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2000s - Page 2

  • Désillusions

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    On attend tellement du cinéma, on espère tant trouver de quoi nous nourrir même lorsque l'on fait le choix de film le plus incertain, le plus hasardeux et le plus téméraire au regard de nos goûts habituels, que l'attente est parfois mal récompensée, la chute brutale et la désillusion radicale. Ainsi, ayant été hypnotisé, un soir déjà lointain, lors de la diffusion télévisée de ce grand documentaire qu'est En construccion (2000), je suis parti plein d'entrain, l'été dernier, à la découverte du cinéma de son auteur, l'Espagnol José Luis Guerin. L'illusion n'a pas perduré.

    Los Motivos de Berta (1983) est la chronique de quelques jours dans la vie d'une petite campagnarde, passée au prisme de son imaginaire. Sous la forte influence, assumée, du Victor Erice de L'Esprit de la ruche, un récit étrange tente de se mettre en place, tout en longs plans ciselés en noir et blanc. Mais il a tôt fait de se déliter et le mystère qui l'accompagne, au lieu de s'épaissir, finit par s'éventer et disparaître au-delà des champs de Castille, rêvés ou bien réels, dans le sillage d'une Arielle Dombasle chevauchant, en robe blanche et perruque.

    Innisfree (1990) est une relecture de L'Homme tranquille de John Ford, un documentaire-hommage réalisé sur les terres irlandaises de son tournage en 1951. Alternant rares extraits et prises de vue sur place, l'œuvre a la (non-)forme de la déambulation. Elle n'offre pas plus de progression émotionnelle qu'elle ne dévoile de but particulier. Malgré un découpage plutôt vif, les séquences-blocs semblent ne jamais vouloir se clore. Des scènes de pub flirtent avec l'insupportable, des enfants de l'école racontent les scènes du film, des reconstitutions sont esquissées... A chaque instant, l'articulation entre les deux films, espacés de quarante années, manque cruellement.

    Tren de sombras / Le Spectre de Thuit (1997) est l'auscultation, à la Blow up, d'une série d'images. Présentées comme des reliques des années vingt, bobines à usage familial appartenant à un riche amateur de l'époque, quelque chose nous dit qu'elles tiennent de l'aimable supercherie. Guerin les donne d'abord à voir telles quelles, avant de s'en approcher au plus près, de les grossir, de les ralentir. Sur le papier passionnant, le projet s'abîme dans une réalisation tâtonnante, répétitive et imprécise dans la mise à jour des rapports qu'elle est supposée dégager. Conscient de cette opacité, Guerin finit par reconstituer et montrer le contrechamp de ces images, montrer le filmeur : tout cela est donc bien laborieux. Cherchant, en parallèle, le spectre du passé dans le présent, le cinéaste en passe de surcroît par de longs tunnels de plans sur une nature indéchiffrable qui achèvent en nous l'espoir qui subsistait malgré tout, lorsque nous contemplions un beau visage de jeune fille.

    Dans la ville de Sylvia (2007) est un film à la teneur en fiction plus prononcée. Il est coupé par trois cartons annonçant autant de nuits (alors que la quasi-totalité du récit se passe de jour), bornes qui n'ont pas d'intérêt particulier. Entre elles, un récit ou plutôt son esquisse, avec ce que cela comporte d'inachevé et d'insatisfaisant. Cette esquisse a, cette fois-ci, il est vrai, le mérite d'épouser parfaitement l'idée originelle. Car Guerin filme ici comme son personnage principal, à longueur de journée, dessine, en reprenant son geste, en l'ajustant, et en laissant même le vent tourner les pages/les plans. Guerin filme aussi comme le jeune homme regarde, captant à distance des bribes de conversations, observant de loin comment peuvent se composer des formes, tentant de saisir un peu de la beauté intérieure de chaque jolie femme croisée en terrasse ou dans les rues. Eloge de la ville, de la marche, de l'observation, de la présence des femmes, le film est léger comme une plume, volatil comme une goutte de parfum.

    José Luis Guerin m'a laissé là, dubitatif et presque endolori par la vision de ces œuvres dans lesquelles plusieurs séquences semblent conclusives mais recèlent finalement de nouvelles et timides relances pour aboutir à cette impression de longueur excessive et sans enjeu apparent, cette impression que les quatre-vingt-dix minutes annoncées généralement se sont transformées en trois heures.

  • The chaser

    On peut adresser un reproche à Na Hong-jin, celui de n'être arrivé qu'après Park Chan-wok et Bong Joon-ho pour œuvrer à son tour au cœur du cinéma coréen, soit à la croisée maintenant bien connue des chemins du film policier, du thriller horrifique, du mélodrame et du politique (sans oublier la petite piste humoristique). Replacé dans la chronologie, ce mélange des genres ne fait donc pas décrocher à The chaser la palme de l'originalité. Cela n'en reste pas moins, à mes yeux, une belle réussite.

    Des filles disparaissent dans Séoul. Un tueur en série sévit. La police, qui a d'autres chats (politiques) à fouetter, enquête mollement et maladroitement. Le boulot est donc plutôt fait par Joong-ho, ancien flic devenu proxénète et comptant quelques unes de ses filles parmi les disparues.

