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L'accueil qui nous est réservé à l'orée du film comble nos attentes et au-delà. Au cours de ce pré-générique, Lars von Trier compose une série de plans d'une beauté à couper le souffle. Il invente une peinture en léger mouvement au fil de tableaux centrés sur deux héroïnes confrontées à la fin du monde. La lumière qui les enveloppe est incroyable, jamais vue peut-être, et la musique de Wagner les élève encore. Il y a l'humidité qui impregne les sols, la moiteur, la lourdeur des gestes, les effets soulignés de l'attraction terrestre mais aussi le geste pictural, les cieux imposants et les accords de Tristan et Isolde. Le prologue de Melancholia n'annonce pas seulement sa fin, il en pose d'emblée les enjeux : étudier un système de forces entre deux pôles opposés et naviguer entre la pesanteur et la grâce.
D'un tel morceau d'anthologie, il faut savoir se relever, si possible le prolonger, même en sourdine, le temps de retrouver en toute logique son onde de choc au moment de boucler l'œuvre. Malheureusement, Lars von Trier, pendant les deux heures qui suivront, n'aura pas grand chose à ajouter à sa brillante introduction, rien qui intéresse particulièrement en tout cas. La sidération esthétique ne sera plus au rendez-vous, les tableaux apocalyptiques ne revenant que très brièvement, sans avoir la même densité.
Choisissant une construction narrative en deux parties, Lars von Trier a choisi de consacrer la première à la description d'une cérémonie dont le fiasco renvoie clairement à l'excellent Festen (1998) de son ancien collègue du Dogme, Thomas Vinterberg. L'agacement qu'elle a provoqué chez moi a rendu impossible mon attachement à la seconde et donc au film. Il faut dire que la mise en scène de von Trier, en dehors du prologue et de ses quelques prolongements, est une nouvelle fois basée sur la proximité et la mobilité de la caméra. Superficiellement, ce principe passe pour un signe de spontanéité et de liberté. Pourtant, il y a là une feinte car ces plans à l'allure mal assurée n'en pointent pas moins des composants ultra-signifiants. Le "pic du plan", c'est bien le recadrage d'une photo laissée sur un divan, c'est bien l'entame sur la chaise vide de la mariée quand tout le monde s'impatiente, c'est bien le regard lourd de sous-entendus, c'est bien le gag récurrent du jeu de main devant les yeux. Dans ce maelstrom supposé vivifiant, combien de plans vraiment allégés, vraiment arrachés ?
Cette façon de faire serait peut-être acceptable si elle n'était redoublée par la lourdeur des propos et des comportements. En guise de dialogues, nous avons une ribambelle de mots-coups de poings, des "I hate you so much", des "Get the hell out of here", des "I hate you and your society"... Le moindre des membres de cette famille réunie en l'occasion est un cas pathologique et le patron de la mariée ne peut être que détestable. La jeune femme en crise peut se refuser à son mari et chevaucher le premier venu. Stratagèmes douteux et inimitiés profondes éclatent de toute part. Règle du genre, dira-t-on... La fête n'en est pas moins ennuyeuse, la narration relâchée et les ellipses inopérantes.
Ce trop plein de névroses est-il au moins causé par les bouleversements cosmiques à l'œuvre ? Rien ne le laisse véritablement penser. Seule la légendaire misanthropie de l'auteur semble l'expliquer.
La seconde partie, où le champ d'observation se resserre sur la figure principale, sa sœur, son beau-frère et son neveu, laisse espérer que Lars von Trier parvienne enfin à s'approcher des sommets bergmano-tarkovskiens qu'il vise. Mais la patte reste toujours aussi lourde, dans le traitement des détails (le tube de médicaments, le refus par le cheval puis la voiturette de passer le pont) comme dans la caractérisation des personnages (l'opposition entre les sœurs, les doutes cachés du mari, le dialogue sur le départ du majordome). L'éblouissement esthétique ne naît ici que de coups massues, par le montage (apparition de Justine nue) ou le tour de force scénaristique (la disparition de John). Le flux majestueux s'est bel et bien retiré dès le générique de début. Il ne nous reste, peut-être, que la beauté de Kirsten Dunst.
