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Film

  • L'Homme au complet blanc (Alexander Mackendrick, 1951)

    ***
     
    Très bonne comédie sociale, précisément sur le monde de l'entreprise, développant une réflexion intéressante sur une invention (un tissu inaltérable) et ses possibles conséquences en termes d'emploi et d'équilibre économique. A partir d'un sujet pas forcément engageant sur le papier, Mackendrick réalise de manière très sûre, dynamique, avec des rythmes variés, des idées visuelles (les portes et les systèmes de cache) et sonores (la petite musique faite par les fluides dans les tubes à essai semble annoncer le travail de Tati autour de ses bruitages de matériaux). Les personnages ne sont jamais unidimensionnels, pas même le principal, pourtant obsessionnel, brillamment interprété par Alec Guinness.

  • Harold et Maude (Hal Ashby, 1971)

    **
     
    (ne connaissant pas le cinéma de Hal Ashby, hormis "Retour") Film typique du mouvement de bascule culturelle au sein du cinéma hollywoodien, avec plusieurs points d'originalité : l'énorme différence d'âge entre le couple formé (mais même s'il a l'air d'un adolescent, Bud Cort, sortant tout juste de "Brewster McCloud" - difficile de ne pas le citer tant on y pense -, avait quand même 22 ans), la pertinence du casting pour l'incarner (Cord donc, et Ruth Brown, pas 80 ans comme il est dit mais "seulement" 74), l'idée intéressante et développée comiquement de l'obsession de la mort à travers les enterrements et les fausses tentatives de suicide. La caricature est parfois un peu trop poussée et les personnages un peu trop déconnectés de la réalité mais certains passages sont efficaces. Le style d'Ashby me semble un peu hésitant, le nombre élevé d'insertions de chansons de Cat Stevens trahissant peut-être un manque de fluidité par ailleurs.

  • Le Cœur du tyran (Miklos Jancso, 1981)

    **

    Un jeune prince élevé en Italie est rappelé chez lui à la mort de son père. Sa mère, étrangement plus jeune que lui, semble atteinte de démence. Son oncle ambitieux ne cesse de mentir. Son ami italien (Ninetto Davoli) ne sait plus où donner de la tête au milieu des hongroises nues. Des acteurs multiplient les intermèdes. Les Turcs s'en mêlent. Sous-titré "Boccace en Hongrie", le film paye sa dette au théâtre. Même s'il recoupe toutes les préoccupations de Jancso, l'obscur scénario n'a pas grande importance, tant les revirements, les résurrections, les changements de ton sont nombreux, en un éclat de rire. L'artifice est assumé jusqu'au bout : chacun avoue finalement avoir tenu un rôle, avoir joué la comédie. L'intérêt du film est purement de mise en scène. L'imagination de Jancso paraît sans limite pour trouver d'étonnantes solutions visuelles rendant ce théâtre (tout est filmé en studio) parfaitement cinématographique. Limité par la réalité, le décor devient à l'écran mouvant, flottant, insaisissable, la caméra ne cessant de glisser latéralement tout en jouant de la profondeur grâce au zoom ou aux amorces. Les acteurs, aux réapparitions parfois stupéfiantes en bout de plan, glissent eux aussi pour achever de donner cette impression de rêve (avant un retour brutal à la réalité et à l'extérieur).

  • De l'or en barres (Charles Crichton, 1951)

    **

    Comédie Ealing sympathique, notamment parce que ses personnages le sont. C'est un exemple assez rare, me semble-t-il, de gang constitué de façon fortuite mais dont les quatre membres se révèlent aussitôt, entre eux, confiants et loyaux, les deux principaux (Alec Guinness et Stanley Holloway) créant une solide amitié. Dommage d'ailleurs que dans la dernière partie, leurs rapports ne soient pas plus creusés. A la place, est menée une course-poursuite au déclenchement (depuis Paris) et aux relances un peu artificiels. On y trouve cependant quelques débordements burlesques plutôt inattendus. La conclusion de ce film bref est un twist amusant : l'homme écoutant le récit-flashback de Guinness n'était pas un aimable convive comme on le croyait à l'introduction mais un policier le tenant par des menottes.

