2000s - Page 2
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Stalingrad (Jean-Jacques Annaud, 2001)
°Il n'y a évidemment rien de russe là-dedans. Et pas seulement parce que tout le monde parle en anglais, y compris les Allemands (sauf bien sûr quand ils aboient leurs ordres puisque ça impressionne plus). Surtout parce que l'on ne dépasse jamais la petite notation pitorresque et que la vision soviétique est bien celle de l'époque de réalisation, celle d'Annaud, celle qui sert de socle à un discours critique contemporain et non pas celle qui émanerait du vécu des personnages. Devant cette schématisation des enjeux et des figures, on se dit d'abord qu'après tout, ce n'est pas plus mal que le cinéaste resserre son propos sur un duel de snipers, incapable qu'il est de peintre une fresque convaincante mais plutôt compétent dans le domaine de l'action (les scènes de guerre sont correctes, sans innovation mais sans carence). Malheureusement, plus son film avance, plus il devient mauvais, affreusement handicapé par une histoire d'amour rapiécée et ne se relevant pas d'une série d'approximations pour faire passer l'énormité des tours de scénario successifs supposés nous faire croire à cette histoire de confrontation de deux tireurs d'élite dans les ruines de Stalingrad. -
L'Attaque du métro 123 (Tony Scott, 2009)
°Sans surprise, ce remake du très bon film de Joseph Sargent est aussi riche financièrement que nul artistiquement. Alors que le précédent donnait une image précise du New York de 1974, celui-ci ne dit rien de 2009, ou plutôt, il se borne à illustrer les tendances du moment comme le terrorisme ou les nouvelles technologies (parmi les idées débiles du film : l'ordinateur portable de l'un des otages qui reste allumé et qui filme l'intérieur de la rame) en faisant la morale au spectateur. Dès que l'on aborde la psychologie, dès que l'humour pointe son nez, les gros sabots sont de mise. Manifestement, ceux-ci ne gênent pas Scott dans l'utilisation de ses caméras, qu'il s'évertue à faire tourner autour de ses acteurs jusqu'à nous faire souffrir du mal des transports (trouble d'origine visuelle qui surgit ici, c'est un exploit, dès le générique de début). -
Déjà vu (Tony Scott, 2006)
*Denzel Washington semble vraiment sympa et toute la mise en place, de la description du drame initial aux prémices de l'enquête policière, se suit agréablement et, forcément, sans temps mort. Malheureusement, dès qu'il faut justifier le basculement dans la SF et expliquer au brave agent fédéral comment on peut se projeter dans le passé, les séquences deviennent laborieuses et le blocage apparaît aussitôt inévitable. De fait, ce n'est pas tant que Scott traite mal son sujet, c'est qu'il refuse de s'y coltiner réellement. De son double flux temporel, il ne fait rien, n'en garde qu'une écorce spectaculaire. D'ailleurs, le seul moment où les deux temps coexistent à l'écran, après la calme présentation du principe, est une longue scène d'action en forme de filature avec quantité de tôles froissées. Le dernier mouvement, lui, ne s'étire que sur une seule des deux lignes tracées, maintenant le film au niveau du suspense le plus basique. Nul vertige ou sensation à tirer de tout cela, donc. La réalisation agitée de Tony Scott n'est, ici, pas trop gênante, mais la condensation à l'œuvre (même si ça dure deux heures) fait que les réactions et les émotions des personnages, en particulier l'acceptation de l'impensable par la victime/héroïne et la conventionnelle romance, n'apparaissent pas du tout crédibles. De ce côté-là, le dessin est bien sommaire. -
Charlie et la chocolaterie (Tim Burton, 2005)
***Le revoyant pour la première fois 15 ans après, j'aurais tendance à le réévaluer à la hausse, peut-être parce que sachant maintenant que Burton était alors effectivement entré juste auparavant, après Sleepy Hollow, dans l'effarant tunnel duquel il n'est toujours pas sorti à ce jour, pavé d'œuvres soit ratées, soit catastrophiques, soit tout juste sympathiques. Là, il faut bien admettre que le film est extrêmement bizarre, surtout pour une grosse production familiale. Il force le respect par sa manière d'attirer les contraires, de rire du malaise, de brouiller la limite entre le beau et le laid, de célébrer la famille tout en "tuant" des enfants (cela aurait