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jancso

  • L'Horoscope de Jésus Christ (Miklos Jancso, 1989)

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    Tourné juste avant la levée du rideau de fer hongrois, le film représente de façon expérimentale, sombre et onirique une société contemporaine hantée par les fantômes staliniens et se cherchant un avenir. Le récit est extrêmement difficile à suivre et il faut se raccrocher au personnage principal, à nouveau interprété par Gyorgy Cserhalmi, poète que l'on prend d'abord pour une figure christique avant qu'il soit nommé Joszef K ("pour Kaffka, avec deux f" est-il dit). Jancso filme cette fois dans des appartements, en cadre serré laissant peu d'espace aux acteurs mais toujours dans l'étirement du temps, ce qui a pour conséquence de rendre leurs allées et venues souvent arbitraires et leurs sautes d'humeur parfois pénibles. Les changements de lieux mettent à mal la continuité et l'avancée se fait plutôt par tableaux, pour autant de rencontres du personnage avec des femmes aimées qui se terminent dans la violence et toujours sous le regard d'individus mystérieux. Car dans la confusion des discours historiques, des inquiétudes du moment, des chants populaires, des effets de miroirs, des dédoublements et des escamotages, le message le plus évident porte sur l'oppression due à une surveillance constante qui rend les identités douteuses et qui entraîne vers la folie. Testée dans "La Saison des monstres", l'installation d'écrans dans le cadre, diffusant des images de la même scène ou de scènes passées, est ici systématisée. L'intérêt du balayage de ces multiples moniteurs par la caméra, qui allonge encore les plans, est très relatif et n'aide pas à éclaircir la chose.

  • La Saison des monstres (Miklos Jancso, 1987)

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    D'abord le choc de voir Jancso filmer au présent et comme dans un polar, avec cadavre de professeur gisant dans une chambre d'hôtel à Budapest. Étonnante aussi l'utilisation des postes de télévision qui dédoublent la vision d'un même objet sous un autre angle. Malheureusement, le film noir deviendra vite complètement opaque. Car Jancso quitte aussitôt le centre-ville pour retourner dans son décor de prédilection, ce corps de ferme et cette retenue d'eau, déjà vus à maintes reprises. Dès lors, son film se limite à une transposition formelle contemporaine, sans le poids de l'Histoire. Les voitures ont remplacé les chevaux pour assurer les courses folles. Les bourrasques sont produites par les hélicoptères, omniprésents. Tous les acteurs fétiches sont là (pour la troisième fois, au moins, depuis "Agnus Dei", Jozsef Madaras et Gyorgy Cserhalmi s'offrent une baston dans la poussière) mais habillés en jeans et blousons. Seuls ou par grappes, ils se mettent encore à courir, à s'arrêter, à tomber, à se relever. On sait de moins en moins pourquoi. On nous parle de science et de religion, de la langue hongroise et des exilés, tandis que les explosions se multiplient, que le feu et l'eau fusionnent. Chacun tire les ficelles tour à tour, en duperies enchâssées. Ces professeurs réunis en célébration festive sont rejoints par quelques jeunes femmes, des comédiennes de cirque nous dit-on. Elles sont le plus souvent nues, embrassées par les uns et les autres, en rondes infinies, entraînées dans les bras mais dans une ivresse partagée, gardant leur liberté (s'il faut, elles giflent ou frappent entre les jambes). Si le déséquilibre induit par ces nudités quasi-systématiques est plus flagrant que jamais, ces filles sublimes sont moins femmes-objets (les hommes n'ont guère plus d'épaisseur au sens traditionnel du terme appliqué à des personnages classiques) que femmes-idées (certes pas faciles à cerner).