  • The Insider (Steven Soderbergh, 2025)

    ***

    Retourné comme un gant. D'abord un peu agacé par le glacis, par le cynisme, par les bavardages, par la déshumanisation. Puis la mécanique s'emballe, merveilleusement perturbée ("to disrupt", formule de Fassbender en réaction). Et surtout, le facteur humain finit par émerger, enfin (notamment, avec "éclat", dans cette grande scène de retour autour de la table), préservant ce couple singulier. Bravo Steven.

  • Yûkoku - Rites d'amour et de mort (Yukio Mishima, 1966)

    ***
     
    Je découvre Mishima avec ce coffret livre-DVD autour de son unique film, adapté de sa propre nouvelle "Patriotisme". Celle-ci est stupéfiante, inscrivant dans le quotidien, entre objets et pensées, une histoire d'amour fou glissant de l'union sexuelle ardente à l'atroce seppuku. La progression est si fluide que l'on ne réalise pas bien que l'horreur est inévitable. Par sa description du double suicide, Mishima nous laisse suffocants, autant à cause de la violence que de la continuité narrative imposée magistralement.
    Aussi marquant, le film fonctionne très différemment. De la continuité, on passe aux ruptures.
    Non seulement Mishima déplace cette histoire dans un décor épuré de type théâtre Nô, réduisant le réalisme environnemental de la nouvelle à quelques signes à peine, mais il ne cesse de fragmenter. Sans dialogue, le film est entrecoupé de longs intertitres qui forment six parties. La scène d'amour limite les plans larges et la caméra s'attarde essentiellement sur des parties des deux corps. La musique ("Tristan et Isolde" de Wagner) contraste aussi. Cinéma moderne des années 60, pleinement.
    Je me disais que Mishima choisissait cette solution pour représenter l'amour parce qu'il butait inévitablement, comme tout le cinéma (on pourrait dire jusqu'à ce qu'Oshima tourne "L'Empire des sens"). Il y a cette impossibilité de l'image par rapport aux pages correspondantes.
    Puis vient le moment du seppuku. Et là, choc, Mishima montre tout. Avec cette nouvelle rupture, le film devient fou. A l'incroyable éventration de Shinji répond, en contrechamp, le non moins incroyable visage de Reiko en pleurs. Puis sa façon de se relever difficilement, son kimono souillé, ses pas dans la flaque noire, etc. Là, Mishima trouve vraiment l'équivalence.
     
    PS : Dans le livret d'accompagnement, l'auteur, Stéphane Giocanti, fait manifestement une erreur en passant vite sur la réception du film : "En France, bien que le public lui fît un accueil circonspect, Yûkoku fut primé au Festival de Tours". Il se trouve que dans le Positif de juin 66, Robert Benayoun, rendant compte du fameux festival de courts métrages, défendit passionnément ce film "le plus exceptionnel, le plus haï et le plus discuté de tous", en concluant "Rites d'amour et de mort, faut-il le dire, n'eut aucun prix. Peut-être est-ce dans l'ordre. Si l'amour, graine de subversion, ne choquait pas encore les esprits distingués, serait-il l'amour ?"

  • Vitam et Sanguinem : Rhapsodie hongroise & Allegro Barbaro (Miklos Jancso, 1979)

