(Steve McQueen / Irlande / 2008)
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Dès le début de Hunger, quelque chose ne va pas. Cette façon de suivre ce gardien de prison, ces contre-plongées dans le couloir, ces gestes quotidiens qui en disent long...
Dans Hunger, on m'a montré comme jamais la réalité de l'incarcération, les sévices, la survie, la démerde. Je le savais, maintenant j'ai l'illustration. Je le visualise mieux. Merci.
Hunger est un film à sensations, dans tous les sens du terme. Les excréments des prisonniers de l'IRA recouvrent les murs. J'ai pensé au film, bancal mais intéressant, de Philip Kaufman sur Sade (Quills, la plume et le sang).
Hunger accumule les scènes de bastonnades dans les couloirs de cette prison anglaise qui devient le symbole de tous les lieux où l'on bafoue les plus élémentaires des droits. Steve McQueen s'intéresse aux corps, déploie une mise en scène exclusivement physique et repousse les limites de la représentation en jouant sur la répétition et la durée.
En plein milieu de ce film aux dialogues rares, un plan séquence fixe de vingt minutes enregistrant une conversation entre Bobby Sands et un prêtre nous signale qu'il est temps de réfléchir après avoir pris tant de coups. Plutôt : il est temps d'écouter l'exposé. La lutte doit-elle être poursuivie de façon radicale ou la négociation doit-elle prendre le pas ? Le rythme des réparties est rapide, les partitions antagonistes coulent parfaitement, sans une butée sur un mot, sans une hésitation. Je suis au théâtre.
Séquence suivante : un employé nettoie le sol du couloir, inondé de pisse. Tout le couloir. McQueen laisse tourner la caméra indéfiniment (le temps de repenser aux discours précédents ?). Gage de radicalité. Bruno Dumont ne s'y est pas trompé, allez : Caméra d'or !
Dernière partie de Hunger : le martyr de Bobby Sands, gréviste de la faim. Description clinique mais recherche esthétique. Vomi et caméra aérienne en même temps. Le corps de l'acteur Michael Fassbender se transforme sous nos yeux. Performance.
Je peux voir toutes les horreurs possibles au cinéma. Je déteste en revanche voir la mort en direct, ou du moins enregistrée. Celle que l'on peut se repasser en boucle sur le net. Je regarde Hunger comme je regarde la vidéo d'un pauvre américain se faire sauter la cervelle devant une caméra de télé.
J'aime, au cinéma, être libre de mes mouvements et de mes pensées. Je me suis vu, devant Hunger, dans la peau d'Alex :
Commentaires
Entièrement d'accord avec vous, je n'ai pas du tout aimé la position dans laquelle ce film met son spectateur, l'obligeant à regarder l'horreur la plus totale sans le laisser respirer.
J'ai trouvé au final Hunger particulièrement pénible, et très toc dans sa volonté d'être choc...
Merci Anna. Heureux d'entendre quelques autres voix discordantes dans ce concert d'éloges.
Libre évidemment à chacun de déterminer le degré du supportable au cinéma, mais, pour ma part, je ne vois pas du tout Hunger, comme un simple film choc. Je n'y vois pas non plus "la mort en direct" mais plutôt la mise à nu de la précarité de l'existence, quelque chose qui a évidemment besoin d'en passer par le physique pour dépasser le discours ou le symbolique (même si elle est évidemment présente). Quelque part, sa démarche ne me paraît pas très éloignée de certaines immersions de Wiseman quand il nous décrit un hôpital, une prison ou un établissement psychiatrique : la dureté des images malmène l'humain pour, au final, mieux faire percevoir sa vérité.
Quant à la fameuse séquence dialoguée, je ne vois pas de théâtralité ou d'exposé là-dedans, mais là encore une grande vérité dans sa façon de faire dériver la conversation vers des sujets brûlants, de prendre le temps de les esquiver et d'y revenir. Ce temps-là, ces bifurcations du discours sont rarement montrées au cinéma (encore moins dans des oeuvres "radicales" ou "plasticiennes" qui ont la phobie du bavardage) et c'est ce qui fait l'une des singularités de la scène. J'ajoute que le visage du prêtre à la fin de la scène est, à lui seul, un grand moment du film...
