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70s - Page 7

  • Le Gang Anderson (Sidney Lumet, 1971)

    SUR ÉCOUTE

    **

    Le gang du titre français de ce Sidney Lumet sorti en 1971, c’est celui que forme le newyorkais John « Duke » Anderson sitôt purgée sa peine de dix ans d’emprisonnement. Pour s’assurer une place au soleil, il se lance dans une folle entreprise : cambrioler avec ses acolytes non pas un appartement mais un immeuble entier de riches propriétaires. Les bandes Anderson du titre original, The Anderson Tapes (qui est aussi celui du roman adapté, écrit par Lawrence Sanders), ce sont les kilomètres d’enregistrements sonores ou vidéo accumulés par diverses agences de renseignements, publiques ou privées, surveillant illégalement et pour des raisons toutes aussi diverses des complices et des contacts de ce Duke.

    Tout du long, en effet, le récit relativement classique de ce casse, si original soit-il dans sa conception, est redoublé de plusieurs points de vue surplombants correspondant à autant d’officines. Partant d’une idée de braquage, Lumet dénonce tranquillement la dérive d’une société américaine malade de sa paranoïa, soumise devant ses propres technologies et sombrant dans une absurde surenchère d’espionnage généralisé. Tout le monde, semble-t-il, est sur écoute : voyous, mafieux, activistes, dealers, hommes d’affaires, femmes du monde… Le divertissement est la voie choisie et l’ironie est préférée à l’attaque frontale. La dénonciation se fait sans précipitation ni colère mais avec assurance sinon insistance. Le film s’ouvre sur une image de moniteur vidéo et se clôt sur une opération d’effacement de bandes magnétiques. Surtout, Lumet ne cesse d’intégrer à son système narratif des effets de montage (en pleine action, on assiste aussi aux « débriefs » des agents) et des élargissements du champ (on voit l’appareillage qui reste invisible aux yeux des espionnés) nous informant sur l’omniprésence des acteurs du renseignement.

    Le Gang Anderson s’inscrit donc dans un air du temps, celui du soupçon, celui des années soixante-dix aux États-Unis. Mais il y a mieux : datant du tout début de la décennie (peu de temps après le livre), le film est donc réalisé quelques mois avant que n’éclate le scandale du Watergate. Par conséquent, s’il n’entraîne pas le même vertige que Conversation secrète de Francis Ford Coppola (1974), il n’en possède pas moins une antériorité que l’on peut estimer prophétique.

    En 1971, le jonglage entre des temporalités différentes, entre des espaces séparés, entre deux dimensions grâce au montage et aux compositions à plusieurs écrans, signalait la modernité de l’œuvre destinée à rendre compte d’un basculement de la société. Cet aspect intéresse toujours puisqu’il est à l’origine de sa singularité mais il a sans doute perdu de sa force avec le temps. Ces incisions viennent saccader un peu trop fréquemment le récit de base, celui du casse, et elles sont produites à l’aide de motifs parfois vieillissants (arrêts sur image, stridences électroniques de la bande son…).

    Au premier niveau, le divertissement est appréciable, rythmé par les irrésistibles pulsations jazz de Quincy Jones et mené par un Sean Connery convaincant et, dans son premier rôle important, un Christopher Walken déjà aérien, glissant, un peu ailleurs. Une foule d’acteurs les accompagne, luttant contre ou assumant bravement les stéréotypes collés à leurs personnages : antiquaire aux airs de grande folle, conducteur noir voisin de Black Panthers, fille facile mais frigide etc. On remarque notamment Ralph Meeker, le Mike Hammer du génial En quatrième vitesse de Robert Aldrich, en trépidant capitaine de police chargé de l’ultime opération de maintien de l’ordre.

