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  • Courrier du cœur / Le Sheik blanc (Federico Fellini, 1952)

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    Le deuxième Fellini, premier en solo, est déjà remarquable. Après la mise en place, l'arrivée du couple de jeunes mariés à Rome pour leur voyage de noces, on dépasse aussitôt l'aimable chronique néo-réaliste et on part ailleurs, sur les chemins de traverse. Scindé en deux temps, le film commence par faire l'éloge de la fiction et de la vie rêvée (à travers les romans photos exotiques) avant de montrer une désillusion (la jeune admiratrice à failli perdre son honneur, son mari et sa vie en fricotant avec la vedette, cette sauvegarde de la morale faisant la petite limite du film). Mais même après avoir goûté aux plaisirs de la (fabrique de la) fiction (étourdissante séquence des prises de vue sur la plage), le spectateur, lui, continue à en profiter. Grâce à la partition géniale de Nino Rota (avec multiples variations et surprises de placement), à la prestation d'Albert Sordi (d'abord presque inquiétant sous le maquillage du "Sheik blanc" puis pathétique), à l'apparition de Giulieta Masina (prénommée Cabiria !), à la manière unique de raconter, Fellini changeant constamment de rythme et donnant à voir de belles ramifications en tournant brièvement sa caméra, de temps à autre, vers les à-côtés, les silhouettes de passage. La scène de la fontaine par exemple nous marque parce que l'on se tourne, pendant quelques secondes à peine, vers un passant que Masina connaît et qu'elle va voir cracher du feu, s'eloignant alors de sa copine et du mari en pleurs. Ce sont ces détails, cette façon d'attraper le monde autour, qui donnent un surcroît de vie et d'énergie. 

  • 7 contre 7

    Il y a entre Les Sept Samouraïs et Les Sept Mercenaires un océan, une culture et six ans d'écart. Il y a aussi, entre le jidai-geki d'Akira Kurosawa et le western de John Sturges, l'espace qui sépare un chef d'œuvre du cinéma d'aventures historiques et un honnête film populaire. Sur l'écran, les samouraïs s'activent une bonne heure de plus que les mercenaires. Cette différence de durée est-elle la conséquence logique de l'opposition entre contemplation orientale et concision hollywoodienne ? Assurément non, le rythme étant aussi rapide d'un côté que de l'autre. Le défaut du film américain, plus visible encore lorsqu'il est placé juste à côté de son modèle, est de rendre au spectateur les choses, les actions, les caractères et les décisions trop évidentes. Il suffit à Kurosawa d'un trait lorsque Sturges s'acharne à nous faire tout le dessin.

    Si l'on peut qualifier le premier film de grande fresque historique, c'est que la matière y est d'une richesse incroyable. Mais celle-ci nous est offerte avec une vigueur et une simplicité éblouissantes. Et cela tout le long du film. Prenons par exemple, à la fin, l'expression du choix du plus jeune du groupe (Katsushiro le samouraï ou Chico le mercenaire), pris entre son désir de poursuivre sa route avec les deux autres survivants et celui de rester au village auprès de la paysanne qu'il aime. Kurosawa fait se succéder quelques plans emplis de dignité, laisse sortir son jeune personnage du cadre dans lequel reste ses deux amis, le reprend un peu plus loin, droit, observant la jeune femme, et s'arrête là. La mise en scène est claire sans être insistante. Sturges, lui, ne signale pas esthétiquement la séparation et, accompagnant Chico jusqu'à sa bien aimée, le montrant en train de se retrousser les manches et de détacher son ceinturon, joue uniquement sur la corde émotionnelle.

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    Chez Kurosawa : une vivacité du trait qui n'empêche jamais la préservation de zones de flou. Chez Sturges : la tentation de l'efficacité qui entraîne plus d'une fois vers la facilité dramaturgique. On peut également évoquer la différence d'approche du monde des paysans. Dans le western, la méfiance que peuvent inspirer ces derniers est essentiellement nourrie par des retournements de situation, comme lorsque quelques pleutres font entrer le tyran Calvera dans le village en l'absence provisoire des mercenaires. Kurosawa, de son côté, ne cherche pas à trancher de manière aussi simpliste mais préfère avancer dans sa description par notations successives. L'évolution du rapport de confiance entre les victimes et leurs défenseurs se fait par petites découvertes mettant la volonté d'engagement de ces derniers à l'épreuve : vieilles armures de samouraïs tués, nourriture et saké la veille du combat décisif...

    Le cinéaste japonais s'intéresse-t-il moins à ces paysans ? Sans doute. Mais la caractérisation peu poussée, en regard de celle qui à cours dans le Sturges, peut être aussi considérée comme une moins grande concession au goût du public. On trouve en effet moins de rires d'enfants (le rapport entre ceux-ci et Kikuchiyo/Mifune est beaucoup moins développé dramatiquement que celui concernant Bernardo/Bronson) et moins de héros révélés. Dans Les Sept Samouraïs, les combats ressemblent souvent à des mêlées et, vu sous cet angle, le film se révèle déjà moins individualiste (sans même que l'on s'étende sur le discours autour de la solidarité en temps de guerre proféré par Kambei ou sur la réalisation de l'étendard représentant les sept samouraïs au-dessus du village). La grande violence qui se dégage de ces séquences, accentuée bien sûr par le déchaînement des éléments et l'utilisation des lances et des sabres, est aussi celle de la lutte d'un corps social tout entier contre chaque bandit piégé. Si certains personnages de ce corps prennent plus d'épaisseur que d'autres, ils ne s'en détachent pas par un basculement arbitraire qui les ferait passer du retrait prudent à l'héroïsme guerrier. L'extrême violence dont fait preuve le jeune paysan Rikichi au fil de la bataille est contenue déjà dans la blessure béante causée par la perte de sa femme, dans la nervosité dont il fait preuve à chaque question innocente posée à ce sujet. L'affrontement est une catharsis et les plans que le cinéaste consacre à son regard halluciné, s'ils ne vont pas jusqu'à condamner cette violence, traduisent au moins l'effroi qu'elle suscite.