    **/***
     
    Très différents mais indissociables, tournés puis présentés, en Hongrie comme en France, en même temps, "Rhapsodie hongroise" et "Allegro Barbaro" sont les deux premiers volets d'une trilogie à jamais inachevée, retraçant la trajectoire tortueuse d'Istvan Zsadanyi le long d'une moitié du XXe siècle. Inspiré d'un personnage réel, celui-ci participe à une contre-révolution, assassine le chef d'un mouvement de fermiers, obtient un poste de représentant du gouvernement, s'oppose au ministre et se met à soutenir "ses" paysans alors que l'armée allemande s'installe.
    Le premier volet décrit donc cette évolution, à partir de choix rarement faits par Jancso jusque-là : un personnage principal et surtout un récit sur plusieurs années. "Rhapsodie hongroise" est une nouvelle splendeur plastique, par l'un des rares cinéastes à savoir filmer le soleil (parce que de nombreux plans sont tournés en fin de journée). Il n'empêche que l'ensemble est un peu décevant. Même si des pans entiers restent encore très obscurs par leurs références, la narration en devient presque trop classique. Le style est inchangé mais les grands détours dans le décor mobilisant quantité de figurants tendent vers la seule performance (à l'image d'un corps à corps en plan-séquence ou d'un spectacle de sauts à cheval, le film contenant beaucoup de folklore, autant que de femmes nues). On note cependant (en plus de l'inattendue présence d'Udo Kier) un intéressant glissement vers l'onirisme dans le dernier tiers.
    Et c'est "Allegro Barbaro" qui y plonge entièrement, dans cet état suspendu. Bien meilleur, ce volet traite le temps de manière beaucoup plus originale, accéléré ou télescopé parfois dans un même plan. Les repères historiques sont brouillés par des écrans de fumée. Les images impressionnent et surprennent par les regroupements d'éléments hétéroclites. Les personnages disparaissent et, dans la continuité, reviennent d'un autre côté du cadre. La confusion qui régnait dans "Rhapsodie hongroise", un peu artificielle, devient celle de l'esprit même du héros, interprété par un Gyorgy Cserhalmi semblant tout à coup plus convaincant. Le fait de resserrer sur lui, peut-être sur sa folie, ses fantasmes ou ses souvenirs, et assurément sur son grand amour, rend le film à la fois mieux tenu et plus ouvert. Au final, si désarçonnant qu'il soit, il devient même le plus romantique et le plus émouvant des Jancso.

  • Vermiglio ou la mariée des montagnes (Maura Delpero, 2024)

    ***
     
    Vermiglio est un village isolé des Alpes italiennes. Quand débute l'histoire, sa population attend la fin de cette seconde guerre mondiale qui s'éternise.
    Le sous-titre du film pourrait indiquer un conte, avec une héroïne. Mais c'est bien d'une chronique familiale qu'il s'agit, à laquelle chacun, chacune surtout, contribue. Le scénario tisse les relations d'une dizaine de personnages, relations étroites, presque magiques, avant de les éloigner mais tout en maintenant un lien invisible.
    Les séquences elles-mêmes sont à la fois autonomes, dans leur beauté plastique, et reliées par la musicalité de la mise en scène et par celle des voix. Ces voix singulières d'enfants, de femmes, d'hommes, traversent le film en débordant souvent d'un plan à l'autre. C'est dire l'importance de la parole (dite, donnée, écrite).
    Voix et images. La réalisatrice Maura Delpero signe une œuvre austère mais sensible, un mélodrame épuré, une succession de tableaux vivants à la photographie sublime.

  • Mickey 17 (Bong Joon-ho, 2025)

    ***
     
    Passé un bon moment. Peut-être y a-t-il un petit ventre mou, après l'hyper-dynamisme de la première demi-heure, mais le dénouement miyazakien m'a plu. Bong Joon-ho retrouve sa veine science-fiction, ses projections vers un futur peu rassurant, ses créatures étranges, ses récits emberlificotés. De la Corée du Sud aux Etats-Unis, il n'a rien perdu de son brio ni de son imaginaire, n'a rien cédé non plus sur ses préoccupations. Au contraire, le message n'en est que plus clair lorsqu'il met en scène un politicien-industriel autoritaire et lorsqu'il alerte sur les désastres écologiques et les risques de guerre.
    Par ailleurs, sans en faire un film subversif, il me semble qu'il réussit suffisamment à grignoter les fils à l'intérieur de la machine pour tenter de réajuster le système. Et rire des multiples morts de Robert Pattinson, comme de son dédoublement, c'est aussi s'effarer de voir comment notre monde court à sa perte, à toute vitesse, tout en espérant qu'il se ressaisisse in extremis.