PS : En vous laissant un mot l'autre jour, j'annonçais tenir, concernant ce film, une position minoritaire. J'avais en fait, pour un temps, oublié que la blogosphère cinéphile était l'un des endroits les moins prévisibles qui soient, contrairement à la presse cinéma. Minoritaire, ma position ne semble finalement pas l'être si l'on s'enquiert des nombreuses réserves exprimées notamment sur Une fameuse gorgée de poison, Il a osé !, Baloonatic, La Cinémathèque de Phil Siné, Le blog de Dasola, princécranoir, Christoblog ou Le Ciné-Club de Caen.
MELANCHOLIA
de Lars von Trier
(Danemark - Suède - France -Allemagne / 136 min / 2011)
Commentaires
Merci pour le lien ! :D
Complètement d'accord avec ta critique, excellente comme toujours.
Film de merde !
Si ce film n'est pas catégorisable dans ce que l'on peut et doit nommer un chef d'oeuvre, il n'est pas le film décrit dans ce propos et ces commentaires. Je m'offusque et m'étrangle à lire des propos si injustes.
Et surtout si ce film est un merde alors que dire de 99.5% de films existants sur nos écrans tant celui qui nous concerne aujourd'hui est quand même dans le haut du panier de la production actuelle.
Je suis en déssacord beaucoup sur la forme, sur le fond beaucoup aussi ...
Et qu'on ne me lise pas de traviole hein, ce film a dés défauts mais aussi des grandes qualités.
Vous lui trouvez des qualités parce que c'est de Lars von trier, si c'était d'un anonyme, vous en auriez rien à branler
Rémi : Merci bien
Anonyme : Doit-on comprendre par là que vous n'aimez guère le film ?
David : En cherchant bien, tu devrais trouver sur ce blog des propos encore plus injustes envers d'autres réalisateurs.
Je ne sais pas si 99.5% de la production n'égale pas Melancholia mais je trouve que les 2/3 des films que je connais sont meilleurs que ce LVT-là...
H : Vulgairement, on appelle ça la politique des auteurs, ça a toujours été assez répandu chez les cinéphiles. Quoiqu'on en pense, il est difficile d'y échapper totalement...
ce n'est pas ce que je veux dire tu m'as mal compris..
En clair si j'annonce que j'ai préféré Antichrist je ne me fais pas lapider ?
Bon retour de vacances Edouard, merci pour cette critique mesurée et convaincainte. Emu aussi par le beau prologue, plus rien ensuite hélas n'est, comme tu le dis, arraché à une narration banale(si ce n'est peut-être la cabane de branches taillées au couteau, référence à Chranach).
Impatient d'avoir ton avis sur La piel que habito et Les innocents où, à mon avis, il y a bien plus de cinéma.
JL
Oups un bug avec mon commentaire ? pas si grave il a été lu
Bonjour Ed, merci pour le lien et tant pis pour les critiques du Masque et la Plume (comme Eric Neuhoff qui s'y connaît autant en cinéma que moi physique quantique et qui a des goûts discutables). Je suis contente ne pas être trop seule à pas aimer ce film très vain. Bonne journée.
H : C'était une boutade de ma part... De toute façon, il semble que votre commentaire était adressé au départ à David... Cela dit, si vous souhaitez préciser votre pensée, n'hésitez pas...
Fred : Je ne lancerai pas la 1ère pierre... 1) Je n'ai pas vu Antichrist 2) Lorsque je le découvrirai, je sens que je vais le préférer à Melancholia
Jean-Luc : Merci à toi (bravo pour ton article aussi, entre autre pour les références picturales. Quant à Marienbad, j'ai vu passer son ombre à un moment dans le film, moi aussi).
