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70s - Page 7

  • Trois films de Richard C. Sarafian

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    Point limite zéro

    Un homme chargé de livrer des voitures pour un commanditaire décide un jour, sans autre raison apparente qu'un simple pari avec un ami, de rallier Denver à San Francisco en quinze heures, au volant d'une Dodge Challenger blanche. Filant à toute allure, il se retrouve avec les polices de plusieurs états aux trousses mais devient aussi, dans ce laps de temps, une sorte de héros pour la jeunesse rebelle américaine.

    Point limite zéro n'est que l'histoire de ces heures-là, borné qu'il est par un départ et une arrivée, relatant un trajet le long duquel se font quelques rencontres et passent plusieurs frissons. A première vue, il n'est axé que sur le partage du plaisir transgressif de la vitesse excessive, plaisir éprouvé par Kowalski, le personnage principal. Celui-ci paraît plutôt impénétrable mais assez rapidement, des retours en arrière commencent à éclairer son passé, d'une manière à la fois directe dans leur forme et étrange dans leur déboulé, et, parallèlement, les rencontres qu'il fait sont si décalées, si abruptes, qu'elles en deviennent plus métaphoriques que factuelles (il semble établir une communication télépathique avec un DJ noir et aveugle relatant ses exploits sur une radio de campagne).

    Hachant le récit de la course, les flash-backs déboulent sans être annoncés et paraissent vraiment appartenir à un autre temps. Ils donnent l'impression que Kowalski pourrait avoir eu d'autres vies que la sienne, qu'il a été un flic, un soldat, un coureur automobile, un cascadeur, un convoyeur... Il semble clair que dans Point limite zéro Sarafian effectue un état des lieux de l'Amérique, à travers les contradictions de son personnage, monolithique et affichant pourtant de multiples facettes, mais également à travers les représants de la contre-culture qu'il convoque à l'arrière plan, les autorités et les observateurs immobiles. Et ce constat n'est guère reluisant. Kowalski, d'ailleurs, ne se prend jamais lui-même pour un héros, passe au départ pour un simple excité prenant du speed, coupe le sifflet du DJ lorsqu'il en a assez, exprime finalement, par son geste, un profond désespoir.

    Le film de Sarafian, bien que fonçant tout droit vers son but, prend donc plusieurs dimensions. L'une des choses les plus surprenantes est qu'il joue sans cesse du contraste pour en faire son style même. Un plan pourrait le symboliser : une voiture sur la route, au fond du paysage, loin de nous, sans bruit, finit par nous passer sous le nez dans un boucan terrible. Le mixage, sur les plans ou entre eux, multiplie les sauts de valeurs sonores : on passe du silence au bruit, de l'agitation à la stagnation, du lointain au rapproché. Dans le même but, une musique calme peut accompagner une scène de violence et le DJ peut s'exciter dans son local vitré devant les badauds de la rue. Touchant au son comme à l'image, ce type d'organisation donne son dynamisme et son intérêt esthétique au film.

    Point limite zéro se vit rapidement apposer le cachet "culte". Il a été récemment l'une des plus évidentes sources d'inspiration de Nicolas Winding Refn pour son magnifique Drive. Je souhaitais le revoir depuis plus de vingt ans, depuis que sa dernière séquence s'était imprimée sur ma rétine d'adolescent pour constituer l'un de mes premiers souvenirs cinématographiques (ou plutôt vidéographique dans ce cas précis). Il ne m'a pas déçu.

    Cette agréable révision m'a poussé à découvrir deux autres titres du cinéaste.

     

    Le convoi sauvage

    Le convoi sauvage a une réputation presque aussi flatteuse que Point limite zéro. C'est pourtant, à mon sens, un film inférieur et laissant apparaître plus crûment les travers dans lesquels la mise en scène de Sarafian peut tomber. D'ambition, ce western "moderne" n'en manque pas. C'est même cela qui l'écrase, le cinéaste n'ayant, par son style, pas tout à fait les capacités d'atteindre les hauteurs envisagées.

    Le film commence par nous cueillir à froid de manière impressionnante : Zachary Bass (Richard Harris), éclaireur d'un convoi de trappeurs est surpris par l'attaque féroce d'un grizzly qui le laisse déchiqueté, uniquement suspendu à un improbable souffle de vie. Abandonné par ses acolytes qui croient ses heures comptées dans cette contrée peuplée de loups et d'indiens, il va s'extraire de son trou déjà creusé, retrouver des forces et rattraper le convoi, bloqué plus loin.

    Zachary Bass commence donc par mourir pour mieux renaître. Renaître grâce à la nature, aux tapis de végétaux qui l'ont protégé, aux animaux qui l'ont nourri. Le titre original, Man in the wilderness, est bien plus parlant et adapté que le titre français car c'est effectivement l'histoire d'une survie en pleine nature qui est contée là. Dès lors, suivre les efforts de l'homme seul et blessé, c'est accepter la répétition, la lenteur, le silence, le surplace, au moins pour un temps. C'est en usant d'un réalisme poussé que Sarafian nous montre cette lutte. Or cette approche radicale, si elle permet de prendre ses distances avec un système narratif classique, n'est pas forcément synonyme d'allègement : le cinéaste a ici recours à un symbolisme appuyé. L'anecdote, véridique, est surtout pour lui l'occasion de traiter un grand sujet, le rapport de l'homme à la nature, auquel il ajoute deux autres, la volonté divine et l'emprise du père.

    Les dialogues se font alors rares et signifiants, la mise en scène à la fois grandiose et terre à terre, l'ambiance aux confins de l'onirisme. Des flash-backs s'insèrent là aussi. Dans Point limite zéro, ceux-ci en disaient finalement peu sur Kowalski car "arbitrairement" distribués, obscurs dans leurs transitions, peu liés au présent du personnage. Dans Le convoi sauvage, intégrés pour éloigner l'ennui, ils expliquent très clairement un passé et orientent notre regard.

    Une autre qualité repérable dans le kaléidoscope du précédent film se transforme ici en défaut : la recherche de l'effet visuel. Se multiplient les plans voilés, par les branchages ou les herbes, ainsi que les plans subjectifs épousant le regard du mourant. Le problème est que la place qui nous est accordée par ces procédés est changeante, que le manque de rigueur nous gêne comme lorsqu'une séquence de caméra subjective nous met soudain dans la peau d'un loup alléché par l'odeur du sang.

    Ces scories gâche malheureusement des scènes fortes : un mystérieux discours proféré par un chef indien, l'accouchement d'une femme en pleine forêt... Mais il en reste quelques unes et c'est bien dans l'action que le style de Sarafian passe le mieux. Sans musique, l'incroyable attaque du grizzly et le sauvage combat final marquent l'esprit. Des images impressionnantes et inattendues sont créées, tel celles qui montrent ce bateau trainé entre les arbres et en haut des collines bien avant le Fitzcarraldo d'Herzog.

