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70s - Page 5

  • Le Lien (Ingmar Bergman, 1971)

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    Une tentative de renouvellement de Bergman par l'éloignement de son île, la co-production avec les États-Unis, l'embauche d'Elliott Gould, l'emploi de musique parfois pop, effectuée cependant sur une structure basique, voire banale, mari/femme/amant, sous le point de vue, évidemment, féminin. Gould convient parfaitement au rôle perturbateur mais le personnage peine tellement à gagner notre sympathie que l'on en vient à la donner plutôt à celui, tout en stabilité bourgeoise, de von Sydow. La cyclothymie de l'amant décide trop souvent des virages du récit (comme les explications possibles, judéité, sœur "cachée", pèsent un peu trop, même laissée à l'état d'hypothèses). Mais l'impact bergmanien ne s'est heureusement pas évaporé. Il se signale surtout là où il ne se passe rien en apparence : confrontation initiale avec la mère défunte à l'hôpital (champs-contrechamps muets entre le regard et les instruments médicaux ou bien des fragments du corps allongé), rangement par le couple de leur salon après la réception du futur amant comme si de rien n'était alors que l'on sait que quelque chose s'est enclenché, logorrhée nerveuse d'avant l'amour... Et puis il y a ces plans sur le visage de Bibi Andersson qui nous donnent l'impression de lire ses pensées et d'observer la faille qui s'y ouvre.

  • Qui a tué le chat ? (Luigi Comencini, 1977)

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    On commence avec de la caricature plutôt épaisse mais le film trouve son rythme progressivement, astucieusement scénarisé et bien réalisé, dans le registre du comique policier. L'histoire, les efforts engagés par un frère et une sœur propriétaires d'un immeuble pour se débarrasser de leurs locataires afin de le vendre, est bien sûr prétexte à étaler toutes les tares d'une société italienne corrompue à chaque niveau, mais l'intérêt provient surtout de la belle mécanique qui permet d'arpenter, dans les pas de Tognazzi, au fil de son enquête interne sur la mort de son chat, la tortueuse construction, d'un appartement à l'autre. Le dernier tiers, aéré sans doute pour ne pas lasser puis précisant l'ampleur de la symbolique via un procès impliquant mafia, préfecture et gouvernement, tend toutefois à éparpiller les forces, malgré plusieurs bons gags. Tognazzi est excellent, de même que sa camarade Mariangela Melato, frère et sœur s'insultant à longueur de journées mais ne pouvant se séparer, contraints de s'épauler dans leur quête/épreuve. 

  • Maddalena (Jerzy Kawalerowicz, 1971)

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    Cinquième film de Kawalerowicz, Maddalena ne vaut ni Mère Jeanne des Anges ni Pharaon mais se révèle suffisamment curieux. L'histoire, celle d'une femme aux mœurs légères qui tourmente un jeune prêtre, est une variation érotique et contemporaine autour des figures de Marie Madeleine et du Christ. Cette co-production italiano-yougoslave dans laquelle Ennio Morricone rode un thème qui sera plus tard celui du Professionnel, souffre quelque peu de l'apparence aléatoire de sa construction, bien que le récit se voit bouclé au final. C'est que Kawalerowicz mêle fantasmes et réalité sans s'abstenir d'utiliser à fond les tics modernistes de l'époque : zooms, ralentis, caméras subjectives, plans qui se répètent... Il fait cependant sentir habilement, par les couleurs des habits ou par les dialogues (réels, opposés aux monologues déguisés des autres), le rapprochement de la femme et de l'homme de foi (en train de la perdre) et il signe plusieurs scènes marquantes, centrées sur le désir débordant de son héroïne. Montrée sous toutes les coutures, qu'elle craque d'ailleurs rapidement, Lisa Gastoni est une femme gironde entre deux âges, ce qui fait le principal intérêt du film, son personnage ne finissant ni jugé ni châtié mais au contraire sans doute libéré de l'emprise masculine. 

