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Sweeney Todd

(Tim Burton / Etats-Unis / 2007)

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544164c7a74882c6c27a1cafff677cbc.jpgPuisque Tim Burton croit aux maléfices, risquons cette hypothèse : le fait d'avoir accepté de réaliser un inutile et impersonnel remake de La planète des singes en 2001 a provoqué une malédiction qui lui vaut d'accumuler pendant 10 ans les ratages. Cette commande, venant après une décennie dorée, a laissé tout le monde insatisfait, lui y compris, et surtout, elle semble l'avoir complètement déboussolé. Suivirent donc son film le plus personnel sur le papier et transformé à l'écran en conte bêta et inoffensif (Big fish), puis la Rolls du film pour enfants qui ennuie les parents (Charlie et la chocolaterie), pour arriver à ce Sweeney Todd, où le plus grave est bien de constater que rien n'y fait; le cadre, l'histoire, l'ambiance, le ton ont beau changer, le bilan de santé de l'homme à la coiffure en pétard est toujours aussi alarmant.

Sweeney Todd est une comédie musicale macabre. Plus exactement, un film chanté, puisqu'ici on ne danse pas. L'adaptation est celle d'un spectacle à succès de Broadway, racontant la vengeance ruminée par un barbier envers un juge dépravé lui ayant enlevé femme et fille avant de l'envoyer au bagne. Dommage donc pour Danny Elfman qui n'a pas pu travailler cette fois avec son ami Tim, et dommage pour nos oreilles. Si musicalement l'ensemble est supérieur aux soupes qui cartonnent régulièrement sur les grandes scènes françaises, du type Notre Dame de Paris, on ne se fait décidément pas à ce genre de variété souvent gueularde. Saluons cependant les efforts vocaux fournis par Johnny Depp et Helena Bonham Carter, que Burton fige dans des duos chantés au sein d'un décor restreint et quasi-unique (la séquence du rêve de vacances conjugales souffle brusquement un air frais bienvenu). La sensation est pénible de s'entendre dire dès que des notes de musique s'élèvent : "Tiens, encore une chanson, on va s'ennuyer pendant 3 minutes". Le choix du spectacle chanté autorise bien des raccourcis en termes de scénario, ne serait-ce que pour reprendre de la vitesse entre les numéros musicaux, mais pourquoi devine-t-on si facilement, dès le premier plan où elle apparaît, l'identité de cette vieille mendiante à l'arrière-plan ? Je mentirais en disant que j'ai tout vu venir dans le dernier quart d'heure, mais jusque là, que le chemin traversant ces ténèbres est bien balisé... Si le couple star fait le boulot sans surprises (de toutes façons, leurs personnages sont déjà morts puisqu'ils sont les seuls à avoir le visage poudré de blanc), l'intérêt se porte plus volontiers sur les seconds rôles de Sacha Baron Cohen, dans la séquence du concours de rasage, la meilleure du film, et de Timothy Spall, grandiose dans la dégueulasserie.

Reste encore un gros problème : la violence. Pour la première fois, Tim Burton s'y coltine vraiment et le moins que l'on puisse dire est que sa manière ne semble pas poser de problèmes à grand monde. Ici, le cinéaste veut à la fois saisir le spectateur dans l'effroi et le faire ricaner. Montrer son héros trancher des gorges en chantant est déjà douteux, mais répéter cinq fois, six fois, ces plans de corps qui s'écrasent en se disloquant dix mètres plus bas, qu'est-ce sinon de la complaisance ? Tarantino a souvent été traîné au bûcher pour moins que ça. Peut-être me répondra-t-on : grand-guignol, hommage aux films d'horreur de la Hamer etc... Sauf que le réalisme n'était alors pas aussi poussé et qu'il ne se mêlait pas à un second degré aboutissant à la confusion. Et surtout, le cinéma n'a plus l'innocence de l'époque. Le dernier beau film des frères Coen n'est pas moins violent que celui-ci, mais il existe entre les deux une grande différence : d'un côté la violence est intégrée, réfléchie, de l'autre, elle est balancée avec détachement, en nous disant "Débrouillez-vous avec ça"...