    Mais la meilleure idée du film est sans doute d'avoir demandé à John Huston de jouer le "père", le responsable du convoi. Avec lui s'avancent les ombres de l'African Queen et de Moby Dick. La folle entreprise qui nous est racontée ici n'a rien à envier à celles dont le réalisateur du Trésor de la Sierra Madre était friand. C'est une épopée qui se termine dans une eau boueuse et impraticable, une épopée démesurée et vaine que l'on aurait aimé moins pesante sur les épaules de Sarafian.

     

    Le fantôme de Cat Dancing

    C'est en s'extirpant des remous mal maîtrisés du Convoi sauvage que l'on apprécie probablement le mieux la simplicité narrative et esthétique du Fantôme de Cat Dancing, au moins jusqu'à un certain point.

    L'histoire, celle d'un gang de braqueurs de train en fuite et "kidnappant" au passage une femme fuyant son mari, se suit avec intérêt malgré son évolution assez classique ménageant embûches, dangers, rejets/rapprochements des protagonistes, éliminations progressives des comparses. Sarafian s'est calmé au niveau de la mise en scène, s'occupant avant tout de ses personnages. Sarah Miles donne l'image d'une femme intéressante, surprenante, indépendante sans le savoir. A ses côtés, Burt Reynolds est très bon dans un registre sobre, protecteur et hanté.

    Hanté, oui, car bien sûr, Sarafian ne peut s'empêcher tout de même de charger la mule en recourant à ses inévitables flash-backs explicatifs. Reynolds avait une femme, a abandonné un fils, bref, a vécu un drame. Une fois l'amour scellé, une fois les gêneurs écartés, cet autre western est encore loin de son terme et peine quelque peu à rester stimulant. Le cinéaste ne possède certainement pas la sensibilité nécessaire, il est un homme de l'action et du mouvement qui, lorsqu'il se met à penser, pense un peu trop large. Au-delà de ces trois films, sa carrière semble être malheureusement peu remarquable.

     

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    sarafian,etats-unis,western,70ssarafian,etats-unis,western,70ssarafian,etats-unis,western,70sPOINT LIMITE ZÉRO (Vanishing point)

    LE CONVOI SAUVAGE (Man in the wilderness)

    LE FANTÔME DE CAT DANCING (The man who loved Cat Dancing)

    de Richard C. Sarafian

    (Etats-Unis / 100 min, 104 min, 120 min / 1971, 1971, 1973)

  • La femme scorpion & Elle s'appelait Scorpion

    Ito,Japon,70s

    Ito,Japon,70s

    Même si on pioche avec parcimonie dans le monde du film de genre et de série, on s'aperçoit assez vite que les productions japonaises des années 60 et 70 se distinguent plus souvent que d'autres par deux caractéristiques qui font notamment le prix de cette Femme scorpion proposée par la Toei en 1972 : l'esthétisme forcené de la mise en scène et ses implications politiques.

    Le réalisateur, Shunya Ito, profite de l'explosion des formes cinématographiques ayant eu lieu pendant la décennie précédente et prolonge leurs effets pour dynamiter la mise en forme de son récit. Longues minutes sans accompagnement musical ou partitions pop décalées, mouvements frénétiques ou très calculés de la caméra, procédés de distanciation ou d'identification, filtres de couleur, sauts d'un registre à l'autre (sadisme, grotesque, fantastique, horreur, érotisme), ralentis, éclairs de violence... L'homme derrière la caméra sachant gérer les changements de rythme, ces diverses possibilités s'expriment de la façon la plus aveuglante quand le récit le commande. Par exemple, après une longue exposition sous forme d'évasion manquée, un flash-back, que l'on attendait pas, prend une forme théatrâle, avec panneaux tournants et lumières de scène.

    On est assez étonné de voir à quel point la maitrise technique et la vigueur narrative caractérisent cette production. Grâce à cette mise en scène faisant feu de tout bois, on échappe (presque) à la monotonie d'une histoire qui n'est finalement qu'une série d'humiliations subies par une belle jeune femme, sa vengeance proprement dite ne tenant que dans les toutes dernières minutes. Bien sûr, le prix à payer est celui des invraisemblances et des ellipses incongrues, mais l'ambiguïté du décor carcéral, d'apparence tantôt réaliste (pour les scènes les plus humiliantes), tantôt onirique, fonctionne assez bien, comme le jeu "primaire" des couleurs, à travers notamment les uniformes des gardiens et des prisonnières, ces femmes souvent magnifiques et dénudées, soumises aux tourments et aux regards lubriques.

    Le film réveille les bas instincts du spectateur mâle, en montrant des donzelles dominées et outragées. Sauf que... Bien sûr, la femme scorpion est indestrucible. Mais plus profondément encore, Ito, après avoir montré ces violences, renverse la perspective en décrivant la révolte des prisonnières. Et dans ces agressions en retour s'inscrit moins une volonté de vengeance qu'un affrontement inévitable entre hommes au pouvoir et femmes trop longtemps écrasées. C'est ici que le film apparaît clairement politique (sans idéalisme pour autant : le groupe de femmes est aussi traversé de violentes tensions). L'autorité masculine et militaire du Japon est bien la cible. C'est une cérémonie officielle qui est perturbée dès les premières images et surtout, c'est l'emblème national qui est souillé régulièrement, sa nature profonde étant dévoilée dans un plan éloquent : un drap blanc se tache peu à peu en son centre à la suite d'un écoulement de sang.

    Réputé comme étant au moins du même niveau, Elle s'appelait Scorpion, deuxième numéro d'une série qui se poursuivra bien au-delà, déçoit. Le film démarre exactement de la même façon que le premier, par une humiliation dans un cachot et une cérémonie interrompue. Et il se termine en décalquant toujours le modèle : la vengeance ultime se réalise à l'ombre ou en haut des gratte-ciels, en punissant le Mâle à coups de couteaux.

    Entre les deux, Shunya Ito s'efforce pourtant de changer de cadre. Il quitte la prison et suit l'évasion d'un groupe de prisonnières. L'environnement est plus réaliste et la qualité esthétique s'en ressent, tout comme la réflexion politique. Les défauts sont plus criants : l'héroïne est plus un catalyseur qu'autre chose, intouchable et donc moins humaine ; la violence est délavée de ses couleurs pop, devenant plus dérangeante ; les trucs de mise en scène sont d'un usage qui semble moins souple, tendant vers la systématisation (en particulier les panoramiques circulaires ultra-rapides donnant le point de vue de la victime assaillie) ; l'érotisme, bien que plus rare, est mal justifié (deux lesbiennes se pelotent au fond d'une grange, pendant le conciliabule des évadées) ; les excès dans l'interprétation sont légion. Plus mouvementé, ce deuxième volet est paradoxalement plus ennuyeux.



