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Walkyrie

(Bryan Singer / Etats-Unis / 2008)

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walkyrie.jpgPour être tout à fait franc, j'avais décidé d'aimer Walkyrie (Valkyrie) avant de le voir. Parce que la majorité de la critique s'en était saisi avec des pincettes (et "l'efficacité sans la profondeur..." et "la fascination pour l'uniforme..." et "le sujet en or gâché..." et blablabla). Parce que le Black book de Verhoeven, qui traitait de la même période, m'avait très agréablement surpris à sa sortie alors que j'y étais allé à reculons. Parce qu'il est devenu si facile de se foutre de la gueule de Tom Cruise. Parce que le sujet m'intriguait alors que je me foutais pas mal des précédents projets de Bryan Singer puisque, mis à part le fameux Usual suspects à propos duquel il est de bon ton aujourd'hui de passer sous silence le plaisir pris au moment de sa découverte, je ne connais que le premier X-Men, sans intérêt (parfois la presse semble juger les cinéastes sur leur réputation ou leur film précédent et non sur ce qu'elle a vraiment sous les yeux : on ne pardonne pas à Singer ses films de super-héros alors que l'on s'agenouille devant le Benjamin Button de Fincher en souvenir de l'excellent Zodiac). Soulagement à l'issue de la projection : j'avais raison et il serait inutile de plier les cheveux en quatre pour justifier mon enthousiasme.

Menée par un noyau dur d'officiers de la Wehrmacht en 1944, l'opération Walkyrie était destinée à assassiner Hitler, prendre le pouvoir à Berlin et négocier la fin de la guerre avec les alliés. Le nom de code reprenait celui d'une directive signée par le Führer lui-même, donnant la possibilité d'une mise en alerte rapide des forces SS en cas de coup d'état de l'intérieur. Le cerveau et l'acteur principal de cette ultime tentative contre Hitler était le colonel Von Stauffenberg.

On a reproché à Singer de ne pas proposer un travail d'historien novateur (fallait-il qu'il change de métier ?) et de ne pas aborder certains aspects (Tom Cruise aurait-il dû, en plus, sauver un petit juif ?). Pire, son film n'aurait finalement pour but que de faire le tri entre bons et méchants allemands. Rien n'est plus faux. Les officiers cherchant la rupture avec le troisième reich ne sont jamais présentés de manière attendrissante, seul Stauffenberg étant vu en présence de sa femme et de ses enfants, dont il n'aura d'ailleurs, comme le spectateur, plus aucune nouvelle à mi-parcours et ce jusqu'à la fin. Même s'ils gardent la dignité que leur confère leur rang, ce ne sont pas non plus des humanistes portés par un même idéal : le héros est fidèle à sa vision de l'Allemagne éternelle et à ses valeurs chrétiennes, les autres s'inquiètent du jugement de l'histoire, veulent en finir avec la guerre ou font preuve d'opportunisme.

Le sujet est en lui-même passionnant et Singer a su le transcrire remarquablement. Certes, tous les personnages parlent en anglais (comme dans le formidable Croix de fer, mais comme il s'agit de Peckinpah, là cela ne gêne personne) mais le choix est assumé à l'écran de fort belle manière. Le titre du film s'annonce dans la langue originale (Walküre) et les premiers mots sont dits également en allemand, faisant entendre ce qu'écrit un soldat sur son journal. Puis, au fur et à mesure que la caméra nous laisse reconnaître Tom Cruise, sa voix se superpose pour prendre en charge le récit en anglais. Sans faire des pieds et des mains, Singer trouve ainsi régulièrement de belles idées. Il concentre son attention sur le groupe de gradés comploteurs mais sait aussi se tourner discrètement vers les sous-officiers et les employés, à l'affût de leurs réactions. On voit sur les visages déboussolés des standardistes et des simples soldats les effets de l'annonce de la mort d'Hitler et des informations contradictoires  qui en découlent. La vision de ce monde-là en paraît d'autant plus juste et l'économie est faîte d'une reconstitution plombante de l'extérieur.