Commentaires

  • Ah tiens je n'ai pas été frappé par la violence. A y voir de plus près tu as raison, mais sur le coup ça m'a fait plus rire qu'autre chose. Je dois m'habituer... o_O
    Par contre les séquences chantées m'ont copieusement gonflé, sinon je trouve le reste assez enthousiasmant quand même. Ce brin d'humour macabre est le bienvenue et j'ai trouvé Depp et Bonham Carter au diapason.

  • L'énervement grandissant a dû me rendre d'autant plus rétif aux scènes de violence en question. Peut-être qu'une adhésion au départ m'aurait fait voir les choses différemment (comme par exemple dans le "Boulevard de la mort", que je me fais un malin plaisir de replacer ici, connaissant tes réticences face à ce film).

  • Il y a quand même un problème à ne pas apprécier (ou à être gonflé") les numéros musicaux dans un film qui est l'adaptation d'un musical célèbre et populaire (d'où la qualité de la musique?). J'ai trouvé la mise en scène autour des chants plutôt réussie et pas du tout "statique"...
    Pour la violence, j'ai trouvé ce que tu décris (égorger sur de la musqiue) très réjouissant, l'alliance de deux "contraires" me semblant percutante... De même je ne suis pas sûr que Burton voulait nous faire rire... Bref, il me semble que l'idée de la "complaisance" est assez forcée puisqu'il y a une logique attachée à ces giclées de sang (motif mélancolique par excellence), elles ont une signification dans le film.
    bref, on est en désaccord sur à peu près tout ;-)
    Mais bon pas de quoi s'offrir une petite séance de rasage!

  • Tu as lu ma note et tu sais donc que je partage certaines de tes réticences (je trouve, moi aussi, le scénario assez mauvais et les séquences musicales très platement mises en scène, mise à part celle où l'on glorifie l'anthropophagie séditieuse!) Mais j'avoue y avoir pris un certain plaisir, non seulement à cause du beau personnage qu'incarne Depp (burtonien en diable!); d'autre part, en raison d'un romantisme macabre qui culmine dans le dernier plan (magnifique) et auquel je suis sensible.
    De la à crier au chef-d'oeuvre comme le fait la critique en ce moment, il y a un grand pas que je ne ferai pas...

  • Hou la la, votre critique me fait hésiter à voir le film. Moi qui adore Tim Burton, cela semble un peu décevant. Je dois dire que la violence, j'en ai un peu assez. Donc je réfléchis.

  • El Pibe : Je reconnais le caractère ambitieux et décalé du film par rapport à la norme hollywoodienne, ainsi que la logique qui entraîne le récit vers la violence. Mais c'est vraiment la façon dont c'est montré qui m'a gêné, alors que Burton se sort bien des scènes où le petit garçon est en très mauvaise posture (c'est un des traits intéressants du cinéma burtonien, qui se retrouve dans "Charlie et la chocolaterie", qui par ailleurs ne m'entousiasma pas beaucoup plus : la mise en danger des enfants, parfois au bord du sadisme, loin du politiquement correct). Cela dit, aucun risque d'escalade entre nous, je ne me rase qu'à l'électrique.
    Dr Orlof : En parlant de beaux plans, j'en ai surtout un en tête, au début, avec la course folle de la caméra dans les ruelles de Londres, qui transcende l'effet numérique pour transformer l'espace en théâtre de marionnettes inquiétantes.
    Dasola : Je ne voudrais pas vous détourner du film. Plus les avis sont nombreux sur ce genre de films qui divise le public, plus c'est intéressant.

  • Comme je l'ai dit plus haut le film ne m'à pas enthousiasmé et déjà que j'aimais pas les coupes-chou, alors là.........Mais j'ai trouvé également que J Depp est toujours aussi "crédible".....enfin il incarne vraiment ses personnages.....(bon je suis pas une spécialiste du cinéma) et il chante vraiment bien, d'ailleurs la chansons sur les vacances et vraiment une bouffée d'air frais comme dit Edouard.

