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Film

  • Eva en août (Jonas Trueba, 2019)

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    Sur 15 jours d'été, portrait d'une trentenaire madrilène au fil des soirées et des rencontres. Les dates se succèdent à l'écran, sous forme de cartons, mais apparaissent souvent en plein milieu d'un plan : parce que, on le devine, il est minuit. Petite trouvaille qui n'a l'air de rien mais qui, parmi d'autres, font le prix de cette chronique sans événement dramatique. Eva (Itsaso Arana) est au centre, mais aussi, à de nombreuses reprises, sur les bords, pour mieux laisser de la place aux autres et à l'environnement. A un beau travail sur l'espace et la lumière s'ajoute celui sur le son : ambiance, diurne ou nocturne, magnifiquement captée, puis, petit à petit, comme filtrée. On épouse en effet de plus en plus étroitement le point de vue du personnage (la voix off finit aussi par arriver discrètement). Cependant, Eva continue à nous glisser entre les doigts, reste insaisissable, assez mystérieuse, à l'image du film entier.

  • La Femme de l'aviateur (Eric Rohmer, 1981)

    ****

    La régalade, devant l'un des 4 longs métrages de Rohmer qui m'étaient inconnus. Je ne courais pas spécialement après, et pourtant, par surprise, il se hisse directement parmi mes préférés. C'est le bonheur de la langue, des dialogues, des mots, mais délivrés avec naturel. Toutefois, c'est le côté documentaire qui accroche tout d'abord, avec ce générique sans musique mais aux images de type reportage sur un centre de tri de la Poste. Ce n'est pas un leurre car on ressent tout du long la présence du réel autour des personnages. Les scènes de rues et de cafés sont formidables, avec comme point d'orgue ce plan génial du personnage principal s'endormant à sa table avec la circulation dans son dos, derrière la vitre. Cet état de fatigue est l'une des plus belles idées du film. Elle se rattache à celle de la rêverie (le fondu à l'iris au moment du deuxième assoupissement pourrait signaler une bascule dans une aventure rêvée), tout en étant justifiée par le scénario, qui s'attache à quelqu'un venant de travailler toute la nuit. Un état suspendu, une disponibilité, un quiproquo, et l'intrigue peut se développer au hasard des rencontres (ce n'est pas nouveau mais voir ce genre de Rohmer-là c'est mesurer immédiatement l'importance de la dette du cinéma de Hong Sang-soo). La rigueur spatiale de Rohmer fait merveille lors de la séquence de "filature", d'autant plus plaisante qu'elle ajoute délicatement au parfum policier, hitchcockien, un jeu de la séduction (et beaucoup d'humour). Après ce grand moment, le retour en appartement pour une récapitulation et pour le dénouement peut paraître en deçà, mais ici, au-delà des échelles de plan et du rythme des dialogues, ce sont les deux interprètes qui brillent encore plus. Tous sont très bons mais Marie Rivière et Philippe Marlaud sont extraordinaires. La première n'exprime pas la fragilité et les changements d'humeur seulement par sa voix et son regard mais par ses gestes, ses mouvements de bras, sa façon de porter ses mains vers sa figure ou ses cheveux. Le second traverse le film avec la bonhomie de son visage rond mais sans la moindre mollesse, rendant parfaitement l'ouverture aux possibles, l'accueil des événements plus ou moins provoqués. J'ai appris son tragique destin en me renseignant juste après, ce qui ajoute encore une dimension particulière. En bonus sur le DVD visionné, les dix petites minutes d'échanges (radiophoniques) avec Rohmer explosent tout par la précision dans l'expression conjointe de la théorie et de la pratique du tournage. Double régalade.