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    Ito,Japon,70sIto,Japon,70sLA FEMME SCORPION (Joshuu 701-gô: Sasori)

    ELLE S'APPELAIT SCORPION (Joshuu sasori: Dai-41 zakkyo-bô)

    de Shunya Ito

    (Japon / 87 min & 90 min / 1972)

  • Edvard Munch

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    Peter Watkins faisant un cinéma d'interpellation, souvent ardu, la possibilité de la rencontre nécessite une disponibilité et une attention sans faille de la part du spectateur. Ayant assisté fatigué à une projection des deux heures quarante cinq de la version cinéma d'Edvard Munch, je dois au film une revanche car je n'ai pu l'apprécier comme je l'aurai souhaité et comme, je le soupçonne, il le mérite. Voici tout de même ce que j’en retiens…

    Commençons par dire qu'avec ce si singulier biopic de Munch, Peter Watkins rend l'acte de peindre comme rarement cela a été (ou sera ultérieurement) fait au cinéma. Le contact entre la toile et le pinceau (mais aussi le couteau, puis entre le ciseau et le bois, entre l'instrument de gravure et la plaque...) est filmé au plus près pour que soit transmise la sensation de la matière travaillée, au point que la notion de couleur est ici moins importante que celle d'épaisseur. Munch est un peintre qui s'acharne à superposer et à effacer, qui ajoute des détails pour mieux les recouvrir, qui donne à voir des visages indéterminés.

    La mise en scène recherche une sorte d’équivalence à cet art. Les décors sont repoussés hors du cadre par la focalisation sur les visages et, dans les nombreuses scènes à deux personnages, les zooms permettent de faire le point sur l’un tout en laissant l’autre dans le vague. En ces occasions, les visages sont donc rendus aussi flous que dans les tableaux. Les couleurs dans l’image subissent elles aussi une désaturation comparable à celle qui est à l’œuvre chez le peintre. Elle touche jusqu’au rouge du soleil couchant, aux couleurs primaires des robes des danseuses du music hall.

    Munch est un artiste qui, pour chaque tableau, progresse à travers l’établissement de couches successives, techniquement mais également "psychologiquement", puisqu’il y fait remonter ses blessures familiales (une enfance dramatique où l’ombre de la mort aura été omniprésente) et amoureuses. Et Watkins va faire de même pour structurer son film. Le son, tout d’abord, est traité de manière particulière. Plusieurs pistes se succèdent ou se mêlent : le son de ce qui se déroule à l’écran, les données biographiques classiques d’un récitant, la lecture d’extraits d’un journal écrit par Munch lui-même… Déjà complexe de par ses sources multiples et ses différences de niveaux, cette bande son ne raccorde pas toujours avec l’image et des chevauchements se créent, parfois même des oppositions ou des dissociations. Le montage s’y met aussi. Des flashs-backs, presque subliminaux à certains endroits, comme autant de réminiscences, viennent constamment s’insérer et bouleverser la linéarité du récit. Le plus souvent, une friction se fait ainsi entre des images de la passion amoureuse et celles de l’enfance douloureuse. On ne compte plus les plans de la sœur de Munch mourante qui se voient accolés à ceux évoquant la relation du peintre avec sa maîtresse, prolongeant l’angoisse jusqu’à ces séquences pourtant lumineuses. Il n’est pas excessif de qualifier Edvard Munch de film morbide.

    Les traumatismes et les inquiétudes fondamentales font sans cesse retour. Cela s’accorde avec le travail de Munch qui aime revenir plusieurs fois sur les mêmes motifs et donner vie à des séries. Watkins s’y emploie aussi et cela confère à son film une certaine monotonie. Le récit est stoppé sans signaler de véritable point d’orgue, alors qu’il reste une quinzaine d’années d’activité à traiter. Toute la dernière partie est recouverte de la voix-off du récitant-pédagogue, à peu d’exceptions près, et le cinéaste, y abordant la réception de l’œuvre de Munch par le public et les institutions, insiste énormément sur les rejets qu’elle suscita. Nul doute, alors, que Watkins s’identifie pleinement au peintre.

    Reste encore une chose, à propos d’Edvard Munch, assez mystérieuse : le recours systématique, à l’intérieur des plans de la fiction, au regard caméra. Pas un seul plan sur l’acteur principal qui n’en contienne. Watkins a certes passé sa vie de cinéaste à brouiller les repères servant à distinguer documentaire et fiction mais ici, que veulent dire ces regards ? Ils nous provoquent ? Ils dénoncent l’imposture de la reconstitution ? Ils nous rappellent notre position ? Dans ces moments-là, c’est comme si Edvard Munch, pourtant sujet du film, s’extirpait de la représentation. C’est très étrange.

     

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    edvardmunch.jpgEDVARD MUNCH

    de Peter Watkins

    (Norvège - Suède / 165 min / 1974)

  • Solo

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    Bien que je savais la réputation de ce film-là bonne, la découverte de Solo a été pour moi, assez peu familier du cinéma de Jean-Pierre Mocky, une excellente surprise. Laisser-aller technique, facilité des caricatures, raccourcis narratifs... tout ce qui est habituellement retenu, à tort ou à raison, pour poser les limites du travail du bonhomme s'effacent ici ou bien sont retournées à son avantage.

    Solo, tourné en très peu de temps, est un film qui va vite, toujours en mouvement. Devant une caméra extrêmement mobile, soumise à un découpage nerveux, l'histoire racontée est celle d'une course poursuite entre la police et un groupe d'anarchistes ayant décidé de passer à l'action terroriste. A cette poursuite s'ajoute une autre : Vincent, violoniste et arnaqueur de bourgeois(es), court après le chef de la bande, qui n'est autre que son jeune frère, Virgile, dans le but de limiter les dégats et le protéger. Le sentiment d'urgence est donc redoublé. Régulièrement, le montage se fait parallèle et montre deux actions en cours simultanément, entrelaçant ainsi les trajectoires et préparant une fin douloureusement ironique, au cours de laquelle les retrouvailles ne pourront se faire malgré la proximité. D'une séquence à l'autre ou d'un plan à l'autre, nous sautons souvent par ellipses et ces accélérations libèrent presque un parfum d'irréalité. Les personnages, qui ne cessent d'utiliser des moyens de locomotion (voiture, bateau, train, camion...), sont élevés par moments au rang de figures, comme lors des affrontements entre les deux frères séparés et les deux policiers en charge de l'enquête, en retard mais finalement toujours là où les choses se passent. L'ambiance nocturne (l'histoire se déroule en une seule nuit) accentue l'étrangeté.

