L'été passé, et notre emploi du temps n'allant pas en s'allégeant, il s'agissait de prendre une décision quant à la continuation de notre série mensuelle. Après mûre réflexion, devant la masse de courriers inquiets émanant de lecteurs fanatiques, nous avons décidé de ne pas saborder cette rubrique qui, en deux ans seulement, est devenue incontournable dans la blogosphère cinéphile internationale et de nous engager dans une Saison 3. Ainsi soulagés, nous pouvons tranquillement nous poser la question rituelle : Mais, Diable, que trouvions-nous donc dans les salles françaises en Septembre 1985 ?
Une ligne de force inattendue se dégage de ce mois-ci : la célébration des noces du cinéma et de la musique pop-rock. Mad Max, au-delà du dôme du tonnerre, troisième volet de la saga de George Miller créait l'événement. Mel Gibson en partageait l'affiche avec la tigresse soul Tina Turner. Le film fut, dans notre souvenir, reçu de manière assez tranchée, les uns affichant une déception tenant à la débauche spectaculaire et à l'humanisme messianique dont l'auteur chargeait son personnage principal, les autres saluant l'originalité de sa vision et son dépassement formel. Du haut de nos 13 ans et quelques, nous nous étions ralliés alors au deuxième groupe. Y resterions-nous aujourd'hui ?
En 85, le chanteur Sting, ayant déjà trouvé le groupe Police trop contraignant à l'endroit de son ego démesuré, misait autant sur la musique en solo que sur le cinéma. Dans La promise de Frank Roddam, il endossait les habits du Baron Frankenstein pour une variation romantique du mythe (en compagnie, charmante, de Jennifer Beals). Ai-je vu ce film ? Plus aucune idée... Plus fraîchement starisée (Like a virgin, 1984), Madonna jouait de façon plus modeste mais avec finalement un retentissement plus grand devant la caméra de Susan Seidelman pour la comédie urbaine Recherche Susan désespérément. Faute de l'avoir revu depuis, nous qualifierons prudemment le film d'agréablement mode et retiendrons surtout qu'il révéla une actrice particulièrement attachante, Rosanna Arquette (en attendant sa sœur...).
Il n'est pas jusqu'à James Bond qui n'ait succombé à cette vague. Dangereusement vôtre de John Glen, avec un Roger Moore dangereusement vieillissant (ce serait son dernier effort dans le costume de 007), bénéficiait non seulement d'un titre, bientôt hit mondial (A view to a kill), signé des garçons coiffeurs de Duran Duran, mais aussi de la présence singulière de Grace Jones en bras droit du méchant Christopher Walken. Plus sincèrement et plus profondément lié à la culture musicale contemporaine, porté également par un succès discographique renversant (qui m'est devenu aujourd'hui, pour de multiples raisons, quasiment inécoutable), (Don't you) Forget about me de Simple Minds, Breakfast Club de John Hughes a marqué durablement de nombreux cinéphiles de ma génération (bien qu'assez "secrètement", la plupart d'entre nous, et moi le premier, hésitant à jeter à nouveau un œil sur cette histoire de lycéens astreints à une journée de "colle" dans leur établissement désert).
Pour évoquer les rapports entre pop-rock et cinéma, nous nous arrêterons-là et nous garderons bien de gonfler ce corpus de films en y ajoutant P.R.O.F.S. de Patrick Schulmann au prétexte qu'il met en vedette Patrick Bruel. Si cette suite de sketchs en milieu scolaire n'est peut-être finalement pas si indigne que cela, la carrière musicale de son interprète principal l'est en tous points. Tant que nous sommes au rayon rigolade, passons sans regret sur Double zéro de conduite (italien, de Giuliano Carnimeo) et sur Le gaffeur (de Serge Pénard, avec Jean Lefebvre), mais rappelons le surprenant et historique succès public obtenu par Coline Serreau avec son aimable comédie sociologique Trois hommes et un couffin.
Deux grands auteurs étaient au rendez-vous de septembre : Maurice Pialat et Akira Kurosawa. Si nous reconnaissons que Police et Ran tiennent la dragée haute à presque tous les autres films de ce mois-là, nous avouons qu'ils ne font ni l'un ni l'autre partie de nos opus préférés au sein des belles filmographies des deux cinéastes. Venant après les superbes A nos amours et Kagemusha, et malgré leurs beautés respectives, ils peinent légèrement, selon nous, à réussir le grand écart entre un univers singulier et un genre bien défini (le polar) pour le Français et à faire oublier plusieurs longueurs (sur 2h45) et un hiératisme un peu pesant pour le Japonais. A l'inverse, Louis Malle en réalisant Alamo Bay effectuait sans doute son meilleur travail aux Etats-Unis. Très solidement charpenté, son film traitait avec une certaine force du racisme anti-vietnamien gangrénant une petite communauté de pêcheurs américains (emmenés par Ed Harris).
