2020s - Page 5
-
Divers
Films vus ces jours-ci, du décevant à l'inattendu :- "Le Règne animal" (*) m'a semblé bien en-dessous des "Combattants", qui se développait de manière beaucoup plus harmonieuse. Le nouveau Cailley est plus un film de "visions", parfois convaincantes, d'idées de plans, parfois réussis, mais son déroulement est trop heurté et trop troué pour pouvoir emporter.- "Les Feuilles mortes" et "L'Eté dernier" (***) sont tels que la plupart les décrivent et les analysent, deux beaux films.Kaurismäki parvient à nouveau à faire passer l'étincelle dans les regards malgré l'immobilisme, et à réactiver des figures de style cinématographiques oubliées. Dans cet univers décalé, on en vient à sursauter quand déboulent deux jeunes filles dans un supermarché ou des plans de "The Dead Don't Die" là où l'on attendait Bresson ou Chaplin. Et c'est toujours assez passionnant de voir comment le contemporain s'infiltre dans ce monde a priori si hermétique.Breillat ne déroule pas le tapis rouge à l'entrée de son film, qui demande du temps pour l'appréhender et l'apprécier. La bascule se fait peut-être au moment, magnifique, où "Dirty Boots" de Sonic Youth se fait entendre (mais c'est dommage qu'elle le reprenne en sourdine dans le bar quelques minutes plus tard). A partir de là, le film devient plus souple, jusque, bien sûr, aux tensions du dernier tiers. C'est très fort sur les cadrages (le premier baiser !), les positions des corps, les regards (l'insistance sur le regard par en-dessous du garçon, qui n'a plus la même signification dans la dernière partie).- Du "Consentement" (***), de Vanessa Filho, j'avais un peu peur et mes craintes se sont aussitôt envolées (pas lu le livre). JP Rouve m'a tout à fait étonné en Matzneff-Nosferatu. En partie grâce à lui, la réalisatrice a pu trouver la bonne distance pour filmer cette histoire d'emprise, pour styliser juste ce qu'il faut et empêcher que la contrainte soit aussi celle sordidement imposée au spectateur. La mise sous pression par la réputation, les mots, la voix, puis par le corps, la manipulation et le terrible renversement (l'abuseur se disant abusé), tout est très bien montré. Il y a même le recours très risqué à deux éléments (le fameux extrait d'"Apostrophes" et une chanson de Barbara) qui donne en fait deux scènes très réussies (avec Laetitia Casta, très bien dans le rôle de la mère). -
Le Gang des Bois du Temple (Rabah Ameur-Zaïmeche, 2023)
***
Bien aimé "Le Gang des Bois du Temple" de Rabah Ameur-Zaïmeuche. N’ayant vu jusque là, sans grande passion, que deux de ses films précédents, j’ai apprécié ici le resserrage de boulons consécutif à l’inscription franche dans le genre criminel. L’équilibre est bien trouvé entre moments de stase, en dialogues (qui semblent) improvisés ou en observation calme, et emballements dramatiques qui, dans un engrenage attendu, restent surprenants quand ils adviennent. C’est dû aussi à l’intéressante "choralité", à la diversité des points de vue qui fait mine de provoquer des détours pour mieux se recentrer. Encadré par le genre (il l’est aussi par deux beaux moments musicaux), le récit tient bien et on peut profiter des singularités de la mise en scène de RAZ.
-
Moonage Daydream (Brett Morgen, 2022)
***
Le film de Brett Morgen, est vraiment "immersif", par ses qualités enveloppantes, ce qui en fait un documentaire "avec" Bowie plutôt que "sur" Bowie. Spectaculaire montage d'archives uniquement guidé par les propos du chanteur (et quelques relances de journalistes), "Moonage Daydream" donne l'impression rare d'entrer dans sa tête, de partager ses visions et intuitions, d'apprendre vraiment comment il se voyait lui-même à chaque étape de sa carrière. Ce montage est tellement vif qu'il faut tout de même un moment pour s'y habituer. Par ailleurs, il vaut mieux bien connaître les différentes étapes de cette trajectoire artistique pour se repérer car même si l'avancée est chronologique, elle est surtout "thématique", fixant des époques successives en fascinants déluges d'images et de sons, sans quasiment donner aucun titre d’album, film ou chanson. Comme on se tient loin du didactisme conventionnel, cette précieuse proximité avec l’œuvre a un prix : il faut accepter que tout ne soit pas abordé, que tel morceau ne remonte pas sur la bande son, que telle image ne soit pas insérée ("Twin Peaks" ? mais le montage de Morgen est déjà, en quelque sorte, lynchéen), que des périodes soient survolées ou réduites à un thème (celle de "Outside"/"Earthling" à celui du chaos en une seule et longue séquence construite sur "Hallo Spaceboy"). Les créations visuelles et sonores de Bowie sont de toute façon si nombreuses qu'une heure de plus n'aurait pas suffi. Les 2h15 passent très vite et derrière le parti pris s'apprécie la fidélité envers l'univers ainsi transposé/remodelé.