    Mais repassons par la dernière séquence évoquée plus haut. La sortie du cadre de Katsushiro laissait deviner un choix sans avoir à l'illustrer. Cette sortie signale aussi une recherche visuelle, impose un sens plastique. De fait, Les Sept Samouraïs est un festival de formes et de figures qui rend bien pâle l'effort westernien qui le suit. On en retient notamment l'opposition entre le haut et le bas (bandits et samouraïs viennent du sommet de la colline et surplombent le village dans sa cuvette, les tombes des sauveurs sont sur un monticule...), les images que rayent les trombes d'eau tombant du ciel comme les lances et les flèches s'abattant sur les hommes, l'omniprésence, lors du dernier affrontement, d'une boue qui ne permet plus de différencier les combattants et qui ramène, en quelque sorte, les samouraïs à la terre des paysans (en ce sens, effectivement, comme l'assène le chef, ce sont bien ces derniers qui ont gagné). Kurosawa excelle par ailleurs dans sa gestion du terrain, sa caméra embrassant le décor pour mieux relayer l'importance de la notion d'espace et aider à saisir la stratégie de défense de ses personnages, comme dans celle de la météorologie. A ce propos, il convient de rappeler que le film n'est, sur sa durée, pas si pluvieux que cela et qu'il est même assez souvent ensoleillé. Ceci est clairement un prolongement du travail de modulation des émotions effectué par le cinéaste au sein même des séquences. L'humeur y est changeante et le mélange le plus explosif est tout entier concentré dans le personnage endossé par un Toshiro Mifune semblant jouer au-delà de toute contrainte, en liberté absolue. Il faut bien l'ampleur et l'aisance des cadrages de Kurosawa pour capter toute l'énergie de cet homme en fusion, ce caractère éruptif.

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    Chez les samouraïs, la mort frappe comme la foudre, sans discernement moral, au hasard (l'un des sept disparaît bien avant le combat final). Elle n'est donnée par personne en particulier, les bandits étant chez Kurosawa encore moins caractérisés que les paysans. Elle signale bien, cependant, la fin d'une époque (ce que l'on ressentait déjà lors du recrutement, en voyant ces samouraïs réduits à s'engager pour de si modestes causes) puisque elle est à chaque fois, pour les vaillants sabreurs, donnée par balles. Le film japonais apparaît donc beaucoup plus sombre et dur que son homologue trans-Pacifique. Il privilégie l'éclair tragique plutôt que le coup de force dramatique. Kurosawa saisit le spectateur avec la révélation du sort réservé à la femme de Rikichi quand Sturges distille à peine quelques sensations liées au danger. De même, il étudie les rapports sociaux avec beaucoup plus d'attention, traçant des frontières impossibles à franchir sans une grande douleur, et, n'en restant nullement à une chaste amourette comme le fera Hollywood, évoque une véritable passion sexuelle butant sur la rigidité de la société.

    Après tout cela, que reste-t-il aux Mercenaires ? Une histoire prenante, une musique entêtante, une certaine force iconique (mais tenant bien plus au métier et au casting qu'à l'inspiration, assez faible, de Sturges).

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  • Toutes les pierres du puits

    Il suffit d’un rien pour avoir à nouveau l’envie de revenir à Moonfleet. Cette fois-ci, ce ne fut pas "rien", mais un beau texte de Ludovic Maubreuil sur Cinématique. Alors au risque d'enfoncer des portes largement ouvertes par d'autres depuis près de soixante ans...

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    Lang n’aimait pas le CinemaScope. Il l’avait bien dit lors de ses entretiens avec Peter Bogdanovich et chez Godard, mais il suffit de regarder Les Contrebandiers de Moonfleet pour s’en assurer, film dont le format lui fut imposé par la MGM (tout comme cette fin, ce plan final ensoleillé et presque guilleret, en totale opposition de ton avec les quatre-vingt minutes qui le précèdent). Moonfleet n’est assurément pas un film horizontal mais bien un film vertical, sur l’ascendance/la descendance (se trouver un père/un fils).

    Lang ne cesse "tout du long" de contrarier la propension naturelle du CinemaScope à l’étalement. Oeuvrant dans l’aventure, on s’attendrait à ce qu’il nous gratifie de chevauchées fantastiques. Or, quand Jeremy Fox s’échappe du fort sur un cheval volé, Lang ne le suit pas au-delà de la porte d’entrée, restant dans la cour, et quand les carrosses ou les cavaliers de l’armée traversent la lande, nous les voyons uniquement négocier des virages serrés sur ces pistes escarpées et étroites (presque tous les plans du film sont de studio). De même, l’évocation de contrebandiers et autres pirates appellerait de larges prises de vue sur l’océan illimité mais ici seules des petites criques à peine mordues par les vagues apparaissent à l’écran.

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    Sous le cimetière de Moonfleet, les contrebandiers ont aménagé un ingénieux réseau souterrain relié à la mer. Ces boyaux de terre sont ils vus en coupe ? Oui mais transversale. La forme de l’arcade y est soulignée, comme partout ailleurs dans le film. Et pour dessiner une arcade dans le format large, il faut remplir les côtés, ou les noircir.

    Assiste-t-on à un duel ? Celui-ci n’est nullement organisé autour des avancées et des reculs des deux adversaires. Parfaitement contenu dans l’espace de la petite pièce principale de la taverne, il se termine dans l’escalier qui la dessert, et donc sur la hauteur.

    Cette verticalité implique la mise en scène de chutes. Celles-ci sont nombreuses, volontaires ou non, éléments déterminants de la narration. Leur caractère imprévisible et brutal est souvent rendu par la sècheresse du montage et le foudroiement musical (dans les premières minutes, la terreur du jeune John Mohune est ainsi aisément partagée).

