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Film - Page 3

  • Moonage Daydream (Brett Morgen, 2022)

    ***

    Le film de Brett Morgen, est vraiment "immersif", par ses qualités enveloppantes, ce qui en fait un documentaire "avec" Bowie plutôt que "sur" Bowie. Spectaculaire montage d'archives uniquement guidé par les propos du chanteur (et quelques relances de journalistes), "Moonage Daydream" donne l'impression rare d'entrer dans sa tête, de partager ses visions et intuitions, d'apprendre vraiment comment il se voyait lui-même à chaque étape de sa carrière. Ce montage est tellement vif qu'il faut tout de même un moment pour s'y habituer. Par ailleurs, il vaut mieux bien connaître les différentes étapes de cette trajectoire artistique pour se repérer car même si l'avancée est chronologique, elle est surtout "thématique", fixant des époques successives en fascinants déluges d'images et de sons, sans quasiment donner aucun titre d’album, film ou chanson. Comme on se tient loin du didactisme conventionnel, cette précieuse proximité avec l’œuvre a un prix : il faut accepter que tout ne soit pas abordé, que tel morceau ne remonte pas sur la bande son, que telle image ne soit pas insérée ("Twin Peaks" ? mais le montage de Morgen est déjà, en quelque sorte, lynchéen), que des périodes soient survolées ou réduites à un thème (celle de "Outside"/"Earthling" à celui du chaos en une seule et longue séquence construite sur "Hallo Spaceboy"). Les créations visuelles et sonores de Bowie sont de toute façon si nombreuses qu'une heure de plus n'aurait pas suffi. Les 2h15 passent très vite et derrière le parti pris s'apprécie la fidélité envers l'univers ainsi transposé/remodelé.

  • Borsalino and Co. (Jacques Deray, 1974)

    **

    C'est effectivement un meilleur film que le premier, c'est plus sombre, plus compact, mieux cousu. Delon est très bon et l'effet de contraste avec Bébel ayant disparu, on a l'impression qu'il joue mieux ici. Il manque juste à Deray l'inspiration, la fulgurance visuelle ou rythmique pour rendre tout ça inoubliable, même si la représentation de la violence, sèche et souvent imprévisible, est assez étonnante. Pourquoi cela se termine-t-il sur "à suivre" ? Annonce trop prématurée de Delon producteur ou projet vraiment engagé puis tombé à l'eau ? Pas sûr en tout cas qu'un troisième volet en Amérique aurait été très excitant, l'un des intérêts du diptyque étant justement sa relative autonomie par rapport au modèles cinématographiques américains, le fait qu'on y croie sans y trouver d'imitation trop flagrante.

  • Borsalino (Jacques Deray, 1970)

    *

    Eu envie hier soir de découvrir "Borsalino" (peut-être l'avais-je déjà vu gamin mais je n'en avais aucun souvenir). Pas mal sans être terrible. Le traitement paraît assez superficiel, la narration pas particulièrement fluide. Certaines séquences, les plus "légères" ou les moments de transition, sont vraiment trop pépères. Pourtant, d'autres sont plutôt prenantes, comme celles autour du couple Corinne Marchand-Michel Bouquet, celle du guet-apens dans l’entrepôt au milieu des carcasses... Intéressant aussi de voir comment en cinq ou six ans seulement, depuis les États-Unis ou l'Italie, la représentation sanglante de la violence s'est propagée jusque dans le cinéma populaire français. Quant au duo de stars, on ne sait pas trop si l'accentuation de l'opposition des styles (l'un qui sourit presque tout le temps, l'autre quasiment jamais) sert vraiment une complémentarité des personnages ou n'est là que pour satisfaire à bon compte le public attendant de retrouver l'image conventionnellement accolée à chacun.

  • The Last Waltz (Martin Scorsese, 1978)

    ***

    A partir d'un certain niveau de moyens techniques et donc financiers, réaliser un grand film-concert, c'est quand même pas compliqué. Il suffit qu'une réelle complicité existe entre le réalisateur et le groupe pour que le projet avance de concert (hé hé), que l'équipe de tournage soit compétente et réactive (pour l'image, Scorsese ne s'est pas emmerdé : Michael Chapman "assisté" de rien moins que les deux hongrois Laszlo Kovacs et Vilmos Zsigmond), que le cinéaste ait déjà un sens musical de la mise en scène et du montage, que l'équilibre soit assuré sans précipitation entre plans longs accompagnant la coulée vitale du live et inserts attrapant les fulgurances, que la sensation de la durée soit préservée (Scorsese, sur ce plan-là, trafique un peu, sans que cela soit trop visible ou gênant, en raccourcissant certains morceaux), que la présence du public soit manifeste sans que l'attention soit détournée vers lui (pas de plans de réaction ici, Scorsese ne gardant que ceux filmés larges du fond de la scène avec les musiciens en amorces, façon de garder le lien entre le groupe et son public, selon le même principe posé par Altman dans "Nashville" deux ans plus tôt).
    La réussite ainsi assurée, la différence se fait, quand on découvre ces films, en fonction de l'amour que l'on porte aux groupes en question. Je continue donc, pour ma part, à mettre au plus haut le "Stop Making Sense" de Jonathan Demme/Talking Heads. Mais "The Last Waltz" n'est pas avare, bien sûr, de grands moments et la conclusion réunissant The Band et tous les prestigieux invités pour "I Shall Be Released", c'est quelque chose.
  • Fairytale (Alexandre Sokourov, 2022)