    Le film est double à bien des égards. Il est par exemple à la fois décalé et en plein dans son époque. Il évoque, à travers ses seconds rôles notamment, le cinéma français des années trente et aborde pourtant un sujet alors brûlant d'actualité (68 et après ?). Un leitmotiv musical de Moustaki l'enveloppe de manière nostalgique, pesante (au bon sens du terme), laissant peu d'espoir. Solo est une course à perdre haleine dans laquelle ce sont les cadavres qui égrènent le compte à rebours. Les protagonistes vont à leur perte en toute conscience mais ne peuvent s'empêcher de rester en mouvement, pour se sentir vivre. Un duel entre deux hommes du même groupe provoque un double effondrement, de part et d'autre d'un revolver tombé au sol. La mise en scène de Mocky est inspirée, expressive mais aussi, parfois et de manière assez inattendue, subtile (pour ce qui est des touches humoristiques, entre autres).

    Comme la musique calme le jeu, apporte une épaisseur, une ombre et une émotion, les personnages ont le temps de discourir. Et ces discours, le cinéaste les désamorce parfois mais les écoute toujours. Si des aberrations et des sottises sont proférées par ces gens, ceux-ci sont sauvés par leurs convictions et leur énergie. On sait pertinemment à qui va sa sympathie mais il ne tape pas aveuglément : dans Solo, Mocky ne se moque pas. Cette attitude se vérifie jusque dans la description du travail des flics, jamais montrés comme étant des imbéciles. Quant aux bourgeois, ils ne font de toute façon que (tré)passer. S'il fait sourire parfois, Mocky ne rabaisse pas.

    A l'écran, il joue lui-même Vincent, séduisant, de noir vêtu, s'exprimant d'une voix faussement neutre qui va à merveille avec le personnage, solo... ce qui ne veut pas dire sans morale, ni sans fidélité, ni sans cœur.

     

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    mocky,france,polar,70sSOLO

    de Jean-Pierre Mocky

     (France - Belgique / 83 min / 1970)

  • Foxy Brown

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    Sorte de mauvais épisode de Starsky et Hutch, en plus graveleux, plus violent et plus Noir, le navet de série Foxy Brown n'a qu'un attrait, la poitrine de Pam Grier, et un mérite, celui d'avoir influencé Quentin Tarantino pour l'un de ses meilleurs films.

     

    foxybrown00.jpgFOXY BROWN

    de Jack Hill

    (Etats-Unis / 94 min / 1974)

  • The Shooting, L'ouragan de la vengeance & Cockfighter

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    Réalisés l'un dans la foulée de l'autre et la plupart du temps distribués ensemble (en France au cinéma en 1968 comme en DVD plus tard), The shooting et L'ouragan de la vengeance sont deux films difficilement dissociables, à l'origine des premières manifestations du culte voué à leur maître d'œuvre Monte Hellman.

    Un campement de mineurs, une ville réduite à trois bâtiments, des étendues rocailleuses, quatre personnages et deux ou trois silhouettes... L'économie de The shooting est celle de la série B (Roger Corman ne se tient pas loin, au sens propre, Hellman étant, au début de sa carrière, l'un de ses protégés) mais la visée est haute. L'approche privilégiée est celle du réalisme, les temps morts n'étant nullement éliminés. Il se crée un rythme étonnant à la suite de ces plans qui retardent les entrées dans le champ et les gestes déterminants ou bien, au contraire, qui démarrent directement sur un coup de feu ou un changement d'échelle brutal.

    Les situations se mettent en place de manière énigmatique et les personnages le sont tout autant (un homme qui ne parle pas, un indien dont on ne comprend pas la langue...). Les motivations se devinent, elles ne sont jamais explicitées alors que des questions reviennent sans cesse : Qu'est-ce que c'est ? Qui est-ce ? Quel est son nom ? La ligne narrative suivie est celle d'une quête mais un quête devenant absurde à force de dépouillement et d'obstination. Les chevaux trépassent, les paquets sont abandonnés, les hommes aussi. L'avancée se fait vers un point fuyant mais la force du pressentiment se signale. Quelque chose d'indéfinissable mais de bien présent.

    Au campement déserté, l'apparition de la femme, qui ne sera jamais nommée, entraîne déjà dans une dimension fantastique. Si l'on craint la lourdeur théorique et l'intellectualisation excessive du western, le poids du réel nous ramène toujours sur terre, grâce à l'attention portée aux corps, à la fatigue, à la sueur... L'errance existentielle tire là sa force et ce va-et-vient entre l'abstrait et le concret signe la modernité du film (qui annonce par bien des aspects le tour de force accompli récemment par Kelly Reichardt avec La dernière piste). Les interprètes intègrent remarquablement ces données à leur jeu, d'un Jack Nicholson déjà diabolique à un Warren Oates impeccablement dépassé par les événements, en passant par une Millie Perkins à la fois fragile, déterminée et inatteignable.

    Oates endosse le rôle d'un ancien chasseur de primes luttant contre les armes, évitant les tueries et préférant écraser à coups de pierre la main dangereuse d'un tueur à gages plutôt que d'abattre celui-ci. Pareillement, Hellman lutte avec le western mais sait que ce combat est vain. Il sait comment ça finit et nous aussi, malgré toutes les ellipses du monde...

    Passer par les acteurs et leurs personnages offrent une clé pour comparer les mérites de The shooting et ceux de L'ouragan de la vengeance. Dans le premier, Millie Perkins est une femme mystérieuse, irradiante, sans passé et peut-être sans avenir. Dans le second, elle est fille de fermier, dévouée et travailleuse, effacée et silencieuse. Dans le premier, Jack Nicholson est un manipulateur sardonique affichant ce sourire qu'il reprendra maintes et maintes fois dans la suite de sa carrière. Dans le second, c'est un cowboy honnête, pourchassé à tort, ne souriant jamais : c'est le Nicholson plus rare, ménageant ses effets, que l'on retrouvera par exemple chez Bob Rafelson (Cinq pièces faciles, 1970).

    Cette fois, si le tragique est toujours est présent, la subversion du genre se fait uniquement par une accentuation du réalisme. Très prosaïque, Hellman insiste sur les détails et les accidents du réel (le chapeau qui est soufflé par le vent, le cheval que l'on a du mal à enfourcher) et limite les fulgurances dramatiques et stylistiques. Bien que l'histoire contée dans L'ouragan de la vengeance se passe sur plusieurs heures, l'impression donnée est celle du temps réel des actions.