Pour la suite des réjouissances, j'ai vu justement hier soir le Almodovar et je te rassure d'ores et déjà : il y a effectivement plus de cinéma là dedans. En revanche, je n'ai jamais été fan de Téchiné (car il y a bien un lapsus dans ton comm', "Impardonnables" plutôt que "Les innocents", non ?). Je n'ai pas mis son film dans mes priorités de la rentrée...
David : Un bug ? où ça ?
Dasola : Si Eric Neuhoff était un critique de cinéma, ça se saurait... (pour ma part, pas encore écouté le Masque de la semaine)
Viva El Pedro !
Super ta boutade ^^ (no offense ;-) )
Viva El pedro, Viva Antichrist, le prochain LVT sera sans doute mieux.
Mince alors, lapsus oui : le père que je suis doit prêcher pour l'innocence.
Si je dis que Eric Neuhoff a plutôt aimé Impardonnables, je sens que je ne vais pas convaincre grand monde d'y aller. Pourtant, j'insiste, le film est très sensible.
Pour "Impardonnables", je ne promets rien, Jean-Luc, mais je le note...
Film pompier, pompeux, grandiloquent, creux, plat, vide, inepte... Quand je lis les critiques cinéma dithyrambiques, je tombe de ma chaise. Que c'est mauvais, mais que c'est mauvais. Il passe complètement à côté de son sujet, est lourd de sous-entendus sursignifiants, se tripote la nouille en se regardant filmer, nous abreuve de gros plans des nichons de Kirsten Dunst, se perd en cours de route. Il semble poursuivre dans la veine esthétique, précieuse et ridicule d'Antécrist. si ce n'était pas Von Trier, j'aurais ri, je me serais moqué. Là, ça m'agace.
Et bien, tu es encore plus sévère que moi, Julien ! C'est étonnant que les avis sur le net soient aussi tranchés et que la presse soit unanime à ce point (on y trouve quoi ? 2 ou 3 critiques négatives maximum dans un océan de dithyrambes).
Tu peux ajouter mon avis à la liste des détracteurs du film, je ne l'ai pas du tout aimé. Ta critique est parfaite, bravo.
Merci Chris.
Te voilà ajouté à cette liste qui, décidément, est bien longue...
Oulah ! Je m'apprêtais à te dire que j'étais plutôt d'accord avec ta critique et que le film m'avait un peu déçu mais les commentaires lapidaires me donnent quand même envie de le défendre comme j'ai défendu en son temps "Antichrist" (qui était meilleur, Fred a raison).
Pour ma part, c'est la deuxième partie qui me paraît décevante, dans la mesure ou LVT opte pour un récit de SF sans trop de suspense (tout est déjà dit depuis le très beau prologue). En revanche, j'aime assez la cérémonie du mariage. Certes, il y a quelques outrances mais j'aime bien le côté caustique du cinéaste et le "style Dogme", même s'il me semble moins frais qu'à l'époque de "Breaking the waves" ou des "idiots" (deux chefs-d’œuvre, pour le coup)donne malgré tout une certaine intensité aux rapports humains mis en scène. On aurait aimé que la deuxième partie explicite un peu plus ces névroses et ses liens familiaux compliqués (pourquoi cette mélancolie chez Justine?)...
Qu'il est compliqué le rapport des spectateurs (même les plus assidus) à von Trier ! Par exemple, je n'avais pas aimé du tout Les Idiots. Mais y a-t-il un titre qui fasse l'unanimité ? Même pas Breaking the waves, je pense. En fait, je ne vois que... The Kingdom pour rallier tous les suffrages.
Pour ce qui est de Melancholia, la 1ére partie m'ayant agacé, je me suis dit que la 2ème devait être meilleure. Mais il y subsiste encore bien des problèmes à mon avis. Entre autres ce traitement de la SF : il s'en approche soit trop, soit pas assez (partant de la deuxième hypothèse, on se demande alors par exemple pourquoi le monde autour du château n'existe pas).
Et je suis d'accord avec ce que tu dis (chez toi) à propos du personnage de Justine, qui est un peu négligé dans la seconde partie.