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Film - Page 2

  • De l'or en barres (Charles Crichton, 1951)

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    Comédie Ealing sympathique, notamment parce que ses personnages le sont. C'est un exemple assez rare, me semble-t-il, de gang constitué de façon fortuite mais dont les quatre membres se révèlent aussitôt, entre eux, confiants et loyaux, les deux principaux (Alec Guinness et Stanley Holloway) créant une solide amitié. Dommage d'ailleurs que dans la dernière partie, leurs rapports ne soient pas plus creusés. A la place, est menée une course-poursuite au déclenchement (depuis Paris) et aux relances un peu artificiels. On y trouve cependant quelques débordements burlesques plutôt inattendus. La conclusion de ce film bref est un twist amusant : l'homme écoutant le récit-flashback de Guinness n'était pas un aimable convive comme on le croyait à l'introduction mais un policier le tenant par des menottes.

  • The Insider (Steven Soderbergh, 2025)

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    Retourné comme un gant. D'abord un peu agacé par le glacis, par le cynisme, par les bavardages, par la déshumanisation. Puis la mécanique s'emballe, merveilleusement perturbée ("to disrupt", formule de Fassbender en réaction). Et surtout, le facteur humain finit par émerger, enfin (notamment, avec "éclat", dans cette grande scène de retour autour de la table), préservant ce couple singulier. Bravo Steven.

  • Yûkoku - Rites d'amour et de mort (Yukio Mishima, 1966)

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    Je découvre Mishima avec ce coffret livre-DVD autour de son unique film, adapté de sa propre nouvelle "Patriotisme". Celle-ci est stupéfiante, inscrivant dans le quotidien, entre objets et pensées, une histoire d'amour fou glissant de l'union sexuelle ardente à l'atroce seppuku. La progression est si fluide que l'on ne réalise pas bien que l'horreur est inévitable. Par sa description du double suicide, Mishima nous laisse suffocants, autant à cause de la violence que de la continuité narrative imposée magistralement.
    Aussi marquant, le film fonctionne très différemment. De la continuité, on passe aux ruptures.
    Non seulement Mishima déplace cette histoire dans un décor épuré de type théâtre Nô, réduisant le réalisme environnemental de la nouvelle à quelques signes à peine, mais il ne cesse de fragmenter. Sans dialogue, le film est entrecoupé de longs intertitres qui forment six parties. La scène d'amour limite les plans larges et la caméra s'attarde essentiellement sur des parties des deux corps. La musique ("Tristan et Isolde" de Wagner) contraste aussi. Cinéma moderne des années 60, pleinement.
    Je me disais que Mishima choisissait cette solution pour représenter l'amour parce qu'il butait inévitablement, comme tout le cinéma (on pourrait dire jusqu'à ce qu'Oshima tourne "L'Empire des sens"). Il y a cette impossibilité de l'image par rapport aux pages correspondantes.
    Puis vient le moment du seppuku. Et là, choc, Mishima montre tout. Avec cette nouvelle rupture, le film devient fou. A l'incroyable éventration de Shinji répond, en contrechamp, le non moins incroyable visage de Reiko en pleurs. Puis sa façon de se relever difficilement, son kimono souillé, ses pas dans la flaque noire, etc. Là, Mishima trouve vraiment l'équivalence.
     
    PS : Dans le livret d'accompagnement, l'auteur, Stéphane Giocanti, fait manifestement une erreur en passant vite sur la réception du film : "En France, bien que le public lui fît un accueil circonspect, Yûkoku fut primé au Festival de Tours". Il se trouve que dans le Positif de juin 66, Robert Benayoun, rendant compte du fameux festival de courts métrages, défendit passionnément ce film "le plus exceptionnel, le plus haï et le plus discuté de tous", en concluant "Rites d'amour et de mort, faut-il le dire, n'eut aucun prix. Peut-être est-ce dans l'ordre. Si l'amour, graine de subversion, ne choquait pas encore les esprits distingués, serait-il l'amour ?"

