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2020s - Page 7

  • Pacifiction (Albert Serra, 2022)

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    Fiction en train de se faire, puis de se défaire (jusqu'à s'arrêter longtemps avant la fin), et acteur en train de chercher son personnage. J'ai vu dans "Pacifiction" forme et fond (indices, mystère, paranoïa) s'accompagner de façon suffisamment cohérente pour susciter, sinon une fascination totale, du moins un vif intérêt, notamment quant à l'idée de création à partir du presque rien, de signes infimes, de temps qui s'écoule.

  • Armageddon Time (James Gray, 2022)

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    J'ai aimé la retenue dont fait preuve James Gray (celle-là même qui m'avait empêché d'adhérer complètement à ses deux précédents - mais je crois que nous sommes nombreux à avoir en tête des films de lui "qu'on aurait voulu aimer plus", bien que ce ne soient pas les mêmes pour chacun) et j'ai aimé surtout sa façon de placer ces souvenirs à la limite du cauchemar, par le travail sur la lumière, l'ombre enveloppante, les cadrages qui isolent les personnages, les insertions oniriques, les apparitions, le dépeuplement de certains extérieurs.

  • Les Harkis (Philippe Faucon, 2022)

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    "Les Harkis" semble être construit à l'inverse de ce qu'il se fait d'habitude : en retranchant, en ôtant, en coupant, jusqu'au point limite où le récit peut encore tenir debout. Ainsi, Faucon traite d'un sujet lourd, balaye plus de 3 années de guerre et fait vivre de multiples personnages en 1h20 (et donne une leçon à tous les faiseurs de fresques historiques et autres biopics boursouflés). Le risque etait alors qu'il ne reste plus que des dates et des dialogues de contextualisation. Mais c'est aussi la beauté du film, ces sauts d'une date à l'autre, qui créent de nouvelles béances. Ce que l'on voit est fort, ce que l'on ne voit pas (ce que la mise en scène nous épargne ou nous laisse deviner, entre les séquences ou dans celles-ci) l'est autant.

  • Il Buco (Michelangelo Frammartino, 2021) & Poulet frites (Yves Hinant & Jean Libon, 2021)

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    Le rapprochement, par un enchaînement de pur hasard, de deux très bons films de cette année (l'un sorti en mai, l'autre à venir fin septembre) produit un étonnant télescopage autour de la question fiction/documentaire.
    "Il Buco" est une fiction filmée comme un documentaire et "Poulet frites" est un documentaire qui se suit comme une fiction, pour deux résultats également stimulants mais diamétralement opposés.
    Frammartino réalise un film qui s'étire en largeur, narration, temps et espace (même dans les boyaux de la grotte, qui débouchent d'ailleurs toujours sur des grandes cavités), un film où la parole n'est pas importante, un film qui refuse de dramatiser.
    Libon et Hinant réalisent le leur en serrant le cadre, en concentrant les regards et en dynamisant le montage. Les mots ont ici une importance capitale. La bonne idée du noir et blanc, pas évidente au départ, et le fait que l'histoire s'impose d'elle-même en font un vrai film policier autant qu'un film policier vrai (et supérieur au précédent "Ni juge ni soumise", qui était tout au service/dépendant d'un seul personnage).
    Mais il n'y a pas que des différences : les deux renvoient à un passé, travaillent des archives (60 ans pour l'un, 20 ans pour l'autre) et fouillent des profondeurs (naturelles ou humaines).
  • La Rose pourpre du Caire & Rifkin Festival (Woody Allen, 1985, 2020)

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    Revoir par hasard "La Rose pourpre du Caire" après avoir découvert "Rifkin's Festival" et comparer les deux, c'est aussi inévitable qu'en un sens injuste. Mais enfin... Dans le premier, vivent des personnages, dans le second, se succèdent des porte-paroles. Dans le premier, une idée simple est développée en une vertigineuse logique, dans le second, un discours faussement profond débouche sur du banal. Dans le premier, le style est direct, dans le second, l'auteur signale toujours sa présence, même si c'est pour jouer les modestes. Dans le premier, le cinéma descend dans la salle et aide à mieux vivre, dans le second, il surplombe et se laisse tout juste visiter via ses fac-similés, ses Lascaux II.

  • Les Crimes du futur (David Cronenberg, 2022)

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    Bien sûr il faut avoir le cœur bien accroché car c'est le retour du Cronenberg chirurgien (depuis eXistenZ ? Crash ?), celui de la beauté intérieure au sens propre (celle des organes), celui des mutations dérangeantes, celui des plaies érotiques, celui du thriller tordu, mais avec le recul d'un discours (d'un bavardage ?) dense et profond sur les corps et leur devenir. Un film somme, un dernier film ? L'autopsie vaut le coup d'œil !