    La première impression est celle d'un cinéaste assez sûr de son scénario, aussi tordu que prenant, pour ne pas l'enfouir sous une mise en scène tape-à-l'œil. On l'apprécie, à quelques ralentis près, pour son efficacité, son rythme, ses savantes alternances entre pauses et courses, son économie musicale, ses tours de vis et ses mystères non élucidés. Surtout, elle rend compte d'une topographie très particulière, celle d'un dédale de petites rues dans un quartier de la capitale sud-coréenne. A la suite du héros, nous sommes toujours ramenés au même endroit, un croisement où les ruelles et impasses semblent changeantes. A notre grande surprise, sans pour autant nous faire tomber dans l'irréel, ce coin peut se remplir ou se vider en un clin d'œil. En pleine nuit, un embouteillage impromptu peut soudain permettre une arrestation et l'un des plus horribles événements a lieu dans la journée, en un lieu trop tranquille où il devrait pourtant y avoir du passage.

    Flirtant avec le thème de la vengeance de manière bien plus fine que ne l'a fait récemment Tarantino, Na Hong-jin fait de son personnage principal un maquereau a priori douteux voyant cependant sa carapace se fissurer petit à petit, perdant sa contenance, ses repères et ses nerfs, et surtout semblant progressivement bouffé par une culpabilité jamais réellement pointée mais bien présente, en sourdine.

     

    THE CHASER de Na Hong-jin (Chugyeogja, Corée du Sud, 125 min, 2008) ****

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  • Ocean's eleven

    Cool la musique agréablement funky et rétro (nous sommes bien dans un remake) de David Holmes, agrémentée de pincées de Handsome Boy Modeling School, Quincy Jones ou Elvis Presley. Résultat d'un mood assez proche de celui de Tarantino (entre le pastiche, l'hommage, le clin d'œil et le pur fun), elle s'avance toutefois de manière moins tambourinante (et s'il faut comparer, nous pouvons dire cela de toutes les composantes du film).

    Cool le casting. Les cinq stars, George, Brad, Matt, Andy et Julia, font le job, c'est-à-dire qu'elles ne donnent pas l'impression de faire grand chose d'autre qu'être là, ce qui s'avère la plupart du temps suffisant puisque les "présences" sont évidentes et les personnages clairement dessinés. Derrière eux, les featuring sont aussi agréables, mention spéciales aux "vieux", Carl Reiner, dont le cœur est prêt à flancher à tout moment (occasion d'une jolie petite manipulation du cinéaste qui nous fait croire que le malaise du personnage, au plus fort du suspense, est réel et non feint), et Elliott Gould, en "parrain" d'un mauvais goût réjouissant (un peu gay, peut-être).

    Cool le décor de Las Vegas, rendu par Soderbergh plus élégant qu'il n'est certainement. La remarque peut s'étendre à l'apparence des personnages : même les aspects les plus bling-bling n'attirent pas les quolibets du spectateur.

    Cool la mise en scène, le cinéaste faisant preuve d'un flow ondoyant et chaleureux. Le montage et les mouvements d'appareil sont vifs sans excès, le rythme, égal, est assuré d'un bout à l'autre de ces presque deux heures d'horlogerie, le film est hautement musical, aussi bien dans ses transitions que dans ses morceaux de bravoure, l'humour est bien dosé, l'accumulation des péripéties défie la vraisemblance avec un grand smile.

    Nevertheless, trop de cool peut aussi, sinon tuer le cool ou couler le truc, au moins coller le trouble. Ce n'est pas désagréable cette coolitude au carré (et on ne peut pas parler non plus "d'ennui") mais on en sort avec l'impression que le film a glissé sur nous comme le surfboard sur la vague océane. Aucun effort n'est réalisé pour placer des choses derrière la surface, dans la profondeur. Si l'opération qui est détaillée ici est éminemment complexe (et si elle impose à certains des protagonistes de "jouer" plusieurs rôles), le récit, les caractères et les enjeux ne le sont guère. Catchy, brillant et amusant, Ocean's eleven, c'est l'histoire d'un casse spectaculaire, et seulement cela, ce qui en limite quelque peu la portée (y compris dans la filmographie de Soderbergh). Une phrase sortie par Clooney est symptomatique par la façon dont elle désamorce toute inquiétude ou tension future. Devant son pack, ses onze complices réunis pour la première fois, il lance la soirée par un "si vous voulez laisser tomber, il est encore temps : mangez un morceau et tchao, sans rancune". Alors je veux bien que l'on fasse un film criminel sans une goutte de sang (la seule blessure est purement accidentelle) et avec des gangsters sympas, mais bon, ça c'est quand même un peu trop cool. Isn't it ?

     

    OCEAN'S ELEVEN de Steven Soderbergh (Etats-Unis, 116 min, 2001) ****

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  • Zidane, un portrait du XXIe siècle

    Le synopsis tient en quelques mots : "Dix-sept caméras haute définition suivent Zinedine Zidane pendant 90 minutes au cours du match Real Madrid - Villarreal CF le 23 avril 2005". Le film de Gordon Douglas et Philippe Pareno, sorti en salles en 2006, tient plus de l'art contemporain que du reportage pour Téléfoot et on imagine l'effroi qui a du saisir certains spectateurs ayant choisi de passer une heure et demie avec leur idole et se retrouvant à subir cette vision hyper-fragmentée et ces recherches visuelles et sonores assaisonnées de post-rock.

