Melancholia (22.08.2011)

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L'accueil qui nous est réservé à l'orée du film comble nos attentes et au-delà. Au cours de ce pré-générique, Lars von Trier compose une série de plans d'une beauté à couper le souffle. Il invente une peinture en léger mouvement au fil de tableaux centrés sur deux héroïnes confrontées à la fin du monde. La lumière qui les enveloppe est incroyable, jamais vue peut-être, et la musique de Wagner les élève encore. Il y a l'humidité qui impregne les sols, la moiteur, la lourdeur des gestes, les effets soulignés de l'attraction terrestre mais aussi le geste pictural, les cieux imposants et les accords de Tristan et Isolde. Le prologue de Melancholia n'annonce pas seulement sa fin, il en pose d'emblée les enjeux : étudier un système de forces entre deux pôles opposés et naviguer entre la pesanteur et la grâce.

D'un tel morceau d'anthologie, il faut savoir se relever, si possible le prolonger, même en sourdine, le temps de retrouver en toute logique son onde de choc au moment de boucler l'œuvre. Malheureusement, Lars von Trier, pendant les deux heures qui suivront, n'aura pas grand chose à ajouter à sa brillante introduction, rien qui intéresse particulièrement en tout cas. La sidération esthétique ne sera plus au rendez-vous, les tableaux apocalyptiques ne revenant que très brièvement, sans avoir la même densité.

Choisissant une construction narrative en deux parties, Lars von Trier a choisi de consacrer la première à la description d'une cérémonie dont le fiasco renvoie clairement à l'excellent Festen (1998) de son ancien collègue du Dogme, Thomas Vinterberg. L'agacement qu'elle a provoqué chez moi a rendu impossible mon attachement à la seconde et donc au film. Il faut dire que la mise en scène de von Trier, en dehors du prologue et de ses quelques prolongements, est une nouvelle fois basée sur la proximité et la mobilité de la caméra. Superficiellement, ce principe passe pour un signe de spontanéité et de liberté. Pourtant, il y a là une feinte car ces plans à l'allure mal assurée n'en pointent pas moins des composants ultra-signifiants. Le "pic du plan", c'est bien le recadrage d'une photo laissée sur un divan, c'est bien l'entame sur la chaise vide de la mariée quand tout le monde s'impatiente, c'est bien le regard lourd de sous-entendus, c'est bien le gag récurrent du jeu de main devant les yeux. Dans ce maelstrom supposé vivifiant, combien de plans vraiment allégés, vraiment arrachés ?

Cette façon de faire serait peut-être acceptable si elle n'était redoublée par la lourdeur des propos et des comportements. En guise de dialogues, nous avons une ribambelle de mots-coups de poings, des "I hate you so much", des "Get the hell out of here", des "I hate you and your society"... Le moindre des membres de cette famille réunie en l'occasion est un cas pathologique et le patron de la mariée ne peut être que détestable. La jeune femme en crise peut se refuser à son mari et chevaucher le premier venu. Stratagèmes douteux et inimitiés profondes éclatent de toute part. Règle du genre, dira-t-on... La fête n'en est pas moins ennuyeuse, la narration relâchée et les ellipses inopérantes.

Ce trop plein de névroses est-il au moins causé par les bouleversements cosmiques à l'œuvre ? Rien ne le laisse véritablement penser. Seule la légendaire misanthropie de l'auteur semble l'expliquer.

La seconde partie, où le champ d'observation se resserre sur la figure principale, sa sœur, son beau-frère et son neveu, laisse espérer que Lars von Trier parvienne enfin à s'approcher des sommets bergmano-tarkovskiens qu'il vise. Mais la patte reste toujours aussi lourde, dans le traitement des détails (le tube de médicaments, le refus par le cheval puis la voiturette de passer le pont) comme dans la caractérisation des personnages (l'opposition entre les sœurs, les doutes cachés du mari, le dialogue sur le départ du majordome). L'éblouissement esthétique ne naît ici que de coups massues, par le montage (apparition de Justine nue) ou le tour de force scénaristique (la disparition de John). Le flux majestueux s'est bel et bien retiré dès le générique de début. Il ne nous reste, peut-être, que la beauté de Kirsten Dunst.

 

PS : En vous laissant un mot l'autre jour, j'annonçais tenir, concernant ce film, une position minoritaire. J'avais en fait, pour un temps, oublié que la blogosphère cinéphile était l'un des endroits les moins prévisibles qui soient, contrairement à la presse cinéma. Minoritaire, ma position ne semble finalement pas l'être si l'on s'enquiert des nombreuses réserves exprimées notamment sur Une fameuse gorgée de poison, Il a osé !, Baloonatic, La Cinémathèque de Phil Siné, Le blog de Dasola, princécranoir, Christoblog ou Le Ciné-Club de Caen.

 

melancholia00.jpgMELANCHOLIA

de Lars von Trier

(Danemark - Suède - France -Allemagne / 136 min / 2011)

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