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jancso - Page 2

  • La Pacifista (Miklos Jancso, 1970)

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    Premier échec patent pour Jancso avec ce film tourné en Italie sans son scénariste Gyula Hernadi ni son chef op Janos Kende (Carlo Di Palma à la place). Pari difficile d'aborder avec son style la réalité italienne de l'époque puisque l'histoire est contemporaine, mélange de passion amoureuse et de luttes politiques (une journaliste bourgeoise de gauche tombe sous le charme d'un jeune homme traqué par ses anciens camarades terroristes parce qu'il a refusé de commettre un assassinat). On y trouve des traces d'humour, des petits détours presque felliniens, mais les mouvements chorégraphiés semblent contraints dans l'espace d'une villa, d'une rue, d'un jardin milanais. Au centre, Monica Vitti ne semble pas parfaitement accordée aux désirs de Jancso. Autour d'elle, une sorte d'internationale auteuriste : Pierre Clementi, Daniel Olbrychski et l'acteur fétiche Joszef Madaras. Encombrée d'une musique romantique et mise en scène avec la distanciation habituelle, l'histoire d'amour indiffère et n’élève jamais le constat sociétal sur les tensions italiennes, très simplifiées, à l'image de ces fonds de plans où quelques figurants agitent côte à côte des drapeaux rouges et noirs.

  • Sirocco d'hiver (Miklos Jancso, 1969)

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    1934, des Oustachis, nationalistes croates accueillis, surveillés et instrumentalisés sur le sol hongrois, préparent un attentat contre Alexandre II de Serbie. Jancso commençait à lasser certains, allant toujours plus loin, même dans ce cadre de coproduction franco-hongroise. Passé un temps d'adaptation à l'utilisation du français, la greffe prend, Jacques Charrier et Marina Vlady (et beaucoup plus brièvement Laszlo Szabo et Michel Delahaye) trouvant rapidement leurs marques et ne déparant pas au milieu des habitués hongrois. Plus aucun plan court ici mais le tour de force de treize plans séquences, intérieurs et/ou extérieurs, menés avec virtuosité. Leur longueur, le nombre élevé de protagonistes et la volonté constante de parler politique font qu'ils peuvent glisser de l'observation comportementale à l'allégorie plus distanciée, mais l'intérêt est maintenu dans la représentation des forces en présence et des revirements (symbolisés par d'innombrables passages de main en main de revolvers et de fusils de toutes sortes). Dans un décor quasi-unique, les mouvements de caméras incessants et calculés sont justifiés par la situation du personnage principal, placé dans un endroit qu'il ne connaît pas, entouré d'hommes et de femmes dont il doit douter à chaque fois des intentions. Politiquement, c'est une alerte sur les organisations structurées pyramidalement qui entravent toute liberté personnelle et qui préfèrent créer des martyrs plutôt que s'appuyer trop longtemps sur de fortes individualités.

  • Ah, ça ira ! (Miklos Jancso, 1968)

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    1947, des étudiants des Collèges populaires investissent un établissement catholique pour débattre et rallier les élèves à la cause socialiste, sous le regard de militaires. Face aux refus, ils finissent par user de l'intimidation et de la force, avant d'être recadrés par des membres du parti qui poussent les plus radicaux à quitter l'organisation. Le film est en couleur et musical, chants très nombreux et danses, qui deviennent de plus en plus contraignantes, rondes servant finalement à encercler les opposants. Jancso filme des groupes bien définis, même s'ils peuvent se scinder. Et toujours par la seule mise en scène des mouvements (ici, donc, ceux du ballet), il montre le possible basculement dictatorial et bureaucratique des révolutions, dans un récit bouclé sur lui-même. Il avance loin dans l'allégorie, par conséquent, on cherche absolument le sens, ce à quoi renvoie ce face à face, ce chant, ce discours, ce leader, ce procès, cette exclusion... D'autant plus que les habits et certains slogans ou certaines pratiques appartiennent aux contemporaines années 60 plutôt qu'à l'immédiate après-guerre. Au-delà du tour de force, contrairement aux précédents, les idées me semblent ici trop masquer les personnages, trop les essentialiser.

