(César Charlone et Enrique Fernandez / Uruguay / 2007)
■■□□
En nous collant d'entrée à la roue de Beto, père de famille uruguayen vivant de la contrebande transfrontalière cycliste et quotidienne de divers denrées, de manière attentive et empathique, les co-réalisateurs des Toilettes du Pape (El baño del Papa), César Charlone et Enrique Fernandez, nous mènent moins vers De Sica et son voleur de bicyclette que vers Ken Loach, celui des comédies graves et des petites victoires dans la défaite. Oeuvrant au sein d'une cinématographie des plus discrètes bien qu'ayant déjà donné naissance à au moins un coup d'éclat (Whisky de Juan Pablo Rebella et Pablo Stoll en 2004), les cinéastes arrivent avec ce premier long-métrage à faire naître chez le spectateur un peu plus que l'inévitable sympathie (parfois condescendante) qu'entraîne un tel effort.
Dès l'introduction, qui nous plonge en terrain accidenté dans une course poursuite inégale entre passeurs à vélo et douanier conduisant un puissant 4x4, la mise en scène bouscule la beauté du paysage et de la lumière rasante par un dynamisme venant du montage, de la mobilité du cadre et de la proximité des corps. La vivacité du style empêche la belle image de sombrer dans le cliché touristique. En conséquence, et même lorsqu'il s'agit de se poser en revenant à la maison, le rythme se fait quelque peu chaotique. L'inconvénient en est la mise en péril de la continuité des séquences. On sent parfois les auteurs coincés dans les articulations du récit et nous les voyons s'en sortir uniquement en passant par de brefs flash-backs superflus sensés faire comprendre sans ambiguïté aux spectateurs l'état d'esprit du personnage. Mais les petits heurts ont aussi leurs avantages. Ainsi, une toute petite chose anodine (un rendez-vous en cachette, un mensonge par omission) peut être évoquée en passant, sans insister ni y revenir, ce qui permet de laisser planer un doute, de faire marcher l'imagination. Ainsi également, la radio (la fille de Beto rêve d'étudier à Montevideo pour en faire son métier) et la télévision (une équipe de journalistes retransmet en direct la journée événement depuis la petite ville où le Pape Jean-Paul II doit prononcer un discours) n'apportent pas un surplus de réalisme mais plutôt une dimension presque fantastique, décelable notamment dans ces étranges moments, semblant briser la continuité temporelle, où le père apparaît sur l'écran sous les yeux de sa femme et sa fille.
On suit en arrière-plan les préparatifs d'une population comptant bien profiter de la venue dans leurs rues de milliers de fidèles en installant des stands de chorizo ou de galettes. Le récit principal tourne lui autour de Beto, de son idée si étonnante mais si logique de bâtir dans son jardin des toilettes qui soulageront les passants contre quelques pièces et de sa course après l'argent nécessaire à leur construction. Un compte à rebours journalier s'égrène mais l'histoire avance à son rythme, tranquillement, sans provoquer de suspense artificiel. Ce sont des petites pierres qui sont posées ici et là par les deux auteurs, pierres qu'ils ont le bon goût de ne pas transformer en éboulis scénaristiques : la survie financière, l'inévitable profiteur, l'espoir d'un ailleurs radiophonique...
Un grand événement apporte aux personnages des petites espérances (bien évidemment, il faut, en vérité, intervertir les deux qualificatifs). Il est impossible de ne pas s'attacher à ces figures, d'autant plus que tous les interprètes jouent justes et imposent d'emblée une présence évidente. Les cinéastes filment résolument à hauteur d'homme, de femme et d'adolescente et, même dans les situations inhabituelles, gardent le cap d'un respect scrupuleux de la pertinence des réactions en dédramatisant les crises, non par gentillesse mais par l'usage réaliste du compromis et de la compréhension mutuelle.
La réussite du film n'est pas totale. On regrette quelques facilités musicales, quelques lourdeurs humoristiques (le fou du village) ou la maladresse de la mise en scène de certains détails (la façon dont est filmée la mère, cachotière, au moment où elle va chercher des billets dans son bocal ne laisse aucun doute sur l'importance que prendra plus tard la préservation de ce maigre pécule). Mais ces toilettes du Pape restent tout de même des plus accueillantes. On y dit avec humour et lucidité deux ou trois choses essentielles sur la famille, la religion et la dignité.
(Chroniques dvd pour Kinok)