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70s - Page 8

  • Network (Sidney Lumet, 1976)

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    On retrouve d'abord toutes les qualités de Lumet dans la restitution dynamique et réaliste d'un milieu, ici le monde de la télévision américaine en train de basculer entre les mains de grands groupes soucieux de rentabilité et non de culture et de journalisme. La description est saisissante et impressionne par la manière de présenter un modèle économique qui va effectivement s'imposer partout par la suite. Dans les rôles principaux, W. Holden, F. Dunaway, P. Finch et R. Duvall sont magnifiques, parfaitement dirigés, laissant entrevoir par des petits détails de comportements ou de réactions des vérités plus complexes derrière leurs personnages typés. Cependant, le film paraît un peu long et la volonté démonstrative du scénario de Paddy Chayefsky aboutit à des moments de satire trop épaisse, à de trop denses dialogues et à des déséquilibres narratifs laissant disparaître trop longtemps certains personnages. De ce point de vue, il manque l'audace d'un Altman.

  • Blanche (Walerian Borowczyk, 1971)

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    Tragédie médiévale entre quatre murs de château, que Borowczyk filme frontalement en créant un mélange de théâtralité et de réalisme d'abord déconcertant puis plus prenant au fil d'un récit finalement politique (l'arrivée du roi et de son page plonge la famille qui les accueillent dans les troubles du désir, les affres de la suspicion et le malheur). Trois vedettes, Michel Simon, Georges Wilson et Jacques Perrin se partagent les rôles principaux masculins autour de Ligia Branice, dont le seul instant de nudité advient durant le générique de début. Par la suite, son corps est serré dans ses habits très couvrants mais aussi très moulants. L'érotisme est donc réprimé mais le désir reste éveillé. 

  • France Société Anonyme (Alain Corneau, 1974)

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    Le premier film de Corneau est très étonnant, farce d'anticipation noire et politique qui croise le cinéma américain à la Robert Aldrich et un théâtre absurde bien français. À la fois drôle dans certains dialogues et situations, et anxiogène dans sa description d'un paysage national en désolation, il rivalise, au moins pendant une bonne heure, avec les meilleurs Blier et Mocky de l'époque. Corneau ose tout, se moque du pouvoir, de l'impérialisme, de la publicité, montre la défonce, la violence sanglante, le sexe jusqu'au hard. Il bénéficie de la présence magistrale de Bouquet, flanqué d'un irrésistible Dubillard, homme de main ne comprenant jamais rien. Malheureusement, en même temps qu'il sépare ce duo, le scénario tire encore plus les cheveux dans la dernière partie contant la lutte entre le gouvernement et un groupe révolutionnaire sur le marché de la drogue, devenue instrument de contrôle, jusqu'à une fin assez décevante, surtout en regard de l'explosive première moitié. 

  • Nashville (Robert Altman, 1976)

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    Premier accomplissement du style altmanien, du moins dans le cadre du film choral. Encore que ce terme a renvoyé par la suite à des œuvres tellement moins audacieuses et inventives qu'il ne paraît même plus convenir ici. Altman crée un monde, à sa manière, comme Fellini à la même époque (Altman-Nashville comme Fellini-Roma, qu'une séquence d'embouteillage rapprochent). On en vient à se demander pourquoi le cinéaste passe si souvent après tant d'autres lorsqu'il s'agit d'évoquer les grands expérimentateurs de forme des années 70, alors que Nashville ne ressemble à rien d'autre. Le hasard, le chaos, le mouvement règnent, sans que jamais l'amateurisme, l'artificialité, le débraillé ne se pointent. Faisant exploser les limites entre fiction et documentaire, Nashville pourrait par moments passer pour une œuvre de Frederick Wiseman, autant par sa rigueur que par ses capacités de captation. En partie improvisé ou co-écrit avec ses interprètes, le film avance on ne sait comment sinon par croisements et sauts d'un personnage à l'autre, d'un lieu à l'autre. Altman joue de l'illusion de la réalité et des différentes représentations en filmant un univers de spectacle, en prenant des actrices et acteurs qui chantent (et composent) vraiment, en fondant les autres dans le public ou au contraire en convoquant Elliott Gould et Julie Christie dans leurs propres rôles. Il n'est même plus question de récit, celui-ci se dissout dans la création chaotique d'un monde-microcosme-miroir. Les rencontres sont coupées au moment où les personnages se disent bonjour, les pistes sonores se superposent pour ne laisser passer que des bribes. Et partout, la musique. Filmée comme rarement (jamais ?) : on croit tout de suite à cette séance d'enregistrement (alors que d'habitude, tout sonne faux dans ce genre de scène) et non seulement le cinéaste laisse se dérouler les chansons mais plus d'une fois, pour les concerts, il offre les enchaînements avec les suivantes. Enfin, Altman (et ses 24 magnifiques actrices/acteurs principaux) donne à voir des personnes changeantes, des caractères mouvants, des destinées insoupçonnables. Il ne s'agit pas de décrire des "types" et aucun des personnages n'y est réduit. De là perce l'émotion, au milieu de ce bordel organisé magistralement. 