Dans cette liste mensuelle, d'autres œuvres sont certainement à découvrir : Dance with a stranger de Mike Newell, drame britannique de bonne réputation, situé dans les années 50 ; Dust de Marion Hänsel avec Jane Birkin et Trevor Howard ; Mystère Alexina de René Féret ; Notre mariage, mélodrame forcément distancié puisque signé par Valéria Sarmiento, épouse et collaboratrice de Raoul Ruiz ; Le pouvoir du mal réflexion philosophique de Krzysztof Zanussi ; Orinoko, essai poétique et historique du vénézuélien Diego Risquez. Avec plus de précautions, nous avançons les titres des films de Gérard Vergez (Bras de fer, Giraudeau et Malavoy bataillent sous l'Occupation), de Tobe Hooper (Life force, mélange d'horreur et de SF qui ne semble guère prisé, y compris par les connaisseurs), de Paul Morrissey (Le neveu de Beethoven, biopic franco-allemand), de James Bridges (Perfect, mêlant journalisme et aerobic, avec John Travolta et Jamie Lee Curtis), de Jeff Kanew (Touché, film d'espionnage) et de Yaky Yosha (Le vautour, drame israélien). Et ce n'est que poussé par notre volonté d'exhaustivité que nous mentionnons Les guerriers de la jungle (Ernst Ritter von Theumer), Les huit guerriers de Shaolin (Chou Ming), L'implacable défi (Bruce Le), Ninja III (Sam Firtsbenberg), Les 36 poings vengeurs de Shaolin (Chen Chih Hua), La femme pervertie (Joe D'Amato) ou Les confidences pornographiques de Lady Winter (de José Benazeraf avec Olinka, également à l'affiche de Je t'offre mon corps de Michel Leblanc).
Enfin, n'oublions pas L'homme au chapeau de soie, remarquable film de montage réalisé par Maud Linder en hommage à son père Max, figure aujourd'hui malheureusement bien oubliée du burlesque "primitif".
Dans les kiosques, du côté des mensuels (Cinéma devenant, pour quelques temps, hebdomadaire), les couvertures se faisaient sur le film de Pialat (Cahiers du Cinéma (375), Cinématographe (113)), celui de Miller (Starfix (28), L'Ecran Fantastique (60), Premiere (102), qui publia par ailleurs un numéro en août avec Alain Delon en vedette (101)), et celui de Roddam (enfin, surtout pour afficher Sting, comme le fit L'Ecran Fantastique pendant l'été (59) et parler du genre, comme La Revue du Cinéma (408)). A Positif (295), on attendait impatiemment la sortie du Ginger et Fred de Federico Fellini (prévue alors seulement pour janvier 86) et chez Jeune Cinéma (169) on célébrait le cinéma indien.
Voilà pour septembre 1985. La suite le mois prochain...
Commentaires
Ça tient toujours, The Breakfast Club !
Il y a bien deux ou trois sketchs drôles dans P.R.O.F.S. mais je ne suis pas sûr qu'en tant que suite le film ne soit pas tout de même quelque peu indigne (quant à la carrière musicale de Bruel, je ne m'y arrête pas).
Quant à Ran, je trouve (étonnant, non ?) personnellement qu'il s'agit d'un excellent Kurosawa notamment au regard de sa beauté partiellement empruntée à certains maîtres italiens.
Breakfast Club à mon avis peut tenir le coup bien que si ancré dans les eighties,de même que Recherche Suzanne...Peut-être parce que j'avais une demi-génération d'avance sur les jeunes héros de John Hughes.Ran,même un peu longuet vole tellement au-dessus de la production courante.Bon souvenir de Police.Vu également La promise et Le neveu de Beethoven,sans intérêt à mon gré.C'est très mal mais certains passages de P.R.O.F.S me font encore rire.Quant à Maud Linder nous l'avions reçue au ciné-club et il me semble me souvenir que les films de son père étaient infiniment plus intéressants que ses propos.
C'est pas que ça soit une échelle de valeurs bien reluisante, mais PROFS vaut bien mieux que Les Sous-Doués par exemple (exception faite de la "machine à apprendre"). On y cite même Vigo !
Pas très enthousiasmant tout cela. Je me souviens avoir été très déçu par le 3e Mad Max, avec toute sa bande de gamins, amusé par "Recherche Susan...", réfractaire à "Police" parce que réfractaire à Sophie Marceau, horrifié par le dernier James Bond de Roger Moore, l'endive veule, et un peu entre deux sur "Ran". Revu plus tard, le film du maître est effectivement beau, mais comme "Kagemusha", il pèse son poids. Je lui préfère la légèreté de "Maddadayo" en ce qui concerne la dernière période.