    Au moins, n'ont-ils pas pu nier qu'ils n'avaient, sauf à l'avoir cotoyé, jamais été aussi près de leur "Zizou". Braquant les caméras et les micros sur lui, exclusivement, au point de faire des Ronaldo, Roberto Carlos, Beckham, Raul ou Figo qui l'entourent juste des apparitions, des silhouettes traversant le cadre, et de ne proposer qu'à quatre ou cinq reprises un plan général expliquant l'action, les réalisateurs ont cherché à faire une œuvre toute en "sensations". De ce point de vue, l'expérience est stimulante, même si sa durée peut être, pour beaucoup, rédhibitoire. Pendant 90 minutes, nous avons réellement la sensation physique de l'effort : la sueur coule, la respiration est difficile, les crachats sont nécessaires.

    Toutefois, Douglas et Pareno ne se sont pas contentés de cette approche "hyper-réaliste" de type "loupe Canal +". Ils ont également tenté d'épouser l'état d'esprit du joueur en cours de match et de trouver des équivalences esthétiques à cet état. Dans ce but est travaillée non seulement l'image (le montage est très vif, très destabilisant dans les premières minutes, la fragmentation du temps et de l'espace effaçant tout nos repères par rapport au terrain et à ce qui s'y passe en dehors du petit espace occupé par Zidane), mais également le son. Se mêlent, ou bien alternent, par un mixage audacieux, radical, bruits d'ambiance du stade, souffle ou mots sortant de la bouche du joueur, bruit du ballon ou des chocs avec les adversaires. Parfois même, une bande son totalement externe se superpose : celle d'une partie de foot entre gamins par exemple. Cette irruption nourrit bien sûr la réflexion sur le jeu, comme le font quelques propos de Zidane s'incrustant de temps à autre au bas de l'image. Footballeur, ce métier est décidément étrange : le sport, l'effort, le jeu, l'enfance...

    La musique du grand groupe écossais Mogwai m'a toujours semblé en lien étroit avec l'enfance. Plus exactement, ses peurs, ses angoisses. Elle est surtout, bien sûr, atmosphérique. Disant cela, il faut tout de suite préciser que le terme inclus l'orage, sa menace et son déchaînement. Le choix des cinéastes de faire appel à ces musiciens est d'une cohérence totale. Tout d'abord, ils étaient eux aussi, à l'époque, "numéro un". Ils étaient en effet réputé pour être ceux qui faisaient les concerts les plus bruyants. Ensuite, ils sont aussi peu prolixes que Zidane (qui, on s'en aperçoit ici, parlaient aussi peu sur le terrain qu'en dehors, ne lâchant guère plus que les indispensables "Va, va, va !", "Ahi ! Ahi !" et autres "Hey !" (*) à ses partenaires), signant essentiellement des morceaux instrumentaux. Enfin, comme je l'ai dit, ils installent un climat.

    Et un climat, ça joue sur le mental. Collant la forme de leur film à l'évolution mentale de Zidane durant la rencontre, les cinéastes nous font passer par tous les états, bien aidés par la dramaturgie de la soirée. En effet, peu avant la pause, c'est Villareal qui ouvre le score sur la pelouse de Madrid, équipe qui, ainsi menée, commence à douter. Pour preuve ce début de deuxième mi-temps de Zidane qui semble presque perdu, le film (et notre esprit) semblant s'égarer avec lui par la même occasion. Finalement, l'égalisation arrive grâce à Ronaldo et surtout un fabuleux débordement sur la gauche de... Zizou. Et peu après, la délivrance est là, avec un deuxième but marqué par les Merengues. Mais ce n'est pas tout. Alors que la fin approche, une chamaillerie concerne plusieurs joueurs, Zidane déboule en trombe, s'échauffe avec un adversaire et l'arbitre lui sort le rouge. Sortie du génie, seul, sous les applaudissements. La fin de carrière est proche (ce sera un an plus tard). Les réalisateurs ne pouvaient rêver mieux pour leur dernier plan que cette silhouette qui quitte le rectangle vert pour rejoindre les vestiaires.

    Zidane, un portrait du XXIe siècle ennuie de temps en temps et laisse parfois perplexe (le collage d'images en guise de mi-temps, glanées dans le monde entier et datées du même jour que le match : petite et grande histoire mêlées, comme le foot, soit, mais encore...) mais il intéresse et "interpelle" physiquement. Il n'amènera aucun anti-foot à réviser sa position et n'éclairera en rien ceux qui ne connaisse pas les règles ni les enjeux. Mais bon, ça, on s'en cogne. On a regardé pendant tout un match, de façon inédite, un sacré putain de grand joueur...

     

    (*) : Pour les non-hispanophones, successivement "Allez, allez, allez !", "Là, là !" et "Hé !"

     

    ZIDANE, UN PORTRAIT DU XXIe SIÈCLE de Gordon Douglas et Philippe Pareno (France, 90 min, 2006) ****

    zidane.jpg

  • Le soleil

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    Avec sa lenteur calculée, son esthétisme forcené, son récit elliptique et son onirisme régulier, Le soleil de Sokourov, qui s'attache à la figure de l'empereur Hirohito au moment de la défaite du Japon et du début de l'occupation américaine, se présente sous des auspices hautement théoriques faisant craindre l'œuvre de peintre totalement refermée sur elle-même.

