Pina (16.04.2011)

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Dire tout d'abord que les images de la représentation du Sacre du printemps, telle qu'elle est filmée par Wim Wenders, ont constitué la plus stimulante expérience cinématographique qu'il m'ait été donné de vivre ces derniers mois.

C'est ainsi que débute Pina, le film hommage du cinéaste à la célèbre chorégraphe du Tanztheater Wuppertal, Pina Bausch, décédée en 2009. Et déjà, d'une part, nous sommes plongés au cœur de l'art de la danse tel que l'a conçu cette femme, d'autre part, la pertinence du choix de la 3D éclate sous nos yeux. Le travail sur la profondeur et la netteté des contours des corps, des vêtements et des objets que permettent cette technique la rende particulièrement appropriée à la mise en scène d'un ballet, l'œil passant en effet du groupe au soliste, de l'arrière plan au devant, sans heurt, en captant la même intensité, en bénéficiant de la même définition. Nous pensons alors appréhender le mieux qu'il est possible ce qui se joue sur scène, en chaque endroit et à chaque moment.

Pina est organisé comme une succession de représentations au théâtre, de séquences dansées en extérieurs et de témoignages de danseurs (ainsi que de quelques images d'archives). A mon sens, la 3D selon Wenders n'est jamais aussi convaincante que lorsqu'elle investit un espace artificiel, celui de la scène, donc, avec son fond dépouillé, monochrome ou sans couleur. La 3D ne génère pas un surcroît de réalité, comme veut nous le faire avaler la publicité. Elle n'incite pas au toucher : s'il y avait caresse, le contact ne se ferait que sur une surface plane et lisse, une strate. Cette image est en effet constituée de couches successives, propriété qui renvoie au passé du cinéma et de la vidéo, aux superpositions diaboliques de Méliès, aux tentatives de films en relief, aux transparences hollywoodiennes classiques ou aux expériences d'un Zbigniew Rybczynzki. Wenders sait prendre en compte cette idée de trucage et s'en amuse au détour d'une séquence montrant une danseuse aux bras exagérément musclés ou d'une saynète autour d'une "maison de poupée".

Dans son art, Pina Bausch faisait  bouger les lignes et tomber les frontières. Elle faisait, aussi, tomber les lignes : chez elle, les corps ne cessent de chuter, tout en continuant, même à terre, à danser. Wenders lui emboîte le pas. Ne se limitant pas à faire danser aux carrefours, dans le métro aérien ou près des cours d'eau, il cherche à travailler la géométrie des plans. Des cadrages se font au ras du sol, des plongées donnent le vertige, des images s'emboîtent les unes dans les autres, et toujours,  grâce à la 3D, la profondeur est sondée. Les éléments du plan sont découpés si nettement, la séparation entre les couches est si visible, qu'il semble impossible de passer de l'une à l'autre. Et pourtant, avec fluidité, les corps voyagent dans cet espace sans effort, les points de références pour l'œil ne cessent de changer, provoquant parfois une étonnante perception des proportions. Les envols eux-mêmes s'en trouvent suspendus plus longuement, plus facilement. En extérieur, ces effets se ressentent avec moins d'évidence. Toutefois, voir danser la troupe hors les murs, ce n'est pas une manière de se frotter plus vigoureusement au réel. Quoi de plus irréel, en effet, que ces séquences là ? La danse, comme tout art, n'est qu'une image, une représentation, un reflet du réel.

Avec Pina, le cinéma s'occupe donc de la danse, avec les moyens qu'il faut mais sans se départir d'une agréable simplicité. Un écran de cinéma apparaît au fond de la scène, un projecteur, un chariot, des rails évoquent la machinerie du 7ème art. Des effets de montage, fusionnant plusieurs personnes en une seule lors de la pièce Kontakthof, permettent de visualiser ce qui ne pouvait l'être sur scène. Des lieux, des compositions, des gestes, font écho à d'anciens films de Wenders. Réjouissons-nous que tout cela soit débarrassé, miraculeusement, de la dimension moralisatrice accompagnant souvent les réflexions habituelles du cinéaste sur les images.

La lourdeur d'une chape, il est certes possible de la ressentir à un autre niveau. Les propos tenus par les danseurs, dans des inserts brisant parfois de façon gênante l'élan des séquences de ballet, paraissent dans un premier temps trop exclusivement flatteurs envers la disparue. Ces interventions ne semblent guère permettre de mettre en valeur autre chose que le regard perçant de la chorégraphe et sa capacité à révéler ses danseurs à eux-même, deux qualités rappelées ici à l'envi. Mais on peut voir ces séquences d'un autre œil et les entendre d'une autre oreille. Tout d'abord, Wenders ne s'en sert pas dans un but didactique. Son film n'est pas une leçon d'histoire de l'art, il donne simplement à voir la singularité de l'œuvre de Pina Bausch. Les bouleversements qu'elle a provoqué sont sur l'écran et il n'est pas utile qu'un commentaire vienne nous rappeler le travail radical sur le corps, les vêtements et le décor. Les phrases que prononcent les danseurs ne sonnent donc pas comme des explications, mais comme des messages. Pina est un tombeau, au sens du poème écrit pour un défunt. Il y a un côté fiction dans ces intermèdes, ces mots étant visiblement mûrement choisis et écrits. De plus, ces femmes et ces hommes sont présentés de la même manière, en train de prendre la pose, leur parole ne venant qu'en off, comme en pensée. Filmés ainsi, ils ressemblent aux anges des Ailes du désir. Non nommés, ils forment une sorte d'armée ailée au service de la déesse Pina.

Depuis vingt ans, Wim Wenders traversait le cinéma en fantôme. En disparaissant, Pina Bausch l'a fait renaître.

 

pina00.jpgPINA

de Wim Wenders

(Allemagne - France - Grande-Bretagne / 106 mn / 2011)

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