon dont l'œuvre nous fait sentir combien la société italienne des années soixante-dix était sous tension. L'abrutissement que provoque le travail à la chaîne y est également rendu avec force, par l'intermédiaire de la bande sonore saturée et de la partition d'Ennio Morricone, tantôt martiale, tantôt angoissante, tantôt westernisante. Sous ces coups de butoirs stylistiques, l'usine devient le lieu (carcéral, comme l'indiquent toutes ces grilles et les appels à la liberté des manifestants au-dehors) d'un combat intense et sans merci.

    Mais le film avance comme un bulldozer sans conducteur, cogne comme un marteau-piqueur sans manœuvre. Une agitation sans but, sinon sans objet, le caractérise. De même qu'une mise en scène assez étouffante. Sortant de la projection essoré, on se demande tout de même comment cette équipe avait pu pondre deux ans auparavant une Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon aussi passionnante en comparaison (et, dans notre souvenir, aussi maîtrisée).

     

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    laclasseouvriere00.jpgLA CLASSE OUVRIÈRE VA AU PARADIS (La classe operaia va in paradiso)

    d'Elio Petri

    (Italie / 125 min / 1971)

  • Taking off

    forman,etats-unis,comédie,70s

    Présenté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac

    Taking off est un trait d'union. Premier film que Forman réalise aux Etats-Unis, il se trouve être dans sa forme en parfait équilibre entre les deux manières du cinéaste, la tchèque, d'apparence plus libre et plus quotidienne, et l'américaine, plus serrée sur le plan narratif et plus ambitieuse dans ses sujets (la globalité de la filmographie, une fois réunie, étant absolument passionnante).

    Ici, le cadre est américain, ô combien : il s'agit de celui d'une ville, de ses jeunes hippies et de leurs bourgeois de parents. Mais le ton reste tchèque. L'histoire tient en quelques lignes. L'adolescente Jeannie Tyne participe à un concours de chant, y rencontre un jeune homme et part quelques jours avec lui. Pendant ce temps, sa mère et son père s'inquiètent, la recherchent dans les bars de la ville, adhèrent à une association de parents ayant de la même façon "perdus" leurs enfants rebelles, tentent de la comprendre en fumant des joints et en se laissant entraîner dans une sorte de strip poker.

    Forman débarquant de l'étranger, on pouvait craindre une approche superficielle et pleine de clichés de la jeunesse américaine de 1970. Son regard n'étant pas dénué d'ironie, on pouvait également redouter une vaste moquerie. Mais rien de tout cela ne transparaît dans Taking off. Si le cinéaste et son ami Jean-Claude Carrière souhaitaient au départ plonger dans l'univers hippie, ils en sont revenus rapidement, trouvant que le plus intéressant se trouvait du côté des parents. L'angle ainsi légèrement modifié a permis de trouver la bonne distance. Forman peut s'amuser de ce qu'il voit mais n'est jamais méprisant, qu'il se place d'un côté ou de l'autre de la barrière générationnelle.

    Le concours de chant, monté en parallèle et s'entremêlant avec la recherche des adultes, prend toute la première partie, semble même durer tout le long du film tant la mise à scène de Forman opère de chevauchements, de dilatations, tant elle se développe sur un rythme musical (la musique serait l'une des seules liaisons encore possibles entre les deux générations, c'est en tout cas la musique qui fait tenir ensemble le plus fermement, d'un plan à l'autre, les deux univers filmés ici). Ce concours est l'occasion d'une galerie de portraits, muets ou chantés, plus ou moins brefs, ingrats et touchants. Les jeunes de Taking off sont peu loquaces et, comme le montre le dernier et indéchiffrable regard que lance Jeannie à son père (et à la caméra), gardent leur mystère. Forman, à l'inverse des parents du film, ne cherche pas l'explication sociologique et semble faire ainsi la présentation la plus juste possible.