    Or, le renfermé, elle le sent. Mais elle le sent vraiment. C'est-à-dire qu'elle transmet par ses seules images, extraordinairement travaillées, la sensation du dépérissement, de la décomposition. Se passant essentiellement en intérieurs, le film baigne dans les tons verts ou ocres, accumule les boiseries sombres, est investi par un brouillard à la fois insaisissable et réel, épais, tangible. Au dehors, le soleil perce à grand-peine.

    L'image de Sokourov a une texture. Elle est belle mais elle peut se toucher et elle a un poids. Elle a également une odeur, celle de la chose mouillée voire moisie : brouillard, suintement des murs, sueur corporelle, bocal de biologiste... Une fois, Hirohito a son attention qui est attirée par les gouttes perlant sur le crâne dégarni du serviteur qui le boutonne, une autre fois, il teste sa mauvaise haleine. Ces détails attestent de la présence humaine au sein des tableaux.

    L'humanisation est d'ailleurs le sujet du film. Mais il faut s'entendre sur le sens à donner au terme : il ne s'agit pas de "rendre sympathique" un dirigeant au pouvoir incommensurable ayant mené son peuple au bord de l'abîme mais de montrer que c'est "tout simplement" et "seulement" un homme. La démarche de Sokourov intéresse car elle désigne une évolution (ce n'était, à ce que l'on en dit, pas le cas de Moloch, ni de Taurus, films précédant celui-ci et consacrés respectivement à Hitler et Lénine). Ces semaines passées par Hirohito sont en effet celles qui le mènent à la décision de renoncer à son statut divin pour se reconnaître homme parmi les hommes.

    L'une des choses que réussit de très belle manière Sokourov dans Le soleil est de montrer que cette réflexion de l'empereur est induite par une nouvelle conscience de son corps. Celui-ci est lent, chétif, vieux, mais Hirohito, en quelque sorte, le retrouve en éprouvant sa chair et son esprit. D'un côté, quand sa femme apparaît, il la caresse, la touche si maladroitement et nerveusement que l'on se demande si ces gestes ne sont pas, pour eux, une première. Et d'un autre côté, les tourments qui l'accablent font venir à lui des visions cauchemardesques, illustrées de façon saisissante par quelques séquences oniriques.

    L'humain se manifeste aussi dans le cérémonial. Hirohito reprend également à son compte une parole moins protocolaire. Lorsqu'il est invité par le Général MacArthur, il pense voir dans l'échange proposé une invitation à étaler sa personnalité et sa sensibilité, cet épanchement étant stoppé rapidement par son interlocuteur le prenant pour "un enfant".

    (Re)Trouver corps humain c'est aussi accepter que celui-ci défaille et que s'y réalise quelques parasitages. L'esprit de l'empereur semble ainsi, plusieurs fois, bifurquer dangereusement. S'adressant à un laborantin ou bien à MacArthur, il laisse dévier presque de manière folle son discours. Et encore une fois, Sokourov accompagne admirablement ce parasitage : par la représentation de rêves (infernale séquence du bombardement) ou de rêveries (l'entrée d'Hirohito "dans" le tableau qu'il contemple), par les surprises que réserve l'espace (Hirohito prenant tout à coup, dans son souterrain, un cul-de-sac pour l'entrée de ses appartements), par la disposition de signes incongrus (une référence à Charlie Chaplin, la présence d'un grand oiseau dans le jardin). C'est ainsi que la forme du film colle à son sujet et en même temps ouvre les perspectives.

    Devant les images du Soleil, on pourrait croire, si on est peu attentif, à un immobilisme. En fait, tout bouge. Les plans de Sokourov sont finalement, ici, relativement courts, sa caméra est toujours en léger mouvement flottant, à peine perceptible, et les déplacements qu'il organise sont lents mais effectifs. D'ailleurs, son personnage principal fait toujours bouger au moins ses lèvres, victime d'un tic surprenant, presque hypnotisant. Folie, sénilité, dérèglement pathétique ou vie intérieure bouillonnante ? Hirohito parle tout le temps mais, une fois sur deux, personne ne l'entend, pas même nous.

    L'évolution du personnage, provoquée par les événements mais assumée avec ferveur, laisse les serviteurs qui l'entourent tout a fait interdits, refusant de lui emboîter le pas sur le chemin de la reconnaissance d'un corps "comme les autres". Ces serviteurs, si on met de côté les quelques silhouettes observées lors d'un trajet en voiture dans les décombres sous escorte américaine, sont les seuls représentants du peuple japonais. La leçon politique du Soleil serait donc celle-ci : le Dieu-vivant n'est pas le seul coupable de ce désastre. Ceux qui croient aveuglément, ceux qui prient pour lui, sans penser à autre chose, le sont aussi. Pour cette raison, la catastrophe est inéluctable.

    La vision de Sokourov est pessimiste et le chemin qu'il prend pour la révéler est ardu mais son film est assez fascinant.

     

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    lesoleil00.jpgLE SOLEIL (Solntse)

    d'Alexandre Sokourov

    (Russie - Italie - Suisse - France / 110 min / 2005)

  • 1974, une partie de campagne

    depardon,france,documentaire,70s,2000s

    Présenté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac

    L'histoire de 1974, une partie de campagne (dont le premier titre était 50,81%) est connue. Cette année-là, Raymond Depardon filme Valéry Giscard D'Estaing, à sa demande, pendant la campagne pour l'élection présidentielle. Voyant le résultat, ce dernier refuse la sortie en salles (il se justifiera plus tard, de façon peu convaincante, en avançant que le film n'y était pas destiné). Le blocage dura jusqu'en 2002.

