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Sur l'échelle de la difficulté, même si Cristi Puiu n'a jamais réalisé de film "facile", là, on est vraiment sur de la haute montagne, comparable, parmi d'autres exemples pouvant venir en tête, au Francisca de Manoel de Oliveira. En un seul lieu, le cinéaste adapte non pas une pièce de théâtre mais un texte philosophique de Vladimir Soloviev rédigé à la fin du XIXe, "Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion". Long de 3h20, le film consiste en une série de discussions, en français, entre cinq personnages principaux tentant tour à tour de démontrer la validité de leur position respective sur ces sujets. Le texte est si dense, la succession des arguments et contre-arguments si rapide, qu'il est impossible (pour moi en tout cas) de tout assimiler sur une durée si longue. Peu importe, la radicalité du dispositif et la qualité de mise en scène font le reste. Six chapitres de durées inégales sont déroulés, dans une apparente continuité narrative, mais chacun mis en scène différemment : le premier donne à voir une inventive approche théâtrale des compositions, le deuxième rend compte d'actions plus dynamiques (celles des domestiques, présence continue, quasi-silencieuse, pré-révolutionnaire, derrière les maîtres refusant tout effort autre que celui de lever un verre ou une cuillère), le troisième est découpé en champs-contrechamps, et ainsi de suite jusqu'au dernier, en un seul plan séquence où les acteurs sont majoritairement filmés de loin et de dos. L'aridité, Puiu la contrebalance notamment en laissant vivre la profondeur (le travail des serviteurs) et le hors-champ. A quelques occasions, il laisse une erreur ou une hésitation dans un long monologue. Les discussions finissent presque toujours par être perturbées, reportées, interrompues, par un élément extérieur. Mais parfois, on se demande si un bruit ne vient pas tout simplement du plateau. C'est que le film est finalement très mystérieux, d'une part à cause de sa temporalité flottante, entre deux époques, dans l'attente d'un bouleversement historique, d'autre part à cause de plusieurs détails, brèves apparitions, apartés, bruits, non expliqués. La séquence la plus saisissante aboutit à l'assassinat des convives mais sans conséquence pour la suite, ceux-ci reprenant au chapitre suivant le fil de leur conversation. Ainsi, Malmkrog fait souvent penser à Buñuel, dans son obsession théologique et dans ses petites énigmes, tout comme dans sa façon de montrer une classe dominante morbidement cloîtrée sous les regards de ses serviteurs. Il y a même des moutons, non pas en conclusion mais en ouverture.