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douglas

  • Le Détective (Gordon Douglas, 1968)

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    Deuxième des trois films policiers tournés coup sur coup par Frank Sinatra sous la direction de Gordon Douglas. Déjà presque vétéran, Douglas est dans un entre-deux, ou le cul entre deux chaises, faisant alors un cinéma restant encore assez classique mais traversé par des éclairs de modernité, attaché à son époque, captant un basculement. Ici comme dans Chuka le redoutable, le western qui le précède. L'audace est dans le sujet, dans la description, bien avant La Chasse de Friedkin, du milieu homosexuel de New-York, dans la dénonciation de la corruption, du racisme, de l'homophobie de la police, dans la relative franchise de représentation des mœurs (nymphomanie de Lee Remick), dans la conduite du récit, stoppé par deux longs flashbacks sur la vue amoureuse du flic et ne reliant qu'à la fin deux enquêtes successives apparemment tout à fait indépendantes. Éminemment psychologique, le portrait est fouillé mais le film manque du coup de tension. On sent tout de suite les passages de l'extérieur au studio et les quelques tentatives de plans originaux paraissent plutôt arbitraires (caméra sur un ascenseur ou enterrée sur la plage). C'est intéressant mais ça ne va pas aussi loin que, à la même époque, Brooks avec De sang froid (en commun, un certain aspect documentaire et une exécution capitale "problématique") ou Boorman avec Le Point de non-retour, ni Aldrich (présence de Ralph Meeker dans un second rôle de flic pourri). 

  • Des monstres attaquent la ville

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    Si, à propos de la série B, l'expression "charme désuet" revient souvent, elle sert parfois à masquer trop facilement ce qui s'avère très insuffisant, voire totalement nul.

    Faire entrer un monde dans les étroites limites d'un cadre mis sous pression par les contraintes économiques et techniques, voilà l'un des buts communs à ces productions. Ici, dans le pourtant assez réputé Des monstres attaquent la ville, la tentative se solde par un échec. Malgré les efforts déployés, notamment au niveau d'un scénario qui impose pendant longtemps l'idée du maintien d'un secret absolu entre une poignée de personnes, le film de Gordon Douglas n'arrive jamais à justifier de façon convaincante que, dans une mésaventure aux répercutions si inquiétantes (est en jeu l'avenir de l'humanité, rien que cela), seulement quatre personnes (un policier, un agent du FBI, un scientifique et sa fille) se chargent de tout (enquête policière, exploration scientifique, décisions politiques, actions militaires...) et soient partout (parcourant le sud-est des Etats-Unis), du début à la fin, tout juste aidés (logistiquement pourrait-on dire) par l'armée dans la seconde partie.

    Parmi les aberrations narratives, la gestion du temps, court ou long, pose de sérieux problèmes au spectateur le mieux disposé. A peine l'appel à un gars du FBI est-il évoqué dans un bureau qu'il y déboule dans le plan suivant. De manière plus générale, la rapidité avec laquelle arrivent les événements laisse sceptique. L'idée du film est celle-ci : suite aux essais nucléaires de 1945 au Nouveau-Mexique, des fourmis ont muté pour atteindre une taille gigantesque. Les autorités s'en rendent compte lorsque, en l'espace de quelques heures, plusieurs personnes disparaissent ou sont retrouvées mutilées. Les maladroites tentatives d'explication du scientifique n'y font rien : on se demande bien pourquoi de telles bestioles (présentes par centaines) n'ont jamais été repérées auparavant, l'une des deux fourmilières ayant pourtant trouvé sa place dans les égouts de Los Angeles !

    Si dans les premières minutes Gordon Douglas parvient à créer une tension certaine en montrant uniquement le résultat de deux attaques dans le désert, celle-ci s'évanouit lorsqu'apparaissent les monstres sanguinaires, grandes et lentes peluches mécaniques bien inoffensives auxquelles même votre grand-mère, qui n'est pourtant pas bien vaillante, parviendrait à échapper. Ajoutons à cela des personnages transparents, l'invraisemblable sauvetage de deux jeunes garçons entourés par plusieurs mandibules ou le pauvre message final véhiculant l'inquiétude post-atomique...