  • Drive My Car (Ryusuke Hamaguchi, 2021)

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    Hamaguchi captive pour la quatrième fois à la suite. Il dispose ses éléments de mélodrame et les étirent dans le temps long du quotidien. Tout est alors affaire de déplacement, comme l'indique le rôle essentiel des trajets en voiture. Le récit est construit de façon à produire une tectonique des plaques. Les personnages secondaires passent au premier plan, les aveux et événements sont reportés (comme le générique de début : il y a un prologue et il faut s'y attarder le temps nécessaire), la violence est déportée (des antagonistes mari/amant au fan trop curieux), la multiplicité des langues parlées entraine des décalages, la vie et la fiction s'enrichissent l'une de l'autre. Tout cela justifie la durée du film tout en assurant la fascination devant la complexité des couches mouvantes et superposées. En découlent aussi des échos surprenants, des effets de miroir subtils. La boucle familiale et sentimentale qui se forme n'a, grâce à ces flottements, pas l'air d'être forcée par le scénario mais peut tout simplement passer, comme le reste, pour une production de l'imaginaire du personnage principal, malgré le beau maintien constant dans le réel. 

  • Tre Piani (Nanni Moretti, 2021)

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    Un échec total et difficilement compréhensible de la part de Moretti. Cela vient-il de ses intentions à lui ou du matériau de depart ? Les drames et les événements intimes détaillés dès les premiers instants laissent penser que le récit va ensuite s'attacher à la question "comment vivre avec ça ?" par petites touches. Mais ce sont au contraire les gros sabots qui mènent la danse. La logique est en effet cumulative. Chaque moment de ce film est charnière, chaque séquence convoque un lourd enjeu (parfois le redouble grâce aux croisements des destinées, puisque l'œuvre est "chorale"), chaque personnage formule des sentences définitives (si certaines s'avèrent finalement ne pas l'être, c'est parce qu'elles sont renversées dans les 10 dernières minutes, "apaisantes", comme tout le monde s'y attend). Le film mouline ainsi pendant 2 heures en sur-régime dramatique, rendant dérisoires, voire ridicules, des idées comme celle des voix disparues écoutées sur répondeur. Il épuise littéralement. Pire, derrière la sobriété de sa mise en scène que l'on croit au début bénéfique, Moretti semble par endroits verser dans ce cinéma qu'il vomissait auparavant, celui qui manipule sans vergogne le spectateur à travers ce qu'il fait subir aux personnages ou par ce qu'il laisse un instant craindre. Reste à espérer qu'il ne s'arrête pas là-dessus. 

  • Madres paralelas (Pedro Almodovar, 2021)

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    Nouveau mélodrame féminin pour Almodovar, dans l'esthétique très épurée qu'il a adopté ces dernières années. Le son clair porte dans les décors très simples, les intérieurs sont largement majoritaires, les dialogues et les plans sur les visages particulièrement nombreux. Il s'agit alors pour le cinéaste de donner de la profondeur à cette surface pure (on dirait presque, par moments, des effets de fond bleu dans certains plans rapprochés). Il le fait notamment en déséquilibrant son récit, faussement présenté comme parallèle, du côté de la mère "qui sait" et c'est ce déséquilibre qui procure l'émotion, l'inquiétude, l'angoisse. Tous les éléments dramatiques sont conjugués au passé (même récent), ils en remontent pour créer des répercutions différées, d'où la prédominance de la parole. La fin, l'ouverture des tombes des martyrs du franquisme, trouve dès lors sa justification esthétique (l'aération) et thématique (la présence du passé), tout en continuant à assurer une bienveillance à l'égard de tous les personnages. 

  • City Hall (Frederick Wiseman, 2020)

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    Si la méthode ne varie pas d'un iota, Wiseman, pour une fois, laisse entendre qu'il éprouve une grande sympathie pour son personnage principal, le maire démocrate de Boston Marty Walsh, en passant une grande partie de son film à enregistrer sa parole. Cette parole est relayée par les différents services municipaux, dont le travail nous est présenté pendant plus de 4 heures. C'est une succession de réunions, de cérémonies, de discours, de dialogues. A ce flux s'intègre celui des intermèdes muets et tournés en extérieur, dans la ville, fascinante suite de plans de voies et de bâtiments dans lesquels on n'entre pas si ils ne sont pas gérés par la mairie, ce qui crée un petit jeu de frustration. La parole annonce ou rappelle des actions pour l'égalité des droits de tous les citoyens, de n'importe quelle communauté, dans une démarche à l'opposée de celle de Trump alors en poste. Il n'y a toujours pas grand chose de mieux que le cinéma de Wiseman pour voir l'Amérique.