  • Vitam et Sanguinem : Rhapsodie hongroise & Allegro Barbaro (Miklos Jancso, 1979)

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    Très différents mais indissociables, tournés puis présentés, en Hongrie comme en France, en même temps, "Rhapsodie hongroise" et "Allegro Barbaro" sont les deux premiers volets d'une trilogie à jamais inachevée, retraçant la trajectoire tortueuse d'Istvan Zsadanyi le long d'une moitié du XXe siècle. Inspiré d'un personnage réel, celui-ci participe à une contre-révolution, assassine le chef d'un mouvement de fermiers, obtient un poste de représentant du gouvernement, s'oppose au ministre et se met à soutenir "ses" paysans alors que l'armée allemande s'installe.
    Le premier volet décrit donc cette évolution, à partir de choix rarement faits par Jancso jusque-là : un personnage principal et surtout un récit sur plusieurs années. "Rhapsodie hongroise" est une nouvelle splendeur plastique, par l'un des rares cinéastes à savoir filmer le soleil (parce que de nombreux plans sont tournés en fin de journée). Il n'empêche que l'ensemble est un peu décevant. Même si des pans entiers restent encore très obscurs par leurs références, la narration en devient presque trop classique. Le style est inchangé mais les grands détours dans le décor mobilisant quantité de figurants tendent vers la seule performance (à l'image d'un corps à corps en plan-séquence ou d'un spectacle de sauts à cheval, le film contenant beaucoup de folklore, autant que de femmes nues). On note cependant (en plus de l'inattendue présence d'Udo Kier) un intéressant glissement vers l'onirisme dans le dernier tiers.
    Et c'est "Allegro Barbaro" qui y plonge entièrement, dans cet état suspendu. Bien meilleur, ce volet traite le temps de manière beaucoup plus originale, accéléré ou télescopé parfois dans un même plan. Les repères historiques sont brouillés par des écrans de fumée. Les images impressionnent et surprennent par les regroupements d'éléments hétéroclites. Les personnages disparaissent et, dans la continuité, reviennent d'un autre côté du cadre. La confusion qui régnait dans "Rhapsodie hongroise", un peu artificielle, devient celle de l'esprit même du héros, interprété par un Gyorgy Cserhalmi semblant tout à coup plus convaincant. Le fait de resserrer sur lui, peut-être sur sa folie, ses fantasmes ou ses souvenirs, et assurément sur son grand amour, rend le film à la fois mieux tenu et plus ouvert. Au final, si désarçonnant qu'il soit, il devient même le plus romantique et le plus émouvant des Jancso.

  • Vermiglio ou la mariée des montagnes (Maura Delpero, 2024)

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    Vermiglio est un village isolé des Alpes italiennes. Quand débute l'histoire, sa population attend la fin de cette seconde guerre mondiale qui s'éternise.
    Le sous-titre du film pourrait indiquer un conte, avec une héroïne. Mais c'est bien d'une chronique familiale qu'il s'agit, à laquelle chacun, chacune surtout, contribue. Le scénario tisse les relations d'une dizaine de personnages, relations étroites, presque magiques, avant de les éloigner mais tout en maintenant un lien invisible.
    Les séquences elles-mêmes sont à la fois autonomes, dans leur beauté plastique, et reliées par la musicalité de la mise en scène et par celle des voix. Ces voix singulières d'enfants, de femmes, d'hommes, traversent le film en débordant souvent d'un plan à l'autre. C'est dire l'importance de la parole (dite, donnée, écrite).
    Voix et images. La réalisatrice Maura Delpero signe une œuvre austère mais sensible, un mélodrame épuré, une succession de tableaux vivants à la photographie sublime.