été plus fort si, au moins, les 4 petites victimes de Wonka ne réapparaissaient pas à la fin de la visite, mais c'est déjà ça). Par ailleurs, il s'agit sans doute du meilleur "Burton numérique" car intégrant, au-delà des références culturelles et cinématographiques toujours agréables à trouver, une vraie réflexion sur les images, sur les pièges qu'elles tendent. Peut-être la partie centrale est-elle trop longue (je l'avais trouvé ainsi à l'époque) mais la répétition sur laquelle elle est fondée relève également du défi narratif et accentue encore, si besoin était, l'étrangeté de l'ensemble. -
Le Pacte des loups (Christophe Gans, 2001)
*On le revoit avec un poil plus d'indulgence qu'à l'époque, sachant ce qu'il en est, car on peut regretter l'échec de la tentative et l'absence d'ouverture que celle-ci aurait pu créer dans le cinéma français. Le film reste beaucoup trop hétéroclite pour captiver ou émouvoir, ennuyeux dans ses moments de pause et excessif dans l'action, tributaire d'une réalisation incapable de canaliser en un seul courant toutes ses influences et envies. Son déséquilibre principal surprend et interroge toujours : une première moitié à peu près historique puis la seconde tout à fait imaginaire. Une fantaisie assumée d'entrée aurait au moins apporté une certaine cohérence, au récit, au ton et à l'esthétique. Il est vrai que cela n'aurait sans doute pas calmé Gans dans sa débauche d'effets ni fait de Samuel Le Bihan un héros convaincant. -
Désillusions
On attend tellement du cinéma, on espère tant trouver de quoi nous nourrir même lorsque l'on fait le choix de film le plus incertain, le plus hasardeux et le plus téméraire au regard de nos goûts habituels, que l'attente est parfois mal récompensée, la chute brutale et la désillusion radicale. Ainsi, ayant été hypnotisé, un soir déjà lointain, lors de la diffusion télévisée de ce grand documentaire qu'est En construccion (2000), je suis parti plein d'entrain, l'été dernier, à la découverte du cinéma de son auteur, l'Espagnol José Luis Guerin. L'illusion n'a pas perduré.
Los Motivos de Berta (1983) est la chronique de quelques jours dans la vie d'une petite campagnarde, passée au prisme de son imaginaire. Sous la forte influence, assumée, du Victor Erice de L'Esprit de la ruche, un récit étrange tente de se mettre en place, tout en longs plans ciselés en noir et blanc. Mais il a tôt fait de se déliter et le mystère qui l'accompagne, au lieu de s'épaissir, finit par s'éventer et disparaître au-delà des champs de Castille, rêvés ou bien réels, dans le sillage d'une Arielle Dombasle chevauchant, en robe blanche et perruque.
Innisfree (1990) est une relecture de L'Homme tranquille de John Ford, un documentaire-hommage réalisé sur les terres irlandaises de son tournage en 1951. Alternant rares extraits et prises de vue sur place, l'œuvre a la (non-)forme de la déambulation. Elle n'offre pas plus de progression émotionnelle qu'elle ne dévoile de but particulier. Malgré un découpage plutôt vif, les séquences-blocs semblent ne jamais vouloir se clore. Des scènes de pub flirtent avec l'insupportable, des enfants de l'école racontent les scènes du film, des reconstitutions sont esquissées... A chaque instant, l'articulation entre les deux films, espacés de quarante années, manque cruellement.
Tren de sombras / Le Spectre de Thuit (1997) est l'auscultation, à la Blow up, d'une série d'images. Présentées comme des reliques des années vingt, bobines à usage familial appartenant à un riche amateur de l'époque, quelque chose nous dit qu'elles tiennent de l'aimable supercherie. Guerin les donne d'abord à voir telles quelles, avant de s'en approcher au plus près, de les grossir, de les ralentir. Sur le papier passionnant, le projet s'abîme dans une réalisation tâtonnante, répétitive et imprécise dans la mise à jour des rapports qu'elle est supposée dégager. Conscient de cette opacité, Guerin finit par reconstituer et montrer le contrechamp de ces images, montrer le filmeur : tout cela est donc bien laborieux. Cherchant, en parallèle, le spectre du passé dans le présent, le cinéaste en passe de surcroît par de longs tunnels de plans sur une nature indéchiffrable qui achèvent en nous l'espoir qui subsistait malgré tout, lorsque nous contemplions un beau visage de jeune fille.
