Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Persécution

(Patrice Chéreau / France / 2009)

■■■□

persecution.jpgIl est une poignée de cinéastes jadis portés aux nues (parfois à juste titre) et qui se retrouvent traités dorénavant avec dédain ou irritation par la critique et le public. Les deux cas les plus exemplaires sont ceux de Lars Von Trier et d'Emir Kusturica et il me semble que Patrice Chéreau a rejoint à son corps défendant ce petit groupe depuis quelque temps. Une conséquence étrange de ce retour de bâton est de me rendre paradoxalement ces artistes plus attachants et de faire naître en moi une certaine curiosité face à leurs nouveaux travaux. Cette envie, qui équivaut en fait à celle de tomber sur le fameux film "que-personne-n'aime-sauf-moi", n'est pas toujours, avouons-le, satisfaite au final (Ô Gabrielle, que tu fus pénible !).

Globalement très mal reçu à sa sortie, au début du mois de décembre (*), Persécution est un excellent Chéreau, auteur qui n'est à son meilleur niveau que lorsqu'il se coltine au contemporain et qu'il se borne à suivre un nombre restreint de personnages. Il nous fait rentrer cette fois-ci dans la tête de Daniel, jeune homme ayant une relation passionnée, distendue et tumultueuse avec la prénommée Sonia et se sentant harcelé par un "dingo" qui le suit partout et se déclare amoureux de lui. Si le film accroche dès le départ, notamment grâce à un saisissant prologue, les deux premiers empiètements du fou sur le territoire privé de Daniel, sensés apporter mystère et inquiétude, laissent sur un sentiment bizarre, celui que, encore une fois, Chéreau veut forcer sa nature. Fort heureusement, à l'image des apparitions suivantes du persécuteur, plus directes, le cinéaste revient tout de suite à ce qu'il sait faire le mieux : filmer des corps qui parlent.

Les dialogues de Persécution sont remarquables (le scénario est d'Anne-Louise Trividic et de Chéreau). Le registre est familier mais légèrement ré-haussé, de façon à couler naturellement et ne paraître ni trop anodin, ni trop superficiellement intellectualisé. Les mots sont surtout dits de manière extraordinaire. Entendre la logorrhée de Romain Duris est absolument fascinant, cela d'autant plus qu'elle se superpose à un prodigieux travail sur le corps, sur les postures, sur les vêtements. Voir jouer cet acteur, qui m'avait déjà totalement bluffé chez Audiard, m'a passionné. Son Daniel semble réfléchir à haute voix. Lui qui peut paraître verser dans la paranoïa laisse pourtant sortir toutes ses pensées, leur flot charriant nombre de contradictions mais ne manquant pas d'interpeller. A travers la complexe relation Daniel-Sonia, se dégage une réflexion profonde sur l'amour, sur la difficulté de l'amour, sur l'altérité, sur la différence fondamentale entre la présence et l'absence, sur l'emprise de l'un sur l'autre (cette relation doit bien sûr se voir en miroir de celle que tisse le fou avec Dianel, ce dernier s'introduisant d'ailleurs chez Sonia de la même façon que son persécuteur le fit chez lui).

Daniel se croit le centre du monde, ne cesse de regarder les gens, d'un regard qui juge. Le personnage aspire donc le film et tous ne se définissent que par rapport à lui et successivement, indépendamment les uns des autres. Il ne se consacre toujours qu'à une personne à la fois et lorsqu'il parle devant un groupe, son registre devient celui du monologue. Cette compartimentation des rapports par le personnage, qui peut être prise pour une tentative de voir plus clair dans un esprit tourmenté, Chéreau se garde bien de la réduire à un procédé : les amis et l'amoureuse se croisent bel et bien au bar, se connaissent, échangent, s'étonnant juste que Daniel ait si peu parlé de l'un(e) à l'autre. L'exploration est donc poussée et on l'attend violente (Persécution se pose parfois en petit frère de Keane, Chéreau ayant apparemment beaucoup d'estime pour Lodge Kerrigan). Cependant, la courbe ne prend pas la forme que l'on croit : nul crescendo, plutôt des larmes et une sorte d'apaisement.

Pour finir, sans insister sur l'interprétation (autour de Duris, la troupe est mémorable, Charlotte Gainsbourg en tête), rappelons que Chéreau est l'un des rares cinéastes français à savoir utiliser une source musicale et à savoir filmer une scène d'amour dans toute sa crudité et sa beauté.

 

(*) : On peut se reporter aux baromètres presse et spectateurs du site AlloCiné et à celui de l'Imdb qui, tous, donnent au film à peine la moyenne.

Commentaires

  • Je ne connais pas Chéreau mais je voulais simplement dire que Kusturica me semble toujours un excellent cinéaste et l'un de ses derniers films, Promets-moi m'avait complètement séduit, plus encore que Life is a miracle. Quant à Von Trier, il est inégal et l'a toujours été. Il peut faire des films ratés ou géniaux - mais toujours en suscitant controverses et débats.

  • Courbe légèrement descendante, depuis deux/trois films, pour Kustirica, il faut bien le reconnaître, mais qui ne justifie pas qu'on le balaye d'un revers de manche (même Promets moi m'avait fait passer un bon moment, à moi aussi).
    Von Trier, je n'ai rien vu depuis Dogville, mais ce n'est pas un choix, ce sont plutôt les hasards de la distribution et de l'emploi du temps.

  • Bonsoir Ed, je suis contente, je me sens moins seule concernant ce Chéreau qui ne m'a pas déplu du tout. J'ai aimé les scènes entre Duris et Gainsbourg. Duris est excellent. Chéreau est vraiment un grand directeur d'acteur. Je pense que c'est le meilleur à l'heure actuel. Bonne soirée.

  • Bonjour,
    pour ma part, j'ai trouvé ce film vraiment irritant et ennuyeux et ça n'a rien à voir avec un désamour récent de Chéneau que je ne connaissait pas.
    Cela dit, si le propos était de rendre Daniel terriblement antipathique, alors chapeau car ça marche parfaitement pour moi !
    Quand à Kusturica et Von Trier, je rejoins l'avis de Julien en tout point.
    Amicalement,
    Delphine.

  • Delphine : Je ne pense pas que le but de Chéreau est de rendre son "héros" antipathique, plutôt de pénétrer son cerveau.
    Cela dit, trouver l'un de ses films irritant et ennuyeux, cela m'est arrivé à moi aussi plusieurs fois. Mais lorsque tout "fonctionne", il est difficile de ne pas reconnaître, comme Dasola, que Chéreau est un grand directeur d'acteurs.
    Merci du passage.

Les commentaires sont fermés.