***
L'esprit d'Archibaldo est sacrément tordu et le film l'est tout autant, bien qu'il le soit assez gaiement pour une histoire laissant derrière elle autant de mortes. Si les enchaînements à l'écran sont limpides, le temps est géré étrangement (un court flashback, un drame, un long flashback, un épilogue). Quand aux raisonnements et aux plans échafaudés par tous les personnages, ils sont particulièrement tarabiscotés, ne vont jamais simplement d'un point A à un point B. Tout n'est que substituts (travestissement, boîte à musique, mannequin), chemins détournés, jeux de comédie sociale, vies secrètes, faces cachées, désirs comblés mais autrement que ce qui est attendu (ce qui en gâche la satisfaction finale) : la mise en scène détaille les préparatifs d'Archibaldo ou illustre ce qu'il projette dans sa tête (dans ses films, Buñuel se satisfait rarement de deux niveaux narratifs, type présent/flashback, et ajoute souvent une couche, comme ici, la rêverie à l'intérieur du flashback) ; Patricia et son mari créent des situations de crise pour mieux solidifier leur couple ; Carlota a pour amant secret un homme marié ; à ses différents interlocuteurs, Lavinia désigne l'homme qui l'accompagne comme son mari, son père ou son oncle et le mannequin comme sa sœur...
Mais où Buñuel a-t-il été chercher ces beautés si singulières, pour qu'elles papillonnent autour d'Ernesto Alonso, en mâle mexicain impuissant, et qu'elles produisent autant d'étincelles érotiques ? Miroslava Stern (Lavinia, suicidée quelques semaines après le tournage), Ariadne Welter (Carlota), Rita Macedo (Patricia), Chabela Duran (la bonne sœur), Leonor Llausas (la gouvernante).
Un détail parmi d'autres prouvant le génie de Buñuel, et qui concerne le son. Archibaldo se rend chez Carlota et, juste avant de pénétrer dans la résidence, croise Patricia, qui lui fait du charme de manière très offensive. Troublé, il reprend son chemin, tandis que monte un thème musical (angoissant, indéfinissable, peut-être à l'orgue électrique ?). Deux contrechamps nous montrent alors la mère de Carlota, à la fenêtre, en train de l'observer. Au moment exact de la coupe, la musique s'arrête, pour revenir tout aussi brutalement au retour d'Archibaldo à l'image. Si la musique venait de la rue, cela se comprendrait. Mais sur de la "musique de film", "extradiégétique", de tels arrêts, cela ne se fait pas. Suprême audace, donc. Quoique... On se rend compte au final que ce thème musical, il ne vient que lorsque Archibaldo est en crise, dans un état second. Par conséquent, ce thème musical, il ne peut pas être "partagé". La coupe sonore est donc justifiée. Ce que l'on prend d'abord pour un agréable effet de distanciation n'a en fait rien de gratuit.