    Nous barbotons dans les eaux du « cool », jusqu’au comique, souvent. Cependant, au moment de boucler la boucle, Lumet ne va pas contre sa nature pessimiste. Et finalement, ce qui passe le mieux par-dessus les années, ce sont les fruits de son réalisme tempéré, qui s’épanouira pleinement dans ses grands films à venir (Serpico, Un après-midi de chien, À bout de course…). Dans cette réussite mineure, il s’agit d’une part du plaisir contagieux de regarder vivre New York, ses rues, ses bâtiments, ses toits… Il s’agit d’autre part de cet art du geste vrai et non ostentatoire. Dans la première séquence, des prisonniers assis dans une salle de réunion applaudissent ironiquement Sean Connery. En retour, et sans quitter sa chaise, celui-ci leur fait un petit bras d’honneur. En plan d’ensemble, le geste n’est absolument pas souligné et peut passer inaperçu mais le meilleur du cinéma de Sidney Lumet est bien dans ces détails-là.

    (Octobre 2017 - Chronique DVD pour les Fiches du Cinéma)

  • Frankenstein Junior (Mel Brooks, 1974)

    ***
    C'est déjà (sans doute) le Mel Brooks le plus agréable visuellement, faisant revivre scrupuleusement, sans dévier jusqu'à la fin, l'esthétique des classiques Universal et de l'expressionnisme allemand. Calquant sa trame sur les films de Whale et compagnie, Brooks évite l'éparpillement et les chutes de rythmes qui gâchent ses autres comédies, tout comme ses énormes anachronismes habituels. Et s'il garde ses gags graveleux, ici, ils ne jurent pas. Au-delà des grandes créations de Marty Feldman en Igor et de Kenneth Mars en Inspecteur Kemp (chez les femmes, ça assure aussi, Teri Garr en tête), je me demande en fait si la grande réussite ne tient pas tout simplement à l'omniprésence de Gene Wilder, qui co-signe le scénario. Son jeu tient là du génie comique et régale à chaque instant, de la diction aux postures, des regards à la gestuelle, de l'habit à la coiffure. Et tout se passe comme si Brooks avait exactement calqué le rythme de son film, qui me paraît différent des autres, sur l'énergie non-sensique de son interprète.

  • Les Cicatrices de Dracula (Roy Ward Baker, 1970)

    *
    Énième (sixième, en fait) variation hammero-draculienne qui n'a guère d'intérêt. Baker se débrouille comme il peut avec ces chauves-souris en plastique, ces décors gothiques en carton et ces paysages peints. Les jeunes gens en danger semblent sortir plutôt du Swinging London que de Transylvanie. Personne ne s'émeut beaucoup ni très longtemps lorsque quelqu'un trépasse. Le scénario fatigue avec ses allers-retours entre auberge et château mal motivés. Deux choses retiennent tout de même l'attention. D'une part, dans la dernière partie, tout gravite, pendant de longues minutes, autour d'un crucifix idéalement placé dans le décolleté de la gironde Jenny Hanley. D'autre part, Christopher Lee maîtrise totalement le rôle de Dracula et reste le seul à faire passer des émotions, ne serait-ce que la peur. Sa mort, due à un malheureux éclair alors qu'il allait transpercer le pâle héros de l'histoire, n'en paraît que plus injuste. 

  • Les Pirates du métro (Joseph Sargent, 1974)

    ***
    Excellent thriller racontant une prise d'otages dans un wagon du métro new yorkais par quatre malfrats décidés à récolter un million de dollars. Joseph Sargent (Les Dents de la mer 4 et des dizaines de téléfilms !?!?) signe une mise en scène efficace et sans bavure pour un film en quasi-temps réel qui tient en haleine du début à la fin. Le dialogue est truffé d'humour mais jamais celui-ci n'entrave l'action ni ne paraît artificiel. Il se trouve juste que les personnages adorent les bons mots. Mais quand il faut être sérieux, tout le monde l'est, le réalisateur en premier, qui n'hésite pas à laisser la mort frapper sans prévenir, à de nombreuses reprises. On est ainsi dans une démarche tout à fait réaliste et ce film de genre est paradoxalement à la fois décontracté et tendu. Son côté divertissant est constamment grignoté par la dureté, la noirceur, la corruption, la crasse qui semblent toujours imprégner le New York des 70s. Tarantino ne s'est pas gêné pour piquer au film, pour Reservoir Dogs, l'idée des gangsters qui ne se connaissent pas avant le coup et qui s'appellent par des noms-couleurs, ici Mr. Blue, Mr. Brown, Mr. Grey et Mr. Green. Ce The Taking of Pelham One Two Three est en tout cas bien meilleur que Subway d'un côté et Speed de l'autre. 