    Certes, plus positivement, relevons aussi quelques passages évitant au film de sombrer entièrement, comme l'introduction déjà citée, traversée notamment par une petite fille rendue muette par la terreur, ou l'exploration du réseau d'une fourmilière géante en plein désert. Mais le film ne propose pas plus d'un plan marquant. Celui-ci arrive assez tôt. Il s'agit d'un surgissement, à la sortie d'un trou, qui toutefois n'a rien de terrible et ne donne rien de poilu à voir. C'est l'apparition, à la descente d'un avion, des jambes de la jeune scientifique à la jupe courte. Un instant coincée à mi hauteur de l'échelle verticale tombant du ventre de l'appareil, elle se présente d'abord ainsi à ceux qui l'accueille sur la piste : par ses belles gambettes.

    Ce moment mis à part, le film n'est vraiment pas fourmidable.

     

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    desmonstresattaquent00.jpgDES MONSTRES ATTAQUENT LA VILLE (Them !)

    de Gordon Douglas

    (Etats-Unis / 92 min / 1954)

  • Ice & Milestones

    (Robert Kramer / Etats-Unis / 1969 & Robert Kramer et John Douglas / Etats-Unis / 1975)

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    Ice et Milestones : ces titres étaient connus mais les films si peu vus. Les éditions Capricci les regroupent dans un coffret et redonnent ainsi vie à deux œuvres mythiques du cinéma indépendant et de la contestation américaine des années 70. Cette livraison DVD ne s'accompagne d'aucun bonus, ce qui peut paraître surprenant eu égard à la richesse sociale et politique du propos, à la complexité du fond et de la forme, à la multiplicité des pistes explorées. Pour mieux accepter cette absence, nous pouvons toutefois avancer que Robert Kramer a réalisé là, de son propre aveu, des films "ouverts", auxquels le spectateur doit se confronter "seul". Et, en un certain sens, ceux-ci n'ont guère besoin d'étude complémentaire puisqu'ils partagent cette étonnante caractéristique de proposer leur propre analyse au fur et à mesure de leur déroulement - argument qui, je l'espère, ne vous empêchera pas de poursuivre la lecture de la présente critique.

    Ice01.jpgEn 1969, le fer est encore chaud et les mouvements révolutionnaires et contestataires ne sont pas encore plongés dans leur crise du début des années 70 (aux origines diverses : fin de la guerre du Vietnam, radicalisation terroriste, repli communautaire...), crise dont Milestones tentera de tirer les leçons le moment venu. Le double mouvement qui propulse Ice, activisme et auto-critique, en est d'autant plus remarquable. Le statut des images qui le compose est ambigu : la fiction est évidente, ne serait-ce que par le point de départ du récit - la guerre déclarée par les Etats-Unis au Mexique -, mais l'esthétique s'apparente le plus souvent à celle du reportage (un reportage qui serait toutefois redevable à Cassavetes et au Godard d'Alphaville). De plus, le nombre de protagonistes est élevé, autorisant ainsi une multiplicité des points de vue, et de nombreux cartons de propagande révolutionnaire sont insérés, sans que nous soyons sûr de devoir les prendre au premier degré, leur présence pouvant véhiculer, plutôt que ceux des auteurs, les messages du "comité central révolutionnaire" censé dirigé les actions décrites.

    Ces actions menées, au cours d'une seule nuit, contre un état oppresseur, apparaissent nécessaires mais sont constamment interrogées. Elles se préparent au cours de longues discussions de groupe, desquelles émergent, autant que la ferveur, les doutes et les peurs. Toute la première partie du film est consacré à ces échanges. La parole est laissée à tous, y compris à ceux les plus en marge des groupes clandestins et à ceux qui restent intégrés à la société. Cette parole supporte donc la contradiction. De façon assez surprenante, Ice, tout porté vers l'action qu'il soit, décrit ainsi une révolution qui serait la somme de parties imprégnées de doute.

    Par conséquent, il apparaît logique que l'idée de cette révolution se structure à partir de l'intime. Nous assistons, entre les réunions et les rendez-vous clandestins, à plusieurs scènes de couple, scènes de drague ou scènes d'amour, et c'est bien à ce niveau-là que commencent à se déceler les possibles trahisons et compromissions. L'oppresseur lui-même en est conscient et sait où frapper : les tortures infligées aux activistes arrêtés sont d'ordre sexuel. Il s'agit apparemment de s'en prendre à la virilité des rebelles, ce que montre une séquence violente au début du film.