  • Un été chez grand-père (Hou Hsiao-hsien, 1984)

    **

    Hou Hsiao-hsien commence à trouver sa voie avec "Les Garçons de Fengkuei" (pas vu) et celui-ci. Suivront, encore plus aboutis, "Un temps pour vivre, un temps pour mourir" et "Poussières dans le vent", puis "Cité des douleurs" qui ouvre la période des chefs d’œuvre. Devant "Un été chez grand-père", on pense souvent à Ozu à cause des plans urbains, des surcadrages d'intérieurs, d'une certaine trivialité enfantine développée dans une mise en images rigoureuse. Mais c'est sans doute un biais occidental puisque HHH réfutait lui-même cette influence à ce moment-là, dans les années 80. Le style se cherche encore mais paraît bien adapté à une chronique d'enfance comme celle-là, aux pauses, aux détours, aux jeux dont le déroulement importe plus que la finalité. Après une première moitié un peu décousue, la trame devient plus serrée et forme un joli réseau de relations entre les personnages. Apparaît alors le vrai sujet du film : les rapports difficiles, souvent distants, entre enfants et parents, la façon dont ils se voient les uns les autres sans se comprendre, au sein d'une société ayant du mal à se défaire de ses réflexes archaïques pour assurer la transmission.

  • On vous croit (Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys, 2025)

    °

    La recherche du réalisme et l'illusion du temps réel pourraient rapprocher ce premier film de fiction de quelques grands documentaires sur la justice. Des confrontations chez Wiseman ou chez Depardon naît ce vertige de la difficulté, sinon de l'impossibilité, à trancher et à ajuster au mieux une décision. Ici, il nous est demandé à tout instant de juger les personnages. Sur chaque phrase ou chaque posture. Avec une caméra très concentrée et très proche des visages détachés de fonds blancs, même le dispositif nous pousse inlassablement à arbitrer. Dans sa rigidité, il nous y incite même lors de ces plans de coupe sur les avocats qui écoutent, car ce choix de montage ne peut qu'apparaître signifiant et donc directif. Le problème n'est pas, bien sûr, d'être du côté des victimes, ni de traiter un sujet de société extrêmement important, mais d'épuiser ainsi le spectateur entre crises émotionnelles et sommations à prendre position.

  • Le Rideau déchiré (Alfred Hitchcock, 1966)

    ***

    Gamin, je ne sais pas si c'est le premier Hitchcock que j'ai vu, mais c'est le premier que j'ai aimé, au point de le regarder plusieurs fois à cette époque. En revanche, je n'y étais pas revenu depuis. Certes c'est un peu long, il n'y a plus de "métaphysique" (seulement des mathématiques), c'est juste de l'espionnage, en pleine guerre froide et sans aucune équivoque malgré la fausse piste initiale. Malgré cela, je trouve toujours Paul Newman excellent et Julie Andrews très bien. On sent qu'Hitchcock recycle certaines choses mais, à un tel niveau, pourquoi pas ? C'est aussi fort dans les changements d'échelle, du plan de détail au plan très large, que dans les variations de tempo, de la dilatation des scènes à la fulgurance d'une seconde (comme le réflexe de Newman qui rattrape l'argent volé par les soldats déserteurs aux passagers du bus, inspiration qui sauve cette scène, la seule à être, dans l'engrenage, vraiment tirée par les cheveux).
    Et sinon, obsession Twin Peaks : la traversée du musée désert pour échapper à la vigilance de Gromek, avec ces avancées transversales de Newman dans les plans, l'effet de répétition entre les deux salles successives, le motif géométrique noir et blanc au sol, le seul bruit des talons comme ambiance... on dirait la traversée de la black lodge par Cooper poursuivi par son double maléfique (on pourrait d'ailleurs aussi voir ce lieu du musée comme le point de passage d'un monde à l'autre pour le prof. Armstrong dont la vraie loyauté et la fausse trahison nous sont révélées à la sortie, à la ferme).
  • Le Prix du danger (Yves Boisset, 1983)