  • L'Amour c'est gai, l'amour c'est triste (Jean-Daniel Pollet, 1971)

    °
    Comédie haute en couleurs et désanchantée qui n'est finalement qu'un tout petit film de chambre sur un tailleur timide, un mac grande gueule, une fille paumée, une prostituée avenante et quelques autres autour. On se croirait dans les années 30 (Dalio vient d'ailleurs faire un numéro) et on balance entre le côté bébête du couple Melki/Goya et la grossièreté du couple Marielle/Lafont. Pollet laisse tout son monde cabotiner, parfois approximativement, au fil de dialogues médiocres et de longs plans ennuyeux malgré les déplacements théâtraux qu'ils tentent de capter. De Pollet, L'Acrobate m'avait pourtant laissé un assez bon souvenir. 

  • Agnus Dei (Miklos Jancso, 1971)

    ***
    En 71, en pleine confiance, Jancso tourne inlassablement autour de ses obsessions : l'Histoire hongroise et ses épisodes de révolutions et de répressions remise en scène dans la plaine avec chevaux, uniformes et femmes nues. Cette fois, nous sommes en 1919 lorsque s'affrontent des brigades, communistes d'un côté et chrétiennes de l'autre. Une figure de prêtre dogmatique et halluciné émerge, suivi par d'autres, qui le supplanteront. L'aspect enveloppant et circulaire de la mise en scène, qui tend à la répétition et au cyclique, accentue la vision pessimiste d'une Histoire qui n'en finit pas de broyer les peuples à coups d'oppressions successives, un tyran chassant l'autre, toujours pourtant sous les habits du libérateur. Les fantastiques plans séquences (les plans brefs sont quasiment bannis) délimitent un vaste espace théâtral dans lequel Jancso recrée cette Histoire, la fait comprendre (certes pas dans les détails pour nous) par l'usage de symboles, de métaphores, mais toujours dans le réalisme et sans artifices. C'est que la longueur du plan et son dynamisme (tout est toujours en mouvement, caméra et acteurs, et il est strictement impossible de prédire ce qui va surgir ou disparaître du cadre, sans pour autant que la maîtrise semble échapper au cinéaste) empêche que la représentation se fige, se dessèche et déshumanise. De même s'éloigne le spectre de l'esthétisation de l'horreur (formidable séquence du "massacre de masse" entamé par le violon, comme la flûte de Hamelin). Dans cette longueur et ce mouvement, le corps ne ment pas et impose sa présence. Jancso parvenait miraculeusement à faire du cinéma à la fois théorique, physique, sensuel, théâtral, historique et d'une beauté visuelle peu commune.

  • Network (Sidney Lumet, 1976)

    **
    On retrouve d'abord toutes les qualités de Lumet dans la restitution dynamique et réaliste d'un milieu, ici le monde de la télévision américaine en train de basculer entre les mains de grands groupes soucieux de rentabilité et non de culture et de journalisme. La description est saisissante et impressionne par la manière de présenter un modèle économique qui va effectivement s'imposer partout par la suite. Dans les rôles principaux, W. Holden, F. Dunaway, P. Finch et R. Duvall sont magnifiques, parfaitement dirigés, laissant entrevoir par des petits détails de comportements ou de réactions des vérités plus complexes derrière leurs personnages typés. Cependant, le film paraît un peu long et la volonté démonstrative du scénario de Paddy Chayefsky aboutit à des moments de satire trop épaisse, à de trop denses dialogues et à des déséquilibres narratifs laissant disparaître trop longtemps certains personnages. De ce point de vue, il manque l'audace d'un Altman.