Dans la ville de Sylvia (2007) est un film à la teneur en fiction plus prononcée. Il est coupé par trois cartons annonçant autant de nuits (alors que la quasi-totalité du récit se passe de jour), bornes qui n'ont pas d'intérêt particulier. Entre elles, un récit ou plutôt son esquisse, avec ce que cela comporte d'inachevé et d'insatisfaisant. Cette esquisse a, cette fois-ci, il est vrai, le mérite d'épouser parfaitement l'idée originelle. Car Guerin filme ici comme son personnage principal, à longueur de journée, dessine, en reprenant son geste, en l'ajustant, et en laissant même le vent tourner les pages/les plans. Guerin filme aussi comme le jeune homme regarde, captant à distance des bribes de conversations, observant de loin comment peuvent se composer des formes, tentant de saisir un peu de la beauté intérieure de chaque jolie femme croisée en terrasse ou dans les rues. Eloge de la ville, de la marche, de l'observation, de la présence des femmes, le film est léger comme une plume, volatil comme une goutte de parfum.
José Luis Guerin m'a laissé là, dubitatif et presque endolori par la vision de ces œuvres dans lesquelles plusieurs séquences semblent conclusives mais recèlent finalement de nouvelles et timides relances pour aboutir à cette impression de longueur excessive et sans enjeu apparent, cette impression que les quatre-vingt-dix minutes annoncées généralement se sont transformées en trois heures.
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The chaser
On peut adresser un reproche à Na Hong-jin, celui de n'être arrivé qu'après Park Chan-wok et Bong Joon-ho pour œuvrer à son tour au cœur du cinéma coréen, soit à la croisée maintenant bien connue des chemins du film policier, du thriller horrifique, du mélodrame et du politique (sans oublier la petite piste humoristique). Replacé dans la chronologie, ce mélange des genres ne fait donc pas décrocher à The chaser la palme de l'originalité. Cela n'en reste pas moins, à mes yeux, une belle réussite.
Des filles disparaissent dans Séoul. Un tueur en série sévit. La police, qui a d'autres chats (politiques) à fouetter, enquête mollement et maladroitement. Le boulot est donc plutôt fait par Joong-ho, ancien flic devenu proxénète et comptant quelques unes de ses filles parmi les disparues.
La première impression est celle d'un cinéaste assez sûr de son scénario, aussi tordu que prenant, pour ne pas l'enfouir sous une mise en scène tape-à-l'œil. On l'apprécie, à quelques ralentis près, pour son efficacité, son rythme, ses savantes alternances entre pauses et courses, son économie musicale, ses tours de vis et ses mystères non élucidés. Surtout, elle rend compte d'une topographie très particulière, celle d'un dédale de petites rues dans un quartier de la capitale sud-coréenne. A la suite du héros, nous sommes toujours ramenés au même endroit, un croisement où les ruelles et impasses semblent changeantes. A notre grande surprise, sans pour autant nous faire tomber dans l'irréel, ce coin peut se remplir ou se vider en un clin d'œil. En pleine nuit, un embouteillage impromptu peut soudain permettre une arrestation et l'un des plus horribles événements a lieu dans la journée, en un lieu trop tranquille où il devrait pourtant y avoir du passage.
Flirtant avec le thème de la vengeance de manière bien plus fine que ne l'a fait récemment Tarantino, Na Hong-jin fait de son personnage principal un maquereau a priori douteux voyant cependant sa carapace se fissurer petit à petit, perdant sa contenance, ses repères et ses nerfs, et surtout semblant progressivement bouffé par une culpabilité jamais réellement pointée mais bien présente, en sourdine.
THE CHASER de Na Hong-jin (Chugyeogja, Corée du Sud, 125 min, 2008) ****
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Ocean's eleven
Cool la musique agréablement funky et rétro (nous sommes bien dans un remake) de David Holmes, agrémentée de pincées de Handsome Boy Modeling School, Quincy Jones ou Elvis Presley. Résultat d'un mood assez proche de celui de Tarantino (entre le pastiche, l'hommage, le clin d'œil et le pur fun), elle s'avance toutefois de manière moins tambourinante (et s'il faut comparer, nous pouvons dire cela de toutes les composantes du film).
Cool le casting. Les cinq stars, George, Brad, Matt, Andy et Julia, font le job, c'est-à-dire qu'elles ne donnent pas l'impression de faire grand chose d'autre qu'être là, ce qui s'avère la plupart du temps suffisant puisque les "présences" sont évidentes et les personnages clairement dessinés. Derrière eux, les featuring sont aussi agréables, mention spéciales aux "vieux", Carl Reiner, dont le cœur est prêt à flancher à tout moment (occasion d'une jolie petite manipulation du cinéaste qui nous fait croire que le malaise du personnage, au plus fort du suspense, est réel et non feint), et Elliott Gould, en "parrain" d'un mauvais goût réjouissant (un peu gay, peut-être).