    *

    Comme je le suspectais, mon souvenir de jeune ado rendait plus tragique, plus violent et plus ample quelque chose d'assez riquiqui et, surtout, faible techniquement. Les scènes d'action sont très moyennes (la séquence avec les avions est catastrophique), aucun effort n'est fourni pour aider à saisir une différence entre ce qui est vu par les téléspectateurs de la fiction et ce qui est vu par le spectateur du film, la photographie est quelconque et le travail sur le son semble inexistant, sans souci de l'ambiance, égalisant toutes les voix par une post-synchro généralisée, probablement en raison d'un tournage essentiellement yougoslave. Marie-France Pisier et Bruno Cremer n'ont pas de mal à paraître sobres à côté des seconds rôles et bien sûr de Michel Piccoli en roue un peu trop libre et de Gérard Lanvin (amusante Isabelle Jordan dans le Positif de l'époque : "magnifique dans Extérieur nuit, très bon dans Une semaine de vacances, intéressant dans Le Choix des armes et convenable dans Tir groupé, il prolonge cette courbe descendante dans l'emploi du personnage en crise : on aimerait bien qu'une habilleuse inspirée perde tous les blousons d'un prochain film et lui essaie un costume trois pièces. Ça nous changerait."). Pour autant, il est terrible de constater à quel point Boisset aura vu juste. Le jeu de la mort est certes encore contenu dans les recoins du net mais les discussions entre Cremer, Pisier et Piccoli (de loin les meilleures scènes), mêlant et malmenant spectacle, morale et politique, restent fortes car glaçantes d'actualité, imaginables sans ajustement, avec le même cynisme et les mêmes alibis, dans d'autres bureaux peuplés d'ordures, ceux de nos chaînes d'opinion d'extrême droite.

  • L'Etranger (François Ozon, 2025) & L'Etranger (Luchino Visconti, 1967)

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    Hyper-chiadé et parfaitement lisse, modernisé juste comme il faut (touche de solidarité féminine et un peu plus de place laissée aux personnages arabes), le film d'Ozon m'a laissé indifférent. L'interprétation va du mauvais (Lottin) au terne (Voisin) en passant par le convenu (Lavant qui engueule puis pleure son chien). Comme Ozon tient à son image pop-rock, il s'offre Killing an Arab en générique de fin sans se soucier du fait que cela entre en contradiction avec la manière illustrative qui précède. Le seul avantage est de m'avoir donné envie de découvrir le Visconti malgré sa faible réputation.
    Au moins celui-ci est un film vivant. Par la couleur, par les zooms et autres mouvements presque fébriles, par le montage parfois brutal. La partie consacrée au procès est visuellement dynamisée par la pertinente idée des éventails agités par le public. Trouvaille nullement gratuite puisque la chaleur est ressentie tout au long du film, la sueur dégoulinant sur chaque visage. Même si, à l'exception du principal, les rôles sont tenus par des français (Anna Karina, Georges Géret, Bernard Blier, Georges Wilson, Bruno Cremer...) privés de leur voix dans la version italienne, tout le monde est meilleur dans cette adaptation-là. Reste le cas Mastroianni. Il est vrai que, démarrant avec son peps et son sourire habituels, il ne peut empêcher que ça coince ensuite par endroits, lorsqu'il s'agit de montrer la passivité, l'indifférence ou l'indécision du personnage. Celles-ci paraissent alors en décalage, comme le geste fatal, sauf peut-être à y voir une sorte de schizophrénie, non-conforme au roman même si c'est une autre façon d'envisager l'inexplicable. Évidemment, le film aurait été tout autre si Delon avait pu jouer Meursault, comme prévu initialement par Visconti.
  • Les Vitelloni (Federico Fellini, 1953)