  • Silence et Cri (Miklos Jancso, 1968)

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    Après la fin de la courte République des Conseils hongroise de 1919, divers partisans du régime de Horthy éliminent les révolutionnaires. Enfin ça, c'est Jancso qui le dit en entretien, car il n'en laisse à l'écran que des signes, indéchiffrables pour nous, en réalisant son film le plus radical à ce stade. Il y a un refus absolu de dramaturgie classique, d'approche émotionnelle ou psychologique des personnages, dont les liens réels (amicaux, familiaux, conflictuels ou érotiques) ne sont que suggérés. La représentation de l'oppression et de la résistance uniquement en termes dynamiques et plastiques est fascinante.
    Dans le vaste espace (quasiment pas d'intérieurs, sinon pour cadrer des ouvertures, portes, fenêtres), seuls les révolutionnaires courent. Les soldats, eux, qui balancent entre cruauté et indifférence, marchent tranquillement, ajustent lentement leur fusil et tirent. Ils savent que l'étendue du paysage ne sera d'aucun secours. D'ailleurs, le personnage de révolté le plus lucide n'arrête pas de faire demi tour, conscient de l'impossibilité de la fuite. Pas d'indécision, mais l'idée de plus en plus forte que la lutte doit se faire sur place. On a l'abstraction des lignes, l'arbitraire apparent des déplacements, et en contrepoint, les gestes doux, les marches calmes, les paroles rares. La lenteur et l'épure ne sont jamais un handicap car le mouvement est finalement constant, les glissements de la caméra, associés aux entrées et sorties de champ, en très longs plans séquences remplacent le montage.

  • Rouges et Blancs (Miklos Jancso, 1967)

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    Quelque part, des Russes blancs affrontent des rouges qui sont aidés de Hongrois réunis en brigades internationales.
    En pensant au film, on pense d'abord à l'auteur, qui obtint là sa consécration, et donc à son style. On oublie souvent qu'il s'agit aussi de l'un des plus grands films de guerre jamais réalisés. Pas le plus riche ni le plus spectaculaire, mais peut-être celui qui montre le mieux la guerre en mobilisant les notions d'espace et de mouvements. Et cela dès le premier plan séquence. Ordres reçus, fuites ou attaques provoquent les mouvements, mais souvent ceux-ci sont effectués dans plusieurs sens ou sont aussitôt annulés par un mouvement inverse (et dans le même plan). Ainsi sont représentés l'oppression et la résistance, l'arbitraire et l'absurdité, tout en laissant courageusement se glisser les ambiguïtés (les multiples déshabillages/rhabillages et l'économie narrative circulaire, ou "sans fin", peuvent sous-entendre, non pas qu'il faille renvoyer dos à dos mais que des renversements, des revirements, des reniements sont toujours possibles, surtout lorsque des armes sont en mains). Ce qui est admirable, c'est que ces longues séquences "disent tout" de la guerre sans jamais verser dans le symbolisme, ni dans la performance. C'est notamment dû au tournage en extérieur, en pleine lumière et en adaptation au terrain (utilisation extraordinaire de la rivière, des creux, des bosses, du bois de bouleaux), mais encore à la présence corporelle de chacun ou chacune, qui peut devenir personnage principal de longues minutes ou disparaître brutalement (il n'y a donc pas de "héros" dans le film, même si le beau blond Andras Kozak l'ouvre, le traverse et le ferme), toujours dans l'imprévu pour le spectateur. Immense film.

  • Les Sans-Espoir (Miklos Jancso, 1966)

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    66, début de la jancsomania avec cette histoire des sans-espoir, révoltés matés en 1869 par les serviteurs du régime austro-hongrois. Tout est en place. Manque juste peut-être, connaissant la suite, un peu de souplesse, à cause du cadre militaire et carcéral sans doute. Il n'empêche qu'on a rarement aussi bien montré la contrainte, à la fois physique et psychologique, tout en réduisant les dialogues au minimum : les lignes tracées par les murs du fort et par les rangées de soldats d'une part, l'organisation infernale d'une succession de dénonciations parmi les prisonniers d'autre part.

  • Mon chemin (Miklos Jancso, 1965)

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    Début de la conquête de l'espace Hongrois par Jancso, avec ces hommes qui courent dans la plaine (parfois après des femmes nues) et se heurtent à des groupes antagonistes, ici, en 45, les Russes prenant possession du territoire, les Hongrois soupçonnés de complaisance avec les Allemands, les Juifs rescapés des camps. Ce sont les va-et-vient qui font que la simplicité de la situation est dépassée, ainsi que le point de vue adopté, celui d'un jeune prisonnier hongrois, ballotté et se liant amicalement à celui supposé le surveiller (Jancso lui-même fut brièvement entre les mains des Russes). Prisonnier dans son pays, ne se posant pas vraiment la question de "l'évasion", plus ou moins tenu de rester dans cet endroit très ouvert, vaste mais borné sur certains côtés (champ de mines) et au-dessus (présence mystérieuse d'un avion).

