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On a volé un tram (Luis Buñuel, 1954)

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A Mexico, la compagnie de tramway met à l'arrêt l'une de ses vieilles rames, qui fonctionne pourtant encore très bien. Très attachés à leur outil de travail, le conducteur et son receveur, lors d'une soirée arrosée, offrent clandestinement une dernière sortie à leur véhicule. Au petit matin, ils tentent de le ramener discrètement au dépôt mais divers contretemps vont retarder l'opération jusqu'au soir, après une journée à sillonner la ville. C'est une comédie enlevée et très divertissante. Moins sombre et agressive qu'attendu, c'est une œuvre de circonstance qu'il ne faut cependant pas négliger (comme Buñuel lui-même avait tendance à le faire). On n'y trouve ni collage choc ni dérapage onirique mais ces tentations sont tranquillement absorbées, sans basculer dans la compromission. Passer par le surréalisme pour mieux voir le monde, ce but toujours recherché par le cinéaste trouve même ici une belle réussite "commerciale". Dans le tram, des quartiers de viande se balancent au-dessus du haut-de-forme d'un bourgeois éméché ou d'une statuette christique tenue par deux bonnes sœurs, mais pour une fois, ces images insolites sont pleinement justifiées, par la présence d'un groupe de travailleurs sortant des abattoirs (d'une manière générale, le peu de crédibilité de l'argument principal s'oublie totalement grâce à une écriture serrée, parfaite dans chaque relance). Si le plan rituel sur une jambe dénudée ne manque pas, il est intégré à une pause en forme de jeu de séduction. Aucune séquence de rêve, en revanche. Sauf que "l'illusion" est tout simplement dans le titre original : La Ilusion viaja en tranvia. L'illusion, les aspirations, les rêves voyagent en tramway. Ceux du peuple de Mexico. Car le fond du film est ici : une coupe sociale de la ville effectuée le long d'un récit picaresque et choral (proche de certains films italiens des années 30/40). Ce qui se déroule à l'extérieur du tramway est aussi important que ce qui se joue à l'intérieur : files d'attente pour obtenir une nourriture hors de prix, explication limpide sur l'inflation et ses conséquences sur les pauvres délivrée en fin de nuit par un personnage secondaire alcoolisé, mépris des classes dirigeantes envers les ouvriers, frayeur d'une touriste américaine se croyant dans une enclave communiste lorsqu'on lui dit que le trajet est gratuit, etc. En ouverture et en fermeture, un commentaire insiste : ce récit non-événementiel voisine avec les innombrables petites histoires dont la ville est tissée. Par ailleurs, mine de rien, voilà un joli film sur la camaraderie. Même ici, Buñuel est donc fidèle à sa morale (et toujours sans angélisme : les pauvres ont aussi leurs mauvais moments et leurs mauvaises réactions, tandis que le personnage le moins aimable, ancien de la compagnie prompt à dénoncer le moindre écart de ses successeurs, est celui qui aura vu le plus clair dans toute cette aventure). La particularité du mode de transport apporte une singularité narrative, à la fois une boucle et un empêchement renouvelé qui renvoient à bien d'autres Buñuel, tandis que la limitation du réseau peut entraîner à réfléchir aux frontières sur lesquelles finissent par buter les utopies.

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