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Film

  • La Dolce Vita (Federico Fellini, 1960)

    Si l'on a, comme moi, laissé recouvrir pendant très longtemps le film par sa légende cinématographique (le scandale de la décadence bourgeoise d'une part, le glamour de la baignade, des lunettes noires et du titre lui-même d'autre part), on a oublié à quel point il est, au contraire, insaisissable. Pour la première fois à ce point chez Fellini, la narration ne tient qu'à la succession de blocs quasiment jamais fondus l'un dans l'autre, presque interchangeables, et dont le dernier pourrait très bien intervenir au bout d'une ou deux heures de plus. Certes, Mastroianni est déjà l'alter ego, en tout cas le témoin et le guide (il est même, souvent, celui qui aide les autres à entrer dans ces cercles fermés) et, la re-création à Cinecitta aidant, le film peut passer pour film-mental. Mais il y a une dimension supplémentaire, qui tient légèrement à distance : chaque séquence finit par dévoiler un dispositif de mise en scène, mise en abîme ou mise en spectacle, avec les paparazzi, les caméras de TV, les déclarations à Anita Ekberg qu'elle ne semble pas entendre, la bande enregistrée chez Steiner, le dialogue avec Anouk Aimée à travers le conduit, la scène de ménage sur la route déserte mais sous un immense projecteur, etc. Plutôt que le sommet fellinien, je le vois maintenant comme le premier essai, bien sûr impressionnant/monstrueux, de creusement d'un espace entre rêve et réalité qui mènera à des œuvres plus abouties encore.

  • Wild Boys of the Road (William Wellman, 1933)

    ***
     
    Une odyssée de la Grande Dépression bouclée en 68 minutes (présentation du milieu d'origine des deux héros comprise), une peinture sans omission (les Noirs, les femmes, chaque niveau social touché), sans concession mais bienveillante, des séquences marquantes attachées tantôt au général (les trains, les révoltes), tantôt au particulier (les preuves d'amitié), et au final une pointe très avancée du cinéma social états-unien.
    (Si le film est "pré-code", il l'est surtout politiquement, voir la séquence avec la jeune fille esseulée dans le wagon : si elle apparaît en soutien-gorge, c'est pour faire sécher et chauffer son pull, puis la touche réaliste devient scène dramatique lorsque le conducteur du train se jette sur elle pour - dans une ellipse - la violer)

  • La Chronique des pauvres amants (Carlo Lizzani, 1954)

    **
     
    Film ambitieux qui, situé en 1925, est autant le portrait des habitants d'une ruelle populaire de Florence que la description de la mise au pas fasciste initiée à ce moment-là. C'est une œuvre chorale qui brasse un nombre très élevé de personnages, réalisée dans une recherche d'expressivité qui perturbe parfois (dans les éclairages des visages surtout) le pur réalisme. Les notations sont multiples et la continuité de certaines au fil des événements, d'une vie relativement paisible à la peur de la violence politique, comme le fait de se parler de fenêtre à fenêtre, assurent une belle cohérence. Le parti-pris est de caractériser chaque personnage à la fois par son engagement (ou son accommodement) et par ses relations amoureuses. Il y a donc énormément de révélations sentimentales et autres scènes de couples. Si elles sont généralement traitées avec délicatesse, elles ont tendance à diluer la force politique du film.

  • The Phoenician Scheme (Wes Anderson, 2025)

    ***

    Miracle. Il m'aura fallu attendre la septième tentative pour aimer absolument un film live action de Wes Anderson (ses deux animés m'avaient bien/beaucoup plu), de l'explosive première séquence à la dernière, plus simple. La violence du monde s'est immiscée dans son univers protégé et même la musique s'est (favorablement) alourdie, sans sucre pop. Les épisodes de cette aventure exotique sont suffisamment variés, les apparitions des vedettes disséminées, les figures de style convoquées à bon escient (oubliée l'insupportable monotonie des travellings latéraux d'Asteroid City). Le segment presque final où Benedict Cumberbatch s'est fait la tête de Fantômas, c'est beau comme du Feuillade. Michael Cera est deux fois très bon en agent démasqué. Je découvre Mia Threapleton, toute de blancheur, face au bloc noir Benicio Del Toro, en Citizen Kane blessé, le point fort du film, l'élément le plus déterminant. Il apporte une épaisseur, une vibration remontant de loin, une présence directe sans second degré redondant. Ces personnages, qui n'ont pourtant au départ pas grand chose pour eux, m'ont paru pour une fois incarnés et sensibles, finalement très émouvants.