  • Au nom du peuple italien (Dino Risi, 1971)

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    Un Risi mêlangeant comme souvent rires et grinçements de dents, la balance penchant ici franchement du côté sombre, la noirceur de la vision culminant dans une dernière séquence d'une méchanceté incroyable envers ce peuple italien (à travers des scènes de liesse, de désordre et de bêtise consécutives à une victoire au foot de la squadra azzura sur l'Angleterre). On ne sait pas trop sur quel pied danser, le cinéaste zigzagant entre rigidité et débordements, tentant quelques effets de distanciation bienvenus, notamment pour ses flashbacks, plaçant ses personnages dans des décors au symbolisme appuyé mais efficace (plage jonchée de détritus, palais de justice s'effritant) et bien sûr réunissant les monstres Tognazzi et Gassman. Leurs face-à-face sont les piliers de l'édifice. Ils sont étirés parfois plus que de raison, ce qui fait que le duo/duel bouffe littéralement tout le reste du film, qui essaie pourtant d'exister. Tout du long, Risi semble vouloir donner raison au premier, au juge inflexible et vertueux (et de gauche), et non à l'entrepreneur magouilleur et dépravé (et fasciste). Sans savoir exactement comment, on sent bien qu'à la fin, quelque chose va se retourner ou du moins, brouiller ce net partage.

  • Les Arpenteurs (Michel Soutter, 1972)

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    Des deux filles du film, qui font tourner la tête du personnage principal masculin, l'une est anglaise et l'autre s'appelle Alice. Quant au récit, il est aussi imprévisible que celui de Lewis Carroll. En bien plus réaliste, cependant, bien ancré dans la "vraie vie" (un plan d'ouvriers ici, une séquence avec deux petits garçons là). Libre, plus aventureux encore que James ou pas, ce Soutter semble s'arrêter, repartir, se mettre encore en pause... Souvent, cela reprend grâce à des scènes de dialogues, dans lesquels excellent bien sûr les habitués Bideau et Denis, gracieusement accompagnés cette fois par Marie Dubois. Rarement aura-t-on eu aussi clairement l'impression d'observer des adultes se comportant comme des enfants, adoptant leur liberté de ton et de comportement, n'ayant pas peur de se lancer dans des conversations sans aucun sens apparent, et cherchant constamment à dire, entendre et vivre des histoires, qu'elles soient vraies ou fausses. L'humour, l'obsession sentimentale, la simplicité, pour ne pas dire la pauvreté, apparente, le goût du jeu narratif, tout cela me semble se retrouver plus tard chez Miguel Gomes et certains Roumains. 

  • James ou pas (Michel Soutter, 1970)

    ***
    À partir de trois fois rien, Soutter crée une fiction et, comme c'est souvent le cas avec les Nouveaux Cinémas de l'époque, la création de cette fiction semble se faire sous nos yeux et devient même, de façon détournée, l'un des sujets du film. Dans le cadre le plus réaliste qui soit, dans les alentours de Genève, des personnages vivent, parlent, se déplacent en léger décalage, presque de manière absurde (dans les dialogues, en plus discret et moins mordant, en plus sensible, on pense parfois aux Bertrand Blier qui ne vont pas tarder à venir). Les hommes semblent se la raconter, vouloir générer des fictions. Et celles-ci prennent corps en effet, histoires d'amitié, d'amour ou de flics. Or, au sein de ces histoires, si les femmes paraissent d'abord simples éléments passifs ou objets de désir, elles finissent par orienter la fiction, en se révélant en même temps plus terre à terre, plus honnêtes, moins perdues, plus actives que ces hommes qui désirent avoir la main sur la réalité mais qui laissent finalement tout échapper. 

  • Frankenstein et le monstre de l'enfer (Terence Fisher, 1974)

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    Un premier quart d'heure laborieux inquiète sur les capacités de Fisher à faire revivre pour la énième fois (la dernière, en fait) le mythe. Il suffit finalement que Peter Cushing apparaisse, les joues creusées comme jamais, pour que l'éternel retour se justifie. Le film ne se défait cependant pas d'une certaine rigidité rendant les scènes d'action peu impressionnantes mais inversement celles de chirurgie, bien gores, assez fascinantes. C'est aussi que ces dernières permettent de tisser un lien étrange entre les trois personnages principaux : le jeune docteur (relais du spectateur, tantôt lucide, tantôt naïf), son maître à penser et une assistante angélique et muette. Dans la partie centrale, avant que l'intérêt ne retombe quelque peu avec l'éveil du monstre et sa révolte attendue, la mise en scène triangulise ainsi avec simplicité, rigueur et efficacité.