  • Le Cœur du tyran (Miklos Jancso, 1981)

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    Un jeune prince élevé en Italie est rappelé chez lui à la mort de son père. Sa mère, étrangement plus jeune que lui, semble atteinte de démence. Son oncle ambitieux ne cesse de mentir. Son ami italien (Ninetto Davoli) ne sait plus où donner de la tête au milieu des hongroises nues. Des acteurs multiplient les intermèdes. Les Turcs s'en mêlent. Sous-titré "Boccace en Hongrie", le film paye sa dette au théâtre. Même s'il recoupe toutes les préoccupations de Jancso, l'obscur scénario n'a pas grande importance, tant les revirements, les résurrections, les changements de ton sont nombreux, en un éclat de rire. L'artifice est assumé jusqu'au bout : chacun avoue finalement avoir tenu un rôle, avoir joué la comédie. L'intérêt du film est purement de mise en scène. L'imagination de Jancso paraît sans limite pour trouver d'étonnantes solutions visuelles rendant ce théâtre (tout est filmé en studio) parfaitement cinématographique. Limité par la réalité, le décor devient à l'écran mouvant, flottant, insaisissable, la caméra ne cessant de glisser latéralement tout en jouant de la profondeur grâce au zoom ou aux amorces. Les acteurs, aux réapparitions parfois stupéfiantes en bout de plan, glissent eux aussi pour achever de donner cette impression de rêve (avant un retour brutal à la réalité et à l'extérieur).

  • Vitam et Sanguinem : Rhapsodie hongroise & Allegro Barbaro (Miklos Jancso, 1979)

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    Très différents mais indissociables, tournés puis présentés, en Hongrie comme en France, en même temps, "Rhapsodie hongroise" et "Allegro Barbaro" sont les deux premiers volets d'une trilogie à jamais inachevée, retraçant la trajectoire tortueuse d'Istvan Zsadanyi le long d'une moitié du XXe siècle. Inspiré d'un personnage réel, celui-ci participe à une contre-révolution, assassine le chef d'un mouvement de fermiers, obtient un poste de représentant du gouvernement, s'oppose au ministre et se met à soutenir "ses" paysans alors que l'armée allemande s'installe.
    Le premier volet décrit donc cette évolution, à partir de choix rarement faits par Jancso jusque-là : un personnage principal et surtout un récit sur plusieurs années. "Rhapsodie hongroise" est une nouvelle splendeur plastique, par l'un des rares cinéastes à savoir filmer le soleil (parce que de nombreux plans sont tournés en fin de journée). Il n'empêche que l'ensemble est un peu décevant. Même si des pans entiers restent encore très obscurs par leurs références, la narration en devient presque trop classique. Le style est inchangé mais les grands détours dans le décor mobilisant quantité de figurants tendent vers la seule performance (à l'image d'un corps à corps en plan-séquence ou d'un spectacle de sauts à cheval, le film contenant beaucoup de folklore, autant que de femmes nues). On note cependant (en plus de l'inattendue présence d'Udo Kier) un intéressant glissement vers l'onirisme dans le dernier tiers.
    Et c'est "Allegro Barbaro" qui y plonge entièrement, dans cet état suspendu. Bien meilleur, ce volet traite le temps de manière beaucoup plus originale, accéléré ou télescopé parfois dans un même plan. Les repères historiques sont brouillés par des écrans de fumée. Les images impressionnent et surprennent par les regroupements d'éléments hétéroclites. Les personnages disparaissent et, dans la continuité, reviennent d'un autre côté du cadre. La confusion qui régnait dans "Rhapsodie hongroise", un peu artificielle, devient celle de l'esprit même du héros, interprété par un Gyorgy Cserhalmi semblant tout à coup plus convaincant. Le fait de resserrer sur lui, peut-être sur sa folie, ses fantasmes ou ses souvenirs, et assurément sur son grand amour, rend le film à la fois mieux tenu et plus ouvert. Au final, si désarçonnant qu'il soit, il devient même le plus romantique et le plus émouvant des Jancso.

