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2020s

  • Ce que cette nature te dit (Hong Sangsoo, 2025)

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    Bizarre bizarre ce on-ne-sait-plus-combien-tième film de HSS. Il est à la fois transparent, direct, évident, dans la qualité de son interprétation, dans sa narration et dans ses thèmes, critique de la bourgeoisie éclairée, interrogations sur la pratique poétique, sur l'indépendance de l'artiste, sur le confort matériel. Mais dans l'extrême longueur des séquences se produisent des renversements, des changements de point de vue sur les personnages, phénomènes culminant évidemment dans la bascule alcoolisée au moment du dîner. Par ailleurs, il y a ces hésitations étonnantes au début, ces personnages dont on parle longtemps avant leur apparition, ces instants d'attente fébrile pour l'invité, cet étrange circuit nocturne avec chute, ces mêmes cadrages qui reviennent... Sans que rien ne soit changé des procédés habituels (si je comprends bien, le cinéaste est maintenant quasiment tout seul avec ses comédien(ne)s), j'ai vu, en creux, plutôt qu'une comédie familiale, un terrible film d'horreur, un sanglant survival, le grand slasher de HSS.

  • Nouvelle Vague (Richard Linklater, 2025)

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    C'est globalement amusant et plaisant parce qu'assez vif (alors même qu'il n'y a pas d'enjeu dramatique, juste le déroulement des jours de tournage). Le soin apporté à la reconstitution (+ le format et le noir et blanc) fait qu'il n'y a pas de gêne à ce niveau-là. On sent le besoin de Godard de tourner à tout prix et, ce qui m'a paru au début l'angle le plus original du film, malheureusement pas trop développé ensuite, le mélange d'amitiés et de jalousies parcourant (et poussant) le groupe des Cahiers. C'est un bon making-of mais son principe de reproduction l'empêche d'être un grand film car on n'y voit pas (moi en tout cas) ce qui appartient à son auteur. L'inventivité d'un geste, d'une situation ou d'un dialogue semble toujours due à Godard, à ses collaborateurs ou à son époque, mais pas aux responsables de "Nouvelle Vague", qui est une sorte d'agréable capsule.

  • Une bataille après l'autre (Paul Thomas Anderson, 2025)

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    Comme toujours, il est impossible de savoir à l'entrée du film où l'on en sera à la sortie, alors même qu'Anderson a choisi d’œuvrer dans le cadre, souvent contraignant, du thriller. L'étirement est l'une des manières de s'affranchir des codes (la gestion du temps long n'a jamais été un problème pour lui). Pour ce qui est du début, à ce stade-là, doit-on parler d'introduction, de préambule ou de première partie ? Combien de temps dure réellement la fuite de DiCaprio et le morceau "frappé" au piano qui l'accompagne ? Quel est le nombre de bosses que doivent passer les trois voitures qui se poursuivent (ou plutôt le nombre de vagues puisqu'on se rappelle alors un dialogue précédent) ? Comme d'habitude, les repères disparaissent, en tout cas ceux que le cinéaste n'estime pas nécessaires. Ainsi le film n'est pas daté et nous laisse le choix en quelque sorte de le faire à sa place, avec ce seul écart de "16 ans plus tard". Bien sûr, cette histoire, à quelques années près, est contemporaine, ce qui prouve entre parenthèses que PTA peut aussi filmer au présent (ce qu'il n'avait pas fait depuis Punch-Drunk Love). Et comment ! Si les premières minutes peuvent laisser penser qu'un parallèle sera établi (la fameuse "menace des extrêmes", brrrr) ou que seront interrogés les moyens de l'action révolutionnaire, la suite indiquera très clairement la direction : l'indispensable résistance au fascisme. La fin doublement positive, dans l'intimité et dans l'engagement, est porteuse d'un autre mince espoir qui repose sur l'idée que ce fascisme s'affaiblit à la fois des coups portés et de ses propres tensions internes, résolues dans l'absurdité et la bêtise. Il y a en effet une part de grotesque dans l'aventure, l'une des façons de vivifier et de déborder du cadre (de même la lubricité peu glorieuse). Le film est imprévisible quelle que soit la hauteur d'observation car il l'est au niveau des séquences, voire des plans. C'est l'une des forces du cinéma d'Anderson depuis toujours : surprendre alors même que tout semble maîtrisé. On ne peut jamais deviner ce que sera l'instant suivant, alors que, souvent, des signaux imperceptibles sont disposés avant : les "vagues" évoquées plus haut, ou encore la façon dont la chute du toit, stupéfiante, est "préparée" par le retard pris par le personnage dès le début. La dérive, ce n'est pas le n'importe quoi. Le film est tellement riche qu'il faudra y revenir (l'ampleur du tableau tient à la multiplicité des lieux et des personnages, qui s'imposent à l'écran quelle que soit la durée de leur présence, parfois brutalement écourtée - coucou Alana Haim !). Y revenir la tête froide et en connaissance de cause pour mieux le situer, notamment dans la filmographie de PTA, en dehors de la faible concurrence états-unienne actuelle qu'il domine forcément de la tête et des épaules, Eddington compris.

