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Supervixens (Russ Meyer, 1975)
*C'est si éclaté, si excessif, si parodique, si arbitraire, le montage est si rapide, le mixage si bruyant (la musique, qui force l'ambiance et qui appuie tous les effets, devient un peu assommante), les cadrages si expressifs, qu'il est difficile d'y voir autre chose qu'un cartoon, même si c'est un cliché (de Russ Meyer, je n'avais vu que Faster Pussycat...). C'est un univers parallèle, avec un héros qui voit non pas le monde s'accorder à ses désirs mais les devancer, les dépasser, ce qui le désarçonne complètement. Ces femmes délurées et déshabillées, ce devrait être le paradis mais ça vire toujours pour lui au cauchemar. La dernière partie est d'ailleurs franchement onirique, faite de réapparitions et riche en images absurdes. Je dois débarquer en faisant maintenant le lien, mais : un flic taré, du gore, des espaces vides, des angles bizarres, l'enseigne d'un commerce paumé, une même actrice pour deux personnages, une progression par sauts, une discussion sur une route, du déraillement de réalité... Supervixens, c'est un film de Quentin Dupieux... avec beaucoup plus de sexe. -
Gina (Denys Arcand, 1975)
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Une stripteaseuse et une ouvrière, une équipe de tournage et une bande en motos-neige, un protecteur mafieux et un couple propriétaire de bar. Arcand met en miroir ces groupes ou ces personnages de manière "politique". Pas inintéressant mais difficile de tirer quelque chose de ces mises en rapports, effectuées dans des scènes trop longues pour ne pas perdre en vigueur (une partie de billard est déroulée en entier, comme le striptease plus tard). Le dernier tiers laisse encore plus sceptique en virant au "rape & revenge". Décevant en regard de Rejeanne Padovani et de La Maudite Galette.
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Trilogie Bill Douglas
My Childhood (1972) ***Chronique du dénuement tournée sinon dans le dénuement, avec presque rien. Même la durée est rétrécie, 48 min. Des plongées, pourtant pas larges, embrassent tout l'espace commun de ces enfants. Datant de 72, le film paraît presque être de 45 (l'époque décrite). Si quelques marqueurs narratifs sont disposés, il n'y a quasiment pas d'enchaînement cause-effet. A la place, une succession de scènes plutôt détachées les unes des autres (le côté rigide du film), comme des remontées de souvenirs, certaines de ces scènes ne semblant se développer que pour mettre en valeur un geste, un objet, un situation, une phrase, quelque chose du passé, de la mémoire. Dur et marquant.My Ain Folk (1973) ***Gardant les mêmes principes (noir et blanc, format serré, cadres fixes, montage en coupes franches), ce 2ème volet est plus travaillé, moins brut. Du 16, on passe au 35mm. Mais la brutalité des comportements reste de mise, l'élargissement aux adultes donnant à voir une société terrifiante. Alors qu'on pense que la force du premier film ne sera pas tout à fait retrouvée, la surprise est de constater un glissement vers une sorte de conte fantastique et horrifique, avec des cercueils, un revenant, une ogresse, et d'étranges suspensions des gestes qui, dans ce cadre familial inquiétant, m'ont, contre toute attente, fait penser à Eraserhead. On se tient pourtant toujours dans le réalisme, qui plus est, de façon un peu plus évidente cette fois, à visée "politique".My Way Home (1978) **A nouveau le changement dans la continuité pour clore la trilogie, avec un virage radical au cœur de ce troisième volet. On y passe de Bresson à Antonioni, arrachés à la petite ville minière écossaise pour suivre Jamie, soldat engagé en Égypte. L'émancipation, l'élévation, aux côtés d'un seul et unique camarade, se font dans le temps arrêté (l'opus est le plus long des trois), dans l'ennui (le personnage lui-même l'éprouve). La force émanant du projet a tendance, là, à s'amenuiser. -
Les Cavaliers (John Frankenheimer, 1971)
*Frankenheimer tente une échappée loin de Hollywood, ambitieuse, curieuse mais décevante. Des images de l'Afghanistan de 1970 étonnent mais elles ne restent qu'un fond documentaire : au premier plan, aucun acteur ne semble afghan, une distribution cosmopolite se partageant les rôles parlants, en anglais avec accent prononcé, et l'Espagne a accueilli de nombreuses scènes. Omar Sharif est surprenant, excellent cavalier seulement doublé aux moments les plus extrêmes (le morceau de bravoure arrive très tôt, sorte de course à la Ben Hur sans les chars et sans musique). Il traverse le film dans un état second, fiévreux, se perdant volontairement dans le danger, ses évanouissements creusant des ellipses dans le récit. Derrière lui, le peuple afghan, société archaïque, s'enivre de sports violents, d'affrontements d'animaux divers (chameaux, oiseaux, béliers). La seule figure féminine est une putain cupide et manipulatrice qui aura le temps, in extremis, avant d'être renvoyée, d'être comblée de plaisir par le héros. Son irruption dans la dernière partie réduit encore l'intérêt d'un film qui devenait déjà moins intéressant à force d'opacité des motivations au-delà d'une rivalité père-fils très symbolique. -
Le Convoi de la peur (William Friedkin, 1977)
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Découverte trèèès tardive du "Sorcerer" de Friedkin, l'un des films les plus spectaculairement réhabilités de ces 10-20 dernières années (la preuve, plus personne ne l'appelle "Le Convoi de la peur"), et ma foi, avec raison. La fameuse seconde partie comporte effectivement des séquences d'une efficacité redoutable et, évidemment, un po(i)nt d'orgue inouï. Mais le film accroche dès le début, pourtant écartelé (arbitraire même, sans doute, dans le choix de ces personnages-là). Le style heurté de Friedkin, qui n'arrive pas à choisir entre approche documentaire et recherche d'hyper-expressivité, est assez fascinant. L'excès est également très bien pris en charge par l'ensemble de la distribution et même les scènes parisiennes me paraissent étonnamment justes dans ce cadre de super-production internationale.