    De cette campagne, Depardon a tiré une série d'impressions, des sensations, quelques piques. Loin de faire un compte-rendu, il a fractionné, coupé, monté, éludé (le titre le dit astucieusement : nous avons là une portion). Il a rendu la course effrénée des rendez-vous, des réunions et des meetings, le tout ayant l'apparence d'un mélange. Un mélange des discours, notamment. A ceux-ci ne sont en effet jamais accordés une durée, un cadre, une mise en perspective qui les rendraient intelligibles. Par conséquent, le programme du candidat n'est aucunement présenté. La machinerie politique, Depardon, en adepte du cinéma-direct, préfère l'aborder en montrant les à-côtés, les petits faits, les bribes. Les grandes réunions publiques sont filmées, la plupart du temps, de derrière la tribune, avec donc Giscard de dos. Peut-être doit-on chercher par ici les raisons du refus giscardien concernant l'exploitation en salles. Ici, dans l'escamotage de son discours, plutôt que dans la captation de détails de comportement pouvant toucher au ridicule, comme la manie du coup de peigne.

    Ce qui frappe dans ces images de 74, c'est le désir absolu du candidat d'incarner la nouveauté. Giscard se veut moderne et cherche une nouvelle façon de faire de la politique : il mène une campagne à "l'américaine", dynamique, rythmée, en lien constant avec les médias, en collaboration avec une armée de consultants. Et à cette organisation doit prendre part le documentariste, supposé rendre compte de l'histoire en marche comme le fit Robert Drew au début des années soixante quand il filma John F. Kennedy dans son fameux Primary. Bien sûr, le dévoilement qu'impose le pacte n'est pas sans risque et Giscard le sait pertinemment. Sur ce point, les quelques coups d'œil qu'il peut lancer à la caméra juste après avoir lâché une vacherie sur un adversaire ou un allié en disent long et sont assez savoureux, donnant presque à entendre : "Voilà, c'est dit, c'est enregistré, tant pis, on verra bien plus tard...". Toutefois, il est sinon étrange du moins piquant de voir que cette modernité est revendiquée au cours d'une campagne pendant laquelle, entre les deux tours, Giscard décide de faire le moins de vagues possibles, d'être le candidat qui rassure les français, quasiment de "ne rien faire" afin de ne pas commettre l'erreur qui lui coûterait la victoire tendant ses bras.

    Intégré à ce programme, Depardon cherche (et trouve) bien sûr son espace de liberté. Sa position, il l'assume. Esthétiquement d'abord : des éclairages violents sont braqués sur le candidat lorsqu'il conduit sa DS ou lorsqu'il rentre à son domicile tard dans la nuit et la façon dont il est filmé à son appartement ministériel, dans l'attente des résultats, passant sans cesse du salon au balcon, permet à la fois l'observation des faits et gestes et la prise de conscience de la "fabrication", de la "mise en scène" qu'il organise pour le cinéaste. On remarque également que Depardon place régulièrement dans son champ la presse et les photographes, créant un étonnant effet de miroir et semblant même parfois désarçonner, par sa position, ces derniers (six ans plus tard, notre homme réalisera Reporters). Ainsi, la vision est en quelque sorte circulaire ; parcellaire, l'ensemble paraît pourtant complet.

    La projection à laquelle j'ai assisté fut un peu pénible. Les personnes dans le public ne venaient pas voir le film pour les mêmes raisons. Certains venaient y retrouver une époque et des têtes disparues, et revoir Giscard. Pour s'en moquer le plus souvent, pour réagir d'un air entendu à la moindre réplique un peu tranchante sur l'air, ironique, de "Il est vraiment fort" ou "C'est tout lui ça". Comme si le film était une charge, et une charge faite aujourd'hui. Or, bien que les attitudes risibles soient nombreuses et que le masque ne puisse s'empêcher de tomber pour révéler l'homme hautain et avide, il me semble que l'on peut se garder de s'esclaffer devant ces manières de monarque éclairé (et je me demande à quoi aurait ressemblé et comment serait reçu aujourd'hui le film s'il avait pris pour objet un homme de gauche). Car à bien y regarder une question se pose, à mon sens, dans cette Partie de campagne. Pour insister tellement sur les caméras et les appareils photo, Depardon doit tout de même nous glisser par là que si ce cirque politique et ce point de basculement médiatique sont bien relayés par les journalistes, derrière l'objectif, il n'y a pas que le reporter, il y a aussi notre regard à nous. Les responsabilités de la dérive du politique au médiatique ne seraient donc peut-être pas toutes regroupées d'un seul côté du pupitre ?

     

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    depardon,france,documentaire,70s,2000s1974, UNE PARTIE DE CAMPAGNE (ou 50,81%)

    de Raymond Depardon

    (France / 90 min / 1974-2002)

  • Singularités d'une jeune fille blonde

    oliveira,portugal,2000s

    La durée de ce film de Manoel de Oliveira va à peine au-delà de l'heure (la conclusion arrive si tôt qu'il paraît trop court). Il n'est d'ailleurs consacré qu'à un seul récit, l'illustration d'une histoire racontée dans un train par un homme à la femme inconnue assise à côté de lui.