  • Sirat (Oliver Laxe, 2025)

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    Je suis reconnaissant à Oliver Laxe d'avoir donné dès le début la définition de Sirat, le pont entre paradis et enfer, et d'avoir placé ainsi son film sur un autre plan que celui du pur réalisme (alors qu'il reste toujours concret, ce qui était déjà le cas, et plus encore, pour Viendra le feu). Cela m'a permis d'encaisser la série de chocs de la deuxième moitié, qui m'auraient paru sans cela intolérables. On se dirige vers l'enfer, ok, même si cette violence n'est pas ce que je "préfère", c'est "représentable" dans ce cadre. Réussite du film dans cet équilibre-là, déjà. Maîtrise aussi dans la conduite, où les multiples réminiscences cinématographiques ne font qu'affleurer, n'en viennent jamais à encombrer, oubliées aussitôt sous la tension. Intéressant enfin de filmer la techno comme ça, d'en faire surtout ressentir les basses et leur propagation. Les ondes se cognent aux montagnes ou se perdent dans l'étendue. Il me semble que ça "résonne" bien avec l'idée de la fuite face au réel qui finit par rattraper violemment.

  • La Voie du serpent (Kiyoshi Kurosawa, 2025)

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    Quelque chose se perd dans la translation, sans doute, mais l'opération de Kurosawa provoque aussi un dépaysement à domicile pas désagréable, ce qui n'était guère le cas avec Le Secret de la chambre noire, première expérience française dont j'ai tout oublié. Invraisemblable, la sombre histoire se suit bien parce que la qualité de la réalisation persiste (au-delà d'une baston un peu laborieuse et de quelques échanges manquant de justesse) et parce que le maintien des figures de style ici et avec "nos" acteurs donne des séquences insolites et plaisantes (malgré la noirceur et la violence, cela ne manque pas d'humour).

  • Valeur sentimentale (Joachim Trier, 2025)

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    Je l'ai regardé de manière détachée, extérieure, comme devant la façade de cette belle maison qui a tant d'importance. Comme ensemble, j'apprécie plutôt le film, ses interprètes, sa progression heurtée (les coupes très franches en fin de séquences, accentuées par le noir silencieux de quelques secondes), son point de vue intéressant sur l'art comme un travail, un effort, une autre dimension que l'on atteint difficilement, en opposition à d'autres, comme Altman, qui font tomber les obstacles pour en faire le prolongement très simple de la vie (mais, d'une part, peut-être est-ce dû au fait que Trier s'intéresse exclusivement au Grand Art, et d'autre part, soudain, la continuité caractérise au contraire la dernière séquence, si convenue, si attendue, comme si tout était résolu en même temps). Dans les détails, c'est une autre histoire et pas mal de choses ne m'ont pas convaincu, en particulier celles qui se rapportent au cinéma, avec une approche assez didactique. Trier filme le génie. Il le filme au travail, c'est bien. Mais montrer le résultat, c'est très risqué. Les deux passages en question, projection de l'un des anciens chefs d’œuvre de Borg et tournage du primordial plan-séquence, n'ont rien de probant. Et Trier choisit, au démarrage de ces deux séquences, de les faire siennes, de ne pas les signaler immédiatement comme "extérieures" à sa propre mise en scène, ce qui me semble relever moins du rapport ludique au spectateur que du manque d'humilité. Détail aussi, mais agaçant : l'insert onirique en forme de variation sur le plan-fusion de Persona, au cas où l'on n'aurait pas encore perçu l'ombre de Bergman sur son film.