    Au moins autant que dans The shooting, nous avons là, à travers l'histoire de trois cowboys pris pour des bandits, une réflexion sur le refus de la violence et l'opposition à son emploi. Elle soutient la forme comme le fond. D'une part, Hellman ne s'appesantit jamais sur les tirs de revolvers, ne s'appuit jamais sur la jouissance de cette violence. D'autre part, il met à nu un mécanisme implacable en lançant ses protagonistes dans une course pour la survie quasiment sans espoir. L'œuvre, très pessimiste, permet de toucher du doigt comme rarement cet engrenage mortel.

    Ce n'est qu'en 1971 que sort le film suivant de Monte Hellman, le Macadam à deux voies (Two-lane blacktop) qui va définitivement faire connaître le nom du cinéaste. Pour l'évoquer brièvement, rappelons que, très représentatif de ces années-là par les figures qu'il convoque (jeunesse, liberté de mœurs, groupes sociologiques bien définis, musique pop-rock, traversée des grands espaces), il n'en est pas moins radical et se révèle assez impressionnant. C'est une œuvre dénuée de tout romantisme dans sa description de l'amour porté par les deux personnages principaux aux voitures rapides. Ceux-ci, peu bavards, ne parlent que de mécanique, même en compagnie de la jeune femme qu'il récupèrent au bord de la route. Pour nous, ils en deviennent presque malades mentalement, au moins obsédés. Et cette obsession aboutit à la mort, ce que suggère une fin d'une grande beauté qui, bien évidemment, ne clôt absolument rien dramatiquement parlant. A la rigueur, on peut dire que la tension dramatique n'est apportée que par le rival (Warren Oates et sa gouaille). Et encore... Le défi qui est lancé est rapidement abandonné. Encore une fois, cette position annonce celle de bien des cinéastes d'aujourd'hui, Gus Van Sant en tête.

    A ces trois tentatives singulières qui rebattaient les cartes de belle manière a succédé Cockfighter qui me semble, en revanche, assez largement dépourvu d'intérêt. Coursodon et Tavernier dans 50 ans de cinéma américain en parlaient comme d'un film semblant "être construit à partir de certaines exégèses de Two-lane blacktop". On peut le voir en effet comme cela.

    Roger Corman à la production, Warren Oates à la tête de la distribution, Harry Dean Stanton à ses côtés et même Millie Perkins, dans un petit rôle : une bonne partie de la "famille" Hellman est réunie. A propos de l'actrice, on peut, à nouveau, s'intéresser au sort qui lui est réservé. Cette fois-ci, elle apparaît en ménagère mal fagotée, des bigoudis dans les cheveux, et son personnage est expédié peu de temps après, sans ménagement. Voilà le chemin parcouru.

    Encore une fois, la plupart des marqueurs du cinéma des années 70 sont présents de la sous-dramatisation de l'intrigue au symbolisme désinvolte, des figures de l'errance à celles de la marginalité... Cependant, même pour qui n'est pas amateur de la chose automobile, la passion pour les bolides a quelque chose de beaucoup plus cinématographique que celle pour les combats de coqs, activité principale du héros de Cockfighter. Et comme la mise en scène de Hellman se fait plutôt terne, à quelques flashs près, l'attachement aux personnages, au récit, au film ne se fait pas. L'inévitable truculence de certains épisodes de cette aventure dans l'Amérique profonde lasse et la misogynie caractérise le regard porté sur les femmes (soit proprement ridiculisées, soit incapables de comprendre l'attitude rebelle du héros).

    Surtout, le choix de faire du personnage de Warren Oates quelqu'un de muet saborde le film. Ce n'est pas qu'il ne peut pas parler, c'est qu'il ne veut pas, du moins jusqu'à ce qu'il gagne enfin un certain concours. Découle de cette donnée scénaristique un festival de mimiques par Oates qui se révèle pour nous absolument épuisant puisque les gens qui l'entourent ne cessent de communiquer avec lui. Notons que Hellman, de toute façon, ne va pas jusqu'au bout de son idée car il plaque sur beaucoup d'images la voix off de l'acteur, voix qui se fait porteuse d'un discours purement "professionnel" dans une posture créant une proximité/distance avec le spectateur déjà observée plus d'une fois dans d'autres films.

    Parvenu au bout de l'impasse, je n'ai amassé que deux ou trois séquences à sauver, un monologue déshabillé au bord d'un lac, un combat de coqs dans une chambre d'hôtel filmé au ralenti... Finalement, à la même époque et dans le même registre de l'Americana déglinguée, un "classique" comme John Huston aura réalisé de bien meilleurs films (Fat City, Le Malin) que ce Cockfighter, échec d'un cinéaste culte qui, semble-t-il, ne retrouvera jamais vraiment l'inspiration qui irriguait les trois opus ayant fait sa réputation(*).

     

    (*) : A moins que le récent Road to nowhere... (n'est-ce pas Doc ?)

     

    Hellman,Etats-Unis,Western,60s,70sHellman,Etats-Unis,Western,60s,70sHellman,Etats-Unis,Western,60s,70sTHE SHOOTING (ou LA MORT TRAGIQUE DE LELAND DRUM)

    L'OURAGAN DE LA VENGEANCE (Ride in the whirlwind)

    COCKFIGHTER

    de Monte Hellman

    (Etats-Unis / 82 min, 82 min, 83 min / 1966, 1965, 1974)

  • (Encore) Quatre films de Gérard Courant

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    Troisième voyage dans la filmographie de Gérard Courant (le premier ici, le deuxième ), toujours grâce à son aimable concours.

    Les deux films les plus anciens de ce lot procurent un sentiment comparable, celui d'assister à une expérience limite bouleversant notre rapport au récit cinématographique et posant une quantité de questions sur la nature même de cet art, l'aspect "ouvert à tous vents" (à toutes les interprétations) caractérisant ces propositions pouvant parfois décourager.

    A travers Je meurs de soif, j'étouffe, je ne puis crier, Gérard Courant semble se (nous) poser la question suivante : A partir de quand une image animée devient du cinéma ? Pour tenter d'y répondre, il part à peu près du même point que pour ses Cinématons. Il convoque cinq modèles (Marie-Noëlle Kaufmann, Gina Lola Benzima, Tessa Volkine, F.J. Ossang et Philippe Garrel) et les laisse improviser ou simplement prendre la pose dans divers endroits, seuls ou en groupe.