    Celle-ci nous saisit d'autant plus que l'explication n'en est pas donnée sur l'instant. Par ailleurs, nous notons que la victime est interprétée par Robert Kramer lui-même. Plus tard, avant qu'il ne soit tué, nous le verrons, bien que plus au calme, dans une position peu agréable, obligé de partager un appartement avec un couple d'amis peu enclin à lui faciliter son travail de traducteur pour le compte de son organisation. Ice multiplie ainsi les outils de distanciation, s'appuyant sur les slogans, le théâtre, le cinéma, l'improvisation. Il se termine sur une satire de la politique impérialiste, réalisée à l'aide de jouets d'enfants mais son véritable final a lieu dans une cabine téléphonique, autour de laquelle tourne la caméra, entre ténèbres et espoir. Tout du long, cette politique-fiction de Kramer bénéficie de l'adéquation évidente entre le propos, les moyens et l'esthétique.

    Milestones01.jpgTout prospectif qu'il soit, Ice renvoie constamment à son époque. Milestones, que Kramer coréalisa avec John Douglas, a tissé lui aussi un lien si fort avec la réalité de son temps qu'il est aussitôt devenu un film-phare de la décennie 70. A le découvrir aujourd'hui, avant ce qu'il montre, c'est la façon de le faire qui interpelle en premier lieu. Le film démarre comme un documentaire relativement traditionnel, construit à partir d'images prises dans la rue, au domicile ou au travail et de discussions longues et naturelles. Le montage plutôt serré, les champs-contrechamps, le déroulement même des échanges commencent cependant à donner l'impression de dialogues répondant à une incitation sur un thème donné. Puis surviennent la visualisation de rêves, une scène d'agression réaliste mais évidemment fictive, une scène de ménage, un cambriolage raté... La fiction est démasquée, envahit le film, bouscule nos repères. Un accouchement ne peut certes pas être "joué" mais la quasi-totalité de ce que l'on voit et entend dans Milestones a été écrit à l'avance.

    Il ne faut pas voir dans cette construction une manipulation déplaisante du spectateur. Tout d'abord, le fait de croire autant et si longtemps à une vérité documentaire absolue prouve la qualité du travail. Surtout, ce glissement et cette révélation ajoutent encore à la complexité et à la richesse d'une œuvre déjà "objectivement" monstrueuse. Sa durée de trois heures et vingt minutes confine au vertige. Elle permet de laisser une large place aux discussions et aux débats qui libèrent à nouveau une masse de contradictions, les personnes/personnages que filment Kramer et Douglas essayant de se repositionner après les désenchantements de la période post-68. Dilemmes et décalages ne cessent donc d'affleurer chez ces gens ayant cherché, à un moment ou un autre, à vivre leur vie autrement : les tiraillements se font entre désir de solitude et vie en communauté, nomadisme et sédentarisation, affranchissement familial et besoin de lien filial. Le tableau est riche et si les cinéastes ont suivi essentiellement des individus appartenant, au sens large, à un groupe dont ils faisaient partie, Milestones ne se réduit nullement à la description de la vie quotidienne "hippie".

    En effet, c'est bien l'histoire des Etats-Unis, pas moins, que convoque le film, puisque le récit est entrecoupé de souvenirs et de références photographiques ou cinématographiques renvoyant à l'esclavage, au génocide indien, à l'entre-deux guerres ou, bien sûr, au Vietnam. Ce récit, dont on pense qu'il va aboutir, à force de croisements entre les divers personnages, à la (re)constitution d'une communauté, éclate au contraire en mille morceaux, dans le temps, dans le paysage américain (le nombre de lieux arpentés est impressionnant) et dans l'espace mental des protagonistes (et donc des auteurs). Si le film paraît tout de même, en bout de course, se "boucler", il reste particulièrement ouvert (et ouvert aux quatre vents, ce qui provoque d'inévitables courants d'air : certains passages, certaines expériences humaines ne sont pas, prises séparément, d'un immense intérêt). L'accouchement final auquel nous assistons peut être pris pour une métaphore du film entier. De la façon directe, impudique et tenace dont il est présenté au spectateur, il paraît long et difficile mais au bout du compte honnête et libérateur. Là aussi, donc, l'espoir subsiste. Que Milestones intègre aussi intelligemment sa propre dimension réflexive et que les doutes qui s'y expriment permettent d'avancer, cela démontre que la grande œuvre polyphonique de Kramer et Douglas n'est pas une chronique du fourvoiement post-soixante-huitard mais bien un essai cinématographique chaotique et passionnant sur un moment-clé de l'histoire de la gauche américaine.

     

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