Un couple désargenté traverse Tokyo meurtri par la guerre. En 1947, Akira Kurosawa, qui n’a pas encore les coudées franches, tente la téméraire transformation d’une chronique sociale en poème humaniste poignant, au risque de détourner le regard de la réalité.
Inspiré à son auteur par Isn’t Life Wonderful, un D.W. Griffith de 1924, le sixième long-métrage d’Akira Kurosawa est un film de reconstruction traitant de la crise du logement et de l’emploi dans un Tokyo en grande partie en ruines. Découpé en larges blocs pour décrire une journée entière, Un merveilleux dimanche propose d’abord une peinture réaliste dont la potentielle rudesse rossellinienne est tempérée par des éclaircies de comédie. L’état peu enviable de la société japonaise est montré à travers les yeux d’un couple devant compter son temps passé ensemble et son argent au yen près. Dès le début, Kurosawa insiste sur les caractères opposés de l’homme et de la femme pour finir par adhérer totalement à la vision de celle-ci. En effet, à partir d’une longue scène-pivot placée en son centre, il tord entièrement son récit dans le sens féminin d’un optimisme et d’un romantisme indéfectibles. Audacieusement, il ne garde plus que la force des éléments (pluie et vent, qui lui sont chers, sont déjà convoqués) et du noble sentiment amoureux pour reléguer le réel en vague toile de fond, alors qu’il était jusque-là prégnant, installé avec quantités de détails signifiants. Le film devient ainsi de plus en plus onirique. Pris à contre-pied à mi-chemin et entraîné là où il ne s’attendait pas à l’être au sein d’une chronique sociale, le spectateur peut alors réagir de deux façons : soit il s’abandonne au rêve humaniste et à l’émotion véhiculée par les larmes de l’héroïne, soit il se braque devant la pruderie observée, l’évasion satisfaite dans la rêverie et la résignation souriante face au destin.
(Texte paru dans L'Annuel du Cinéma 2018)