Vicky Cristina Barcelona (04.11.2008)

(Woody Allen / Espagne - Etats-Unis / 2008)

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vickycristina.jpgCristina prend un verre à la terrasse d'un café, en compagnie de Vicky et son mari Doug. Elle leur avoue avoir fait l'amour avec Maria Elena, l'ex de son amant Juan Antonio. Un flashback s'amorce pour illustrer la scène en question. Passés les premiers baisers et caresses, nous revenons au présent, à la terrasse, pour continuer le dialogue. Cristina et Vicky sont filmées côte à côte, se détachant d'un fond animé, dissemblables mais complices, parlant avec naturel et sérieux. Suit alors le contrechamp sur Doug, cadré seul, sans rien autour de lui, comme aspiré par le vide de la perspective. Sa défense d'une sexualité "normale" cache bien mal son trouble, suscité par la superposition de cette vision de sa femme et son amie, réunies face à lui, et des propos de cette dernière.

Comment faire la fine bouche devant le trente-huitième long-métrage de Woody Allen alors qu'il est truffé de ce genre de trouvailles discrètes ? La moindre séquence est ici un modèle d'élégance : la série de plans rapprochés qui retarde l'arrivée sur l'écran de celui dont tout le petit groupe parle à l'exposition (Juan Antonio), les fondus enchaînés précédents le premier baiser entre Vicky et Juan Antonio, la coupe en miroir entre deux plans symétriques lorsque Cristina téléphone à Vicky (leurs hommes respectifs placés dans la profondeur), ce pré verdoyant pentu où l'on suivra Cristina en un plan étonnamment long... Pour autant, le film, convoquant l'art photographique et le tourisme, n'est pas qu'une série de brillants instantanés. Allen y fait à nouveau preuve de son art musical des transitions. Les liaisons entre les plans sont notamment assurées par une voix off que d'aucuns jugent impersonnelle alors qu'elle apporte justement la distance et le soupçon d'ironie qui transforment le simple récit en conte moral.

Clichés touristiques ! reproche-t-on au film. Les deux héroïnes sont des jeunes femmes aisées et cultivées en vacances à Barcelone. Dîtes-moi alors comment n'iraient elles pas faire un tour à la Sagrada Familia ou au Parc Guell ? Oui, les personnages sont également stéréotypés. Mais l'avantage d'un stéréotype, c'est qu'il nous plonge directement dans le vif du sujet, qu'il plante le décor dès la première minute. Et à partir de là, on peut l'approfondir. Il suffit de se rappeler de ce que Woody Allen est parvenu à tirer l'an dernier de Ewan McGregor et de Colin Farrell pour se persuader qu'il est l'un des plus grands directeurs d'acteurs en activité. Cette fois-ci encore, il fait jouer un quatuor époustouflant. Trouble de Rebecca Hall, voix cassante de Scarlett Johansson, intensité de Penelope Cruz, oscillation entre force et tendresse de Javie Bardem (si j'étais une fille, je referai sûrement ma vie avec lui). Une idée géniale parmi d'autres : au sein du triangle amoureux, imposer, parfois sans succès, à Maria Elena (Cruz) de parler en anglais et non en espagnol, y compris dans ses crises de nerfs. Le mélange des langues et l'aisance de la comédienne dégage alors un extraordinaire sentiment de vie.

La comédie est des plus plaisantes mais cache, comme souvent chez Allen, un pessimisme certain. L'amour inassouvi est le thème du film. "Je ne veux pas de cette vie-là" hurle-t-on pendant la crise finale. Le drame c'est que les désirs ne s'accordent pas et s'il arrive que ce soient les mêmes, les moyens de les assouvir diffèrent. Pire, une simple "insatisfaction chronique" peut déséquilibrer l'édifice que l'on croyait idéal.

Vicky Cristina Barcelonaest le meilleur Woody Allen de la décennie.

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