    L'unité rythmique de la série de séquences obtenues ne semble trouvée qu'à l'aide de la bande son, exclusivement de nature musicale. C'est elle qui donne le mieux le sentiment de la possibilité d'un récit et d'un sens. La musique, entendue sur de très longues plages, est de trois sortes : classique, électronique et punk. Le film démontre toute l'importance qu'elle peut avoir dès qu'elle est plaquée sur des images, toutes les variations qu'elle peut apporter. Plus elle est contemporaine, plus elle tire vers le réel, le document (comme ici lors d'un concert du groupe de F.J. Ossang). A cette actualité et ce côté brut s'oppose le lyrisme de l'opéra. Une distance se crée et ce recul permet l'installation d'un récit d'une part et de l'intemporalité d'autre part. Accompagnant une prise de vue, un portrait en mouvement, la musique apporte un surcroît d’émotion. Ici, elle magnifie en premier lieu les plans consacrés à Marie-Noëlle Kaufmann, figure des plus cinégéniques. Ne rien faire d’autre qu'être là, bouger à peine, mais avec l’assurance de capter le regard…

    Comme beaucoup de travaux de Gérard Courant, celui-ci nous renvoie à l’histoire ancienne du cinéma, au muet accompagné de musique, et au temps des mythes Garbo, Dietrich ou Monroe, dont les visages apparaissent plusieurs fois sur l’écran. Toutefois, les liens existant entre les images assemblées restent obscurs et, à mon goût personnel, trop lâches.

    Le questionnement se prolonge devant She’s a very nice lady, autre défi narratif. Avant une plus grande ouverture dans son dernier mouvement, ce film "improvisé par Gérard Courant", selon son générique, repose essentiellement sur trois sources d’images : des plans nocturnes de circulation automobile, des portraits filmés de deux femmes (et d’un enfant), toujours dans le style Cinématon, et des images de Gene Tierney dans le très beau Péché mortel de John Stahl (1945), diffusées sur un écran de télévision, enregistrées et retravaillées par des ralentis, des recadrages ou des teintures. Le montage fait alterner ces différentes vues, au rythme de la musique dont le rôle est de déterminer en fait la durée des séquences qui, sans elle, ne pourraient être distinguées les unes des autres. Le spectre musical va de Brian Eno à Richard Wagner. Les morceaux utilisés sont répétitifs et, parfois, répétés. Les images peuvent l’être aussi et comme la captation de celles de Gene Tierney génère un effet stroboscopique, l’hypnose n’est pas loin.

    L’idée de récit, elle, s’éloigne encore, malgré la proposition faite par le cinéaste sur la jaquette de son DVD. Courant y raconte une histoire précise, mais qui pourrait tout aussi bien ne pas être prise en considération et être remplacée dans la tête du spectateur du film par une autre. Si celui-ci tient à le faire… Pour ma part, j’ai abandonné rapidement la recherche d’un fil conducteur. Il me restait alors à observer ces instantanés, ces altérations d’images, ces jeux de lumières sur ces visages, et à m’interroger sur le cinéma... Y a-t-il une équivalence entre la star de la fiction et le simple modèle ? Ce qui émane de leur présence à l’écran est-il du même ordre ? Leurs images, mises côte-à-côte, dialoguent-elles ensemble ? Se produit-il un écho à partir du cinéma classique hollywoodien ? Qu’est-ce qui se crée dès qu’une caméra tourne ?

    Et encore : Comment garder un moment de cinéma et le faire sien ? Derrière cette question-là se niche sans doute ce qui fait de She’s a very nice lady un film très personnel : la recherche d’une conservation. Celle des plans d’un film (d’une actrice) aimé(e) ou celle des traces de la présence des proches. Le sentiment nostalgique qui découle de cet essai cinématographique vient de là.

    Devant ces deux films, trouver sa place n’est pas évident. On peut hésiter longtemps entre l’abandon à la pure sensation et la réflexion permanente. L’équilibre est difficile à tenir sur 90 minutes, l’esprit a tendance à divaguer et à fatiguer, et je pense qu’il vaut mieux faire son choix clairement, dès le départ, pour profiter pleinement de l’expérience, ce que je n’ai pas su (ou pu) faire. Cette veine expérimentale de l’œuvre de Gérard Courant n’est apparemment pas celle à laquelle je suis le plus sensible.

    Avec Carnet de Nice, nous nous trouvons dans un registre voisin, toujours assez expérimental mais plus direct, moins réflexif. Nous sommes dans la série des Carnets filmés, là où Gérard Courant donne naissance à l’équivalent d’un journal intime rendant compte de ses voyages. Ici, le prétexte est un séjour niçois durant le temps d’un weekend de novembre 2010.

    Débutant avec l’arrivée en train du cinéaste, le film nous montre la promenade des Anglais de manière tout à fait originale : les images enregistrées au rythme du marcheur défilent à l’écran en accéléré. Cette compression produit un drôle d’effet visuel et sonore. Bien qu’encore très longue, la séquence acquiert ainsi une durée supportable, mais c’est surtout la puissance sonore que l’on retient. Le son direct compressé donne un brouhaha assourdissant dès que le moindre roller double le cinéaste-arpenteur. De plus, nous sommes pris en tenaille par les bruits de la circulation sur la voie principale et celui de la mer, régulier et monotone. L’idée est toute simple mais traduit parfaitement la sensation que procure ce genre de ville côtière.

    Après la balade, Gérard Courant filme des bribes des Rencontres Cinéma et Vidéo de Nice, festival dont il est l’invité, ainsi que l’envers du décor de quelques Cinématons tournés à l’occasion. Sa mise en scène de la présentation en public de ses propres œuvres, effectuée par l’un de ses meilleurs connaisseurs, Vincent Roussel, est très astucieuse. Il superpose aux images de l’intervenant en train de parler de son cinéma celles du Cinématon que ce dernier avait tourné précédemment. Dans ce Cinématon, Vincent Roussel présente à la caméra divers objets culturels bien choisis (livres, DVD) et donc, en même temps, par transparence, il présente sur scène l’œuvre de Gérard Courant, qui, par ce collage, présente à son tour Vincent Roussel...

    La dernière partie de Carnet de Nice est essentiellement consacrée à une autre promenade au bord de la mer. On y voit comme en direct les prises de vue se faire selon l’instinct du cinéaste. Il marche et il filme, il cherche des idées de cadrage, en trouve parfois, pas toujours. Il faut accepter cette règle du jeu, ne pas avoir peur de passer par des moments d’ennui. Dans cette série de plans, on voit les ratures et les traits qui se précisent. Gérard Courant filme les flots inlassablement, tente de jouer sur les échelles de plans, du lointain au détail grossi, sur la lumière et les reflets, et obtient quelques belles images touchant à l’abstraction. Avec ce long final, on s’aperçoit que la mer ne nous a jamais vraiment quitté et qu’elle ne nous a guère laissé de répit au cours de ce séjour à Nice.