Pour le reste, d'avoir découvert "Breakfast club" sur le tard me laisse insensible à l'argument 80', j'aime bien le film.
J'ai un bon souvenir de "Bras de fer", sans plus et jamais revu, et "Lifeforce" n'est pas si mal, on y voit Mathilda May nue tout le temps ce qui n'est pas négligeable. Je préfère à Bruel, chantant ou pas.
C'est à peu près tout. tu n'as pas reçu mon mail fanatiquement inquiet ?
Merci pour ces points de vue complémentaires.
P.R.O.F.S., il y a bien longtemps que je n'ai pas osé y jeter un œil. Pourtant, il n'a pas manqué de diffusions TV. D'en parler ainsi me donnerait presque envie...
Breakfast club, il va bien falloir... Le recul est maintenant assez important, je pense.
Le montage sur Linder : honnêtement, je ne me souviens plus de la teneur du commentaire de Maud Linder, mais le film m'avait poussé à découvrir les merveilleux Sept ans de malheur et L'étroit mousquetaire.
Mad Max 3, j'avais aimé à cette époque. En revanche, je ne suis plus très sûr de l'ordre dans lequel j'ai pu voir les trois volets et c'est peut-être le premier que j'ai pu découvrir.
Police, dans mon souvenir, il y eut, au moment de sa découverte, pour moi aussi je pense, une réticence par rapport au casting (Marceau et Anconina).
Lifeforce ? Mathilda May ? Je le note...
Vincent, ton mail a dû se perdre dans la nuée de messages affolés qui ont fait exploser ma boite aux lettres. ;-)
Bonjour Ed, j'avais beaucoup aimé Dance with a stranger de Mike Newell et Mystère Alexina joué par le dessinateur Vuillemin (c'est dommage qu'il n'ait pas continué dans cette voie). Bonne journée.
Ah ça we didn't need another hero !
elle avait bien raison la Tina !
En revoyant ta liste c'est vrai que les films, mises à part les exceptions Kurosawa/Malle/Newell, ne m'ont guère laissé un souvenir impérissable... à part sans doute la baffe à Sophie ;)
Quant à Perfect, j'en rigole encore.
et pour finir : "MathildaMay Nue" c'est un pléonasme !
J'ai trouvé P.R.O.F.S. assez insupportable (et ce d'autant plus que Ran m'en avait dit presque du bien). Mad Max 3 fait partie des premières déceptions cinématographiques de ma jeunesse jusqu'alors particulièrement bienveillante à l'égard de tout ce qui venait d'Outre Atlantique. Et Dangereusement vôtre est un bien piètre Bond avec pourtant un très bon méchant : Max Zorin par Christopher Walken. Je ne l'ai pas revu depuis mon adolescence mais je l'avais trouvé stylé ! Je l'ai mis dans ma liste des 10 méchants : http://desoncoeur.over-blog.com/article-dix-mechants-au-cinema-par-nolan-56295085.html
Tout cela m'inquiète par rapport à un Mad Max que j'aurai plutôt été tenté de revoir...
Mathilda May est donc nue aussi dans "Toutes peines confondues", aux côtés de notre cher Patrick Bruel qui est moins constamment insupportable lorsqu'il fait l'acteur que quand il chante (j'ai un bon souvenir de ce Deville-là).
"Dangereusement vôtre" est en fait le dernier Bond que j'ai vu en salles. Lassé, je n'ai depuis jamais fait l'effort... Il me semble aussi que Walken était bien (pléonasme, non, Fred ?) mais honnêtement, il ne me reste pas grand chose du film aujourd'hui.
Enfin, comme le signale justement dasola, c'est Vuillemin qui jouait le rôle-titre du film de Féret, avec bonheur d'après les quelques avis que j'ai pu lire ça et là.
Le pléonasme exact c'est Walken est Parfait ;)
Mais la scène qui restera surtout (mis à part la partie de judoka entre le sus-nommé et la panthère noire du disco) c'est tout de même Grace Jones dans le plumard de Roger Moore qui disparaît littéralement dans le matelas sous les assauts de la sauterelle ! j'en ris encore :D
C'est vrai que Bruel est nettement moins mauvais en acteur qu'en chanteur mais son personnage est catastrophique dans P.R.O.F.S. (dont certains passages - sans Bruel - me faisaient rire quand j'étais jeune mais mon jugement ne fait qu'évoluer à la baisse sur ledit film). Il est également particulièrement mauvais dans L'Ivresse du pouvoir ce qui ne m'empêche de regretter la mort de Chabrol...