  • Cantate (Miklos Jancso, 1963)

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    Un jeune chirurgien plonge dans une crise existentielle après avoir douté des capacités d'un médecin plus âgé. C'est le conflit entre anciens et nouveaux qui est interrogé, le chirurgien, d'origine paysanne, finissant par rendre visite à son père. Mais conflit non résolu, et sous-tendu par un autre, brièvement mais directement évoqué, sur l'engagement socialiste et ses possibles aveuglements. S'effectue surtout une dérive du personnage, appartenant aussi au milieu intellectuel de Budapest. Un film dans le film s'insère à la moitié et a pour effet de rendre le dernier mouvement, à la ferme familiale, insolite, comme une projection dans le passé. Sans doute y a-t-il une influence antonionienne autant qu'une impulsion partagée à l'Est à ce moment-là (un court métrage projeté en privé est jugé par un personnage de "style polonais"). Jancso étonne déjà, commence à étirer ses plans et à gérer les mouvements. La troisième partie, avec ses ouvertures soudaines de l'espace, annonce clairement la suite.

  • L'Aube (Miklos Jancso, 1986)

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    Très curieux film de Jancso tourné en France avec, entre autres, Philippe Léotard, Christine Boisson et Michael York, coproduit par Israël et adapté d'un roman d'Elie Wiesel. Il raconte l'engagement d'un jeune juif dans le mouvement sioniste en Palestine et le choix moral qu'il doit faire lorsqu'il lui est demandé d'exécuter un gradé britannique. La transposition dans un style très littéraire est pleinement assumée par le cinéaste-adaptateur qui utilise la voix off de façon très régulière, jusqu'à la mêler parfois, avec originalité, aux dialogues directs eux-mêmes. Ce parti-pris prolonge parfaitement les choix esthétiques, à nouveau basés sur des plans-séquences en mouvement qui peuvent embrasser, toujours de manière assez impressionnante, des espaces-temps différents sans rupture de la continuité. Le jeune Redjep Mitrovitsa est convaincant dans ces deux importantes tâches lui incombant : porter la majorité du texte et aimanter la caméra tournoyante de Jancso. Les trajets de celle-ci parviennent encore à surprendre, guidés par un simple ballon dans une rue ou tracés dans un décor unique. Car le film est en grande partie un huis-clos. L'économie de moyens pour rendre le contexte historique, le jeu des violences, le léger écart obtenu avec la réalité, rappellent étrangement certains Godard comme Les Carabiniers. Cependant, si la poésie du texte se laisse accepter grâce aux choix de mise en scène apportant une belle fluidité (jusqu'à un étonnant détour imaginaire du récit), l'abondance de réflexions sur le sionisme et le rapport à la loi et à la foi peuvent finir par lasser quelque peu. De même que la caméra admirablement digressive ne peut éviter l'impression de répétition au bout d'un moment passé dans cet immeuble délabré où sont cachés ces combattants juifs. Après une belle première moitié, le film ne brille plus alors que par intermittence.

  • Agnus Dei (Miklos Jancso, 1971)

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    En 71, en pleine confiance, Jancso tourne inlassablement autour de ses obsessions : l'Histoire hongroise et ses épisodes de révolutions et de répressions remise en scène dans la plaine avec chevaux, uniformes et femmes nues. Cette fois, nous sommes en 1919 lorsque s'affrontent des brigades, communistes d'un côté et chrétiennes de l'autre. Une figure de prêtre dogmatique et halluciné émerge, suivi par d'autres, qui le supplanteront. L'aspect enveloppant et circulaire de la mise en scène, qui tend à la répétition et au cyclique, accentue la vision pessimiste d'une Histoire qui n'en finit pas de broyer les peuples à coups d'oppressions successives, un tyran chassant l'autre, toujours pourtant sous les habits du libérateur. Les fantastiques plans séquences (les plans brefs sont quasiment bannis) délimitent un vaste espace théâtral dans lequel Jancso recrée cette Histoire, la fait comprendre (certes pas dans les détails pour nous) par l'usage de symboles, de métaphores, mais toujours dans le réalisme et sans artifices. C'est que la longueur du plan et son dynamisme (tout est toujours en mouvement, caméra et acteurs, et il est strictement impossible de prédire ce qui va surgir ou disparaître du cadre, sans pour autant que la maîtrise semble échapper au cinéaste) empêche que la représentation se fige, se dessèche et déshumanise. De même s'éloigne le spectre de l'esthétisation de l'horreur (formidable séquence du "massacre de masse" entamé par le violon, comme la flûte de Hamelin). Dans cette longueur et ce mouvement, le corps ne ment pas et impose sa présence. Jancso parvenait miraculeusement à faire du cinéma à la fois théorique, physique, sensuel, théâtral, historique et d'une beauté visuelle peu commune.