  • Bonjour,

    J'en parle longuement sur mon blog, je ferai donc (coupé) court.

    "Sweeney Todd" est un film visuellement très réussi (la scène finale étant d'une beauté absolue) où seul l'amourette des jeunes tourtereaux fait tâche. D'ailleurs, leurs chansons sont les plus agaçantes (à cause de la voix fluette désagréable de l'actrice et du caractère gnan-gnan de la ritournelle répétitive de l'acteur) et Tim Burton, tout comme nous, semble se contrefoutre de leur histoire. Il n'y a qu'à voir comment il éclipse astucieusement la question de leur devenir.

    Pour le reste, le film est tout de même très bien. Johnny Depp et Helena Bonham Carter y sont impeccables.

    Amicalement,

    Shin.

  • Ed,
    Je suis allé lire avec intérêt votre critique de Sweeney Todd que vous rangez dans la liste de catastrophes réalisées par Burton.
    Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire l'analyse d'Antoine de Baecque (dont je ne connais que les écrits sur Burton) sur ce film que je trouve brillante : http://www.rue89.com/prise-de-baecque/sweeney-todd-ledward-de-burton-revient-en-barbier-sanglant.

    Concernant la musique, il y a selon moi deux types de numéros.
    D'abord, il y les chansons avec Sweeney Todd qui s'intègrent parfaitement dans l'histoire. Je ne m'y suis pas ennuyé : la scène à la plage, celle dans laquelle le pacte est scellé avec Miss Lovett et la "petite valse au four" finale sont superbes.
    Ensuite, il y a les scènes musicales avec les enfants et les chansons (notamment I fell You JOHAAAAAAAAAAAAAAAAAANNNNNNAAAAAAAAA ! ) sont à la limite du supportables. Mais elles s'accordent parfaitement avec la haine que l'on ressent pour ces deux tourtereaux dont Burton ne cesse de nous démontrer la fadeur.

    L'histoire est prévisible selon vous parce qu'on reconnaît rapidement la mendiante. Certes, mais comme le film le montre, Todd est aveugle. Dans sa folie vengeresse nous, spectateurs, devons savoir qu'il ne voie plus le monde qu'il l'entoure. Les gens ne sont que de la nourriture, Sweeney Todd ne pourra s'arrêter qu'une fois qu'il aura connu le sort qu'il réserve à ses victimes. Voilà pourquoi nous avons toujours un temps d'avance sur Todd. Ainsi nous ne pouvons prendre son parti, jouir de sa vengeance puisqu'il est monstrueux. Et, à moins d'avoir des tendances pour les meurtres en série, je ne vois pas de quel ricanement vous parlez dans les scènes d'égorgement. Elles sont esthétiques mais bourratives. Il n'y a pas de complaisance puisque le spectateur est pris rapidement à rebrousse poil : la vengeance personnelle n'est qu'un prétexte et le couple sanglant est aussi peu recommandable que le méchant amoureux Turpin. Todd et Lovett sont aussi, ou furent aussi, misérables que les pauvres clients du "Londres pourri". Pire, les marginaux qu'affectionnent tant Burton sont devenus des êtres aussi détestables que les congénères "normaux".

    Je vous concède que la stupéfiante misanthropie du film pourra réjouir par ses aspects radicaux. L'œuvre fonctionne alors comme un exutoire, ce qui n'a rien de choquant.

  • Merci Nolan pour ces remarques (et pour le lien).

    Ce que vous dites sur l'aveuglement du barbier semble assez juste. Je dis "semble" non pour mettre en doute la pertinence de votre hypothèse mais bien parce que mon souvenir du film commence à être aussi brumeux que les rues de Londres (la mémoire est sélective...).
    Je me rappelle très bien, toutefois, de ma gêne devant les séquences sanglantes, qui sont tout à la fois horribles et distanciées par la chanson, comme si Burton tenait à jouer sur les deux tableaux et ainsi se "couvrir" (c'est en cela que je parlais de ricanement).

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