Je devais être déjà trop exaspéré pour remarquer la réaction du prêtre dont tu parles. Moi, ces "bifurcations", je n'y ai pas cru un instant, n'y trouvant aucun naturel, sachant bien que le débat allait finir par arriver clairement : à mon avis, le dispositif en place à ce moment-là est bien trop ostentatoire pour qu'il en soit autrement.
Ce que je reproche à McQueen, c'est de livrer à la fois le film et son mode d'emploi, ce que ne fait jamais Wiseman (les images de "Titicut folies" par exemple sont tout aussi éprouvantes, mais s'inscrivent, sans formalisme, dans un projet bien moins refermé sur lui-même). McQueen nous dit tour à tour : là je vous choque, là je vous fait réfléchir, là je vous fait compatir (et tout le temps : je suis virtuose, je suis ambitieux, je suis engagé, je suis un nouveau grand cinéaste). Aucune échapatoire possible. Je n'ai rien tiré d'autre de Hunger qu'un malaise, puisque tous les autres niveaux d'interprétation du film m'ont été pré-machés. Je n'y ai ressenti que le choc, d'où mon rapprochement avec les vidéos sordides que l'on peut trouver sur le net, et la relative brièveté de ma note.
Bonjour
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Bonne continuation
Bonjour Ed, ce que tu as trouvé insupportable à l'écran (la mort en direct), personnellement cela n'a pas gênée. Ce n'est jamais que de la fiction. La mort de Bobby Sands fut certainement plus horrible. J'ai été vraiment sensible à la beauté du plastique de l'ensemble. Je décerne un Oscar au chef op'. Bonne journée et meilleurs voeux pour 2009.
Cher nageur nocturne,
Vous dites que vous aimez "être libre" au cinéma. Je peux tout à fait comprendre...
Mais je crois aussi savoir que vous aimez énormément Stanley Kubrick (que j'adore aussi, évidemment).
Ce metteur en scène est selon moi celui qui - par son traitement du cadre et du montage (principalement) - laisse le moins de liberté au spectateur. (Voir les travelings des sentiers de la gloire, par exemple).
Que l'on ne se méprenne guère, ce cinéaste un l'un de mes préférés, je voulais juste soulever un paradoxe dans vos propos (souvent excellents) et surtout lancer une discussion : le spectateur au cinéma ne choisit il pas de remettre son âme et sa confiance au cinéaste et donc de mettre en péril sa liberté.
Bien à vous.
Lucien.
Lucien, vous avez raison, notamment dans vos derniers mots. "Hunger" m'avait énervé et j'aurai dû mieux m'exprimer. J'ai tenté de préciser ces choses dans ma note de cette semaine sur "Bullhead", film qui m'a laissé une impression similaire. J'y ai senti une contrainte imposée au spectateur qui ne peut lire ces films que d'une seule façon. Il y a des systèmes de mise en scène en apparence plus contraignants encore chez d'autres réalisateurs que je peux apprécier, mais chez eux, le contrat est plus clair. "Hunger" et "Bullhead" sont des oeuvres plus retorses, avec des structures apparemment singulières mais relevant finalement d'une esthétique du choc univoque.
Chez Kubrick, il y a le cadre et les travellings mais il y a aussi un certain recul (y compris concernant la violence dans Orange mécanique, le "moins souple" des Kubrick). Il n'y a pas cette proximité réaliste répétée de "Hunger" qui tend à suspendre la réflexion.
Je le concède, tout cela est un peu flou. J'y reviendrai sûrement. (sans compter que, pour compliquer les choses, je viens de découvrir "Shame", qui m'a semblé extrêmement intéressant comparé à "Hunger")
Comme toi, j'ai trouvé ce Hunger assez pénible et ai beaucoup aimé Shame, alors que je ferai les mêmes commentaires mais pour des raisons différentes quant aux choix scénaristiques et de mise en scène.
Merci Wilyrah parce qu'il me semble que nous sommes très peu à juger ainsi, aussi différemment, les deux films de Steve McQueen.