    Le quatrième film de cette livraison appartient lui aussi à une série, intitulée Mes villes d’habitation, dont il constitue le troisième volet. A travers l’univers est consacré à Saint-Marcellin, ville de l’Isère de 8 000 habitants dans laquelle Gérard Courant a passé une partie de son enfance dans les années cinquante. Le principe est ici de filmer une à une toutes les rues et les places du lieu. Chaque vue est précédée d’un plan sur la plaque nominative et dure une vingtaine de secondes. Pendant 1h18 sont donc listées les 127 rues et les 17 places d’une ville que la majorité d’entre nous n’a jamais traversé ni même, probablement, jamais entendu parler. A priori, ce programme est des plus austères et fait plutôt fuir... A posteriori, l’expérience est particulièrement vivifiante...

    Commençons par la question récurrente : Est-ce un film, est-ce du cinéma ? Réponse : Oui. 144 fois oui. Pour chaque prise de vue, Gérard Courant s’impose une fixité du cadre. Le choix de l’endroit où il pose sa caméra pour filmer la voie est donc, déjà, primordial. Ensuite, cette fixité renforce la conscience des limites physiques de l’image et, par extension, du hors-champ. Celui-ci à tout autant d’importance que le champ, que ce soit sur le plan visuel (les entrées et les sorties) ou, surtout, sonore (tous les bruits dont on ne voit pas l’origine, les bribes de conversation de passants invisibles, les pleurs ou les cris d’enfants...).

    La durée de chaque vue est la même. Enfin... sensiblement la même, car il m’a semblé qu’elle pouvait varier de quelques secondes. En effet, Courant choisit avec précautions l’endroit de ses coupes, dans le but de créer une véritable dynamique à partir du réel qu’il enregistre. Ce réel est en fait tiré vers des formes de micro-récits et, compte tenu de la courte durée de chaque plan, c’est bien le soin apporté à leur ouverture et leur clôture qui donne ce sentiment. Ainsi, le film est fait de 144 scènes. Un ballet automobile, un coup de klaxon, un salut adressé au caméraman, la trajectoire d’un piéton, l’apparition d’un chat, le reflet d’une vitre, l’attente d’une vieille dame : ces petits riens font l’événement et suffisent. Notre œil et notre oreille s’exercent. Nous sommes en état d’alerte toutes les vingt secondes, à l’affût de quelque chose (et parfois, nous est octroyée, simplement, une pause). Assurément, tout est affaire de regard. Le nôtre, aiguillé par celui du cinéaste. A travers l’univers, malgré la rigueur de son dispositif, n’a vraiment rien à voir avec de la vidéo-surveillance.

    Il serait toutefois abusif de vous promettre du rire, de l’action et de l’émotion. Quoi que… L’humour est bien présent. On s’amuse bien sûr en voyant la plaque de la Rue de la Liberté complétée à la bombe par un cinglant "de mon cul", mais également en découvrant qu’un bruit pétaradant de scooter annonce l’arrivée dans le cadre... d’un cycliste. Tel déplacement, telle attitude, peuvent de même prêter à sourire. L’action, elle, est assurée grâce à la position particulière que choisit parfois le cinéaste : en bout de rue, probablement sur un trottoir faisant face à un stop. Dans le cadre, les voitures avancent donc vers nous et la question de savoir si elles vont vraiment tourner au dernier moment se pose… Quant à l’émotion, elle jaillit au générique de fin lorsque Barbara entonne Mon enfance sur des photos de Saint-Marcellin. La chanteuse y a en effet passé une partie de la guerre, réfugiée avec sa famille juive.

    Dans les choix du cinéaste, un autre me paraît très important : la succession des rues à l’écran dans l’ordre alphabétique. A l’inverse d’une approche par quartier par exemple, ce déroulement assure un panachage qui ménage les surprises. D'une rue à l'autre, tout peut changer. Les violents contrastes visuels et sonores sont réguliers car nous passons sans transition d'une artère de grande circulation automobile à une rue au calme résidentiel ou à une route menant vers la campagne où chantent les oiseaux.

    A nouveau voici un film sous-tendu par l'idée de conservation, de la fixation d'un présent qui pourrait éclairer un futur. A travers l'univers est un travail pour demain. Mais vu aujourd'hui, c'est avant tout un film contemporain qui, malgré la modestie de sa forme, nous fait partager de la manière la plus juste qui soit l'expérience de la vie dans nos villes françaises.

     

    courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010sJE MEURS DE SOIF, J'ÉTOUFFE, JE NE PUIS CRIER

    SHE'S A VERY NICE LADY

    CARNET DE NICE (Carnet filmé : 19 novembre 2010 - 22 novembre 2010)

    Á TRAVERS L'UNIVERS

    de Gérard Courant

    (France / 67 min, 90 min, 81 min, 79 min / 1979, 1982, 2010, 2005)

  • L'horrible Docteur Orlof & Une vierge chez les morts vivants

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    Il est assez amusant de découvrir L'horrible Docteur Orlof après La piel que habito, tant la parenté entre les deux semble évidente. L'idée de base, celle du "savant fou" travaillant en secret pour trouver une "nouvelle peau" à sa femme, est exactement la même (on pense également, bien sûr, aux Yeux sans visage de Franju). Toutefois, autant le film d'Almodovar est une variation glacée, insidieuse et tournoyante, autant celui de Franco est une tentative expressionniste, directe et syncopée.

    Le recul vers un passé situé en 1912 et le choix du noir et blanc donnent un certain cachet esthétique à ce film, l'un des premiers signés par Jess Franco (puisqu'il semble être le 11ème d'une série, en cours, de 185 titres). Ambiances nocturnes et humides, orgues et percussions, cadrages déroutants à la Orson Welles... malaise, vertige et surprise sont recherchés. L'œuvre est construite autour de plusieurs fulgurances, au point que certains plans déboulent tout à coup, venus d'on ne sait où, comme celui qui nous donne à mater furtivement, sans préavis ni suite, une paire de seins gigotant sous des mains ennemies. Le montage est effectué à la hache. A l'intérieur même des séquences, nous avons l'impression de sauter d'un endroit à un autre, dans l'espace du film.

    Le récit souffre d'une alternance entre l'enquête ennuyeuse d'un inspecteur de police et les méfaits du Docteur Orlof tenant sous sa coupe un ancien condamné à mort aveugle mais d'une redoutable efficacité lorsqu'il s'agit d'enlever les jeunes femmes esseulées. Jess Franco n'hésite pas à emprunter des tunnels explicatifs longs comme la mort et à laisser dérouler des dialogues au ras du pavé luisant, dialogues à travers lesquels absolument tout est exposé, passé ou présent.