  • Les Chinois à Paris (Jean Yanne, 1974)

    °
    On attend de voir comment Yanne va traiter son sujet de farce politique et on patiente grâce aux acteurs, de Blier à Serrault, mais s'il faut compter sur Paul Préboist pour enfin décrocher un petit sourire, ce n'est quand même pas bon signe. La grosse comédie s'avère vite affligeante ne reposant que sur l'alternance de scènes "amples" filmées en mouvements d'appareil ramollos et de scènes plus resserrées mais pas plus stimulantes. Toutes ne sont là que pour montrer un retournement politique et culturel dont le caractère soudain enlève toute crédibilité au récit. Celui-ci ne prend d'ailleurs jamais vraiment forme, le dessin caricatural des personnages, sans la moindre consistance, n'aidant pas à rehausser l'intérêt. Ici, Jean Yanne se révèle aussi mauvais devant que derrière sa caméra. 

  • The Offence (Sidney Lumet, 1973)

    ***
    On croit d'abord très bien cerner le film en même temps que ce qui fait la valeur du cinéma de Lumet lorsqu'il est à son meilleur : l'équilibre obtenu entre quelques effets de modernité (un intrigant pré-générique au ralenti, une musique angoissante, des flashs mentaux), un regard quasi-documentaire (la battue très détaillée) et un beau classicisme dans la conduite du récit (une enquête sur des disparitions d'enfants) et la direction d'acteurs (Sean Connery le premier, très inquiétant en flic violent et assailli par ses démons jusqu'à en perdre la tête). Mais ensuite, c'est une autre dimension, habituelle aussi chez Lumet, qui s'affirme avec force jusqu'à la fin. Trois séquences à caractère théâtral se succèdent, très longues, chacune dépassant la précédente en durée, l'ensemble allant jusqu'à former plus de la moitié du film. Intenses, elles constituent une sorte de tour de force, déjouent l'attente, parviennent à faire partager le vertige éprouvé par le personnage principal. Celui-ci, le plus souvent detestable, sombre dans la folie. Pas étonnant vu le contexte anxiogène : Lumet filme d'abord un triste temps anglais puis plonge tout ce petit monde dans une nuit oppressante (une nuit qui semble littéralement cogner aux vitres des bureaux et des appartements) pour finalement l'enfermer en ne l'éclairant que par de stressants néons. 

  • Un couple parfait (Robert Altman, 1979)

    ***
    Comédie romantique où Altman démontre une nouvelle fois que son mépris envers ses personnages est une légende totalement infondée. Le couple qu'il réunit ici, un homme et une femme mal appariés et plein de défauts, est très attachant (Paul Dooley et Marta Heflin). Chacun vit dans le carcan d'une communauté : grande famille bourgeoise rigide et interventionniste pour lui, groupe de pop vivant sous le même toît pour elle. La comédie naît de la mise en miroir de ces deux situations mais Altman se moque bien de symétrie et déforme ce miroir par sa mise en scène sineuse qui attrape régulièrement au vol des silhouettes ou des micro-événements sur les côtés de la fiction principale. Il s'agit par ailleurs de l'un de ses grands films musicaux. La musique, classique ou pop, s'étire tout du long, déborde d'une scène à l'autre, raccorde deux moments séparés, brouille les repères pour créer un monde légèrement décalé du nôtre, réaliste mais propre au film. La façon dont sont filmés ces répétitions et ces concerts, dans la longueur, traduit un respect et une compréhension uniques. Au final, les genres musicaux opposés se rencontrent, l'orchestre symphonique jouant avec le groupe sur scène. Moment improbable car nullement annoncé mais choix parfaitement cohérent au regard de la mise en scène. L'humour particulier, l'esthétique de l'étirement et de l'ellipse, le rythme musical, la non-idéalisation de ses deux principaux personnages, le surgissement inattendu de la violence, le maintien d'un certain optimisme coûte que coûte... tout fait d'Un couple parfait le modèle de Punch Drunk Love, connaissant le lien de filiation artistique Altman/Anderson.