  • Le Bois des amants (Claude Autant-Lara, 1960)

    °
     
    Positif, par fidélité, avait consacré 7 pages à ce film en 61, par Marcel Oms qui le présentait en chef-d’œuvre incompris. Quelques mois plus tôt, il s'était effectivement pris 5 points noirs sur 5 votes exprimés dans le Conseil des dix des Cahiers. Le début n'est pas mauvais : le vieux pétainiste content que les Allemands aient mis de l'ordre dans le pays, la jeune femme soldat qui débarque à la Kommandantur sous les regards en biais des officiers, l'inflexibilité flippante de Gert Froebe, les différentes langues glissant astucieusement vers le français, Terzieff qui cite les lieux de chez lui en les survolant trappe ouverte avant d'être parachuté. Ça se gâte terriblement ensuite. Autant-Lara ne sait absolument pas filmer l'action : la traque de Terzieff est aussi molle que le sera le corps à corps du dénouement. La série de coïncidences amenant à regrouper les personnages principaux dans la maison rend plus invraisemblable encore un récit déjà lourd de ses implications morales. Si la psychologie fait plutôt bien tenir quelques scènes entre les deux (presque) amants, les tergiversations finissent par accuser la théâtralité trop gravement (le manque de continuité entre les extérieurs et les intérieurs y contribue aussi). Autant-Lara a voulu réaliser un film libre d'esprit et pacifiste par la mise en valeur de l'amour (chaste, même si Terzieff manque de violer : heureusement, sa mère castratrice a débarqué dans la chambre in extremis). La puante évolution future du cinéaste biaise peut-être le regard mais on voit là surtout des Français ballottés, des Anglais moqués, des Allemands sévères dans leurs uniformes mais finalement tous très sensibles, tel ce Général inspirant d'abord la crainte puis évoquant la larme à l'œil la mort de son épouse dans un bombardement. Rayant tout le monde de la carte de la fiction, l'apocalypse finale est d'ailleurs due, elle aussi, aux bombes alliées.

  • La Lanterne du Seigneur à Budapest (Miklos Jancso, 1998)

    °
     
    Jancso a enchaîné avec "Dieu marche à reculons" en 1990 et "La Valse du Danube bleu" en 1991. Impossible de les juger en l’absence de sous-titres. Faisant défiler le premier, on y observe le même dispositif que dans les précédents, celui augmenté par le pullulement d’écrans vidéo. Il contient la nudité la plus gênante du corpus, celle, constante, d’une jeune femme attirante, souriante, accommodante, ne cessant d’être regardée, caressée, embrassée par des hommes tournant autour d’elle, tous habillés, dans un palais. Le film se termine en mode méta, avec Jancso et son scénariste Hernadi, fêtés puis abattus dans la rue.
    Après ces deux opus et une série de documentaires, arrive en 1998 "La Lanterne du Seigneur à Budapest". Jancso et Hernadi sont à nouveau réunis à l’écran, observateurs, dans un cimetière lumineux, de leur propre fiction. Celle-ci est confiée à un duo de théâtre comique, Zoltan Mucsi et Peter Scherer, et se présente sous la forme de cinq longs sketches censés faire rire de la nouvelle société hongroise. Les interprètes habituels sont absents et le génial Janos Kende ne tient plus la caméra. Le résultat est une catastrophe. L’humour absurde des situations ne fonctionne pas, les dialogues accumulent les vulgarités, au sein du duo, l’un gueule, l’autre encaisse, les plans séquences millimétrés ont laissé place à des prises hasardeuses, les cadrages des visages sont effectués au plus près dans une laideur absolue, les femmes, bien que vêtues, sont traitées en sal...es nymphomanes, les dernières séquences bouclent la chose en clip vidéo avec des plans des deux auteurs plus narcissiques que ludiques. Cet essai cinématographique de rupture est une redoutable purge. La collaboration avec Mucsi et Scherer va durer douze ans, pour chacun des sept derniers longs métrages de Jancso. Je ne suis pas sûr d’avoir la force d’en regarder d’autres.

  • Le Répondeur (Fabienne Godet, 2025)

    **
     
    Bien aimé cette comédie sans prétention qui, à partir d'une situation invraisemblable, se développe assez finement, en évitant pas mal de pièges (évidemment quelques quiproquos mais sans avalanche). Le rythme peut paraître inégal mais c'est aussi parce que le temps est laissé à chaque scène (on aime ou pas les moments d'imitations en stand-up mais, au moins, la durée leur confère une certaine vérité). J'aime bien aussi l'approche des personnages : la satire du milieu parisien de la culture ne frappe pas aveuglément car chacun a sa chance, ne serait-ce qu'un court instant, et les seuls personnages entièrement désagréables sont laissés hors-champ, au bout du téléphone, ce qui m'a paru être un principe intéressant.

  • Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé (Bogdan Muresanu, 2024) & Libertate (Tudor Giurgiu, 2023)

    * / ***
    Deux films roumains qui traitent de la révolution de 1989 et de la date pivot du 21 décembre, l'un racontant les prémices, l'autre les conséquences. Pas de révélation du niveau Porumboiu-Mungiu-Puiu de la grande époque mais ma préférence va nettement au second, qui pourtant, je crois, a été moins mis en avant.
    "Ce nouvel an..." est un film choral qui, au-delà de ce principe de départ, ne m'a guère semblé aventureux, ni dans sa forme, ni dans son contenu. Le placement de tous ses personnages dans un état de fébrilité permanent est assez artificiel et chaque trajectoire plutôt convenue, avec beaucoup de choses prévisibles, à l'image de la demande de la vieille dame, rechignant à abandonner son appartement, qu'on l'aide à colmater ses fenêtres de chambre. Le choix du "Boléro" de Ravel pour mener le dernier mouvement me semble symptomatique : créer de l'émotion et de l'unanimisme à peu de frais.
    L'agitation et la tension sont bien plus justifiées par la situation dans "Libertate" qui, d'ailleurs, choisit avec beaucoup moins de facilités et plus d'audace le decrescendo pour aller à son terme. Son côté thriller, ou film de guerre, ne l'empêche pas de prendre des petits détours, de s'octroyer des pauses, au fil d'une mise en scène habile et prenant consciemment le risque de laisser pendant longtemps très peu de repères au spectateur. La choralité du récit prend cette fois l'allure du hasard et ne dégage que tardivement une hiérarchie parmi les personnages, sans que l'on puisse la prévoir au début. En recréant dans une piscine vide un microcosme où se retrouvent, sous la menace de l'armée, policiers, membres de la Securitate, révolutionnaires de la première heure et simples passants, sa principale qualité est de toujours laisser la place au doute sur chacun et de démontrer courageusement combien il est difficile, impossible même, de juger les gens à chaud, sur l'instant.

  • La Voie lactée (Luis Buñuel, 1969)

    **

    La petite insatisfaction que génère "La Voie lactée" (aiguisée par sa position même, entre "Belle de jour" et "Tristana") ne vient pas du découpage du récit qui tendrait à la suite de sketches, comme je croyais me souvenir. Cette avancée, qui vient du roman picaresque, est au contraire l'un des plaisirs du film car l'extraordinaire variété des enchaînements le rend imprévisible. Cela peut-être, toujours différent, une rencontre, un rêve, un souvenir, un glissement historique, un fantasme, une apparition ou encore un simple récit oral (on pense forcément que l'histoire entamée par Julien Guiomar au coin du feu va être représentée mais pas du tout, d'où la force de la séquence). Non, la limite du film est son contenu exclusif, une succession de conversations, débats ou dilemmes théologiques fidèlement repris de textes anciens mais dont le déplacement à l'époque contemporaine (même parasitée par d'innombrables irruptions des temps passés) frappe d'ironie ou d'absurdité. Si le décalage induit fonctionne à plein dans le quotidien moderne (la discussion sur la nature du Christ entre le maître d'hôtel et ses employés), d'autres séquences, plus "historiques", s'étirent inutilement (les Noces de Cana ou le duel entre le janséniste et le jésuite). Par ailleurs, comme le pointait aussi Louis Seguin, déconcerté dans un Positif d'époque, les deux vagabonds (Frankeur et Terzieff) en fil conducteur se révèlent trop passifs pour que le spectateur s'accroche réellement à leurs basques.

  • Gran Casino (Luis Buñuel, 1947)

    *

    Buñuel arrive au Mexique et débute par cette commande avec deux vedettes du music-hall, une histoire de vengeance et d'amour dénonçant au final l'avidité d'un trust pétrolier (géré par un Allemand dont il n'est question que dans les dix dernières minutes). Le film est clairement commercial, mélangeant les genres populaires au fil d'un scénario pas toujours très solide et oubliant vite sa base sociale. Son rythme est considérablement ralenti par des chansons déroulées en intégralité. Reine du tango argentin, Libertad Lamarque s'investit franchement tandis que Jorge Negrete semble au contraire faire peu d'efforts pour chanter ses airs mexicains. Deux d'entre eux, cependant, sont bien amenés : le premier recouvre le bruit de la lime nécessaire à une évasion de prison et, plus tard, un autre est consécutif à un encerclement du héros qui, ainsi menacé, se réfugie sur scène. Coincée en studio même pour représenter un chantier, la mise en scène est tout à fait correcte mais ne s'autorise aucun écart hormis deux brefs plans sur une flaque de goudron en pleine discussion amoureuse. C'est le seul instant que l'on puisse qualifier d'insolite. Il y a bien un plan de jambe dénudée mais, placé en ouverture d'un numéro, il relève clairement de la convention du spectacle musical, comme l'échange d'identité entre l'héroïne et son amie n'est qu'une astuce scénaristique. Ailleurs repoussée (deux meurtres importants se succèdent sans être représentés), la violence ne surgit elle aussi qu'un instant lorsque Negrete se saisit d'une lourde statuette et assomme avec une grande brutalité l'un des sbires cachés derrière un rideau. Ici, le fait de ne pas voir la victime décuple la force des coups. Le film n'est absolument pas indigne mais la moisson reste très modeste.