  • Blanche (Walerian Borowczyk, 1971)

    **
    Tragédie médiévale entre quatre murs de château, que Borowczyk filme frontalement en créant un mélange de théâtralité et de réalisme d'abord déconcertant puis plus prenant au fil d'un récit finalement politique (l'arrivée du roi et de son page plonge la famille qui les accueillent dans les troubles du désir, les affres de la suspicion et le malheur). Trois vedettes, Michel Simon, Georges Wilson et Jacques Perrin se partagent les rôles principaux masculins autour de Ligia Branice, dont le seul instant de nudité advient durant le générique de début. Par la suite, son corps est serré dans ses habits très couvrants mais aussi très moulants. L'érotisme est donc réprimé mais le désir reste éveillé. 

  • France Société Anonyme (Alain Corneau, 1974)

    **
    Le premier film de Corneau est très étonnant, farce d'anticipation noire et politique qui croise le cinéma américain à la Robert Aldrich et un théâtre absurde bien français. À la fois drôle dans certains dialogues et situations, et anxiogène dans sa description d'un paysage national en désolation, il rivalise, au moins pendant une bonne heure, avec les meilleurs Blier et Mocky de l'époque. Corneau ose tout, se moque du pouvoir, de l'impérialisme, de la publicité, montre la défonce, la violence sanglante, le sexe jusqu'au hard. Il bénéficie de la présence magistrale de Bouquet, flanqué d'un irrésistible Dubillard, homme de main ne comprenant jamais rien. Malheureusement, en même temps qu'il sépare ce duo, le scénario tire encore plus les cheveux dans la dernière partie contant la lutte entre le gouvernement et un groupe révolutionnaire sur le marché de la drogue, devenue instrument de contrôle, jusqu'à une fin assez décevante, surtout en regard de l'explosive première moitié. 

  • Nashville (Robert Altman, 1976)

    ****
    Premier accomplissement du style altmanien, du moins dans le cadre du film choral. Encore que ce terme a renvoyé par la suite à des œuvres tellement moins audacieuses et inventives qu'il ne paraît même plus convenir ici. Altman crée un monde, à sa manière, comme Fellini à la même époque (Altman-Nashville comme Fellini-Roma, qu'une séquence d'embouteillage rapprochent). On en vient à se demander pourquoi le cinéaste passe si souvent après tant d'autres lorsqu'il s'agit d'évoquer les grands expérimentateurs de forme des années 70, alors que Nashville ne ressemble à rien d'autre. Le hasard, le chaos, le mouvement règnent, sans que jamais l'amateurisme, l'artificialité, le débraillé ne se pointent. Faisant exploser les limites entre fiction et documentaire, Nashville pourrait par moments passer pour une œuvre de Frederick Wiseman, autant par sa rigueur que par ses capacités de captation. En partie improvisé ou co-écrit avec ses interprètes, le film avance on ne sait comment sinon par croisements et sauts d'un personnage à l'autre, d'un lieu à l'autre. Altman joue de l'illusion de la réalité et des différentes représentations en filmant un univers de spectacle, en prenant des actrices et acteurs qui chantent (et composent) vraiment, en fondant les autres dans le public ou au contraire en convoquant Elliott Gould et Julie Christie dans leurs propres rôles. Il n'est même plus question de récit, celui-ci se dissout dans la création chaotique d'un monde-microcosme-miroir. Les rencontres sont coupées au moment où les personnages se disent bonjour, les pistes sonores se superposent pour ne laisser passer que des bribes. Et partout, la musique. Filmée comme rarement (jamais ?) : on croit tout de suite à cette séance d'enregistrement (alors que d'habitude, tout sonne faux dans ce genre de scène) et non seulement le cinéaste laisse se dérouler les chansons mais plus d'une fois, pour les concerts, il offre les enchaînements avec les suivantes. Enfin, Altman (et ses 24 magnifiques actrices/acteurs principaux) donne à voir des personnes changeantes, des caractères mouvants, des destinées insoupçonnables. Il ne s'agit pas de décrire des "types" et aucun des personnages n'y est réduit. De là perce l'émotion, au milieu de ce bordel organisé magistralement.