Soy Cuba (13.11.2009)

(Mikhail Kalatozov / Cuba - URSS / 1964)

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soycuba.jpgDevant une œuvre excessive, hyper-formaliste et engagée, comme l'est Soy Cuba, il n'est pas illogique de passer par divers états successifs oscillant entre l'adhésion et le retrait. Le film de Kalatozov repose avant tout sur une série de tours de force techniques impressionnants. Les focales tordent les lignes de fuite verticales (palmiers, bâtiments...), les plans larges paraissent vouloir embrasser l'île toute entière, l'image a la même netteté qu'elle fixe la jungle, une rue ou un dancing. Surtout, la caméra bénéficie d'une liberté de mouvement stupéfiante : elle trace, en plans-séquences, des arabesques qui défient l'entendement, allant, sans jamais briser la continuité, du toit d'un immeuble à la piscine en contrebas (et sous l'eau !) ou surplombant une ruelle en la remontant dans toute sa longueur.

Le but de Kalatozov était de retracer quelques étapes menant à l'accomplissement de la révolution castriste à travers quatre histoires distinctes : une fille des bidonvilles est obligée de se prostituer auprès des riches étrangers, un vieil homme se voit privé de son champ, de son abri et de sa récolte, un étudiant participe à des actions contre la police de Batista et un paysan s'engage dans l'armée rebelle après le bombardement de sa cabane. Force est de constater qu'aujourd'hui la virtuosité du style (jusqu'à une "gratuité" évidente) semble mieux servir la description des lieux de farniente et de débauche de la bourgeoisie cubaine que l'envolée révolutionnaire exemplaire. Ainsi, le mouvement perpétuel qui dicte l'avancée du récit dans la première partie, les travellings flottants passant d'un personnage à l'autre et l'omniprésence de la musique préfigurent les grisantes scènes de bar ou de casino du cinéma de Scorsese, voire l'esthétique de certains video-clips (la séquence de la piscine pré-citée y fait furieusement penser).

L'excès visuel sied encore bien à l'histoire, drapée dans le mythe, du vieux paysan dépossédé de ses biens. En revanche, les boursouflures deviennent encombrantes lorsqu'il s'agit d'accompagner le parcours de l'étudiant devenant martyr révolutionnaire : un nouveau plan-séquence se charge péniblement d'expliciter le cas de conscience que pose un acte terroriste et, plus loin, un symbolisme sans retenue  nous met sérieusement à l'épreuve (pigeon abattu par les flics, chaîne humaine faisant front et lyrisme de la mort du héros - pas très intelligent sur le coup car s'avançant vers le policier avec une simple pierre à la main). La dernière partie, aussi dramatique, est un peu moins plombée mais l'édification nous empêche à nouveau de nous attacher vraiment aux personnages (et la question de la violence est encore éludée, la voix off assurant au paysan prenant les armes : "Tu ne tires pas pour tuer, tu tires contre ton passé...").

Au bout de 2h20, Soy Cuba et son grand huit de la mise en scène laissent légèrement lessivé.

(Présenté au Festival du Film d'Histoire de Pessac)

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