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Le Charme discret de la bourgeoisie (Luis Buñuel, 1972)
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Je n'avais pas revu "Le Charme discret de la bourgeoisie" depuis longtemps. Le début, avec les toiles peintes derrière les fenêtres du salon raccordant mal avec les plans du jardin, l'exposition du trafic chez l'ambassadeur et le manège érotique un peu faux d'Audran et Cassel m'ont laissé penser que le film n'était peut-être pas si grand que ça. Mais bien sûr que si, il l'est. J'avais seulement oublié que son principe était la répétition de tous ses éléments (pas uniquement celle du repas impossible à prendre normalement). Répétition et variations, complètement inattendues. D'une part, donc, le début n'est qu'une préparation : le "faux" du décor prépare la séquence sur la scène de théâtre, les rêves d'abord classiquement racontés préparent leur assimilation totale au récit dans la deuxième moitié... D'autre part, la suite est de plus en plus vertigineuse : les points de départ des rêves des principaux protagonistes sont encore moins signalés que dans "Belle de jour" (ne m'en rappelant plus, je me suis "fait avoir" à chaque coup) et cela donne notamment naissance au plus génial des rêves enchâssés. De plus, on peut dire que la répétition joue encore au niveau supérieur : vers l'arrière, le film répète les films précédents de Buñuel (que de réminiscences !) et vers l'avant, il sera répété par Blier, Dupieux et d'autres.
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Réjeanne Padovani (Denys Arcand, 1973)
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Singulier film politique où le pouvoir s'exerce en vase clos, entre initiés politiques et industriels, où les actions s'enclenchent par téléphone ou intermédiaire sans trop perturber le manège (élégant au salon, lubrique à l'écart) de la bonne société. Incluant un petit jeu autour du film noir classique, le maintien à distance de la caméra, quelques étirements du temps, un soupçon d'absurdité et une certaine frontalité rendent la chose originale mais il manque un peu de nerf en son centre.
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Les Duellistes (Ridley Scott, 1977)
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L'une des choses dont je me rappelais le plus précisément et que je préfère encore aujourd'hui dans les "Duellistes" de Ridley Scott, ce sont les inventions gestuelles de Harvey Keitel, qui impose, comme souvent, une présence stupéfiante. En face de lui, Keith Carradine est très bien, très raide, bien qu'il soit le héros-victime de l'histoire, raideur d'ailleurs accentuée dans le dernier tiers par une jambe bloquée. Le film souffre d'une utilisation agaçante de la musique, qui vient tout appuyer (tambour militaire dès que l'on voit des soldats, notes stressantes dès que Keitel se révèle dans les parages, partition légère dès que Carradine peut se poser), et n'échappe pas toujours à la trop belle image, mais souvent, l'inspiration visuelle est là, dans les détails (les gestes, donc, ou cet oiseau dans la pièce où patiente Carradine) et dans l'ampleur, malgré les moyens limités pour représenter cette épopée napoléonienne, qui emprunte à Kubrick, Tarkovski, peut-être même Jancso (le long plan de la course à cheval dans le bois). "Duellistes", "Alien" et "Blade Runner", sacrés débuts tout de même, à un niveau jamais égalé par Scott par la suite.
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India Song (Marguerite Duras, 1975)
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Arrivés au terme de "India Song", on tombe sur une carte des Indes, balayée par la caméra pour dessiner un parcours. Ce tout dernier plan ne donne pas, en lui-même, beaucoup plus d'informations que le reste mais nous fait dire plutôt : voilà, nous y sommes parvenus, tout a fini par converger, par faire film, malgré l'immobilité, malgré les brouillages des repères (géographiques, temporels), malgré la disjonction (anti-)spectaculaire de tous les éléments habituellement entremêlés, voix, corps, image, son, bruit, musique, malgré la difficulté longtemps persistante à s'y retrouver dans cette histoire et parmi ces personnages. La carte n'est pas une récompense, puisque la fascination a commencé à s'exercer bien avant la fin, mais elle matérialise plutôt le rassemblement de toutes les forces cinématographiques (ou picturales ou littéraires ou musicales) qui étaient au départ dispersées.
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Borsalino and Co. (Jacques Deray, 1974)
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C'est effectivement un meilleur film que le premier, c'est plus sombre, plus compact, mieux cousu. Delon est très bon et l'effet de contraste avec Bébel ayant disparu, on a l'impression qu'il joue mieux ici. Il manque juste à Deray l'inspiration, la fulgurance visuelle ou rythmique pour rendre tout ça inoubliable, même si la représentation de la violence, sèche et souvent imprévisible, est assez étonnante. Pourquoi cela se termine-t-il sur "à suivre" ? Annonce trop prématurée de Delon producteur ou projet vraiment engagé puis tombé à l'eau ? Pas sûr en tout cas qu'un troisième volet en Amérique aurait été très excitant, l'un des intérêts du diptyque étant justement sa relative autonomie par rapport au modèles cinématographiques américains, le fait qu'on y croie sans y trouver d'imitation trop flagrante.