    Un trait d'union, c'est aussi ce que cherchent à redessiner les parents désemparés. Brutalement d'abord, puis plus posément, dans une tentative de compréhension du phénomène par un mimétisme maladroit et entravé. Mais le fossé générationnel est trop large. Seule la mise en scène de Forman le comble, par ses enjambements, ses effets de miroir, son attention égale, ses méthodes partagées. Liberté est laissée aux acteurs et aux personnages, comme aux apprentis-chanteurs pris sur le vif par la caméra. Elle permet d'obtenir notamment des scènes d'ivresse parmi les meilleures jamais réalisées (fait plus notable encore que la (trop ?) fameuse séquence d'initiation au cannabis). Balançant entre le désordre organique peu ragoûtant, l'abolition grisante des repères, le pathétique gestuel et le sublime burlesque, elles comptent parmi les nombreux exemples d'abandon du corps que propose le film. Abandon jusqu'au ridicule mais assumé et non avilissant, un ridicule "vrai" et vivant. Dans ce registre, Forman a poussé avec bonheur Lynn Carlin (l'un des beaux visages du Faces de Cassavetes) et surtout Buck Henry, en père génialement à côté de la plaque.

    Si le désenchantement pointe dans cette enquête irrésolue sur la jeunesse, l'humour persiste, se déploie même franchement, faisant de Taking off, non seulement un stimulant témoignage sur l'époque mais aussi une excellente comédie.

     

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    forman,etats-unis,comédie,70sTAKING OFF

    de Milos Forman

    (Etats-Unis / 93 min / 1971)

  • Tout va bien

    godard,gorin,france,70s

    Présenté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac

    Godard, qui avait brutalement viré à l'extrême-gauche, co-réalise en 1972, à nouveau avec Jean-Pierre Gorin, Tout va bien, film qui, sans abandonner la radicalité politique et esthétique épousée aux alentours de 68, bénéficie de moyens plus confortables que les précédents et de la présence de deux stars à son générique.

    Une nouvelle fois, l'œuvre fait mine de se faire devant nous. Des chèques sont signés pour chaque corps de métier, deux vedettes sont engagées, une histoire est inventée... Cette mise en place est commentée par deux voix off, celle d'un homme et celle d'une femme, qui dialoguent moins qu'elles nous apostrophent. Tout de suite, on voit qu'on n'est pas là pour transiger.

    Cela se sait jusque dans les files d'attente devant l'entrée de la salle : "Tu verras, ce n'est pas du tout du cinéma classique, mais au moins, on peut dire que Godard sait toujours capter son époque !" Et l'époque, alors, n'est pas tendre. Tout va bien sera donc peu aimable.

    Dans une usine d'alimentation se retrouvent séquestrés par quelques employés en colère non seulement le patron mais aussi la journaliste venue rencontrer celui-ci et son mari l'accompagnant pour l'occasion, un cinéaste ne tournant plus que des publicités. La journaliste, c'est Jane Fonda. Le cinéaste, c'est Yves Montand. En tant qu'acteurs, Godard n'en fait quasiment rien, ne les ayant convoqués que pour leur apport naturel, leur "persona". Dans les séquences de confessions des personnages se mêlent ainsi indistinctement les éléments du scénario et le passé des acteurs, leurs convictions politiques, leurs façons d'envisager leur métier dans une optique "révolutionnaire" ou "combattante".

    Si la deuxième partie du film est plus intime, recentrée sur leurs rapports, il reste difficile de les trouver remarquables. Quoi qu'il en soit, autour d'eux, tous les autres sont unanimement mauvais. C'est que la partie "séquestration" prend la forme d'un petit théâtre brechtien. La lutte sociale, ponctuée de chants révoltés, est décrite dans des vues en coupe de l'usine où plusieurs pièces sont montrées en même temps à coup de lents travellings et de plans-séquences. Les mouvements des groupes réglés sommairement alternent avec les interventions fièvreuses des ouvriers parlant les yeux dans la caméra. L'intérêt est aussi limité que la vision est tranchée : les gauchistes sont là pour ridiculiser les patrons et les larbins de la CGT.

    Passée l'agitation, le débat se positionne provisoirement au sein du couple. De la crise interne ressort une chose : pour avancer, il est nécessaire que chaque être devienne "l'historien de lui-même", qu'il applique régulièrement son droit d'inventaire. L'aspiration de Godard à la clarté est réelle et louable mais elle passe par trop de confusion, à l'image d'un incompréhensible monologue de Jane Fonda. Sa recherche est peut-être, à ce moment-là, celle d'un gauchisme "pur". C'est en tout cas chez lui une constante : tenter de tirer des idées fortes d'un magma incontrôlable et illisible. Avec Tout va bien, il échoue complètement.