  • Le Baron rouge (Roger Corman, 1971)

    ***
    Deux escadrons, l'un anglais, l'autre allemand, se livrent plusieurs batailles dans le ciel français, pendant la première guerre mondiale. Ce film d'aviation est parmi les plus réalistes qui soient, grâce à l'alternance millimétrée de plans d'ensemble de ballets aériens et de plans rapprochés en situation, sans recours aux transparences. Il apparaît ainsi très moderne par la grande place accordée à des combats montrés dans la longueur et sans musique, mais aussi par une sorte d'austérité dans la présentation de tout ce qui entoure ces batailles répétitives et enfin par la tentation quasi-philosophique de plusieurs échanges. C'est que Corman, qui construit un récit en miroir convoquant d'un côté un baron allemand et de l'autre un pragmatique canadien, a cherché à saisir un moment de bascule historique : celui où la guerre perd ses règles chevaleresques. Il y a miroir mais non opposition simpliste, les fractures dans la conduite à mener apparaissant dans les deux camps, voués, de toute façon, à s'entretuer. S'il y a quelques baisses de tension, la mise en scène reste précise et Corman parvient presque à chaque moment à proposer des résolutions, des enchaînements, des représentations esthétiques ayant le goût de l'inédit.

  • Carrie au bal du diable (Brian De Palma, 1976)

    ***
    Véritable redécouverte d'un film que j'avais initialement sous-estimé. Il se trouve que les procédés chers à De Palma ne sont ici absolument pas gratuits car ils collent parfaitement au personnage de Carrie, la mise en scène prolongeant avec une grande efficacité son espace mental (par les mouvements de caméra, la mise en relation des personnes dans le cadre, l'accompagnement sonore ou encore l'éclatement "démiurgique" des points de vue dans la scène de "vengeance" au bal). De Palma nous place dans la tête de Carrie et nous la fait comprendre, avec beaucoup d'émotion (Sissy Spacek est épatante, fragile et inquiétante), alternant magistralement observation de détails de la dure vie de jeune fille en classe et débordements surnaturels provoqués par un caractère singulier. 

  • Les Démoniaques (Jean Rollin, 1974)

    °
    "Film expressionniste de Jean Rollin", comme il est écrit au générique, de par son sujet (des naufrageurs, une vengeance, une malédiction), ses éclairages, ses cadrages et sa direction d'acteurs. Réalisé entre La Rose de fer et Lèvres de sang, deux "réussites" (il faut toujours relativiser avec Rollin), celui-ci est très pénible à suivre, les défauts de ce cinéma passionné mais aléatoire sautant cette fois à la figure, jamais effacés par quelque vision fantastique, poétique ou érotique (la nudité y est pourtant régulière). Tournant en rond entre trois décors, les acteurs ne s'en sortent pas et rendent plusieurs scènes risibles par leur outrance ou par leur manque de rigueur, à l'opposé de l'inquiétude recherchée.

  • L'emmerdeuse blonde

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    Catherine Deneuve a-t-elle jamais été aussi blonde que dans Le Sauvage, l'agréable comédie de Jean-Paul Rappeneau (meilleure que me le laissaient croire de vagues souvenirs) ? Est-ce le bronzage ou la nature luxuriante qui réhausse ici cette blondeur ? Toujours est-il que ses cheveux y sont si blonds qu'ils tirent presque, par moments, vers le blanc (quand ils ne sont pas mouillés, bien sûr : là, ils brunissent par endroits et se chargent de tout leur poids, donnant à voir des changements de forme et de couleur aussi spectaculaires que les revirements émotionnels du personnage).

