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Pina

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Dire tout d'abord que les images de la représentation du Sacre du printemps, telle qu'elle est filmée par Wim Wenders, ont constitué la plus stimulante expérience cinématographique qu'il m'ait été donné de vivre ces derniers mois.

C'est ainsi que débute Pina, le film hommage du cinéaste à la célèbre chorégraphe du Tanztheater Wuppertal, Pina Bausch, décédée en 2009. Et déjà, d'une part, nous sommes plongés au cœur de l'art de la danse tel que l'a conçu cette femme, d'autre part, la pertinence du choix de la 3D éclate sous nos yeux. Le travail sur la profondeur et la netteté des contours des corps, des vêtements et des objets que permettent cette technique la rende particulièrement appropriée à la mise en scène d'un ballet, l'œil passant en effet du groupe au soliste, de l'arrière plan au devant, sans heurt, en captant la même intensité, en bénéficiant de la même définition. Nous pensons alors appréhender le mieux qu'il est possible ce qui se joue sur scène, en chaque endroit et à chaque moment.

Pina est organisé comme une succession de représentations au théâtre, de séquences dansées en extérieurs et de témoignages de danseurs (ainsi que de quelques images d'archives). A mon sens, la 3D selon Wenders n'est jamais aussi convaincante que lorsqu'elle investit un espace artificiel, celui de la scène, donc, avec son fond dépouillé, monochrome ou sans couleur. La 3D ne génère pas un surcroît de réalité, comme veut nous le faire avaler la publicité. Elle n'incite pas au toucher : s'il y avait caresse, le contact ne se ferait que sur une surface plane et lisse, une strate. Cette image est en effet constituée de couches successives, propriété qui renvoie au passé du cinéma et de la vidéo, aux superpositions diaboliques de Méliès, aux tentatives de films en relief, aux transparences hollywoodiennes classiques ou aux expériences d'un Zbigniew Rybczynzki. Wenders sait prendre en compte cette idée de trucage et s'en amuse au détour d'une séquence montrant une danseuse aux bras exagérément musclés ou d'une saynète autour d'une "maison de poupée".

Dans son art, Pina Bausch faisait  bouger les lignes et tomber les frontières. Elle faisait, aussi, tomber les lignes : chez elle, les corps ne cessent de chuter, tout en continuant, même à terre, à danser. Wenders lui emboîte le pas. Ne se limitant pas à faire danser aux carrefours, dans le métro aérien ou près des cours d'eau, il cherche à travailler la géométrie des plans. Des cadrages se font au ras du sol, des plongées donnent le vertige, des images s'emboîtent les unes dans les autres, et toujours,  grâce à la 3D, la profondeur est sondée. Les éléments du plan sont découpés si nettement, la séparation entre les couches est si visible, qu'il semble impossible de passer de l'une à l'autre. Et pourtant, avec fluidité, les corps voyagent dans cet espace sans effort, les points de références pour l'œil ne cessent de changer, provoquant parfois une étonnante perception des proportions. Les envols eux-mêmes s'en trouvent suspendus plus longuement, plus facilement. En extérieur, ces effets se ressentent avec moins d'évidence. Toutefois, voir danser la troupe hors les murs, ce n'est pas une manière de se frotter plus vigoureusement au réel. Quoi de plus irréel, en effet, que ces séquences là ? La danse, comme tout art, n'est qu'une image, une représentation, un reflet du réel.

Avec Pina, le cinéma s'occupe donc de la danse, avec les moyens qu'il faut mais sans se départir d'une agréable simplicité. Un écran de cinéma apparaît au fond de la scène, un projecteur, un chariot, des rails évoquent la machinerie du 7ème art. Des effets de montage, fusionnant plusieurs personnes en une seule lors de la pièce Kontakthof, permettent de visualiser ce qui ne pouvait l'être sur scène. Des lieux, des compositions, des gestes, font écho à d'anciens films de Wenders. Réjouissons-nous que tout cela soit débarrassé, miraculeusement, de la dimension moralisatrice accompagnant souvent les réflexions habituelles du cinéaste sur les images.

La lourdeur d'une chape, il est certes possible de la ressentir à un autre niveau. Les propos tenus par les danseurs, dans des inserts brisant parfois de façon gênante l'élan des séquences de ballet, paraissent dans un premier temps trop exclusivement flatteurs envers la disparue. Ces interventions ne semblent guère permettre de mettre en valeur autre chose que le regard perçant de la chorégraphe et sa capacité à révéler ses danseurs à eux-même, deux qualités rappelées ici à l'envi. Mais on peut voir ces séquences d'un autre œil et les entendre d'une autre oreille. Tout d'abord, Wenders ne s'en sert pas dans un but didactique. Son film n'est pas une leçon d'histoire de l'art, il donne simplement à voir la singularité de l'œuvre de Pina Bausch. Les bouleversements qu'elle a provoqué sont sur l'écran et il n'est pas utile qu'un commentaire vienne nous rappeler le travail radical sur le corps, les vêtements et le décor. Les phrases que prononcent les danseurs ne sonnent donc pas comme des explications, mais comme des messages. Pina est un tombeau, au sens du poème écrit pour un défunt. Il y a un côté fiction dans ces intermèdes, ces mots étant visiblement mûrement choisis et écrits. De plus, ces femmes et ces hommes sont présentés de la même manière, en train de prendre la pose, leur parole ne venant qu'en off, comme en pensée. Filmés ainsi, ils ressemblent aux anges des Ailes du désir. Non nommés, ils forment une sorte d'armée ailée au service de la déesse Pina.

