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2020s

  • Islands (Jan-Ole Gerster, 2025)

    **

    Certains ressorts ont largement servi auparavant, comme ce personnage principal de quadra usé avant l'heure et tout désigné pour plonger à la fois dans les emmerdes et le doute. Mais l'un des doutes les plus prégnants, qui porte sur une paternité, est habilement distillé. Et globalement, le film, en drame psychologique menaçant de verser dans le thriller, possède un agréable côté "à l'ancienne" (chabrolien ? puisque c'est de saison) avec son montage calme, sa musique insidieuse, sa facture soignée et sa conduite assez lente, comme écrasée par le soleil, sans être ennuyeuse.

  • Beau is Afraid & Eddington (Ari Aster, 2023 & 2024)

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    Plutôt déçu par Eddington, que j'espérais supérieur au vilain petit canard Beau is Afraid, rattrapé la veille. Finalement, Beau me paraît plus attachant, même s'il génère son lot de malaises. Collant à un personnage qui traîne les pieds, il est trop long et trop lent mais chaque segment a son intérêt, avec une narration enroulée sur elle-même toujours de manière différente. L'étrangeté est là tout de suite, ce qui prive du plaisir du dérèglement progressif. Qui plus est, deux points de vue, ou deux forces, interne et externe, semblent coexister : on a du mal a savoir si nous sommes dans le cerveau de Beau ou s'il est victime d'un incroyable complot.
    Eddington est aussi trop long, et décousu, dispersé. Aster a voulu résumer, sur une échelle réduite, tous les maux de l'Amérique. Il a aussi recouvert le tout d'ambiguïté, jusqu'à la confusion. Ce qu'on ne peut pas lui enlever, cependant, c'est son sens de l'espace, qui lui permet notamment de filmer la distanciation sociale en temps de Covid.
    Il faut bien évoluer et le gars ne manque pas d'ambition, mais je regrette pour l'instant la force plus concentrée que possédait Midsommar (toujours pas vu Hérédité).

  • L'Accident de piano (Quentin Dupieux, 2025)

    **

    Pas très fan du segment central avec la longue interview : même si on sent Dupieux projeté dans le personnage de "l'artiste" sommée de s'expliquer, ce n'est pas plus intéressant que ça, et par ailleurs, les flashbacks insérés répètent cette comédie de l'insensibilité déjà vue chez lui. Mais j'ai apprécié la mise en place et surtout la noirceur désespérée de la dernière partie, jusque dans ses contradictions (le rapport à l'argent, qui revient dans l'ultime réplique).

  • The Phoenician Scheme (Wes Anderson, 2025)

    ***

    Miracle. Il m'aura fallu attendre la septième tentative pour aimer absolument un film live action de Wes Anderson (ses deux animés m'avaient bien/beaucoup plu), de l'explosive première séquence à la dernière, plus simple. La violence du monde s'est immiscée dans son univers protégé et même la musique s'est (favorablement) alourdie, sans sucre pop. Les épisodes de cette aventure exotique sont suffisamment variés, les apparitions des vedettes disséminées, les figures de style convoquées à bon escient (oubliée l'insupportable monotonie des travellings latéraux d'Asteroid City). Le segment presque final où Benedict Cumberbatch s'est fait la tête de Fantômas, c'est beau comme du Feuillade. Michael Cera est deux fois très bon en agent démasqué. Je découvre Mia Threapleton, toute de blancheur, face au bloc noir Benicio Del Toro, en Citizen Kane blessé, le point fort du film, l'élément le plus déterminant. Il apporte une épaisseur, une vibration remontant de loin, une présence directe sans second degré redondant. Ces personnages, qui n'ont pourtant au départ pas grand chose pour eux, m'ont paru pour une fois incarnés et sensibles, finalement très émouvants.