    Convoque-t-on abusivement les fantômes du cinéma muet dès que l'on rend compte d'un film du réalisateur centenaire ? Toujours est-il que, pour Singularités d'une jeune fille blonde, bien que l'on sache pertinemment que le format de l'écran est logiquement rectangulaire, les images semblent "carrées". Telle apparaît, dès le début, par sa composition, la vue d'ensemble dans le wagon, cédant bientôt la place de manière définitive à celle des deux sièges occupés par le conteur et son auditrice. Pour dérouler le flash-back ainsi amorcé, Oliveira base sa mise en scène sur les sur-cadrages qu'offrent les fenêtres, les portes, les miroirs et les tableaux. A l'instar du récit, qui a clairement un début et une fin, l'espace est tout le temps délimité à l'intérieur même du cadre.

    On note l'absence de véritable plan de paysage, hormis la reprise, nocturne ou diurne, d'une vue de la ville, toujours la même. Il existe peu de liaisons d'une scène à l'autre : quand on ne repasse pas par le présent du trajet en train, on saute sans prévenir les jours, les mois voire les années. L'explication d'une fortune amassée au Cap Vert tombe ainsi dans une ellipse gigantesque. En plein film, Luis Miguel Cintra est convoqué, sous son propre nom, par un maître de cérémonie, afin qu'il déclame un poème. Il disparaît aussitôt sa lecture faite. Singularités d'une jeune fille blonde ressemble à une série de tableaux miniatures, petites compositions réalisées par le grand cinéaste portugais et qui ne s'ouvrent pas outre mesure.

    Car si l'argument, tiré d'une nouvelle d'Eça de Queiros, est "actualisé" (comme l'annonce le générique) par Oliveira, il l'est à très petites doses. Par conséquent, il reste, en un sens, dépassé, malgré le bruissement de la rue et les allusions à la crise économique (l'argent est l'un des deux principaux nœuds du problème dramatique, étroitement associé à celui de la rigueur de la morale bourgeoise).

    L'anachronisme du film le fige encore un peu plus mais il peut aussi libérer des effluves d'un fantastique bienvenu (bien que "simple" et "réaliste", le cinéma d'Oliveira n'en est jamais très loin). En effet, particulièrement étranges apparaissent la raideur de certains acteurs, les effets de montage entre deux plans de fenêtres qui annulent la présence de la rue les séparant ou bien le volume, la disposition et l'éclairage de la chambre pauvrement meublée où le héros démuni trouve refuge.

    Certains admirateurs dénichent dans cette miniature d'Oliveira la quintessence de son cinéma. Personnellement, j'y vois plutôt une réduction, certes pas déagréable mais un peu en-deça de ce que j'en attendais.

     

    ****

    oliveira,portugal,2000sSINGULARITÉS D'UNE JEUNE FILLE BLONDE (Singularidades de uma rapariga loura)

    de Manoel de Oliveira

    (Portugal - Espagne - France / 64 min / 2009)

  • Quatre étoiles

    vincent,france,comédie,2000s

    Nightswimming a testé l'établissement pour vous.

    Présentation Allociné :

    "Quatre étoiles est une histoire d'argent, donc de sentiments. C'est l'histoire d'une fille qui hérite de 50 000 euros dont elle ne sait pas trop quoi faire. C'est encombrant, l'argent. Ça vous attache, comme les sentiments. Elle décide alors de les dépenser en filant sur la Côte d'Azur. C'est au Carlton qu'elle tombe sur Stéphane. Lui, c'est l'argent des autres qui l'intéresse. Stéphane va en vouloir à l'argent de Franssou. La demoiselle ne va pas se laisser faire. Ils vont faire cause commune, tenter d'escroquer un troisième larron, ex-pilote de course. Une histoire qui mélange vice et vertu, argent et sentiments."

    Notes par critères :

    Petits rôles :
    Michel Vuillermoz a une tâche difficile, son personnage faisant preuve à chaque instant d'un humour pour le moins laborieux. Que l'héroïne le quitte au bout de dix minutes de film nous soulage.
    Jean-Paul Bonnaire met sa diction et ses gestes mal assurés au service d'un rôle amusant de faux notaire et de piètre détective amateur.
    Luis Rego en petit mafioso est une mauvaise idée de contre-emploi. A côté de la plaque, il apparaît dans une scène d'intimidation tout à fait convenue.
    Note : 1/4

    Musique :
    Pléonastique. Sentimentale lorsque la scène est émouvante, guillerette lorsqu'elle est drôle.
    Note : 0,666/4

    Mise en sène :
    Signée par Christian Vincent, elle est classique de A à Z, jusqu'au fonctionnel parfois. La comédie se laisse beaucoup porter par les dialogues et, certes enlevée comme il faut, ne cède à aucun emballement ni excès de vitesse. La singularité du film est à chercher ailleurs.
    Note : 1,5/4

    Second rôle :
    François Cluzet campe un pigeon comme on en fait peu, ex-champion de Formule 1 devenu riche collectionneur d'automobiles mais doté d'un cerveau à la mise en route très lente. L'acteur est comique par ses changements de rythme. Des effets tombent à plat mais certains sont très plaisants. Passant du silence d'abruti à la loghorée amoureuse, il déstabilise, touchant au grandiose dans sa déclaration à Isabelle Carré : un discours sur l'importance de l'air qui nous entoure et l'aveu d'une intense émotion devant cette femme qui "le respire de façon si naturelle".
    Note : 2,88/4