Cool le décor de Las Vegas, rendu par Soderbergh plus élégant qu'il n'est certainement. La remarque peut s'étendre à l'apparence des personnages : même les aspects les plus bling-bling n'attirent pas les quolibets du spectateur.
Cool la mise en scène, le cinéaste faisant preuve d'un flow ondoyant et chaleureux. Le montage et les mouvements d'appareil sont vifs sans excès, le rythme, égal, est assuré d'un bout à l'autre de ces presque deux heures d'horlogerie, le film est hautement musical, aussi bien dans ses transitions que dans ses morceaux de bravoure, l'humour est bien dosé, l'accumulation des péripéties défie la vraisemblance avec un grand smile.
Nevertheless, trop de cool peut aussi, sinon tuer le cool ou couler le truc, au moins coller le trouble. Ce n'est pas désagréable cette coolitude au carré (et on ne peut pas parler non plus "d'ennui") mais on en sort avec l'impression que le film a glissé sur nous comme le surfboard sur la vague océane. Aucun effort n'est réalisé pour placer des choses derrière la surface, dans la profondeur. Si l'opération qui est détaillée ici est éminemment complexe (et si elle impose à certains des protagonistes de "jouer" plusieurs rôles), le récit, les caractères et les enjeux ne le sont guère. Catchy, brillant et amusant, Ocean's eleven, c'est l'histoire d'un casse spectaculaire, et seulement cela, ce qui en limite quelque peu la portée (y compris dans la filmographie de Soderbergh). Une phrase sortie par Clooney est symptomatique par la façon dont elle désamorce toute inquiétude ou tension future. Devant son pack, ses onze complices réunis pour la première fois, il lance la soirée par un "si vous voulez laisser tomber, il est encore temps : mangez un morceau et tchao, sans rancune". Alors je veux bien que l'on fasse un film criminel sans une goutte de sang (la seule blessure est purement accidentelle) et avec des gangsters sympas, mais bon, ça c'est quand même un peu trop cool. Isn't it ?
OCEAN'S ELEVEN de Steven Soderbergh (Etats-Unis, 116 min, 2001) ****
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Zidane, un portrait du XXIe siècle
Le synopsis tient en quelques mots : "Dix-sept caméras haute définition suivent Zinedine Zidane pendant 90 minutes au cours du match Real Madrid - Villarreal CF le 23 avril 2005". Le film de Gordon Douglas et Philippe Pareno, sorti en salles en 2006, tient plus de l'art contemporain que du reportage pour Téléfoot et on imagine l'effroi qui a du saisir certains spectateurs ayant choisi de passer une heure et demie avec leur idole et se retrouvant à subir cette vision hyper-fragmentée et ces recherches visuelles et sonores assaisonnées de post-rock.
Au moins, n'ont-ils pas pu nier qu'ils n'avaient, sauf à l'avoir cotoyé, jamais été aussi près de leur "Zizou". Braquant les caméras et les micros sur lui, exclusivement, au point de faire des Ronaldo, Roberto Carlos, Beckham, Raul ou Figo qui l'entourent juste des apparitions, des silhouettes traversant le cadre, et de ne proposer qu'à quatre ou cinq reprises un plan général expliquant l'action, les réalisateurs ont cherché à faire une œuvre toute en "sensations". De ce point de vue, l'expérience est stimulante, même si sa durée peut être, pour beaucoup, rédhibitoire. Pendant 90 minutes, nous avons réellement la sensation physique de l'effort : la sueur coule, la respiration est difficile, les crachats sont nécessaires.
Toutefois, Douglas et Pareno ne se sont pas contentés de cette approche "hyper-réaliste" de type "loupe Canal +". Ils ont également tenté d'épouser l'état d'esprit du joueur en cours de match et de trouver des équivalences esthétiques à cet état. Dans ce but est travaillée non seulement l'image (le montage est très vif, très destabilisant dans les premières minutes, la fragmentation du temps et de l'espace effaçant tout nos repères par rapport au terrain et à ce qui s'y passe en dehors du petit espace occupé par Zidane), mais également le son. Se mêlent, ou bien alternent, par un mixage audacieux, radical, bruits d'ambiance du stade, souffle ou mots sortant de la bouche du joueur, bruit du ballon ou des chocs avec les adversaires. Parfois même, une bande son totalement externe se superpose : celle d'une partie de foot entre gamins par exemple. Cette irruption nourrit bien sûr la réflexion sur le jeu, comme le font quelques propos de Zidane s'incrustant de temps à autre au bas de l'image. Footballeur, ce métier est décidément étrange : le sport, l'effort, le jeu, l'enfance...