  • Pris au piège (Darren Aronofsky, 2025)

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    Pas mal dans le sous-genre "nuit de galère", même si ça dure ici plusieurs jours pour le héros qui n'avait rien demandé (porteur cependant d'une culpabilité lointaine). C'est bien mené par Aronofsky et agréablement rythmé par Idles. En revanche, c'est un véritable jeu de massacre, parfois comique mais très brutal envers les personnages secondaires. Totalement inattendu pour moi, le caméo au moment du générique de fin, apparition surprise tant elle est retardée de la mère, m'a fait quitter la salle sur une bien belle note.

  • Miroirs N°3 (Christian Petzold, 2025)

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    Très beau film sur le deuil et la réparation. Quelque chose de lourd est posé et on se demande comment ce poids va être soutenu. Mais c'est assumé, même le risque de la situation arbitraire, et tout consiste ensuite à jouer de petites touches et variations, à entrouvrir à peine quelques pistes, à modeler de manière subtile, calme, et jamais ennuyeuse. La concision (moins d'1h30) aide mais l'équilibre est surtout obtenu par la mise en scène qui, par les compositions, la lumière de fin d'été et la direction des quatres interprètes, fait naître une vibration à chaque séquence, pour mener finalement à un certain apaisement.

  • Islands (Jan-Ole Gerster, 2025)

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    Certains ressorts ont largement servi auparavant, comme ce personnage principal de quadra usé avant l'heure et tout désigné pour plonger à la fois dans les emmerdes et le doute. Mais l'un des doutes les plus prégnants, qui porte sur une paternité, est habilement distillé. Et globalement, le film, en drame psychologique menaçant de verser dans le thriller, possède un agréable côté "à l'ancienne" (chabrolien ? puisque c'est de saison) avec son montage calme, sa musique insidieuse, sa facture soignée et sa conduite assez lente, comme écrasée par le soleil, sans être ennuyeuse.

  • Beau is Afraid & Eddington (Ari Aster, 2023 & 2024)

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    Plutôt déçu par Eddington, que j'espérais supérieur au vilain petit canard Beau is Afraid, rattrapé la veille. Finalement, Beau me paraît plus attachant, même s'il génère son lot de malaises. Collant à un personnage qui traîne les pieds, il est trop long et trop lent mais chaque segment a son intérêt, avec une narration enroulée sur elle-même toujours de manière différente. L'étrangeté est là tout de suite, ce qui prive du plaisir du dérèglement progressif. Qui plus est, deux points de vue, ou deux forces, interne et externe, semblent coexister : on a du mal a savoir si nous sommes dans le cerveau de Beau ou s'il est victime d'un incroyable complot.
    Eddington est aussi trop long, et décousu, dispersé. Aster a voulu résumer, sur une échelle réduite, tous les maux de l'Amérique. Il a aussi recouvert le tout d'ambiguïté, jusqu'à la confusion. Ce qu'on ne peut pas lui enlever, cependant, c'est son sens de l'espace, qui lui permet notamment de filmer la distanciation sociale en temps de Covid.
    Il faut bien évoluer et le gars ne manque pas d'ambition, mais je regrette pour l'instant la force plus concentrée que possédait Midsommar (toujours pas vu Hérédité).