(Peter Forgacs / Autriche - Pays Bas / 2006)
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Peter Forgacs est un documentariste hongrois, dont le travail consiste à retracer des parcours historiques uniquement à partir de photos et films amateurs du siècle dernier. Dans Miss Univers 1929, il évoque la trajectoire de Lisl Goldarbeiter, première femme non américaine à avoir remporté ce concours de beauté. Forgacs s'appuie pour cela presque exclusivement sur le fond iconographique familial et sur les petits films tournés par le cousin Marci.
Il ne faut pas s'attendre à un reportage, réalisé après coup, sur le sujet des Miss. Si les images des défilés de beautés en maillot n'ont guère changées en 80 ans, l'état d'esprit n'est plus du tout le même. Les lettres de Lisl, lues doucement en off, montrent bien l'inquiétude de quitter sa famille viennoise pour un long et pénible voyage en bateau jusqu'aux Etats-Unis, où a lieu le concours. Sa victoire, sa beauté et sa richesse soudaine lui valent une ronde de prétendants (et une proposition, repoussée, de King Vidor de la lancer à Hollywood). Le retour en Autriche est triomphal et Lisl se décide à épouser Fritz, le "roi de la cravate". Fritz dépense la fortune de sa femme au jeu et impose un ménage à trois avec Nelli, la meilleure amie de Lisl. Arrivent 1938 et l'annexion par Hitler, puis la guerre et les déportations juives (la moitié de la famille est exterminée). Fritz en fuite à l'étranger, Lisl se marie à Marci, son cousin, vit la révolution hongroise à Budapest et s'éteint en 1997.
Le film, tout en gardant son materiau strictement documentaire, bascule ainsi dans une sorte de fiction, de mélo familial, par l'art du montage, par la façon dont Forgas triture ses images de base. Usant du ralenti et d'une musique remarquable, il n'a pas de mal à mettre en avant ces personnes à la fois si proches et si fantomatiques. De brefs plans de Marci et de Lisl octogénaires, insérés par ci-par là dans le récit chronologique renforcent cette impression. Les événements historiques sont traités de façon admirables : juste quelques plans (un char dans une rue de Budapest, ou un défilé de la Wehrmacht) et une incrustation au bas de l'écran qui situe. Ce n'est pas un cours d'histoire mais un récit privé qui laisse entrer les bouleversements sociaux et historiques, montrant comment ils peuvent influer le cours de la vie de chacun.
Mais le plus beau du film n'est pas là. Je l'ai dit, la majorité des images ont été tournées par Marci. Celui-ci est amoureux, depuis l'enfance, de sa cousine. Alors, sous prétexte de filmer ses proches, de leur faire jouer des saynètes amusantes, il ne cesse d'enregistrer l'image de Lisl. Lisl sous toutes les coutures, en robes de couturier, en costume traditionnel, en maillot de bain (séquence d'une sensualité incroyable, redoublé par le travail de Forgacs). Marci ne semble voir qu'elle, le spectateur aussi. Le regard clair de Lisl attire le nôtre constamment. Celui de Forgacs aussi, qui utilise plusieurs fois un effet de mise en scène très beau : l'arrêt sur image montrant l'instant précis où le regard d'une personne fixe la caméra. En plus de retracer ainsi, en creux, l'histoire d'un pays, le cinéaste pose magnifiquement cette question : pourquoi filme-t-on (ou photographie-t-on) ses proches, et surtout, celle qu'on aime ? Et rarement nous était apparu la force que peut prendre tout à coup une simple image tirée d'un home movie familial.