    ***

    D'une idée folle (Churchill, Hitler, Mussolini, Staline et leurs nombreux doubles errent, discutent et s’asticotent au purgatoire en attendant de savoir si Dieu leur accordera l'entrée au paradis), Sokourov tire une expérience cinématographique incroyable, qui interroge autant qu'elle fascine. "Fairytale" est certes bavard, voire radoteur, mais sa relative brièveté (1h20) fait que ce handicap reste surmontable, la quantité de textes s'accordant d'ailleurs plutôt bien à la lenteur des gestes et déplacements obtenue par le ralentissement des images (le fait que chacun parle dans sa langue contribue aussi à contrer la monotonie). En deepfake ou pas (Sokourov récuse le terme, sans doute en partie pour garder sa position d'artiste, loin des bidouilleurs de l'internet, mais la technique semble au moins proche), des images sidérantes sont créées, particulièrement lors des séquences où les "personnages" sont confrontés aux masses qui les ont vénérés, formes mouvantes, liquides. Des séquences d'une texture audio-visuelle que l'on n'a jamais vue ailleurs. Gris, le film donne une idée de l'enfer, de l'éternel et tragique recommencement de l'Histoire, de la folie des maîtres du monde et de celle des foules hypnotisées. Grand film d'horreur.

  • Les Herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan, 2023)

    ***

    Film long, beau et rude comme l'environnement de ce village reculé d'Anatolie, presque entièrement fait de conversations qui font mine d'épuiser les sujets mais ne lèvent jamais toutes les ambiguïtés, qui sont admirablement construites sur des oppositions pour mieux approfondir chaque caractère, qui échappent à la théorie par les simples sons d'ambiance (neige qui tombe, eau de source qui coule) ou par les éclairages intérieurs révélant les personnages. Il est parfois dur d'escalader un relief mais une fois arrivé au sommet, quel point de vue sur le monde !

  • Vers un avenir radieux (Nanni Moretti, 2023)

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    On l'avait laissé sur le faux-pas de "Tre Piani" mais voilà que Nanni Moretti remet son cinéma à l'endroit en revenant à sa veine fantaisiste et semi-autobiographique. "Vers un avenir radieux" est une merveille d'humour, de mélancolie et de sincérité, une réflexion touchante sur le couple et le temps qui passe, sur l'Histoire qu'il faudrait refaire, et surtout sur le Cinéma, celui d'hier et d'aujourd'hui malgré tout, celui qui continue d'illuminer la vie et d'être porteur de sens malgré tous ceux, de plus en plus nombreux, voulant le transformer en une série de produits. On se sent dans ce film à la fois en vie et fragile, comme sur une trottinette électrique.

  • Wahou ! (Bruno Podalydès, 2023)

    ***

    Pas du tout fanatique du cinéma de Bruno Podalydès, j'ai d'abord été inquiété par les premières minutes de "Wahou !", par la fantaisie immédiate un peu forcée de la séquence avec Agnès Jaoui, puis par les dialogues en phrases bien découpées d'Azéma-Mitchell. J'ai eu peur que ce ne soit qu'un film à sketches. Or l'aspect répétitif se transforme vite en véritable atout, permettant d'enrichir par petites touches dans les mêmes cadres sans jamais s'éparpiller inutilement, pour aboutir à des scènes drôles mais aussi très touchantes, le personnage de Podalydès se décontenançant au fur et à mesure, celui de Karin Viard se fissurant, tous les autres "existant" également, par-delà leurs défauts (entre autres, alors que c'est souvent pénible les crises de larmes, ici le moment avec Florence Muller est très beau, en lui-même, mais aussi parce qu'il est "préparé" par les instants d'angoisse précédents de Viard).
    Allez savoir pourquoi, les deux seuls films (même si je n'ai pas tout vu) de Podalydès que j'aime vraiment sont ceux comportant un point d'exclamation dans leur titre, "Bécassine !" et "Wahou !".
  • Les Quatre Filles du docteur March

    Les Seize Filles du docteur March :
    Le George Cukor (1933) ** se déséquilibre volontairement vers le personnage de Jo, avec Katharine Hepburn qui prend toute la place, qui ne se résout pas à jouer sagement comme les trois autres et qui prend en charge l'énergie du film, se voyant même parfois explicitement isolée dans le cadre par la mise en scène.
    Le Mervyn LeRoy (1949) * n'apporte pas grand chose sinon la couleur et les modulations plutôt homogènes de ses interprètes (June Allison, Janet Leigh, Liz Taylor...) mais croule sous les violons et le sentimentalisme.
    Le Gillian Armstrong (1994) *, pour approfondir les psychologies, aborder plus franchement les dimensions sociales et rendre immédiatement lisibles les émotions, privilégie beaucoup trop les plans rapprochés conventionnels au détriment des forces extérieures qui auraient pu animer les figures secondaires et les différents espaces, ce qui le rend bavard au centre et décoratif dans ses à-côtés.
    Le Greta Gerwig (2019) **, par la mobilité de la caméra et par l'énergie de groupe bien répartie, propose une série d'impulsions régénératrices et ce qui aurait pu apparaître comme une simple astuce un peu vaine, le bouleversement de la chronologie, assure lui aussi, finalement, un plaisant dynamisme.

  • Trenque Lauquen (Laura Citarella, 2022)

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    Une femme disparaît. Plusieurs histoires, liées à cette fuite, sont racontées à la suite les unes des autres ou encastrées les unes dans les autres. Contrairement à ce que l'on croit au début, ce n'est pas tellement de variation des points de vue qu'il est question. Au lieu de se confronter, les différents récits semblent plutôt se déposer en couches, et plus précisément en calques. Avec cette succession qui devient superposition (on trouve logiquement quelques compositions en reflets et quelques fondus enchaînés), on observe d'étranges phénomènes de révélation ou d'opacification, de décalage ou de transposition, d'effacement ou de mise en avant, de transformation spectrale ou de consolidation, tout cela concernant les personnages principaux mais aussi des objets, des détails. Petite (longue) merveille.