La musique du grand groupe écossais Mogwai m'a toujours semblé en lien étroit avec l'enfance. Plus exactement, ses peurs, ses angoisses. Elle est surtout, bien sûr, atmosphérique. Disant cela, il faut tout de suite préciser que le terme inclus l'orage, sa menace et son déchaînement. Le choix des cinéastes de faire appel à ces musiciens est d'une cohérence totale. Tout d'abord, ils étaient eux aussi, à l'époque, "numéro un". Ils étaient en effet réputé pour être ceux qui faisaient les concerts les plus bruyants. Ensuite, ils sont aussi peu prolixes que Zidane (qui, on s'en aperçoit ici, parlaient aussi peu sur le terrain qu'en dehors, ne lâchant guère plus que les indispensables "Va, va, va !", "Ahi ! Ahi !" et autres "Hey !" (*) à ses partenaires), signant essentiellement des morceaux instrumentaux. Enfin, comme je l'ai dit, ils installent un climat.
Et un climat, ça joue sur le mental. Collant la forme de leur film à l'évolution mentale de Zidane durant la rencontre, les cinéastes nous font passer par tous les états, bien aidés par la dramaturgie de la soirée. En effet, peu avant la pause, c'est Villareal qui ouvre le score sur la pelouse de Madrid, équipe qui, ainsi menée, commence à douter. Pour preuve ce début de deuxième mi-temps de Zidane qui semble presque perdu, le film (et notre esprit) semblant s'égarer avec lui par la même occasion. Finalement, l'égalisation arrive grâce à Ronaldo et surtout un fabuleux débordement sur la gauche de... Zizou. Et peu après, la délivrance est là, avec un deuxième but marqué par les Merengues. Mais ce n'est pas tout. Alors que la fin approche, une chamaillerie concerne plusieurs joueurs, Zidane déboule en trombe, s'échauffe avec un adversaire et l'arbitre lui sort le rouge. Sortie du génie, seul, sous les applaudissements. La fin de carrière est proche (ce sera un an plus tard). Les réalisateurs ne pouvaient rêver mieux pour leur dernier plan que cette silhouette qui quitte le rectangle vert pour rejoindre les vestiaires.
Zidane, un portrait du XXIe siècle ennuie de temps en temps et laisse parfois perplexe (le collage d'images en guise de mi-temps, glanées dans le monde entier et datées du même jour que le match : petite et grande histoire mêlées, comme le foot, soit, mais encore...) mais il intéresse et "interpelle" physiquement. Il n'amènera aucun anti-foot à réviser sa position et n'éclairera en rien ceux qui ne connaisse pas les règles ni les enjeux. Mais bon, ça, on s'en cogne. On a regardé pendant tout un match, de façon inédite, un sacré putain de grand joueur...
(*) : Pour les non-hispanophones, successivement "Allez, allez, allez !", "Là, là !" et "Hé !"
ZIDANE, UN PORTRAIT DU XXIe SIÈCLE de Gordon Douglas et Philippe Pareno (France, 90 min, 2006) ****
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Le soleil
Avec sa lenteur calculée, son esthétisme forcené, son récit elliptique et son onirisme régulier, Le soleil de Sokourov, qui s'attache à la figure de l'empereur Hirohito au moment de la défaite du Japon et du début de l'occupation américaine, se présente sous des auspices hautement théoriques faisant craindre l'œuvre de peintre totalement refermée sur elle-même.
Or, le renfermé, elle le sent. Mais elle le sent vraiment. C'est-à-dire qu'elle transmet par ses seules images, extraordinairement travaillées, la sensation du dépérissement, de la décomposition. Se passant essentiellement en intérieurs, le film baigne dans les tons verts ou ocres, accumule les boiseries sombres, est investi par un brouillard à la fois insaisissable et réel, épais, tangible. Au dehors, le soleil perce à grand-peine.