  • Le Répondeur (Fabienne Godet, 2025)

    **
     
    Bien aimé cette comédie sans prétention qui, à partir d'une situation invraisemblable, se développe assez finement, en évitant pas mal de pièges (évidemment quelques quiproquos mais sans avalanche). Le rythme peut paraître inégal mais c'est aussi parce que le temps est laissé à chaque scène (on aime ou pas les moments d'imitations en stand-up mais, au moins, la durée leur confère une certaine vérité). J'aime bien aussi l'approche des personnages : la satire du milieu parisien de la culture ne frappe pas aveuglément car chacun a sa chance, ne serait-ce qu'un court instant, et les seuls personnages entièrement désagréables sont laissés hors-champ, au bout du téléphone, ce qui m'a paru être un principe intéressant.

  • Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé (Bogdan Muresanu, 2024) & Libertate (Tudor Giurgiu, 2023)

    * / ***
    Deux films roumains qui traitent de la révolution de 1989 et de la date pivot du 21 décembre, l'un racontant les prémices, l'autre les conséquences. Pas de révélation du niveau Porumboiu-Mungiu-Puiu de la grande époque mais ma préférence va nettement au second, qui pourtant, je crois, a été moins mis en avant.
    "Ce nouvel an..." est un film choral qui, au-delà de ce principe de départ, ne m'a guère semblé aventureux, ni dans sa forme, ni dans son contenu. Le placement de tous ses personnages dans un état de fébrilité permanent est assez artificiel et chaque trajectoire plutôt convenue, avec beaucoup de choses prévisibles, à l'image de la demande de la vieille dame, rechignant à abandonner son appartement, qu'on l'aide à colmater ses fenêtres de chambre. Le choix du "Boléro" de Ravel pour mener le dernier mouvement me semble symptomatique : créer de l'émotion et de l'unanimisme à peu de frais.
    L'agitation et la tension sont bien plus justifiées par la situation dans "Libertate" qui, d'ailleurs, choisit avec beaucoup moins de facilités et plus d'audace le decrescendo pour aller à son terme. Son côté thriller, ou film de guerre, ne l'empêche pas de prendre des petits détours, de s'octroyer des pauses, au fil d'une mise en scène habile et prenant consciemment le risque de laisser pendant longtemps très peu de repères au spectateur. La choralité du récit prend cette fois l'allure du hasard et ne dégage que tardivement une hiérarchie parmi les personnages, sans que l'on puisse la prévoir au début. En recréant dans une piscine vide un microcosme où se retrouvent, sous la menace de l'armée, policiers, membres de la Securitate, révolutionnaires de la première heure et simples passants, sa principale qualité est de toujours laisser la place au doute sur chacun et de démontrer courageusement combien il est difficile, impossible même, de juger les gens à chaud, sur l'instant.

  • The Insider (Steven Soderbergh, 2025)

    ***

    Retourné comme un gant. D'abord un peu agacé par le glacis, par le cynisme, par les bavardages, par la déshumanisation. Puis la mécanique s'emballe, merveilleusement perturbée ("to disrupt", formule de Fassbender en réaction). Et surtout, le facteur humain finit par émerger, enfin (notamment, avec "éclat", dans cette grande scène de retour autour de la table), préservant ce couple singulier. Bravo Steven.

  • Vermiglio ou la mariée des montagnes (Maura Delpero, 2024)

    ***
     
    Vermiglio est un village isolé des Alpes italiennes. Quand débute l'histoire, sa population attend la fin de cette seconde guerre mondiale qui s'éternise.
    Le sous-titre du film pourrait indiquer un conte, avec une héroïne. Mais c'est bien d'une chronique familiale qu'il s'agit, à laquelle chacun, chacune surtout, contribue. Le scénario tisse les relations d'une dizaine de personnages, relations étroites, presque magiques, avant de les éloigner mais tout en maintenant un lien invisible.
    Les séquences elles-mêmes sont à la fois autonomes, dans leur beauté plastique, et reliées par la musicalité de la mise en scène et par celle des voix. Ces voix singulières d'enfants, de femmes, d'hommes, traversent le film en débordant souvent d'un plan à l'autre. C'est dire l'importance de la parole (dite, donnée, écrite).
    Voix et images. La réalisatrice Maura Delpero signe une œuvre austère mais sensible, un mélodrame épuré, une succession de tableaux vivants à la photographie sublime.