  • Mickey 17 (Bong Joon-ho, 2025)

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    Passé un bon moment. Peut-être y a-t-il un petit ventre mou, après l'hyper-dynamisme de la première demi-heure, mais le dénouement miyazakien m'a plu. Bong Joon-ho retrouve sa veine science-fiction, ses projections vers un futur peu rassurant, ses créatures étranges, ses récits emberlificotés. De la Corée du Sud aux Etats-Unis, il n'a rien perdu de son brio ni de son imaginaire, n'a rien cédé non plus sur ses préoccupations. Au contraire, le message n'en est que plus clair lorsqu'il met en scène un politicien-industriel autoritaire et lorsqu'il alerte sur les désastres écologiques et les risques de guerre.
    Par ailleurs, sans en faire un film subversif, il me semble qu'il réussit suffisamment à grignoter les fils à l'intérieur de la machine pour tenter de réajuster le système. Et rire des multiples morts de Robert Pattinson, comme de son dédoublement, c'est aussi s'effarer de voir comment notre monde court à sa perte, à toute vitesse, tout en espérant qu'il se ressaisisse in extremis.

  • Tardes de soledad (Albert Serra, 2024)

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    Le film est un peu le "Zidane, un portrait du XXIe siècle" de la tauromachie, avec cette approche expérimentale à la fois fragmentaire (la caméra n'est concernée que par le torero et par le taureau, à la limite par les accompagnants mais à l'exclusion de tout le reste) et immersive (grâce au son d'ambiance et à la durée des plans). La supériorité sur le doc/essai consacré à Zizou vient de la variété (un peu) plus grande des lieux (deux de plus que l'arène : le van et la chambre d'hôtel), de la dramaturgie forcément plus poussée (un coup de corne n'est pas un tacle) et surtout des réactions et des questions que la corrida ne peut manquer de soulever. Certes, la démarche est non-interventionniste, et Serra dit que le reste n'est "pas son problème". Soit. L'insistance sur les agonies taurines, ainsi que, ce que l'on n'entend pas d'habitude, les insultes sans cesse balancées par les toreros aux animaux pendant le combat, me semblent pourtant assez claires. Normalement, cet "art" devrait être amené à disparaître. Normalement. Mais va savoir ce que nous réservent tous les "couillus", les "guerriers", les obsédés de la "vérité" et des "sommets".

  • Christine (John Carpenter, 1983)

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    Je ne l'avais jamais vu et c'est super. Comme avec "Halloween", il y a cette sensation d'être vraiment au cœur de l'Amérique, de ses obsessions, par les lieux filmés et par les thèmes entrecroisés, dont le principal, la virilité derrière le volant, est particulièrement bien modulé (d'ailleurs, Christine tue toute seule). La richesse thématique, la pertinence du regard parfois critique, l'énigme absolue de l'inanimé diabolique, tout cela est sans doute déjà chez King. Carpenter y ajoute sa précision dans la caractérisation (notamment à travers une non-héroïsation des corps, qui ne font que chuter, se blesser), son efficacité narrative (qui ne passe pas forcément par le spectaculaire, voir toute la première partie) et surtout la superbe horizontalité de sa mise en scène (les premiers plans, dévolus à la chaîne de montage, disent tout ce que sera le film). Le maintien du mystère fait que les séquences de reconstruction ne prêtent jamais à sourire, tandis que celles de destruction laissent affleurer juste ce qu'il faut les notions "humaines" de viol ou de meurtre. Cerise sur le gâteau, on peut qualifier le film de pré-lynchien (puisque, à ce moment-là, Lynch n'était pas encore arrivé dans la "petite ville ouvrant sur un gouffre"), cela avant même l'apparition, décisive pour ce rapprochement, d'Harry Dean Stanton. Certes, le travelling avant final sur le bloc automobile compressé fait avant tout figure de coda sur la persistance du Mal, mais je le relie aisément au phénomène d'aspiration vers l'oreille coupée de "Blue Velvet" ou vers la boîte bleue de "Mulholland Drive".