La larme sur la joue de la secrétaire de Stauffenberg est-elle dûe à son impuissance à contacter par téléphone la famille exilée de son chef, à sa tristesse devant son échec ou à sa peur d'être prise au piège des SS aux portes du bâtiment ? Le cinéaste laisse bien des choses adventices en suspens, comme il use avec parcimonie du spectaculaire, le rendant d'autant plus percutant (l'attaque sur le front, l'explosion dans le bunker) qu'il n'intervient pas forcément là où il le devrait (l'arrestation sans course poursuite). Le plus grisant dans tout cela est sans doute la montée et le maintien parfait d'un suspense confiné en des endroits clos et banals (bureaux, salles de réunion). Par l'excellence de l'interprétation, la mise en scène des objets (valises, explosifs, téléphones), le montage vigoureux mais toujours lisible, toute la partie centrale nous tient en haleine sans baisse d'intensité.

L'un des pièges tendus à Singer était une ré-écriture de l'histoire dans un regard trop moderne et donc anachronique : mener un récit qui ne peut pas avoir été pensé comme cela par les protagonistes de cette époque (les plus savants parlent d'uchronie). Manifestement fidèle aux faits, il se détourne avec élégance de la chausse-trappe de la fiction historique mensongère. La question que tout le monde peut se poser ("Et si tout cela avait marché ?"), il n'en laisse passer que les prémisses en illustrant brièvement le déroulement idéal du programme de la prise de pouvoir au moment où il est dévoilé par les chefs à leurs sous-officiers ou, plus loin, en cadrant le visage de Stauffenberg s'enfuyant du bunker fumant, à la fois tendu et sûr d'avoir réussi son coup. Ce n'est pas mentir que de filmer ces moments-là, mais bien célébrer l'une des merveilleuses possibilités du cinéma, tout en restant honnête par rapport à son sujet.

Mener à bien une telle entreprise en moins de deux heures et en proposant un spectacle si prenant vaut bien un coup de chapeau.

Commentaires

  • texte intéressant, j'aime quand vous adoptez un ton un peu polémique.

    je n'ai pas vu ce film mais je note que le procédé dont vous créditez Singer à propos du changement de langue était déja utilisé dans l'excellent A la poursuite d'Octobre rouge. Ceci dit, je ne suis pas absolument convaincu de sa pertinence.

  • Il me semble, pour prolonger la réflexion de Christophe, que McTiernan a également utilisé ce procédé dans son "13e guerrier". Au fur et à mesure que l'arabe comprenait le langage viking, celui-ci devenait compréhensible, c'est à dire anglais. Pourquoi pas ?
    Sur le reste, je suis assez content de lire ton texte qui va à contre courant de ce que je lis ici ou là, et qui me remotive pour aller voir la chose. C'est très juste ce que tu dis sur Tom Cruise et je trouve dommage que l'on oublie un peu vite combien il a été bon chez Kubrick, Stone ou Spielberg. Qu'il ait une tête à claque ne devrait pas être un problème, il y en a eu d'autres.
    Sur Singer je partage aussi ton avis, j'adore "Usual suspects" même si ce qui a suivi m'a un peu déçu. Je reste assez satisfait des deux premiers x-men, héros de mon enfance que je trouve plutôt bien adaptés, en tout cas mieux que la majorité des films de super-héros qui ont suivi. Si je trouve le temps de le voir, je reviendrais sur ce film.

  • Sur la langue du film, je pense évidemment (est-ce utile de le préciser ?) qu'il aurait été plus pertinent de tourner en allemand. Je pointais juste le fait qu'on s'en sert très facilement quand il s'agit de démolir un film, mais qu'on passe dessus lorsque c'est Peckinpah qui fait ce choix. De plus, la manière dont Fincher change de langue dès le début est assez élégante et prouve, avec d'autres détails de son film, qu'il s'est posé quantité de questions sur son sujet, son traitement et sa production. En tout cas, merci à vous deux de ces rappels sur McTiernan (je n'ai vu aucun des deux titres mentionnés).
    Ensuite, comme tu le dis Vincent, Cruise n'est ni la première ni la dernière personne peu recommandable à jouer remarquablement dans de grands rôles.
    Les défenseurs du film sont rares (il a été maltraité encore une fois ce matin même sur France Culture dans La fabrique de l'histoire). Je ne suis tombé sur des critiques positives que chez Matière Focale et Chronicart. Au Masque et la plume, il me semble que l'autre jour, Pierre Murat a été le seul à avouer avoir pris du plaisir à suivre l'aventure.
    Bref, n'hésitez-pas à aller voir ça, je serai curieux de connaître votre point de vue à tous les deux

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