Depuis vingt ans, Wim Wenders traversait le cinéma en fantôme. En disparaissant, Pina Bausch l'a fait renaître.

 

pina00.jpgPINA

de Wim Wenders

(Allemagne - France - Grande-Bretagne / 106 mn / 2011)

Commentaires

  • merci pour votre commentaire j'ai éprouvé tout cela...

  • Je suis très déçu par le mépris des Cahiers pour Wenders, comme si sa chute était définitive et que son œuvre s'achevait avec le n°400 de cette revue dont le contenu, si je ne me trompe pas, lui avait été confié. Son cinéma est-il à ce point méprisable depuis les années 1990 ?

    Sur Pina, nous nous rejoignons en tout point. Que de beaux films sur la danse ces derniers temps (Black swan excepté ;p).

  • Je suis heureux de cette convergence, Laurence.

    Benjamin : C'est Joachim qui parle de Pina dans les Cahiers apparemment, non ? Je n'ai malheureusement pas lu sa critique. Pas plus que je n'ai vraiment suivi les déboires de Wenders dans la revue (après ce... N°400 dont tu parles et que j'avais récupéré).
    Mais je ne suis pas sûr que l'on doive spécialement accuser les Cahiers. Ils n'ont pas été les seuls, loin de là, à abandonner Wenders (dans Libération par exemple, il y eut de véritables assassinats à partir de "Jusqu'au bout du monde").
    Et moi-même... Dans les années 90, les films de Wenders post-Jusqu'au bout du monde (que j'avais beaucoup aimé à l'époque) furent, de mon point de vue au mieux juste agréables (Lisbonne story, Buena Vista Social Club), au pire ratés et inutiles (Si loin si proche). Ensuite, le peu que j'ai vu m'a affligé. On doit trouver sur ce blog une chronique quasi-désespérée consacrée à Don't come knocking. Quant à Million Dollar Hotel, je crois me rappeler que je n'avais pas tenu jusqu'à la fin...
    C'est dire si je reviens de loin par rapport à Wenders. Je le retrouve enfin, lui qui était peut-être le cinéaste qui me touchait le plus à la fin des années 80.
    Quant aux films sur la danse, tu as raison. Mettons Black swan de côté pour ne pas relancer de polémique, mais repensons au magnifique documentaire de Wiseman. Et du coup, je regrette de ne pas avoir vu "Les rêves dansants"...

  • Je crois que la concentration de très bons films sur deux décennies 1970 et 1980 nous font oublier les étrangetés et les expériences qui ont toujours été chez lui et qui viennent s'insérer entre sur cette période (Chambre 666, Carnets de notes...). Le bonhomme a le mérite de ne pas se satisfaire de ce qu'il a et de chercher. Il est normal que tout n'aboutisse pas à la même réussite. Land of plenty ou Don't come ne me paraissait pas vain, loin de là.

    Ceci dit, en pensant à Pina, je ne sais pas si on le doit au spectateur, au cinéaste ou à un peu des deux, mais les réminiscences que j'y trouve au cinéma de Wenders sont celles du meilleur... Se pourrait-il qu'il ait été capable par ce beau film de faire revivre, consciemment ou pas, ce qu'il y a de mieux dans sa filmographie ?

  • "Les rêves dansants" sort en dvd et je vous le recommande, c'est autant un film sur la danse que sur la pudeur et la sensualité des corps dans l'adolescence. C'est très émouvant de voir réinvestie un spectacle crée dans les années 1978 avec des corps d'aujourd'hui qui s'ouvre au désir.

    C'est très réjouissant de voir Wim Wenders mettre son regard de créateur au service du travail de Pina Bausch et utiliser le relief avec une telle intelligence de mise en scène.

    Je ne crois pas qu'il y ait un mépris critique mais plutôt une lente déception pour un cinéaste aussi brillant dans les années 70-80 :
    Alice dans les villes (1974), Au fil du temps(1975),l'ami Americain (1977), Nick's movie (1980), Paris Texas (1984) et les ailes du désir (1987).
    Autant de films qui sont des jalons dans ma vie de spectateur.
    parce que Wenders constitue l'humus de ma cinéphilie.

    Peut être que ses derniers films sentaient trop la pose du génie statufié après "Les ailes du désir", un summum pour moi qui rend les films suivants un peu fades.

    Le succès publique de "Buena vista social club" lui aura permis de
    poursuivre ça carrière dans une veine documentaire musicale qui me touche moins.
    Du coup, j'avais perdu cette nécessité d'aller voir le dernier film de Wenders.

    "PINA" fait du bien pour Pina Bausch et en ce qui me concerne pour retrouver le Wenders que j'aime, celui qui éveille les sens.

  • Je suis totalement d'accord avec vous Lionel et, sur la durée, j'ai eu exactement le même rapport au cinéma de Wenders (y compris cette perte de désir pour "le prochain Wenders"). Après le sommet que constitue "Les ailes du désir", "Jusqu'au bout du monde", qu'on le considère encore défendable (comme moi) ou pas, constitue un tournant. Wenders se voit statufié "cinéaste officiel européen" et commence à ressasser son discours sur les "nouvelles images", à la manière d'un professeur un peu barbant.
    Comme le dit Benjamin, on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir continué de chercher, mais parmi ses titres des vingt dernières années, combien sortent du lot pour se placer à côté des grands films contemporains ou à côté de ses propres films des années 70/80 ? A mon avis aucun.
    Aucun jusqu'à Pina, donc. Peut-être fallait-il en fait oublier un peu Wenders (Palermo shooting jamais sorti en salles suite à sa descente en flèche à Cannes) pour retrouver soudain ce désir.

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