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    Le cinéphile ne cesse de revenir à Moonfleet, comme les personnages ne cessent de revenir à Moonfleet. Jeremy Fox a quitté les îles pour retrouver le domaine des Mohune et le fantôme d’Olivia, la femme aimée. Le petit John est soumis à la même attraction : toutes les tentatives pour l’éloigner se soldent par des échecs. Leurs trajectoires sont celles d’un boomerang : John saute du carrosse qui l’emmène vers la pension et débarque au domaine, Fox finit par descendre (et de quelle façon !) de celui de ses riches associés pour revenir vers le garçon…

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    Le retour, la boucle, le cercle, entier ou demi, structurent le film, comme le font les tensions verticales. Pour se battre avec Fox, le tavernier délaisse l’épée pour une hallebarde (éclair admirable et dans la continuité de l’action : on le voit faire son choix, en un instant) et le voilà qui se met à faire tourner celle-ci à bout de bras, au-dessus de lui. Ce duel est le point culminant de la révolte des contrebandiers contre leur chef. Fox est en effet constamment mis en péril, menacé d’encerclement. Dans la taverne ou la grotte, on observe parfaitement les légers déplacements des contrebandiers autour de lui.

    Il est un lieu qui conjugue idéalement verticalité et circularité : le puits. C’est donc logiquement ici, dans cette construction particulièrement "anti-cinémascopique", que Jeremy Fox va faire descendre le jeune Mohune pour récupérer le diamant et enclencher alors toute la dernière phase du récit.

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    Ce lieu, un message crypté l’a désigné préalablement. L'un des contrebandiers a involontairement mis John et son protecteur sur la voie en remarquant que le bout de papier comportait des versets bibliques correctement retranscris mais mal numérotés. Voilà, donc, à ce moment-là, justifiées deux interventions précédentes de ce brigand, deux citations de la bible. Ceci est l'un des multiples détails prouvant l'efficacité langienne. Quand Fox corrige Glennie et que celui-ci se redresse pour quitter les lieux, on remarque quelque chose dépassant de sa botte. Et oui, ce doit bien être le couteau qui manque, quelques secondes plus tard, de tuer Fox par surprise ! Quand le personnage de Jack Elam s'assoie sur une barrique dans la grotte, il fait tomber, sans s'en apercevoir, son chapeau, laissant seulement dans son dos celui de John, tapie dans l'ombre. Peu après, le gag du chapeau trop petit peut advenir. Quand Jeremy, déguisé en major, et John, se dirigent vers le puits au milieu du fort, ils disparaissent de notre vue mais le plan continue "anormalement" pour ne nous montrer qu'un garde en croisant un autre et le saluant. Tout simplement, cette fin de plan prépare la scène qui succèdera à l'épisode de la recherche du diamant : Fox a été pris réellement pour un officier et doit passer la troupe en revue.

    Cette efficacité ne souffre d'aucune facilité, tous ces plans étant "d'ensemble". Aucune coupe, aucun plan rapproché, aucune insistance sur le détail ne viennent mâcher le travail ni mettre en péril l'ordonnancement.

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    Et qu'il est beau que cette rigueur ne tue pas l'émotion ! Le jeune Jon Whiteley joue juste d'un bout à l'autre. Quant à Stanley Granger, il rend admirablement le sentiment d'une froideur, d'une distance, d'une dureté tout à coup ébranlée, cela dès la première rencontre avec ce "fils d'Olivia", puis dans toutes les autres séquences, y compris les plus simples comme celle de la proposition faite par le couple Ashwood repoussée à cause d'un départ précipité. John trouvé dans la grotte par les contrebandiers, Fox doit intervenir. L'enjeu dramatique est triple : refus apparent de jouer le jeu pervers des Ashwood, inquiétude devant la découverte d'une cachette et attachement au gosse.

    Ainsi, de chaque pierre composant le puits sans fond qu'est Moonfleet, on peut tirer un trésor.

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  • Convoi de femmes

    Cent quarante femmes à accompagner jusqu'à la Californie de 1851 pour un périple de trois mois, à travers rocailles, étendues désertiques et territoires indiens : voici la mission assignée à Buck Wyatt par son ami Roy, propriétaire d'un vaste ranch où ne s'affairent que des pionniers célibataires. Ces femmes, elles sont résolues à tout quitter, pour des raisons restant enfouies la plupart du temps, et à refaire leur vie auprès d'un mari choisi d'après un simple photographie.

    Convoi de femmes, avant de réunir, ne fait que séparer bien nettement. Les femmes d'un côté, les hommes de l'autre. Les migrantes et les quelques cowboys qui les escortent sous les ordres de Buck ont l'interdiction absolue de s'approcher de trop près les uns des autres. Le mur ainsi dressé entre les deux groupes donne à voir de manière fascinante cette différence entre les sexes (différence que Buck ne pensera longtemps qu'en termes de domination, de force et de faiblesse). Ce mur ne fait aussi, bien sûr, qu'exacerber les désirs, tant l'interdit est énorme et intenable.