L'image de Sokourov a une texture. Elle est belle mais elle peut se toucher et elle a un poids. Elle a également une odeur, celle de la chose mouillée voire moisie : brouillard, suintement des murs, sueur corporelle, bocal de biologiste... Une fois, Hirohito a son attention qui est attirée par les gouttes perlant sur le crâne dégarni du serviteur qui le boutonne, une autre fois, il teste sa mauvaise haleine. Ces détails attestent de la présence humaine au sein des tableaux.
L'humanisation est d'ailleurs le sujet du film. Mais il faut s'entendre sur le sens à donner au terme : il ne s'agit pas de "rendre sympathique" un dirigeant au pouvoir incommensurable ayant mené son peuple au bord de l'abîme mais de montrer que c'est "tout simplement" et "seulement" un homme. La démarche de Sokourov intéresse car elle désigne une évolution (ce n'était, à ce que l'on en dit, pas le cas de Moloch, ni de Taurus, films précédant celui-ci et consacrés respectivement à Hitler et Lénine). Ces semaines passées par Hirohito sont en effet celles qui le mènent à la décision de renoncer à son statut divin pour se reconnaître homme parmi les hommes.
L'une des choses que réussit de très belle manière Sokourov dans Le soleil est de montrer que cette réflexion de l'empereur est induite par une nouvelle conscience de son corps. Celui-ci est lent, chétif, vieux, mais Hirohito, en quelque sorte, le retrouve en éprouvant sa chair et son esprit. D'un côté, quand sa femme apparaît, il la caresse, la touche si maladroitement et nerveusement que l'on se demande si ces gestes ne sont pas, pour eux, une première. Et d'un autre côté, les tourments qui l'accablent font venir à lui des visions cauchemardesques, illustrées de façon saisissante par quelques séquences oniriques.
L'humain se manifeste aussi dans le cérémonial. Hirohito reprend également à son compte une parole moins protocolaire. Lorsqu'il est invité par le Général MacArthur, il pense voir dans l'échange proposé une invitation à étaler sa personnalité et sa sensibilité, cet épanchement étant stoppé rapidement par son interlocuteur le prenant pour "un enfant".
(Re)Trouver corps humain c'est aussi accepter que celui-ci défaille et que s'y réalise quelques parasitages. L'esprit de l'empereur semble ainsi, plusieurs fois, bifurquer dangereusement. S'adressant à un laborantin ou bien à MacArthur, il laisse dévier presque de manière folle son discours. Et encore une fois, Sokourov accompagne admirablement ce parasitage : par la représentation de rêves (infernale séquence du bombardement) ou de rêveries (l'entrée d'Hirohito "dans" le tableau qu'il contemple), par les surprises que réserve l'espace (Hirohito prenant tout à coup, dans son souterrain, un cul-de-sac pour l'entrée de ses appartements), par la disposition de signes incongrus (une référence à Charlie Chaplin, la présence d'un grand oiseau dans le jardin). C'est ainsi que la forme du film colle à son sujet et en même temps ouvre les perspectives.
Devant les images du Soleil, on pourrait croire, si on est peu attentif, à un immobilisme. En fait, tout bouge. Les plans de Sokourov sont finalement, ici, relativement courts, sa caméra est toujours en léger mouvement flottant, à peine perceptible, et les déplacements qu'il organise sont lents mais effectifs. D'ailleurs, son personnage principal fait toujours bouger au moins ses lèvres, victime d'un tic surprenant, presque hypnotisant. Folie, sénilité, dérèglement pathétique ou vie intérieure bouillonnante ? Hirohito parle tout le temps mais, une fois sur deux, personne ne l'entend, pas même nous.
L'évolution du personnage, provoquée par les événements mais assumée avec ferveur, laisse les serviteurs qui l'entourent tout a fait interdits, refusant de lui emboîter le pas sur le chemin de la reconnaissance d'un corps "comme les autres". Ces serviteurs, si on met de côté les quelques silhouettes observées lors d'un trajet en voiture dans les décombres sous escorte américaine, sont les seuls représentants du peuple japonais. La leçon politique du Soleil serait donc celle-ci : le Dieu-vivant n'est pas le seul coupable de ce désastre. Ceux qui croient aveuglément, ceux qui prient pour lui, sans penser à autre chose, le sont aussi. Pour cette raison, la catastrophe est inéluctable.
La vision de Sokourov est pessimiste et le chemin qu'il prend pour la révéler est ardu mais son film est assez fascinant.
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LE SOLEIL (Solntse)
d'Alexandre Sokourov
(Russie - Italie - Suisse - France / 110 min / 2005)