Le Havre (26.12.2011)

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Oui, je sais, cela ne se fait pas de dire du mal d'un film humaniste à Noël. Mais que voulez-vous... ma déception devant Le Havre a été à la hauteur de l'attente, celle conditionnée par le souvenir des quatre merveilleux opus kaurismäkiens qui le précédent (Au loin s'en vont les nuages, Juha, L'homme sans passé, Les lumières du faubourg). Alors, cette fois-ci, Aki la faute ?

A notre langue tout d'abord, que Kaurismäki a choisi d'utiliser intégralement. A l'époque, j'avais déjà été un peu moins séduit que d'ordinaire lorsque le cinéaste avait fait appel à sa French connection (J'ai engagé un tueur et La vie de bohème). Aujourd'hui, la transposition en France de l'univers du Finlandais me semble encore moins convaincante. Dès les premières minutes, les dialogues sonnent mal. On devine les énormes efforts que réalise Kati Outinen pour s'exprimer distinctement et ceux des autres pour ralentir leur tempo naturel (Jean-Pierre Darroussin paraissant finalement le plus à l'aise dans cet exercice).

A ce premier obstacle succède bientôt un autre, celui de l'empilement des références et des signes renvoyant vers le passé. Dans les cadres peu chargés qu'affectionne Kaurismäki, ils se voient d'autant plus. Bien sûr, ses films ont toujours eu un cachet intemporel mais ici, et sans doute le fait que l'on soit en France, sans distance culturelle, n'y est-il pas pour rien, tout paraît clairement daté et pour ainsi dire, vieillot. Dans chaque plan, il faut que l'on remarque tel ustensile désuet, telle marque de produit disparue, telle vieille enseigne, telle vignette automobile, telle voiture d'époque, telle prise de courant hors-norme. Le Havre c'est Jean-Pierre Jeunet meets Robert Bresson. Assez vite monte en nous la sensation d'être enfermé dans la chambre de Papi. Au décor s'ajoutent encore les clins d'œil cinématographiques : l'héroïne s'appelle Arletty, le héros Marcel (Marx, mais on pourrait entendre Carné). Le réalisme poétique des années 30 a déjà suffisamment d'ennemis comme ça pour que ses amis ne lui rendent pas d'aussi mauvais services, en le congelant de la sorte...

Bien évidemment, la raideur que Kaurismäki impose à ses collaborateurs est encore à l'origine de quelques agréables compositions contrastées mais le film s'enlise dans son train-train et ne redémarre qu'en de rares occasions. Cela survient en général lorsque les personnages bougent vraiment ou lorsque le cinéaste va au bout de ses désirs de conte et de mélo, sans peur du ridicule. Ainsi, de beaux plans subsistent, trop éparpillés.

Le rendez-vous est donc manqué. Il l'est aussi avec l'actualité brûlante, celle que Kaurismäki ne nous avait pas donné l'habitude de traiter aussi directement. Entre les images du démantèlement de la "jungle" des migrants tirées d'un reportage de France 3 et celle des immigrés d'Aki, il y a une sacrée différence. Certes, on peut apprécier qu'un cinéaste fasse preuve de recul émotionnel tout en restant clair quant à sa position morale et politique, qu'il ne se pose pas en donneur de leçons d'humanité, qu'il insiste sur la dignité des pauvres, mais enfin tout cela manque d'inquiétude et d'urgence. Dès sa première apparition, le méchant commissaire nous montre qu'il n'est pas celui que l'on croit. Le délateur, lui, est une exception dans la communauté de braves gens. Même en saluant l'audace poétique du dénouement, j'ai du mal à ne pas le résumer ainsi : sauvez un immigré, vous obtiendrez un miracle. C'est un peu court cher ami de Little Bob... Oui, Le Havre est vraiment un petit Aki.

 

kaurismäki,france,2010sLE HAVRE

d'Aki Kaurismäki

(France - Allemagne - Finlande / 93 min / 2011)

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