    Ce principe posé à partir d'un argument déjà fort original à nos yeux, il ne peut se passer que des événements sortant de l'ordinaire, ainsi que des épreuves absolument terribles. Wellman, qui fond littéralement ses personnages dans le décor bien réel de pierre, de sable ou de boue, qui épure jusqu'à sa bande son dénuée de musique (ce sont les bruits des chariots, des coups de feu ou de fouet, des femmes qui chantent des berceuses, qui aident à accoucher et qui s'exclament, ce sont tous ces bruits qui font la musique la musique du film), n'épargne rien au spectateur des effrayants coups du sort. Buck avait prévenu : pour ramener cent femmes, il fallait partir avec un tiers de plus afin de prendre en compte les pertes. Personne, alors, n'est à l'abri. En un éclair, tel personnage auquel le récit semblait s'attacher particulièrement peut disparaître et la jeunesse ou l'amour ne met nullement à l'abri. La sècheresse de la mise en scène rend ces coups de tonnerre saisissants. Ils seraient mélodramatiques si le cadre westernien et l'avancée perpétuelle des membres du convoi n'empêchaient de s'apesantir dessus. Wellman ne fait pas de concessions. La violence et la dureté des événements qu'il choisit de traiter, la tension qu'il instaure, l'intransigeance et la droiture qu'il prête à ses personnages sont tels que les touches humoristiques, les plaisirs de la pause, les attendrissements passagers, n'apparaissent jamais comme des facilités mais comme des moyens d'enrichir la fresque, d'y glisser toutes les contradictions de la vraie vie.

    Remarquablement mis en images, alignant les plans noirs et blancs travaillés dans toutes leurs dimensions, Convoi de femmes est l'un des plus beaux et surtout l'un des plus émouvants westerns qui soient.

     

    CONVOI DE FEMMES de William Wellman (Westward the women, Etats-Unis, 118 min, 1951) ****

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  • Des monstres attaquent la ville

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    Si, à propos de la série B, l'expression "charme désuet" revient souvent, elle sert parfois à masquer trop facilement ce qui s'avère très insuffisant, voire totalement nul.

    Faire entrer un monde dans les étroites limites d'un cadre mis sous pression par les contraintes économiques et techniques, voilà l'un des buts communs à ces productions. Ici, dans le pourtant assez réputé Des monstres attaquent la ville, la tentative se solde par un échec. Malgré les efforts déployés, notamment au niveau d'un scénario qui impose pendant longtemps l'idée du maintien d'un secret absolu entre une poignée de personnes, le film de Gordon Douglas n'arrive jamais à justifier de façon convaincante que, dans une mésaventure aux répercutions si inquiétantes (est en jeu l'avenir de l'humanité, rien que cela), seulement quatre personnes (un policier, un agent du FBI, un scientifique et sa fille) se chargent de tout (enquête policière, exploration scientifique, décisions politiques, actions militaires...) et soient partout (parcourant le sud-est des Etats-Unis), du début à la fin, tout juste aidés (logistiquement pourrait-on dire) par l'armée dans la seconde partie.

    Parmi les aberrations narratives, la gestion du temps, court ou long, pose de sérieux problèmes au spectateur le mieux disposé. A peine l'appel à un gars du FBI est-il évoqué dans un bureau qu'il y déboule dans le plan suivant. De manière plus générale, la rapidité avec laquelle arrivent les événements laisse sceptique. L'idée du film est celle-ci : suite aux essais nucléaires de 1945 au Nouveau-Mexique, des fourmis ont muté pour atteindre une taille gigantesque. Les autorités s'en rendent compte lorsque, en l'espace de quelques heures, plusieurs personnes disparaissent ou sont retrouvées mutilées. Les maladroites tentatives d'explication du scientifique n'y font rien : on se demande bien pourquoi de telles bestioles (présentes par centaines) n'ont jamais été repérées auparavant, l'une des deux fourmilières ayant pourtant trouvé sa place dans les égouts de Los Angeles !

    Si dans les premières minutes Gordon Douglas parvient à créer une tension certaine en montrant uniquement le résultat de deux attaques dans le désert, celle-ci s'évanouit lorsqu'apparaissent les monstres sanguinaires, grandes et lentes peluches mécaniques bien inoffensives auxquelles même votre grand-mère, qui n'est pourtant pas bien vaillante, parviendrait à échapper. Ajoutons à cela des personnages transparents, l'invraisemblable sauvetage de deux jeunes garçons entourés par plusieurs mandibules ou le pauvre message final véhiculant l'inquiétude post-atomique...

    Certes, plus positivement, relevons aussi quelques passages évitant au film de sombrer entièrement, comme l'introduction déjà citée, traversée notamment par une petite fille rendue muette par la terreur, ou l'exploration du réseau d'une fourmilière géante en plein désert. Mais le film ne propose pas plus d'un plan marquant. Celui-ci arrive assez tôt. Il s'agit d'un surgissement, à la sortie d'un trou, qui toutefois n'a rien de terrible et ne donne rien de poilu à voir. C'est l'apparition, à la descente d'un avion, des jambes de la jeune scientifique à la jupe courte. Un instant coincée à mi hauteur de l'échelle verticale tombant du ventre de l'appareil, elle se présente d'abord ainsi à ceux qui l'accueille sur la piste : par ses belles gambettes.

    Ce moment mis à part, le film n'est vraiment pas fourmidable.

     

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    desmonstresattaquent00.jpgDES MONSTRES ATTAQUENT LA VILLE (Them !)

    de Gordon Douglas

    (Etats-Unis / 92 min / 1954)

  • Barbe-Noire le pirate

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    Barbe-Noire le pirate, se tenant aussi loin des réussites du genre que de celles de Raoul Walsh, est encore moins bon que dans mon souvenir. Ce film manque terriblement de souffle et, réalisé sans grande inspiration, il possède l'étrange défaut pour une œuvre tendue vers le large de paraître fort étriqué et bavard.

    Etriqué surtout dans sa première demi-heure, durant laquelle il prend la forme d'une pièce de théâtre de fond de cale. Si l'arrivée sur une île nous fait par la suite enfin respirer un peu du grand air, nous déchantons rapidement devant ce décor de studio imposant l'usage quasi-exclusif de plans rapprochés, les rares prises de vue en extérieurs réels s'intercalant difficilement. Le format presque carré du cadre contraint l'aventure et, le carton-pâte et les transparences aidant, le monde semble ne pas exister au-delà, s'arrêtant à chaque bord de l'image.