    Les femmes sont imprudentes, crient et meurent. Elles sont souvent portées à bout de bras, à la fois proies et déesses. Elles sont toujours belles. La fin est expédiée.

    Plus raide encore est Une vierge chez les morts vivants. Là, des prétentions artistiques à la Marguerite Duras s'installent dans un cadre narratif et une économie de série Z. Le film "raconte" l'histoire de Christina, jeune femme venant à la rencontre de membres de sa famille qu'elle ne connaît pas, dans un château inhabité. Bien vite, nous nous aperçevons, sans trop savoir si l'héroïne en est elle-même consciente ou pas, que ceux-ci sont tous, non pas des morts vivants, mais des fantômes, malgré leur apparence très charnelle. Soumise à des visions d'horreur et d'érotisme, Christina va perdre la raison et la vie.

    Jess Franco expérimente à tout va. Malheureusement, il le fait dans la répétition improductive. Chez lui, une séquence repose sur une idée de mise en scène (à partir de l'usage du zoom, souvent) reproduite jusqu'à son terme au fil des plans qui la compose, générant parfois un sentiment d'absurdité. Dès lors, le déroulement narratif, qui paraît totalement aléatoire, issu d'un scénario capricieux et informe, se voit entrecoupé par des moments de stagnation, des séquences figées ou tournant sur elles-mêmes selon l'effet qui y est répété. Comme dans L'horrible Docteur Orlof, nous est réservée une explication in extenso concernant un événement supposé s'être passé précédemment.

    Il faut admettre que quelques divagations ou déplacements au cœur de la nature ont leur beauté propre, même si ces passages sont souvent gâchés, à un moment ou à un autre, par un zoom inconcevable, un recadrage impromptu (sur un nénuphar ?!?), un tremblé, un raccord dont le qualificatif "faux" sonne encore trop faiblement pour en rendre compte correctement. Plus que les délires érotico-fantastiques mis en images, pas bien méchants, c'est donc bien ce "style" qui rend le film si bizarre et qui retient par conséquent d'en parler comme d'un navet absolu. A moins que ce ne soit l'abondance de jolies filles dénudées pour un oui ou pour un non par leur metteur en scène tout puissant.

    Je frémis tout de même à l'idée que ces deux DVD que l'on m'a gracieusement prêté renferment deux films parmi les plus réputés et donc probablement les meilleurs de Jess Franco (avec tous le respect que je dois, notamment, au descendant de l'Horrible Docteur)...

     

    franco,erotisme,fantastique,france,espagne,belgique,60s,70sfranco,erotisme,fantastique,france,espagne,belgique,60s,70sL'HORRIBLE DOCTEUR ORLOF (Gritos en la noche)

    UNE VIERGE CHEZ LES MORTS VIVANTS (ou CHRISTINA CHEZ LES MORTS VIVANTS ou CHRISTINA, PRINCESSE DE L'ÉROTISME)

    de Jess Franco

    (Espagne - France, Belgique - France - Italie - Liechtenstein / 90 min, 76 min / 1962, 1973)

  • Valérie au pays des merveilles

    Jires,tchécoslovaquie,70s

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    Valérie est une jolie fille de treize ans. Elle vit avec sa grand mère dans un village où arrivent, en même temps, une troupe de comédiens et une procession de moines. Autour de sa maison rôde un être maléfique surnommé "le Putois" et un jeune homme bienveillant, "l'Aiglon", qui se révèle être le fils du précédent. Le garçon va se charger de protéger Valérie contre tous les hommes ou créatures qui l'entourent et qui ne pensent qu'à abuser d'elle.

    Valérie au pays des merveilles, film d'un Jaromil Jires responsable quelques mois plus tôt d'une belle Plaisanterie, est difficile à décrire tant il suit la logique des rêves et leur emprunte le caractère aventureux de leurs articulations. A aucun moment, et pas plus au début qu'à la fin du récit, nous ne nous sentons arrimés à une quelconque réalité. Nous restons dans le rêve de Valérie. Par conséquent, tout peut advenir et le cinéaste ne se prive pas d'assembler des séries de plans dont la nature est totalement imprévisible.

    Cette esthétique de la surprise incessante est agréable mais peut aussi paraître quelque peu vaine. Le travail sur la forme est constant, chaque plan se voulant puissamment expressif. Les cadrages improbables abondent, comme les jeux de lumière et de caches (le traitement de l'espace est très particulier, l'architecture de la maison de Valérie, par exemple, se faisant presque "mouvante"). Une impression de trop plein se fait jour car les références semblent innombrables (partant des deux plus évidentes, Lewis Carroll et Bram Stoker), les pistes qui s'ouvrent sont mutliples et l'apparence des personnages eux-mêmes peut changer en un instant. La mise en scène de Jires impressionne mais prend le risque de lâcher le spectateur et de le mettre à distance.

    Pour autant, malgré l'onirisme absolu impregnant l'objet, c'est un véritable récit qui se met en place. Si des bifurcations désarçonnent, si des symboles échappent, si des images restent difficiles à définir, une histoire nous est bien contée. C'est celle d'une innocence en péril, d'une virginité menacée. Une lutte est engagée entre le blanc qui caractérise le monde de Valérie et le noir du tentateur maléfique, entre la lumière solaire et la pénombre des caves.

    La beauté virginale est aussi celle de certaines images irisantes que compose le cinéaste. Cependant elle est très loin de ressembler à une quelconque pudibonderie. Valérie est une jeune fille en danger ayant ses propres troubles, ses émois, ses curiosités. Le surgissement de la monstruosité de l'empêche pas d'aller de l'avant et elle ne détourne pas le regard si elle surprend un couple faisant l'amour. L'aventure, qui laisse une large part à l'érotisme, s'apparente au passage vers la sexualité. La dernière séquence illustre d'ailleurs l'accession à un autre état, harmonieux pour tous, y compris ceux que l'on croyait repoussés.

    Dans ce film riche de prolongements, le ballet des nombreux personnages convoqués finit par prendre la forme d'un nœud de vipère familial, ce qui ouvre plus encore à une profonde dimension psychanalytique et donne, sur la durée, une certaine épaisseur à des figures au départ schématiques. Malgré les thèmes périlleux, comme celui de l'inceste, qui apparaissent alors, malgré les agissements sanguinaires des vampires qui le peuplent, ce déroutant Valérie au pays des merveilles reste jusqu'au bout d'une grande douceur. Encore une chose étonnante.

     

    A lire : une chronique DVD enthousiaste signée par un praticien bien connu.

     

    Jires,tchécoslovaquie,70sVALÉRIE AU PAYS DES MERVEILLES (Valerie a tyden divu)

    de Jaromil Jires

    (Tchécoslovaquie / 73 min / 1970)