    Références :
    Discret par son style, le film l'est aussi dans ses références, difficiles à contourner dès que l'on se frotte ainsi au luxe des villas et des palaces de la Côte. Les comédies plus ou moins sophistiquées de Lubitsch, Sandrich, Hitchcock, Donen, Edwards et j'en passe ne sont jamais bien loin. Les (jolies) scènes d'ivresse ne manquent donc pas. On visite l'hippodrome et on n'oublie pas la tentative d'espionnage depuis le balcon de la chambre.
    Note : 2/4

    Ton :
    Sentimental, ironique, sophistiqué, burlesque... L'équilibre est recherché entre les différents registres comiques. Au risque, c'est certain, de n'en pousser vraiment aucun dans ses retranchements.
    Note : 1,5/4

    Premier rôle masculin :
    José Garcia est à l'aise dans un registre qu'il connaît, celui du petit escroc. Parfois laissé, semble-t-il, en roue libre, il ne fait pas mouche à tous les coups et pâtit d'une petite insuffisance burlesque (son corps n'arrive pas à détourner notre attention de celui de sa partenaire) mais il est tout à fait crédible et réussit surtout à tenir la note de l'insensibilité au(x) charme(s) de sa complice jusqu'aux négations les plus ambigües.
    Note : 2,87/4

    Écriture :
    Le plus gros travail est fait par les auteurs pour proposer, dans un cadre très visité par le cinéma, une écriture soignée des personnages et des situations dans lesquelles ils se retrouvent. Celle de départ, un héritage inattendu, rend habilement l'héroïne libre de partir ailleurs et d'assouvir ses fantasmes (pas seulement ses désirs sexuels mais aussi ses envies de fiction). Mais le plus important dans cette affaire était peut-être de préserver jusqu'au dernier moment l'inflexibilité du personnage de Garcia, lequel devait tenir bon face aux avances répétées de la jeune femme (dans une sorte de renversement de la figure classique où c'est l'homme qui est "en chasse", plus ou moins sincère). Le revirement final en est d'autant plus abrupt. C'est une loi du genre qu'il faut accepter.
    Note : 3,2/4

    Générique :
    Faut-il que l'on ait si peu confiance en son film pour en repasser les meilleurs moments sur le générique de fin ?
    Note : 0/4 

    Premier rôle féminin :
    Isabelle Carré et son sourire. Isabelle Carré et sa peau blanche réhaussée par la rousseur de ses cheveux et le rose de ses joues. Isabelle Carré et son goût immodéré pour le champagne. Isabelle Carré et ses tenues que l'on n'ose même pas qualifier de légères. Isabelle Carré et son tombé de bretelle. Isabelle Carré et sa franchise-fraîcheur même au plus fort de l'escroquerie. Isabelle Carré et son décolletté qui n'en est plus un tant il offre de jolies choses au regard. Isabelle Carré et...
    Note : 4/4

    Verdict :

    1 + 0,666 + 1,5 + 2,88 + 2 + 1,5 + 2,87 + 3,2 + 0 + 4 = 19,616 sur 40 = 1,9616 sur 4

    Arrondi à 2 étoiles grâce à qui vous savez...

    En résumé :

    Établissement que l'on peut conseiller, surtout au regard de ceux, du même genre, qui l'entourent, convenant tout à fait pour passer une soirée tranquille et valant tous les détours pour son hôtesse d'accueil.

     

    ****

    vincent,france,comédie,2000sQUATRE ÉTOILES

    de Christian Vincent

    (France / 106 min / 2006)

  • Very bad trip

    philips,etats-unis,comédie,2000s

    Very bad trip n'est ni plus ni moins que le gonflage aux dimensions d'un long métrage de ces vidéos d'amateurs montrant la réalisation ou le résultat de mauvaises blagues de fêtards. Tel est son intérêt, maigre, pour ne pas dire nul.

    Dans les films-cauchemars de Martin Scorsese, dans les anciens polars de Jonathan Demme, dans tous ces films noirs qui racontent comment les pires choses peuvent arriver aux gens comme vous et moi, la fable a son utilité, les caractères sont changés, les rapports avec la fiction et le fantasme sont éclairés. Ici, le "bad trip" ne produit rien, ne bouleverse rien, ne questionne rien. Il s'agit d'un état second oublié et donc impossible à (se) représenter sinon, in extremis, en retrouvant comme par enchantement des photos prises à l'occasion (support qui rabaisse encore la chose).

    Malgré la mise en scène "cinéma" (version tape-à-l'œil, version caprice de riche, version crétin friqué), magré les efforts d'imagination déployés pour garder le cap de l'énormité des situations, c'est une banalité triste qui est étalée le long d'une intrigue qui pourrait se dérouler n'importe où ailleurs qu'à Las Vegas (d'ailleurs un inévitable Very bad trip 2 envoie tout son petit monde à Bangkok). Promesse est faite, au début, d'une remontée de courant dans la brume alcoolisée, ce qui pourrait donner naissance à un système narratif excitant. Peine perdue : le principe de base n'entraîne qu'une fastidieuse répétition, une série de surprises sans surprise. Chaque scène n'a qu'une raison d'être, elle sert à dévoiler et expliquer la conséquence d'un acte insensé et délirant effectué la nuit précédente par nos imbéciles amnésiques. Ici, la présence d'un cinéaste n'est décelable que dans les clins d'œil (le gag sur Rain man par exemple) et dans les emprunts (le plan-poitrine d'ivresse "scorsesienne").