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    J'avais un souvenir assez léger du film en tant que "comédie dramatique". Or cette chronique, où entrent beaucoup de souvenirs personnels de Fellini et de ses deux coscénaristes Tullio Pinelli et Ennio Flaiano, est recouverte du début à la fin d'un épais voile de tristesse. Si un fond de tendresse persiste, le regard porté sur ces personnages d'hommes italiens pas vraiment déconstruits est tout de même particulièrement critique. Fellini n'hésite jamais à appuyer là où ça leur fait mal, à leur faire balancer, les uns aux autres, les reproches les plus durs, tout soudé que soit le groupe. Même s'il peut être pris pour un film de transition, il n'en est pas moins passionnant. Son ampleur, son élargissement sensible bien au-delà de la petite bande, viennent déjà du talent de Fellini pour les digressions, les surprises narratives, les passages inattendus d'un personnage à un autre, la circulation énergique au cœur des foules, les touches oniriques ou absurdes qui bientôt s'épanouiront en longueur. Chacun des Vitelloni est caractérisé mais la multiplicité de leurs interactions fait la richesse et parfois l’ambiguïté du tableau. La fin est l'une des plus belles qui soient, l'émotion sur le quai de la gare étant décuplée par cette idée géniale de travelling ferroviaire en chambre.

  • La Balade sauvage (Terrence Malick, 1973) & Mean Streets (Martin Scorsese, 1973)

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    Un heureux hasard m’a permis de revoir à la fois le Malick et le Scorsese. Et de me rendre compte à quel point ils peuvent être croisés.
    Les deux ont été présentés pour la première fois en octobre 1973 à New York, à quelques jours d’intervalle. On peut soutenir que leur auteur a fait "mieux" tout de suite après, disons encore plus "beau" ou plus "maîtrisé", avec Les Moissons du ciel et Taxi Driver (par dessus la commande, fort bien exécutée d’ailleurs, de Alice n’est plus ici pour Scorsese). Mais Badlands et Mean Streets ont la force des cristallisations. Tout est déjà là, dans un état pur, ce qui en fait des grands films tout en les rendant peut-être plus attachants que les suivants.
    Sur une base criminelle bien établie ils développent tout de suite un univers personnel. Lumière du jour, superbes plans généraux, instants muets seulement rattachés à la narration par la musicalité de la mise en scène pour l’un, lumières artificielles de la nuit, plans séquences tortueux, agitation et logorrhées dans un rythme chaotique pour l’autre. Malick fait naître un sentiment de plus en plus étrange face à l’inconséquence terrible et désarmante de ses fugitifs. Scorsese saisit d’entrée par l’énergie folle et tourbillonnante qui propulse son Charlie, tiraillé et qui s’épuise à "sauver" Johnny Boy.
    On a deux utilisations bien différentes de la musique et de la voix off. On a également deux doubles avènements : Martin Sheen et Sissy Spacek, Harvey Keitel et Robert De Niro. Les autres, ils disparaissent au passage des premiers, se retrouvent constamment autour des seconds. D’un côté une fuite irréfléchie, de l’autre un cercle infernal.
    Le personnage de Sheen se prend pour James Dean, celui de Keitel ne jure que par John Wayne. Et cerises sur les gâteaux méta-cinématographiques : Malick et Scorsese qui apparaissent en personne, mais pour mettre en danger leurs personnages, perturbant une prise d’otage ou commettant le massacre final. Drôles de signatures.

  • La Disparition de Josef Mengele (Kirill Serebrennikov, 2025)

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    Déçu, même si j'avais été l'un des rares à ne pas avoir succombé au charme de "Leto". La première partie possède sa force, à la fois dynamique et plastique, avec pour points d'orgue les étonnants plans séquences de la fuite dans la rue puis du mariage entre amis nostalgiques du Troisième Reich. Puis il y a la séquence-choc d'Auschwitz. Si l'on pense immédiatement à "La Zone d'intérêt", ce n'est pas vraiment, à mon sens, par opposition (l'un montrerait ce que l'autre masque) mais parce que, tout simplement, l'ouverture s'effectue de la même façon, par une scène intimiste et douce en bord de rivière. Ensuite, l'horreur arrive mais Serebrennikov maintient (heureusement) une certaine distance par plusieurs partis pris. Mais cette séquence n'est pas une bascule, juste une entaille douloureuse dans le récit. Car on reprend ensuite le fil, ou plutôt la ronde, avec les mêmes procédés, le même régime. J'ai alors décroché devant ce qui m'est apparu comme du ressassement plus monotone que vertigineux, l'impression que, à suivre la longue deuxième heure, on n'est pas plus avancé.