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  • Tristesse des anthropophages & La Femme Bourreau (Jean-Denis Bonan, 1966 & 1968)

    Un court métrage provocant bloqué par la censure et un film noir halluciné resté sans distributeur resurgissent des années 60. La rencontre retardée avec le cinéma de Jean-Denis Bonan, singulier et heurté, entre étirements coupables et fulgurances poétiques.

    S'il ne s'était pas distingué dans d'autres sphères, notamment à la télévision, Jean-Denis Bonan passerait pour un cinéaste maudit à la carrière brisée par la censure et redécouvert trop tard. Tristesse des anthropophages, frappé d'interdiction en 1966, est un court métrage en forme de bras d'honneur rigolard. Cette farce surréaliste et scatologique se permet beaucoup d'écarts mais a l'inconvénient de venir trente ans après Buñuel. Crudité, attaques anti-bourgeoises, entraves à l'amour et renversements des symboles chrétiens : L'Âge d'or est le référent évident et encombrant de la pochade. Objet premier de cette résurrection, La Femme Bourreau, film abandonné en 1968 en prémontage, est d'une autre tenue. Revêtant les atours plus classiques d'une enquête policière, l'œuvre n'en demeure pas moins ouverte à toutes les influences et toutes les expérimentations. Alternant jazz bruitiste et ballades absurdes et macabres, la musique participe à la déstabilisation déjà provoquée par le choc d'images très diverses (la fiction se nourrit d'inserts documentaires) et l'application d'un froid commentaire sur le drame. Selon les scènes, le degré de distanciation varie, comme le jeu des acteurs paraît soit neutre, soit habité. La qualité de la photo, prolongeant une mise en scène expressionniste, traduit une vision originale des rues et des toits de Paris, par moments fascinante. De même, le corps des femmes, objet de tous les désirs, est magnifié. La volonté d'agitation politique et esthétique a cependant poussé Bonan à trop tirer à la ligne sur la fin, avec un décor et un message signifiants venus tout droit de M le Maudit.

    (Texte paru dans L'Annuel du Cinéma 2016)