-
Fairytale (Alexandre Sokourov, 2022)
***
D'une idée folle (Churchill, Hitler, Mussolini, Staline et leurs nombreux doubles errent, discutent et s’asticotent au purgatoire en attendant de savoir si Dieu leur accordera l'entrée au paradis), Sokourov tire une expérience cinématographique incroyable, qui interroge autant qu'elle fascine. "Fairytale" est certes bavard, voire radoteur, mais sa relative brièveté (1h20) fait que ce handicap reste surmontable, la quantité de textes s'accordant d'ailleurs plutôt bien à la lenteur des gestes et déplacements obtenue par le ralentissement des images (le fait que chacun parle dans sa langue contribue aussi à contrer la monotonie). En deepfake ou pas (Sokourov récuse le terme, sans doute en partie pour garder sa position d'artiste, loin des bidouilleurs de l'internet, mais la technique semble au moins proche), des images sidérantes sont créées, particulièrement lors des séquences où les "personnages" sont confrontés aux masses qui les ont vénérés, formes mouvantes, liquides. Des séquences d'une texture audio-visuelle que l'on n'a jamais vue ailleurs. Gris, le film donne une idée de l'enfer, de l'éternel et tragique recommencement de l'Histoire, de la folie des maîtres du monde et de celle des foules hypnotisées. Grand film d'horreur.
-
Les Herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan, 2023)
***
Film long, beau et rude comme l'environnement de ce village reculé d'Anatolie, presque entièrement fait de conversations qui font mine d'épuiser les sujets mais ne lèvent jamais toutes les ambiguïtés, qui sont admirablement construites sur des oppositions pour mieux approfondir chaque caractère, qui échappent à la théorie par les simples sons d'ambiance (neige qui tombe, eau de source qui coule) ou par les éclairages intérieurs révélant les personnages. Il est parfois dur d'escalader un relief mais une fois arrivé au sommet, quel point de vue sur le monde !
-
Vers un avenir radieux (Nanni Moretti, 2023)
***
On l'avait laissé sur le faux-pas de "Tre Piani" mais voilà que Nanni Moretti remet son cinéma à l'endroit en revenant à sa veine fantaisiste et semi-autobiographique. "Vers un avenir radieux" est une merveille d'humour, de mélancolie et de sincérité, une réflexion touchante sur le couple et le temps qui passe, sur l'Histoire qu'il faudrait refaire, et surtout sur le Cinéma, celui d'hier et d'aujourd'hui malgré tout, celui qui continue d'illuminer la vie et d'être porteur de sens malgré tous ceux, de plus en plus nombreux, voulant le transformer en une série de produits. On se sent dans ce film à la fois en vie et fragile, comme sur une trottinette électrique.
-
Wahou ! (Bruno Podalydès, 2023)
***
Pas du tout fanatique du cinéma de Bruno Podalydès, j'ai d'abord été inquiété par les premières minutes de "Wahou !", par la fantaisie immédiate un peu forcée de la séquence avec Agnès Jaoui, puis par les dialogues en phrases bien découpées d'Azéma-Mitchell. J'ai eu peur que ce ne soit qu'un film à sketches. Or l'aspect répétitif se transforme vite en véritable atout, permettant d'enrichir par petites touches dans les mêmes cadres sans jamais s'éparpiller inutilement, pour aboutir à des scènes drôles mais aussi très touchantes, le personnage de Podalydès se décontenançant au fur et à mesure, celui de Karin Viard se fissurant, tous les autres "existant" également, par-delà leurs défauts (entre autres, alors que c'est souvent pénible les crises de larmes, ici le moment avec Florence Muller est très beau, en lui-même, mais aussi parce qu'il est "préparé" par les instants d'angoisse précédents de Viard).Allez savoir pourquoi, les deux seuls films (même si je n'ai pas tout vu) de Podalydès que j'aime vraiment sont ceux comportant un point d'exclamation dans leur titre, "Bécassine !" et "Wahou !". -
Trenque Lauquen (Laura Citarella, 2022)
***
Une femme disparaît. Plusieurs histoires, liées à cette fuite, sont racontées à la suite les unes des autres ou encastrées les unes dans les autres. Contrairement à ce que l'on croit au début, ce n'est pas tellement de variation des points de vue qu'il est question. Au lieu de se confronter, les différents récits semblent plutôt se déposer en couches, et plus précisément en calques. Avec cette succession qui devient superposition (on trouve logiquement quelques compositions en reflets et quelques fondus enchaînés), on observe d'étranges phénomènes de révélation ou d'opacification, de décalage ou de transposition, d'effacement ou de mise en avant, de transformation spectrale ou de consolidation, tout cela concernant les personnages principaux mais aussi des objets, des détails. Petite (longue) merveille.
-
Sparta (Ulrich Seidl, 2022)
***
Moins répétitif que "Rimini" et s'aventurant sur un terrain beaucoup plus glissant, "Sparta" consolidera les jugements des uns et des autres sur le cinéma d'Ulrich Seidl, que l'on aime ou que l'on déteste, depuis "Dog Days", sans pouvoir changer de camp d'un film à l'autre, tant le réalisateur reste fidèle à ses principes. Il donne ici à voir la transmission d'un héritage fasciste en parasitant ce thème par celui de la pédophilie, abordée de façon très particulière, à travers un personnage qui aurait grandi trop vite, qui aurait voulu pouvoir refuser de passer à l'âge adulte, qui ne s'y retrouve pas. Sujet plus fort, donc, que celui du film précédent et qui rend d'autant plus évidente la singularité de la mise en scène, rigoureuse mais ouverte, jouant des limites, laissant dans les cadres, malgré tout, des possibilités de sorties ou de fuites, finissant toujours par désamorcer, d'une manière ou d'une autre (humour, grotesque, ellipse, collage immédiat d'un plan plus "rassurant"...), la tension et donc le malaise.
-
Sur l'Adamant (Nicolas Philibert, 2023)
***
Plutôt saisi par le nouveau doc de Nicolas Philibert, "Sur l'Adamant", qui oscille entre directif et non directif comme entre folie et normalité, et qui s'appuie joliment sur l'idée de perméabilité à partir du lieu lui-même, ouvert, et de sa situation dans la ville, pour la prolonger notamment par le maintien des bruits extérieurs.