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losey

  • Accident (Joseph Losey, 1967)

    ****
    Le Losey/Pinter d'après The Servant et d'avant Le Messager est un régal d'écriture où tout semble à la fois millimétré et vibrant. Sans démonstration, en ne prenant appui que sur des situations et des dialogues a priori banals, le film ouvre sur des profondeurs étonnantes et distille un trouble stimulant. Constamment l'on sent que s'y joue beaucoup plus que ce qui est montré et dit, sur les rapports de domination, sur le sexe, sur les classes. Les niveaux semblent se multiplier calmement et avec maîtrise (le récit se suit tel quel aussi bien qu'il peut apparaître en train d'être "écrit" au fur et à mesure par les personnages). D'un bout à l'autre l'équilibre est tenu entre l'observation sociale et la dérive quasi-fantastique, la trivialité et l'élévation, le corps et l'esprit, la communauté et l'intime. Le style de Losey lui-même oscille, avec élégance, entre classicisme et modernité, bousculant à intervalles réguliers le bel ordonnancement anglais, avec une fluidité confondante qui permet même l'intégration risquée d'un intermède tout en décalages "à la Resnais" (la présence de Delphine Seyrig aidant). Ainsi s'accumulent des morceaux de bravoure qui n'en sont pas en apparence (garden party, soirée alcoolisée, matchs de cricket ou de "rugby en intérieur"). En professeurs oxfordiens, Dirk Bogarde excelle bien sûr mais Stanley Baker étonne grandement, contre-employé qu'il est. Accident est le meilleur Losey, avec The Servant et Monsieur Klein. 

  • The big night

    (Joseph Losey / Etats-Unis / 1951)

    big night 01.jpgEn une seule nuit, de la tombée du jour au petit matin, le jeune George La Main traverse une série d'épreuves qui le font basculer douloureusement de l'adolescence à l'âge adulte. Un traumatisme, un désir inextinguible de vengeance, une histoire d'amour et une autre d'amitié trahie : rarement comme dans The big night aura-t-on eu l'impression d'une telle condensation, et ce d'autant plus que le film ne dure que 72 minutes.

    George nous apparaît d'abord dans toute sa candeur. Avec sa coupe de cheveux sage, ses lunettes sur le nez et sa chemise blanche de brave étudiant, il est gentiment chahuté devant le bar de son père par quelques blousons noirs. Losey va directement au but et instille le malaise et le tragique dès les premiers instants par des échanges de regards lourds de sens et de non-dits entre George et son père. Il suffit alors d'introduire sans plus attendre l'élément déclencheur de la crise : le passage à tabac incompréhensible de ce dernier, sous les yeux de son fils. Choqué par la violence des coups et leur acceptation par son père, George veut réagir et rétablir l'honneur paternel. Il lui faut donc plonger dans un monde qu'il ne connaît pas, ou plutôt, qu'il croit connaître. Lui qui en a marre de se faire traîter de gamin, pense passer au statut de dur et il en adopte pour commencer la panoplie : la veste, la cravate, le chapeau et le flingue dans la poche. Confronté à plusieurs reprises à des miroirs, il se fait littéralement son film.

    L'apprentissage sera bien évidemment difficile. Losey plonge son héros dans les bas-fonds et le fait passer par les stations les plus douloureuses et les lieux les plus louches. Sa quête vengeresse ne le mènera que de désillusions en désillusions. Menacé, arnaqué, il devra prendre conscience de la terrible réversibilité du bien et du mal, dont la figuration la plus simple et la plus directe tient dans le personnage de Peck, la petite frappe soutirant quelques dollars à George en se faisant passer pour un flic. L'adolescent pense le monde en termes basiques et opposés : un homme est bon ou mauvais. Les protagonistes qu'il croise au cours de son aventure semblent répondre à ses questions manichéennes avec un sourire en coin, notamment dès qu'il s'agit de parler de ce Al Judge, sa proie et, selon lui, le mal absolu. Les révélations qui lui seront faîtes au fil de sa recherche le mettront devant l'évidence : le monde n'est pas noir ou blanc, tout est gris. George, bardé de ses certitudes sur l'honneur, se rend compte que même les plus grands drames ne cachent que l'effroyable banalité, voire la médiocrité des hommes.

    La vision de Losey est ici particulièrement pessimiste. Oeuvrant dans le cadre du film noir, il en a respecté l'ambiance (importance du décor urbain, images réalistes pimentées d'expressionnisme, tension narrative soutenue par une accumulation de situations fortes) mais a abordé le genre par son côté le plus psychologique. Cette insistance pénalise parfois le film, notamment lors des scènes entre George et Marion, l'une des figures féminines, aux dialogues trop explicatifs. En fin de course, la confrontation finale a un peu le même défaut, mais elle parvient à faire ouvrir les yeux, encore une fois, sur la complexité de chaque être humain.

    Joseph Losey avait brillamment débuté à Hollywood en 1948, avec Le garçon aux cheveux verts. The big night est son cinquième et dernier film américain : déjà inquiété pour ses liens avec le parti communiste américain, il fût sommé de comparaître devant la Commission des activités anti-américaines alors qu'il tournait Un homme à détruire en Italie. Losey choisit alors l'exil vers la Grande-Bretagne où il commença une seconde carrière qui allait l'imposer comme l'un des grands auteurs européens.

    (Chronique dvd pour Kinok)