  • Vices privés, vertus publiques (Miklos Jancso, 1976)

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    En coproduction italo-yougoslave, Jancso brode autour du drame de Mayerling. L'héritier du trône austro-hongrois mène une vie dissolue, s'épanouit en ménage à trois avec sa demi-sœur et son demi-frère, y inclut les servantes (et la gouvernante Laura Betti), lance une invitation à la jeune noblesse de la région pour une orgie destinée à créer un scandale et à fragiliser son tyran de père. Il finit assassiné pour cela, contrairement à la version officielle. Souhaitant montrer un élan révolutionnaire à travers une soif de liberté sexuelle absolue, le cinéaste prend plaisir à filmer des jeunes gens nus quasiment du début à la fin, et ne faisant pas, cette fois-ci, que danser. On n'est pas en 1976 pour rien et l'érotisme joue franchement avec les limites. Mais bien qu'il en atténue la radicalité, le style de Jancso lui joue des tours. Dans la partie centrale, les plans sont trop longs, la bande son trop chargée (quand les fanfares s'arrêtent enfin, les rires prennent le relai), le scénario trop limité, et surtout le déchaînement subversif concerne un groupe entier, donc des corps nombreux et indifférenciés, ce qui entrave le partage d'un trouble érotique. Il n'est sensible que dans la dernière partie, de loin la meilleure, la plus concentrée, avec d'une part l'implication dans l'équation amoureuse et sexuelle d'une maîtresse hermaphrodite, et d'autre part la tension de la répression politique, l'ensemble étant dès lors présenté, plutôt que dans les rondes habituelles, en quelques tableaux cruels annonçant le cinéma de Greenaway.

  • Pour Électre (Miklos Jancso, 1974)

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    Électre s'oppose au roi Égisthe et attend le retour de son frère Oreste pour venger leur père Agamemnon et libérer le peuple de l'emprise du tyran. Un décor ouvert mais unique est parcouru en une dizaine de plans séquences (la plupart atteignant les dix minutes). Partout des cavaliers, des danseurs de ballets, des musiciens, des animaux, des enfants, des femmes nues, dont les mouvements et les actions doivent signifier ou évoquer. Ils sont cent, peut-être deux cents. Devant eux, ou au milieu de leurs rondes, évoluent les personnages principaux. Inhabituellement chez Jancso, une séparation narrative s'impose entre ces derniers et le chœur figurant, ce qui est dû au respect de l'origine du scénario : une pièce de théâtre hongroise. A un moment, Oreste dit : "Ce n'est pas de ce cirque dont le peuple a besoin." Pendant quarante minutes, le film est en sur-régime, épuisant, monotone. Puis Électre récupère le pouvoir et c'est comme si, avec ce renversement, l'équilibre était trouvé d'un seul coup, à l'image d'une scène dansée où la nudité masculine rejoint enfin la nudité féminine. Les derniers longs plans sortent du programme établi et surprennent : le tyran se réfugie sur une énorme boule, Électre et Oreste s'éloignent en un sublime pas de deux, une musique extradiégétique monte pour la première fois, le glissement s'opère vers le contemporain (un vol en hélicoptère) dans l'espoir d'une Révolution constamment recommencée. Alors il faudrait presque reprendre le film au début.

  • Roma rivuole Cesare (Miklos Jancso, 1974)

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    Le second téléfilm de Jancso tourné pour la Rai, "Rome veut un nouveau César", est moins connu en France que le premier, La Technique et le Rite, présenté à Cannes en 1972. Il me paraît pourtant bien meilleur, plus clair, moins prisonnier du texte et du lieu. Dans le royaume de Numibie sous influence romaine, quelques patriciens, dont le jeune et fougueux Claudius (Daniel Olbrychski), poussent les populations à se rebeller contre les armées de César. Mais à la mort de ce dernier, le pouvoir revient par surprise à l'un d'entre eux, Octave. En Tunisie, le désert, le bord de mer et les habitations de terre offrent à Jancso un terrain idéal pour l'adaptation de son esthétique que l'on s'étonne de voir parsemée de réminiscences de westerns (chevauchées et intrigues sous le soleil) au-delà du mélange de rites numides et de complots impérialistes. La narration est relativement alerte et, dans ses meilleurs moments, le film atteint son but : mettre en images, en action, à travers un nombre restreint de personnages et de situations, de purs concepts (la République, la démocratie contradictoire, la morale politique, la désignation de chef).