    Cette blondeur/blancheur éclate et éblouit comme une glace reflète soudain le soleil à la faveur d'un mouvement imprévu et nous brûle la rétine. Yves Montand, lui, veut rester seul, ne pas être dérangé sur son île déserte et vivre tranquillement son fantasme de robinsonade. Seulement, ce reflet blond n'arrête pas de surgir et de le faire sursauter, ce reflet ou ce qui signale sa présence : la voix qui résonne tout à coup, un moteur qui démarre... Ne pas porter son regard sur l'emmerdeuse blonde est impossible tant celle-ci attire l'attention, l'exige même. Le problème pour Montand, c'est que, à la regarder, l'aveuglement est assuré, parfois pour des semaines (très joli passage de la révélation de l'ellipse de la construction du radeau, lorsqu'il lui répond qu'il a eu la grippe la semaine passée : on réalise alors par cet échange qu'ils ne se sont ni parlé ni croisé pendant plusieurs jours, bien qu'ils vivent l'un à côté de l'autre !). Il arrive pourtant que l'intensité lumineuse baisse. Lorsque Deneuve sort de l'eau et se hisse, trempée, sur le ponton, elle se trouve plongée dans le rouge orangé du soleil couchant derrière elle, belle image de carte postale. Seulement, Montand refuse alors de la voir. Excédé qu'il est par la perte de son bateau, il se barricade, ferme les yeux en même temps que tous les volets de sa maison.

    Le Sauvage, c'est l'histoire d'un couple qui se forme en s'écharpant, histoire que l'on aimerait d'ailleurs délestée de toute autre présence, les récits naturels, inconséquents, lâchés comme en passant, tête blonde en l'air, de ses aventures d'antan par Deneuve se suffisant à eux-mêmes. Le sauvage, c'est surtout cette folle crinière blonde qui ne cesse de s'agiter sur le fond vert des plantes et des arbres exotiques. Moins mince que ne l'était sa sœur onze ans plus tôt quand elle tournait L'homme de Rio avec Philippe De Broca, Catherine Deneuve impose sa présence avec toute l'énergie et la franchise nécessaires. Sur le jaune du sable ou le bleu de l'océan se dessinent ses courbes, silhouette rendue plus nette et attirante encore par les chemises régulièrement mouillées et entrouvertes, qu'elle ne tarde d'ailleurs pas trop, pour notre bonheur, à enlever. L'éblouissement ne tient donc pas seulement au jeu, déjà précieux, de la chevelure.

    Peu vraisemblable apparaît le dénouement dans une communauté de campagne mais l'important est ailleurs. Les cheveux de Deneuve sont maintenant recouverts d'un chapeau de papier. Seules quelques boucles s'en échappent sur les côtés, comme un piquant rappel. Montand revient à elle. Nul doute qu'elle saura par la suite l'habituer progressivement à supporter la vue de sa fabuleuse blondeur.

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  • Une mort interminable

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    "Seulement, il frappe ses personnages d'une malédiction qui est à la mesure de leur dérisoire petitesse : ils ne parviennent jamais à s'asseoir tous ensemble autour d'une table sans que des incidents fâcheux les précipitent dans la gêne, l'inconfort ou la disgrâce. Les fruits de leur position leur échappent comme la couronne de Richard III ramenée à une tranche de gigot. Même les commissaires de police sont en proie à la frustration : leurs prisonniers leur échappent, et leur rôle social reste incompris. Tout cela demeure inconscient, on peut le dire, entre la poire et le dessert. C'est un enfer bien plus intime que celui des séquestrés de la rue de la Providence, dans L'Ange exterminateur, dont ce film offre un peu l'écho sarcastique. Quelle que soit l'origine du complot qui les malmène (métaphysique, politique, obsessionnel), le complot est serein, la malédiction limitée, les victimes sinon consentantes, sont velléitaires et pleines d'allant. L'issue récurrente qui nous les montre cheminer ad aeternam sur une route en rase campagne n'est ni échevelée, ni hagarde : ces gens s'en tireront toujours, leurs agapes sisyphéennes n'auront ni terme ni début. Peut-être sont-ils morts comme leur classe, embaumée et réanimée pour un intemporel dîner en ville. Peut-être cheminent-ils sur cette voie lactée située au-delà du temps, celle de l'imagination bunuélienne, plus picaresque que jamais. Où qu'ils aillent, fût-ce en enfer (s'ils n'y sont déjà) ils trouveront encore quelqu'un à soudoyer, et se tailleront les places les plus tièdes. Bref cette mort est interminable, autrement dit ce n'est pas une mort, c'est un état crépusculaire, doucereux, et confortable. On comprendra que la bourgeoisie n'est pas seule en cause, dans ce film, même si dans son apparence extérieure il satisfait à ce point l'image que le Français moins que moyen se fait d'une classe scandaleusement désuète, et qui se repaît de ses propres scandales : ceci expliquant d'ailleurs que pour la première fois un film de Bunuel mène le box-office."

    Extrait de "Dîner en ville avec le commandeur", sur Le Charme discret de la bourgeoisie par Robert Benayoun, Positif n°146, janvier 1973

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