    La valeur esthétique elle-même est médiocre. La France était moche en 1972 et le film nous le rappelle sans peine. Le montage est beaucoup moins spectaculaire qu'en d'autres godardiennes occasions. Tout juste avons-nous droit à quelques reprises de plans et à une poignée de désynchronisations image-son. L'heure est surtout au plan-séquence, démonstratif, laborieux. Le dernier d'importance est proprement insupportable, morne va-et-vient le long des caisses d'un supermarché envahi par un groupe de militants révolutionnaires, une sorte de Grand bazar sans les Charlots.

    Si on ne doute pas de la sincérité de Godard et si on sait que son virage a aussi produit de beaux fruits, on comprend aisément que ce type de réalisation grotesque ait, à l'époque, suscité des ricanements dans des milieux plus anciennement ancrés à gauche.

     

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    godard,gorin,france,70sTOUT VA BIEN

    de Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin

    (France - Italie / 95 min / 1972)

  • Les trois mousquetaires & On l'appelait Milady

    lester,etats-unis,grande-bretagne,aventures,70s

    lester,etats-unis,grande-bretagne,aventures,70s

    Adaptant Dumas, l'américano-britannique Richard Lester en remontre aux français dans le domaine de l'humour (c'était à prévoir) mais aussi de l'énergie, du rythme, de l'inventivité décorative, de la conduite de récit, de la direction de vedettes, de l'expression visuelle, bref, du cinéma. Les trois mousquetaires et sa suite, On l'appelait Milady, ont été tournés dans la continuité, avec la même équipe, ce qui les rend indissociables (contrairement à un troisième volet réalisé bien plus tard, en 1989). Si le deuxième s'étire un peu et paraît légèrement plus bavard et décousu, ils procurent, réunis, un plaisir réel.

    Jouant à fond la carte de l'aventure échevelée, Lester s'amuse à condenser le temps, à accélérer les coups de mains et les sauvetages, à conter en une poignée de plans un voyage de six jours vers Londres, à faire débouler sans crier gare Aramis dans la pièce du château où la belle Constance est retenue prisonnière. Ces emballements étaient annoncés dès le début : D'Artagnan, à peine arrivé à Paris, trouvait le moyen, dans l'école des mousquetaires, de déclencher successivement trois demandes de duel contre lui pour le même jour.

    Toutefois, les films ne sont pas que courses effrenées, le cinéaste s'entendant aussi pour ménager des pauses et pour dessiner des bifurcations. Sa narration provoque de multiples surprises : un flash-back inattendu qui s'enclenche, des projets ou des tentatives qui tournent court, des actions montées en parallèle qui dynamisent... Si dans le premier épisode le foisonnement oblige à ne guère développer, une fois qu'elle a été dessinée à grands traits (essentiellement par la manière de se battre), la personnalité des trois mousquetaires amis de D'Artagnan, ce manque est en partie comblé dans le deuxième par l'éclairage porté sur une plaie mal cicatrisée chez Athos, le plus tourmenté, physiquement et mentalement.

    Richard Lester a réussi avec cette adaptation un étrange mélange de comédie et de réalisme, l'une se nourrissant de l'autre et inversement. Le souci du détail historique n'est jamais plus évident que lors des duels et ceux-ci sont à la fois crédibles et comiques. Comme dans la réalité, ils fourmillent d'actes manqués, de ratages, de glissades, de bottes secrètes se révélant plus dangereuses pour celui qui les exécute que pour son adversaire. Tout cela, Lester ne le gomme pas, il s'en sert au contraire pour faire rire aussi bien que pour imposer un réalisme énergisant. Pendant ces combats, les accessoires les plus triviaux sont mis à contribution (Porthos, ni très courageux, ni très bon escrimeur, est un spécialiste), les différences de corpulence ont leur importance (Athos se bat avec sauvagerie, toute sa masse et son souffle en avant, alors que l'élégant Aramis rivalise de dextérité et d'astuces), les épées font leur poids.