    Bavard, le film l'est pour expliquer les multiples péripéties jalonnant le récit et pour donner vie à la fameuse truculence walshienne. C'est essentiellement Robert Newton, héritant du rôle-titre, qui prend en charge cette dernière, cabotin cannibale attirant tout à lui et roulant des yeux comme il me semblait impossible de faire.

    La désinvolture de la mise en scène peut certes devenir, accidentellement, un atout, son "étroitesse" servant bien à rendre le tohu-bohu d'un abordage, mais nombre de plans tournés par Walsh sont anodins, peu travaillés (les fausses scènes de nuit, les inserts à la longue vue) ou naïvement conçus (les amoureux au bord de l'eau, l'arrivée de Sir Morgan sur la plage). L'intérêt de histoire et l'utilité de la plupart des personnages ne dépendent que des caprices du scénario, des suprises et des coïncidences qu'il ménage. La cruauté qui peut habiter Barbe-Noire, elle-même, s'efface.

    Le jeune spectateur peut s'en contenter mais le plus âgé n'est guère passionné par le spectacle.

     

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    walsh,etats-unis,aventures,50sBARBE-NOIRE LE PIRATE (Blackbeard, the pirate)

    de Raoul Walsh

    (Etats-Unis / 99 min / 1952)

  • Retour de La Rochelle (10/12) : Raoul Walsh (3/4 : les années 50)

    Rétrospective Raoul Walsh au 40e Festival International du Film de La Rochelle, suite.

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    La femme à abattre

    La femme à abattre est une production Warner entamée par Bretaigne Windust avant d'être reprise en main, pour cause de maladie, par Walsh, à la demande d'Humphrey Bogart, vedette du film. Le critique Edouard Waintrop, qui présentait ce cycle Walsh à La Rochelle, a profité de cette projection pour moquer une nouvelle fois le choix d'un titre français totalement inadéquat. Mais il a surtout signalé que ce film criminel était très représentatif du changement opéré chez le cinéaste au cours des années cinquante, la tonalité générale se faisant beaucoup plus sombre qu'auparavant.

    Effectivement, si cet Enforcer ne tient pas toutes ses promesses (ni celles de Waintrop qui le tient pour l'un des meilleurs Raoul Walsh), il s'avance vers nous de manière assez peu amène. Le flic Martin Ferguson (Bogart) et ses hommes ont coffré un chef de bande et protègent un témoin apeuré dans l'espoir qu'il tienne le lendemain au moment du procès. Mais la nuit s'avère dramatique et l'enquête doit repartir de zéro. L'originalité consiste donc à nous faire prendre l'histoire en cours de route, très près de sa fin même (mais cela nous ne le savons pas encore), et à nous proposer au bout d'un certain temps un nouveau départ.

    On rembobine donc, en suivant un flashback dans lequel viendront se loger plusieurs autres, donnant naissance à un récit-gigogne mais toujours clair. Cependant, le compte rendu de l'enquête est un peu trop répétitif par sa manière de nous faire rebondir d'un suspect à l'autre, d'un cadavre à l'autre. La mécanique est bien huilée mais peu productive en termes d'action et de psychologie (celle-ci est assez limitée, surtout en ce qui concerne le personnage principal).

    Heureusement, le film se signale par un dénouement aussi surprenant qu'astucieux et par sa représentation de la violence. Une violence sèche, terrible, cinglante. Dans La femme à abattre, les meurtres se font au rasoir de barbier ou au couteau et les ellipses qui caractérisent leur mise en scène démultiplient leurs effets, leur préparation nous laissant aisément imaginer le reste, le pire.

     

    Les implacables

    Les implacables, c'est un western de plus de deux heures composé de larges séquences au cours desquelles, bien qu'elles soient ponctuées de belles choses, la tension retombe parfois. C'est plus précisément un film de convoi. Il met toutefois assez longtemps à se mettre en marche, passant par de multiples étapes préparatoires (entre autres, une longue scène de romance dans une cabane).

    Décrivant à nouveau la vie d'un groupe, il offre son lot de sorties verbales et physiques mais les confrontations entres les personnages y ont de racines moins profondes, les caractères y sont plus tranchés, les revirements y sont plus rapides (parfois jusqu'au comique) que, par exemple, dans L'entraîneuse fatale. Entre Robert Ryan, l'homme qui "rêve grand", le capitaliste dur calculant tout afin d'en tirer le plus grand profit, et Clark Gable, l'homme qui se "contente de peu", l'individualiste vaincu (car sudiste) mais digne, têtu, pragmatique, vif et doté du sens de l'honneur, Jane Russell va devoir choisir après avoir réalisé (beaucoup moins rapidement que nous) que l'homme destiné à "aller le plus loin", celui qu'il faut admirer, n'est finalement pas celui qu'elle croyait.

    Ainsi, la piste suivie est plutôt balisée, au gré des tunnels habituels que sont les séquences de passage d'une rivière ou d'une étendue désertique par un immense troupeau, les indiens, quant à eux, comptant comme les obstacles naturels ou les intempéries. Walsh privilégie les plans longs et descriptifs (il en abuse de temps à autre). Dans le canyon où le piège indien a été tendu sont lancés à toute allure chevaux et bovins mêlés, sous les tirs croisés : voilà le morceau de bravoure, désorde visuel pas très heureux esthétiquement.

    Malgré ses qualités, Les implacables, est, à mon goût, un film qui s'étire trop et qui donne au final une leçon un peu trop simple. Il me semble destiné en premier lieu aux purs et durs parmi les amateurs de westerns.

     

    L'esclave libre

    Une fois le décor planté et le temps de l'enfance passé, un premier coup de tonnerre survient. Par la suite, au fil du récit de cette Esclave libre, ces coups ne manqueront pas. Pour commencer, donc, Amantha Starr, jolie fille du Kentucky, apprend la mort de son grand propriétaire de père, se voit spoliée de son héritage et découvre que sa mère était en fait une esclave. Immédiatement, elle se trouve réduite à ce rang infâme.