  • La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz (Luis Buñuel, 1955)

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    L'esprit d'Archibaldo est sacrément tordu et le film l'est tout autant, bien qu'il le soit assez gaiement pour une histoire laissant derrière elle autant de mortes. Si les enchaînements à l'écran sont limpides, le temps est géré étrangement (un court flashback, un drame, un long flashback, un épilogue). Quand aux raisonnements et aux plans échafaudés par tous les personnages, ils sont particulièrement tarabiscotés, ne vont jamais simplement d'un point A à un point B. Tout n'est que substituts (travestissement, boîte à musique, mannequin), chemins détournés, jeux de comédie sociale, vies secrètes, faces cachées, désirs comblés mais autrement que ce qui est attendu (ce qui en gâche la satisfaction finale) : la mise en scène détaille les préparatifs d'Archibaldo ou illustre ce qu'il projette dans sa tête (dans ses films, Buñuel se satisfait rarement de deux niveaux narratifs, type présent/flashback, et ajoute souvent une couche, comme ici, la rêverie à l'intérieur du flashback) ; Patricia et son mari créent des situations de crise pour mieux solidifier leur couple ; Carlota a pour amant secret un homme marié ; à ses différents interlocuteurs, Lavinia désigne l'homme qui l'accompagne comme son mari, son père ou son oncle et le mannequin comme sa sœur...
    Mais où Buñuel a-t-il été chercher ces beautés si singulières, pour qu'elles papillonnent autour d'Ernesto Alonso, en mâle mexicain impuissant, et qu'elles produisent autant d'étincelles érotiques ? Miroslava Stern (Lavinia, suicidée quelques semaines après le tournage), Ariadne Welter (Carlota), Rita Macedo (Patricia), Chabela Duran (la bonne sœur), Leonor Llausas (la gouvernante).
    Un détail parmi d'autres prouvant le génie de Buñuel, et qui concerne le son. Archibaldo se rend chez Carlota et, juste avant de pénétrer dans la résidence, croise Patricia, qui lui fait du charme de manière très offensive. Troublé, il reprend son chemin, tandis que monte un thème musical (angoissant, indéfinissable, peut-être à l'orgue électrique ?). Deux contrechamps nous montrent alors la mère de Carlota, à la fenêtre, en train de l'observer. Au moment exact de la coupe, la musique s'arrête, pour revenir tout aussi brutalement au retour d'Archibaldo à l'image. Si la musique venait de la rue, cela se comprendrait. Mais sur de la "musique de film", "extradiégétique", de tels arrêts, cela ne se fait pas. Suprême audace, donc. Quoique... On se rend compte au final que ce thème musical, il ne vient que lorsque Archibaldo est en crise, dans un état second. Par conséquent, ce thème musical, il ne peut pas être "partagé". La coupe sonore est donc justifiée. Ce que l'on prend d'abord pour un agréable effet de distanciation n'a en fait rien de gratuit.

  • Vices privés, vertus publiques (Miklos Jancso, 1976)

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    En coproduction italo-yougoslave, Jancso brode autour du drame de Mayerling. L'héritier du trône austro-hongrois mène une vie dissolue, s'épanouit en ménage à trois avec sa demi-sœur et son demi-frère, y inclut les servantes (et la gouvernante Laura Betti), lance une invitation à la jeune noblesse de la région pour une orgie destinée à créer un scandale et à fragiliser son tyran de père. Il finit assassiné pour cela, contrairement à la version officielle. Souhaitant montrer un élan révolutionnaire à travers une soif de liberté sexuelle absolue, le cinéaste prend plaisir à filmer des jeunes gens nus quasiment du début à la fin, et ne faisant pas, cette fois-ci, que danser. On n'est pas en 1976 pour rien et l'érotisme joue franchement avec les limites. Mais bien qu'il en atténue la radicalité, le style de Jancso lui joue des tours. Dans la partie centrale, les plans sont trop longs, la bande son trop chargée (quand les fanfares s'arrêtent enfin, les rires prennent le relai), le scénario trop limité, et surtout le déchaînement subversif concerne un groupe entier, donc des corps nombreux et indifférenciés, ce qui entrave le partage d'un trouble érotique. Il n'est sensible que dans la dernière partie, de loin la meilleure, la plus concentrée, avec d'une part l'implication dans l'équation amoureuse et sexuelle d'une maîtresse hermaphrodite, et d'autre part la tension de la répression politique, l'ensemble étant dès lors présenté, plutôt que dans les rondes habituelles, en quelques tableaux cruels annonçant le cinéma de Greenaway.