    Nullement présentés comme des modèles, les mousquetaires ne reculent pas devant les entourloupes, accumulent maîtresses, nuits alcoolisées et dettes de jeu. Ils sortent également, la plupart du temps, exténués ou blessés de leurs combats. Ils peuvent ainsi partir à quatre pour l'Angleterre et vite être réduits à l'inaction, à l'exception d'un D'Artagnan obligé de se débrouiller seul dans sa mission. L'image légendaire est gentiment écornée. A la fin de leur ultime combat, D'Artagnan et Rochefort finissent littéralement à quatre pattes. Auparavant, ils avaient eu toutes les peines du monde à s'affronter dans la nuit noire d'une forêt seulement éclairée par leur lanterne respective, puis en plein jour sur une rivière gelée rendant leur maintien debout impossible. Assurément singuliers, les duels de Lester ne cherchent pas l'originalité pour l'originalité. Ils provoquent un retour au réel qui démythifie les figures sans que nous leur retirions notre sympathie, l'humour et le plaisir du spectacle aidant. L'érotisme, aussi : Milady, entravée par sa longue chemise de nuit, a ces gestes magnifiques pour la relever sans cesse de la main gauche et tenir de la droite sa dague empoisonnée lui servant à tenir en respect D'Artagnan, son amant d'un soir.

    Cheminant entre les Monty Pythons pour certains traits d'humour liés à la représentation du peuple (comme l'aubergiste légèrement dérangé qui finit par réellement passer pour fou aux yeux de tous) et Peter Greenaway pour l'étrange monumentalité et l'éxubérance esthétique caractérisant la cour du roi (ce rapprochement étant, bien sûr, un anachronisme : en 73, Lester visait plutôt le cinéma baroque de Ken Russell, auquel il emprunte d'ailleurs Oliver Reed), ce diptyque se permettant de faire passer le soleil brûlant d'Espagne pour une ambiance française bénéficie d'une distribution hors pair qu'il est difficile de ne pas passer en revue. Michael York est un tempétueux (et souvent peu sensé) D'Artagnan, encadré par trois mousquetaires complémentaires, l'imposant Oliver Reed en Athos, le distingué Richard Chamberlain en Aramis et le filou Frank Finlay en Porthos. Constance, jeune femme en péril, se présente sous les formes avenantes de Raquel Welch, parfaite en miss catastrophe attirante et moins idiote qu'elle n'en a l'air. Geraldine Chaplin est une douce reine de France, Jean-Pierre Cassel un souverain ridicule, Charlton Heston un Richelieu fatigué mais vif d'esprit, Christopher Lee un Rochefort borgne, agile et séduisant (en habit rouge, tel un Dracula, il peut, sans s'en rendre compte, remplir de sang la baignoire de Milady). Quant à Faye Dunaway...

    Partant d'aventures masculines, Les trois mousquetaires se révèle un film très féminin. Au-delà de l'importance scénaristique des intrigues amoureuses et d'une affriolante bien que violente bagarre entre Milady et Constance, il faut remarquer par exemple que la plupart des combats de cet épisode se déroulent dans des endroits réservés aux femmes (salle des blanchisseuses, couvent) ou au plus près de ceux-ci (sous les balcons de Milady). Puis, comme l'indique bien, pour une fois, le titre français, le récit se met à tourner, dans le deuxième volet, autour de la vengeance de Milady. Lester fait là de Faye Dunaway l'incarnation du mal absolu à travers ce personnage de courtisane portant la marque infâmante des catins et se jouant en retour des hommes avec une ténacité incomparable. De magnifiques gros plans (et pas seulement sur son décolletté) lui sont octroyés. On en arrive à souhaiter qu'elle survive, au loin, la-bas, entre les mains du bourreau. Auparavant, même les figurants avaient peu de chances de trépasser, mais au final, trois morts assombrissent le paysage, fulgurantes et d'autant plus cruelles. Ultime mélange réussi, ultime plaisir.

     

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    lester,etats-unis,grande-bretagne,aventures,70slester,etats-unis,grande-bretagne,aventures,70sLES TROIS MOUSQUETAIRES (The three musketeers)

    ON L'APPELAIT MILADY (The four musketeers)

    de Richard Lester

    (Grande-Bretagne - Etats-Unis - Espagne - Panama / 105 & 108 min / 1973 & 1974)