    Avec une Yvonne De Carlo moitié blanche-moitié noire, ce point de départ peut paraître tiré par les cheveux. Il propulse pourtant à l'intérieur d'une œuvre ambitieuse, intelligente, prenant à bras-le-corps son sujet, sans faux-fuyants. Une interrogation surgit : cette impression de densité vient-elle du fait que le roman adapté (de Robert Penn Warren) est un roman "sudiste" ? Plus précisément : le point de vue du vaincu ne serait-il pas (toujours ?) plus proche de la réalité que celui du vainqueur, tout à sa célébration ? Dans L'esclave libre, ne s'opposent pas les bons Nordistes et les mauvais Sudistes, les gentils Noirs et les méchants Blancs. En fait, on y trouve aussi bien des maîtres chassant et fouettant leurs esclaves que des personnes plus généreuses. Mais il y a plus complexe encore : ces dernières apparaissent parfois, aux yeux des Noirs, "pire" que les autres (car bardés de leur bonne conscience). Le plus compréhensif, le plus respectueux des sudistes avouera avoir été un négrier responsable de massacres en Afrique, tandis que le bon pasteur abolitionniste sera prêt à violer la désirable mulâtresse.

    Hamish Bond (Clark Gable) l'affirme à un moment donné : "L'égalité pour les Noirs, on en parlera encore dans cent ans !" Si la belle légende d'un Nord s'engageant dans la guerre civile pour libérer le peuple noir a perduré, un documentaire récent, The civil war, nous a rappellé, après d'autres, que la vérité était plus complexe et moins noble, notamment lorsqu'il a fallu intégrer les anciens esclaves dans les bataillons yankees. Et cela, L'esclave libre le montrait déjà clairement.

    Mais le film n'a pas qu'une qualité de clairvoyance historique. Dans ce mélodrame fiévreux, Walsh organise de fortes oppositions successives, en les modulant d'une scène à l'autre, jusqu'à les renverser parfois. D'où cette sensation de richesse narrative, d'approfondissement du sujet, de maintien d'un cap sous les éclairs mélodramatiques et les coups de vent scénaristiques, ceux-ci ne gênant ni Yvonne De Carlo ni Clark Gable ni Sidney Poitier (qui n'a rien ici de l'alibi holywoodien mais qui mène au contraire superbement une troupe d'acteurs noirs proposant un éventail de caractères beaucoup plus large que d'ordinaire).

     

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    walsh,etats-unis,polar,western,50swalsh,etats-unis,polar,western,50swalsh,etats-unis,polar,western,50sLA FEMME À ABATTRE (The enforcer)

    de Bretaigne Windust et Raoul Walsh

    LES IMPLACABLES (The tall men)

    L'ESCLAVE LIBRE (Band of angels)

    de Raoul Walsh

    (Etats-Unis / 85 min, 125 min, 125 min / 1951, 1955, 1957)

  • Retour de La Rochelle (4/12) : 2 films de Teuvo Tulio

    Parmi les rétrospectives organisées par le 40e Festival International du Film de La Rochelle, une était consacrée au Finlandais Teuvo Tulio qui fut, pendant une quinzaine d'années, avant et après la seconde guerre mondiale, l'un des réalisateurs scandinaves les plus importants.

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    Tu es entré dans mon sang

    Pour nous faire entrer tout de suite dans la tête de son héroïne, Réa, Teuvo Tulio commence par styliser au maximum sa mise en scène. Ainsi, les premières minutes de Tu es entré dans mon sang baignent dans une ambiance irréelle, la lumière isolant de manière artificielle les personnages dans les décors, des apparitions se faisant en surimpression. Ce sont en fait les vapeurs d'alcool qui altèrent la perception. Un flash-back se met en place pour nous entraîner dans les souvenirs récents de Réa, qui nous raconte sa vie, son ascension sociale et sa déchéance. Sa voix, off, nous guide... et devient rapidement un problème.

    En effet, omniprésente sur la bande son, elle recouvre tout, en confessions sussurées à notre oreille. Sous elle, défilent lentement des images de plus en plus guindées. La répétition stylistique redouble celle du scénario : un amour, puis un autre amour, et toujours l'appel de l'alcool produisant le même constat, le même état affligeant, décrit sans variations. Aussi étouffante que la présence de la voix off est celle de la musique, dont la solennité plombe encore le mélodrame. Le retour en arrière se termine en fait au bout d'une heure et les évènements se mettent alors à se bousculer dans un temps plus ramassé mais l'ennui persiste. On se détache alors définitivement de ce drame moral et figé, malgré les choix esthétiques qui le font tenir à l'écran.

    Réalisé en 1956, Tu es entré dans mon sang serait le dernier film "digne d'intérêt" de Teuvo Tulio, les pics de sa carrière se situant, d'après les spécialistes, en amont, au cœur des décennies 30 et 40. Malgré la déception générée par cette première expérience, la nécessité de lui donner une deuxième chance s'imposait donc à moi.