  • Psaume rouge (Miklos Jancso, 1972)

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    Par-delà 3 années et 4 films, Psaume rouge poursuit l'expérience de Ah, ça ira ! et fait figure d'aboutissement d'une poétique musicale, historique, symbolique de la Révolution. Celle qui est décrite cette fois concerne, à la fin du XIXe, un groupe de paysans socialistes se heurtant à leur régisseur et à leur propriétaire, aux militaires et aux prêtres. Les chorégraphies de la caméra sont donc à nouveau augmentées de danses et de chants. Leur variété est un premier avantage sur le film de 68 : chant populaire ou révolutionnaire, complainte au violon, commentaire folk à la guitare, marches militaires... Souvent, deux ou trois registres musicaux se succèdent à l'intérieur même des plans, très longs (4 ou 5 minutes en moyenne), qui accueillent aussi toutes les vitesses, toutes les échelles (du gros plan au lointain), évitant ainsi la monotonie. L'idée de montage traditionnel a complètement disparu. Cette représentation fluide et musicale, cette narration dans l'illusion d'un seul mouvement, fait tout accepter. Les résurrections et les nudités, pour la première fois "positives" (littéralement désarmantes), font cheminer une espérance énergique résistant à la répression. Riche de plusieurs compositions impressionnantes et d'inoubliables déclinaisons du rouge sang (ruban, cocarde, rivière teintée), c'est l'une des plus grandes réussites plastiques de Jancso.

  • La Technique et le Rite (Miklos Jancso, 1971)

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    Attila le Hun, aux portes de l'Empire romain, s'adonne aux jeux de pouvoir avec ses hommes, un centurion ou son frère Bleda.
    C'est une épreuve de voir Jancso assécher ainsi son cinéma, même s'il œuvre ici dans le cadre d'une production TV pour la RAI. Fidèle à son style, il tend cette fois à l'extrême vers le théâtre, en un lieu unique à ciel ouvert, entre terre et mer. Le format de l'écran ainsi que le terrain, trop accidenté pour permettre de belles arabesques, altèrent le rapport aux corps et à l'espace. Mouvements et plans longs se révèlent alors d'une grande monotonie. Et comme reviennent les figures habituelles (morts qui se relèvent, groupes qui encerclent, valse des armes qui symbolise l'arbitraire des décisions), le texte se retrouve seul à devoir soutenir tout l'intérêt de cette histoire, allégorie sur l'autorité. Derrière les rituels, ce texte s'efface d'ailleurs peu à peu, ce qui rend la fin à peu près incompréhensible. Pour couronner le tout, très tôt, la bande son ajoute au bruit du vent perpétuel celui de tambours peu supportables rythmant les pas ou les songes des protagonistes. Je vais vite passer à (et revoir) Psaume rouge.

  • Agnus Dei (Miklos Jancso, 1971)

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    Beaucoup aimé lors d'une première vision très isolée il y a cinq ans. A la deuxième, vraiment dans la continuité des précédents cette fois, j'ai plus de réserves. Après l'échec de La Pacifista, Jancso revient en terrain connu, un peu trop connu. A nouveau la plaine, à nouveau l'année 1919 (la lutte entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires, ici attisée par un prêtre fanatique), à nouveau les longs plans, à nouveau les soldats, les chevaux, les femmes nues (dès les premières secondes et avec une régularité parmi les moins justifiées). Le film, qui joue lui-même sur la répétition des gestes, n'évite pas l'impression de surplace. On reste certes dans la réalité des corps et des éléments, et les images marquantes ne manquent pas, mais la volonté de représenter dans un seul lieu et un temps ramassé des enjeux historiques complexes donne des chorégraphies qui finissent par nous perdre (le dernier tiers est assez abscons).