    Né de l'internet, le film peut y retourner. C'est un film de l'oubli, un film sans visée aucune. Very bad trip, c'est du punk-rock pour rien. Il nous rappelle juste combien on peut être cons entre amis, combien aussi on peut avoir l'envie de tout foutre en l'air tout en adorant retrouver nos femmes, nos enfants, notre petite maison. Merci Todd Phillips !

     

    ****

    phillips,etats-unis,comédie,2000sVERY BAD TRIP (The hangover)

    de Todd Phillips

    (Etats-Unis / 100 min / 2009)

  • Retour en Normandie

    philibert,france,documentaire,2000s

    Plus intime et moins directement abordable que ses films les plus réputés (La Ville Louvre, Le pays des sourds, Être et avoir, tous reconnus à juste titre), Retour en Normandie est une belle expérience de Nicolas Philibert. Le documentariste est parti à la rencontre, trente ans après, de ceux qui avaient participé au tournage de Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère... de René Allio, ce dernier ayant alors fait jouer, pour tous les rôles de paysans, des gens de la région. Philibert était, sur ce film, assistant-réalisateur.

    Retour en Normandie n'est pas un reportage, c'est un essai cinématographique. Autant que le déroulement d'une recherche (rencontres, témoignages, consultation de documents relatifs au procès de Rivière, au travail de Michel Foucault et au tournage d'Allio prenant appui sur l'ouvrage du philosophe), on y suit le cheminement d'une pensée, un exercice de mémoire qui autorise plusieurs détours. Le récit est conduit en zig-zag, Philibert semblant procéder, dans son parcours aux allures buissonnières, par associations d'idées (par exemple, l'abattage d'un cochon précède la recherche d'une tombe dans un cimetière et l'égorgement de l'animal renvoie évidemment à ceux dont se rendit coupable Pierre Rivière). Cela lui permet de dépasser son cadre de départ.

    Les personnes qu'il retrouve, celles qui furent des acteurs de quelques semaines avant de reprendre leurs activités normales, il les fait s'exprimer sur leurs souvenirs de l'époque, leurs sentiments, mais aussi sur leur vie d'aujourd'hui. Et parallèlement à ce recueil de paroles claires et simples, il observe patiemment leur travail. C'est ainsi que ce film aux motivations intimes élargit son champ vers les pôles du social, du culturel, du politique. Sur le haut d'un feuilletage historique (1835 : Rivière / 1973 : Foucault / 1975 : Allio / 2007 : Philibert) s'étale le tissu d'aujourd'hui.

    Un feuilletage qui est aussi une succession d'enfantements, du drame initial découlant plusieurs œuvres et travaux uniquement rendus possibles par l'existence des précédents. Par conséquent, il n'est pas étonnant que pointe l'idée de transmission. Ce qui l'est plus, c'est qu'elle parte justement d'une histoire de rupture de lien, le parricide de Pierre Rivère (Philibert précisant que le terme s'étend juridiquement au meurtre de la mère). Retour en Normandie est riche de ce type de stimulantes contradictions et d'émouvantes correspondances. Dans les diverses interventions, se ressent le passage du temps, saisi dans l'image (la confrontation aux plans tournés par Allio) comme dans la parole, dans sa perte parfois (due à la maladie de certains témoins rencontrés). Ce dernier détail nous trouble d'autant plus que le film d'Allio reposait grandement sur l'exercice de la parole et de l'écrit, sur l'explication et la verbalisation des actes (et Philibert nous apprend que Claude Hébert, comme le Pierre Rivière qu'il incarna, écrivit lui aussi, très jeune, des "mémoires").

    Sur le plan de la forme, le suivi de la pensée de Nicolas Philibert fait que subsiste dans les séquences ce que les documentaristes et les reporters coupent habituellement au montage. Son travail est dès lors présenté avec une certaine transparence, ce qui ne provoque pas toutefois l'évacuation de la "dramatisation" (cette enquête, qui finit par tourner autour de l'absence de Claude Hébert, est finalement bouclée et le cinéaste nous réserve même un "twist" final, en rapport avec son propre père qu'il n'avait jusque là pas évoqué). Garder la question que pose au réalisateur un paysan à l'ouvrage tentant de maintenir un cochon sur le dos, ce "Vous voyez bien là ?", c'est à la fois dire la vérité et apporter la preuve que l'acte de filmer n'est jamais neutre et entraîne à chaque instant une légère torsion de la réalité. Le maintien de ces sorties impromptues d'intervenants et le désir de ne pas abuser le spectateur dans la mise en place des entretiens (voir la façon dont sont installées devant la caméra les six personnes de la famille qu'interroge Philibert) assurent de l'honnêteté du travail et rappellent à bon escient l'étrange statut de l'image documentaire cinématographique qui donne à voir un peu plus que le réel et donc qui le change toujours, l'important pour nous, spectateurs, étant de pouvoir mesurer l'ampleur de ce changement.

     

    ****

    philibert,france,documentaire,2000sRETOUR EN NORMANDIE

    de Nicolas Philibert

    (France / 113 min / 2007)