     

    C'est ainsi que tu me voulais

    Daté de 1944, C'est ainsi que tu me voulais, autre mélodrame, est pire. Bien sûr, il y a toujours (je devrais écrire plutôt, pour respecter la chronologie : "il y a déjà") le soin apporté aux éclairages, la création d'ambiances nocturnes pesantes, le travail sur les cadrages et le montage. Mais, malheureusement, se retrouvent surtout, de manière quasi-exhaustive, les tares qui rendent parfois possible la moquerie à l'encontre du genre mélodramatique. Les interprètes cèdent à tout moment à l'outrance, à la gestuelle démonstrative (l'actrice principale, Marie-Louise Fock, est particulièrement mauvaise) ; les rebondissements de l'intrigue abusent sans vergogne de notre crédulité (toutes les embûches que vous pouvez imaginer sur le chemin de croix d'une petite campagnarde poussée à la prostitution dans la grande ville, vous les trouverez ici, avec d'autres encore) ; les dialogues s'écrasent dans le poético-fatalisme le long des pavés luisants ; la musique se fait pléonastique et incessante ; les gros plans déclament ; le but est la moralisation. Impossible, dès lors, de tenter une remise en contexte historique, politique ou culturelle du film, de chercher à en débusquer les mérites esthétiques. Pour une fois, on ne blâmera pas ceux, nombreux, qui, lors des dernières minutes de la projection, ne purent réprimer l'envie de rire devant ce spectacle édifiant.

    Ayant eu pourtant, au départ, ma curiosité piquée, j'abandonnais là, découragé, mon exploration de la filmographie de Teuvo Tulio et laissais de côté les cinq autres films présentés. Tant pis pour lui, tant mieux pour Raoul Walsh...

     

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    tuesentre00.jpgcestainsi00.jpgTU ES ENTRÉ DANS MON SANG (Olet mennyt minun)

    C'EST AINSI QUE TU ME VOULAIS (Sellaisena kuin sinä minut halusit)

    de Teuvo Tulio

    (Finlande / 100 min, 100 min / 1956, 1944)

  • Rio Bravo

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    Au bout de cinq minutes, l'enjeu de Rio Bravo est fixé. Joe Burdette est emprisonné par le sheriff John T. Chance pour le meurtre d'un homme désarmé. Pendant les plus de deux heures qui suivent, Hawks va génialement se "contenter" de mettre en scène les multiples variations qu'autorise la situation posée (variations apparemment inépuisables puisque suivront bien sûr, en 1966 et 1970, El Dorado et Rio Lobo, deux descendants directs de Rio Bravo).

    Cependant, ce système qui se nourrit de lui-même ne dessine pas un cercle, pas même une spirale : il est fait d'allers-retours le long d'un segment. A une extrémité se trouve l'entrée de la ville, où se poste Dude pour filtrer le passage, à l'autre la prison. La bourgade de Rio Bravo ne semble exister que le long de cet axe-là. Hormis derrière le générique du début, nous ne voyons rien de l'extérieur de la ville, bien qu'il soit beaucoup question du juge attendu pendant plusieurs jours et de la diligence qui part ou arrive (elle-même, on ne la voit pas : comment Feathers pourrait-elle donc la prendre un jour ?).

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    Au milieu du segment sont situés deux lieux : l'hôtel de Carlos et Consuela où dorment Feathers et Chance, et le bar où se réunissent les hommes de Burdette et que fréquente Colorado avant qu'il ne prenne parti (personnage se signalant d'abord par son détachement, Colorado va intervenir d'une façon qui sera de plus en plus décisive). Le premier endroit est lumineux, chaleureux, accueillant, presque frou-frouteux. C'est le domaine de Feathers et de Consuela, Chance et Carlos y ayant rarement leur mot à dire. Les portes, fermées ou ouvertes, y sont aussi importantes que dans un film de Lubitsch. Le deuxième endroit, par opposition, est sombre et difficile à cerner. C'est un lieu de violence, uniquement masculin (bien que plus ordonnée, la prison, l'autre lieu masculin du film, partage bien des caractéristiques avec ce bar).

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    Pour débloquer cette situation qui pourrait ne jamais en finir, il faut opérer une translation. Ce sera le glissement vers l'entrepôt, lieu proche mais assez difficile à situer précisément. Le dénouement s'y déroule sous la forme de l'affrontement classique de deux groupes mais en se jouant, encore une fois, sur un axe, sur la ligne tracée par la marche de Joe Burdette et de Dude l'un vers l'autre lors de l'échange.

    Rio Bravo, c'est la cohérence d'un espace et une extraordinaire continuité cinématographique.

    La mise en scène de Hawks est d'une fluidité incomparable, prenant appui sur une technique impeccable. Pendant cent quarante et une minutes, pas un seul plan ne jure et aucun ne peut être qualifié de facile ou de médiocre. Ce sont des plans d'ensemble ou des plans moyens. Il n'y a pas, ou très peu, de gros plans, même lorsqu'il s'agit de souligner une réaction, même lorsqu'il faut montrer une mimique de Stumpy ou d'un Chance complètement désarçonné par Feathers. Ces plans ne taillent pas dans la séquence et ne brisent pas la continuité. Ils sont à rapprocher de ceux qui montrent par exemple Chance prêt à intervenir dans un moment de tension, esquissant un geste de soutien qu'il n'a finalement pas à réaliser.

    Cette juste distance entre la caméra et l'acteur sert bien sûr à toujours fondre le corps et le décor. Elle sert aussi à préserver la sensation du vrai, en mettant en valeur les gestes, que ceux-ci soient signifiants (la difficulté qu'a Dude à rouler ses cigarettes) ou pas (Chance a du mal à enfiler la manche de sa veste, Dude a la manie de ramasser une poignée de terre).

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    On agit mais on discute aussi pas mal, dans Rio Bravo. Souvent, ces discussions s'enclenchent suite à la demande faite par quelqu'un qu'on lui raconte ce qui vient de se passer à l'instant. Et là encore, Hawks varie les plaisirs, en faisant couper court (Pat Wheeler arrêtant Chance avant que celui-ci ne lui explique ce que Dude lui a déjà dit), en faisant rebondir sur autre chose (Colorado éclairant Chance et ses adjoints sur la signification de la musique jouée par les Mexicains), en donnant au fait une autre couleur (l'œil au beurre noir de Carlos suite à coup reçu non pas de Consuela mais de Feathers).

    Répétitions et dialogues font la longueur du film mais le style reste vif et sec. Quand Chance et Dude recherchent le tueur de Wheeler dans le saloon de Burdette, Hawks a besoin d'un seul plan pour montrer où il se niche, au dessus de toute le monde. Après avoir montré les gouttes de sang tombant dans le verre sur le comptoir, il ne remonte pas sa caméra pour faire le lien visuel mais enchaîne avec Dude qui dégaine. Toujours cette impression de vivacité.

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    Et cette impression de personnages en action. Des actions qu'ils doivent faire. Les vives discussions et les conflits dans le groupe de Chance ne viennent jamais à la suite de jugements moraux portés sur les uns ou les autres mais à propos de la capacité ou de la faillite d'untel à agir en fonction de ses attributions. Ainsi, si l'on entend parfois posée la question "Te sens-tu assez fort ?", on doit moins y déceler un éloge de la force qu'une interrogation légitime sur une aptitude (et sur un plan moins dramatique, on imagine pas Chance-Wayne chanter avec Dude-Martin et Colorado-Nelson : il se tient donc à l'écart de la scène). Dans ce groupe, la loyauté n'est jamais en doute et, même s'il contient un infirme et un ivrogne (et bientôt un Mexicain sachant mal manier les armes), il permet de tracer clairement la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.

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    Revoir Rio Bravo à intervalles réguliers est une très bonne chose.

     

    hawks,etats-unis,western,50sRIO BRAVO

    de Howard Hawks

    (Etats-Unis / 141 min / 1959)

  • Gare centrale

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    On entre dans Gare centrale comme on entre dans un film néo-réaliste italien : par la grande porte qui ouvre sur des décors urbains bien réels, qui donne à voir des silhouettes parmi la foule devenant sous nos yeux des personnages, qui entraîne vers la proximité et l'immersion totale. Sans le réfuter, ce néo-réalisme, Youssef Chahine va vite l'excéder, le rendre exubérant et extrêmement vigoureux.

    Il raconte une certaine histoire, celle de Kénaoui, le porteur de journaux amoureux, éconduit et en perdant la raison, mais il en greffe quantité d'autres, comme autant de ramifications qui la nourrissent. Le film est choral, datant d'une époque où cela ne se disait pas encore et où il suffisait de moins de 90 minutes pour bâtir une fresque. La grande gare du Caire est filmée par Chahine jusque dans ses moindres recoins. La vision du lieu est éclatée : il n'a pas de limites définies, sa topographie exacte est difficile à établir à partir des simples images. Cet éparpillement spatial fait écho à la société elle-même. Dans cet endroit où se côtoient sans cesse mendiants, travailleurs, résidents et voyageurs, les différences de classes apparaissent d'autant plus. Les différences dans les classes également. Si Chahine s'intéresse particulièrement aux démunis, si son regard est bienveillant, il n'en est pas pour autant angélique. Personne n'est fait d'un bloc. Et l'optimisme n'est pas toujours de mise.

    Certains personnages nous sont présentés avec force ou de manière truculente. Cependant, guettés par les stéréotypes, ils s'en affranchissent rapidement. Deux lignes de forces traversent le film : la pulsion érotique et la lutte sociale. Ce qui est étonnant ici, c'est que ces lignes n'arrêtent pas de se croiser et permettent souvent à parts égales l'évolution de personnages que l'on pensait au départ destinés à être définis uniquement à travers l'une ou l'autre. La place laissée au social est attendue, celle que prend l'érotisme beaucoup moins. C'est un érotisme qui dit surtout la frustration du personnage principal. Il n'empêche qu'il éclate partout sur l'écran, grâce aux photos de pin ups que découpe et accroche Kénaoui, grâce à la véhémence, à l'aisance corporelle et aux déshabillages d'Hanouma, grâce même à la corpulence de l'ouvrier syndicaliste.

    Les surprises sont constantes, l'agitation perpétuelle. Les gens traversent dans la profondeur du champ comme ils traversent les rails, n'importe où. Les acteurs déboulent dans le cadre sans qu'on les attende (Hanouma pique les billets de son fiancé en arrivant par en haut) et on les suit partout. Ils investissent tous les endroits possibles : on peut par exemple les retrouver à côté, dans ou sous les trains. Ce dynamisme est redoublé par celui de la mise en scène. Quand le mouvement n'est pas dans l'image (déplacement des acteurs ou bien de la caméra qui multiplie les travellings), il est créé par le montage, particulièrement alerte.

    Toutes ces tensions, ces courses, ces télescopages, à la fois thématiques, narratifs et esthétiques donnent une vigueur irrésistible, produisent des éclats (un plan magnifique d'Hanouma s'amusant à se balançer vers l'extérieur du train en marche, disparaissant par intermittences de la vue de Kénaoui) et rendent naturels les sauts d'un registre à l'autre. Ainsi donc, du néo-réalisme initial, on se retrouve dans une comédie pittoresque, puis dans un film politique, puis dans un mélodrame, puis dans une comédie musicale (l'une des plus extraordinaires scènes de danse "naturelle" qui soient), pour finir dans les griffes du film noir. A ce moment-là, se manifeste une autre drôle d'émotion. Kénaoui, que l'on a suivi pendant tout ce temps, c'est Youssef Chahine lui-même qui le joue. Il a d'abord été pris en pitié, puis s'est fait à la fois regard amoureux (l'histoire avec Hanouma) et observateur-témoin-relai dans l'un des micro-récits du film (celui de la fille et du garçon vivant leur amour et leur séparation forcée en secret), pour finir assassin et fou à lier, en camisole. L'image est très forte.

     

    A lire par ailleurs : l'enthousiaste chronique DVD d'un récent coffret Chahine, incluant Gare centrale, par Vincent Jourdan sur feu-Kinok.

     

    garecentrale00.jpgGARE CENTRALE (Bab el-Hadid)

    de Youssef Chahine

    (Egypte / 77 min / 1958)