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The Devil and Daniel Webster

(William Dieterle / Etats-Unis / 1941)

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devil11.jpgValse des titres au fil des présentations, des sorties et des reprises (Here is a man, A certain Mr Scratch, All that money can buy, The Devil and Daniel Webster, et, en France, Tous les biens de la terre) et distribution de plusieurs versions (dont une amputée de vingt minutes) : ces aléas en disent déjà beaucoup sur le caractère inclassable de ce film. Américain depuis 1937 mais ayant vécu en Allemagne jusqu'en 1930, William Dieterle, qui avait notamment interprété, en 1926, le rôle de Valentin dans le Faust de Murnau, propose là un déplacement géographique et temporel du mythe, une variation sur le thème de l'homme vendant son âme au diable, développée à partir d'une iconographie et d'une histoire appartenant au folklore des Etats-Unis naissants. Fort du succès de La vie de Louis Pasteur (1936), de La vie d'Emile Zola (1937), de Juarez (1939) et, surtout, de Quasimodo (1939), le cinéaste s'était fait producteur et profitait alors du savoir-faire des équipes de la RKO.

Démarrant comme un classique morceau d'Americana, The Devil and Daniel Webster se signale vite par son empreinte expressionniste. Les rais de lumière aveuglent et strient les visages, les ombres sont démesurées. Une fois le virage vers le fantastique effectué, les personnages semblent par endroits comme absents à eux-mêmes et les apparitions diaboliques se succèdent. Se manifestent ainsi, de manière fulgurante, la féline Simone Simon en tentatrice enjôleuse et un Walter Huston moderne en diable, sarcastique, aux gestes précis, au sourire carnassier et au phrasé percutant.

Le fantastique, si bien  exploré par Dieterle, est l'irruption dans la vie quotidienne du surnaturel et de l'irrationnel. Le pittoresque, lui, caractérise ce qui attire l'attention par son aspect original, sa fantaisie, son relief. Dans les deux cas, nous avons donc quelque chose qui se détache d'un fond (ce qui renvoie aussi à l'expressionnisme et à ses représentations picturales des tourments des personnages). Le mélange de ces registres n'est pas a priori évident mais il trouve là une cohérence. La chronique paysanne et la fable fantastique marchent donc, d'un bout à l'autre, main dans la main. Le cliché (la douce épouse mise à l'épreuve, la mère attentionnée et soucieuse, la femme tentatrice) prend dès lors une autre couleur. Le Diable mène la danse, et en maltraitant son violon (les stridences de Bernard Hermann aidant), il bouscule la musique folklorique, entraîne jusqu'au vertige la valse des paysans. Il peut aussi transformer un bal mondain en réunion de spectres.

Mais cette hybridation n'est pas la seule à être tentée par un Dieterle qui parsème son film de réflexions politiques, par le biais de l'humour avec les discussions malicieuses entre le sénateur et les villageois ou de manière plus frontale avec le plaidoyer final de Webster en faveur de l'Union. Le message est progressiste : les usuriers qui étranglent financièrement les fermiers sont pointés du doigt, l'appât du gain est dénoncé comme responsable de tous les maux, les efforts des paysans pour mettre sur pied une coopérative sont soulignés, les pêchés originels sont évoqués (les violences faites aux Indiens et aux Noirs). Toutefois, le respect entre adversaires politiques est prôné et surtout la loyauté envers la constitution est donnée comme indispensable à la bonne marche de la nation. Nous sommes en 1940-41. L'Amérique n'est pas encore en guerre, mais l'Europe est déjà à feu et à sang.

Cette dimension politique est rendue explicite par la longue scène de procès qui recouvre toute la dernière partie du film. Ce passage obligé pour bien des drames hollywoodiens de l'époque est ici soumis à un décalage, par son lieu (une grange), son ambiance (surnaturelle), ses enjeux (le sauvetage d'une âme), ses protagonistes (quelques fantômes) et le discours politique qui est tenu. La ferveur des personnages et la fermeté narrative suffisent à préserver l'adhésion, mais en même temps, un certain recul est perceptible. Et finalement, c'est tout le film qui aura joué de ce petit écart, en mêlant différents genres, en alternant visions idylliques et apparitions diaboliques, en osant quelques clins d'œil vers le spectateur (le villageois demandant à Belle si elle est Française, le dernier mot, ou geste, laissé au Diable...). Ainsi, nous pouvons dire, en assumant cet anachronisme total, que le plaisir distillé par cet étrange Devil and Daniel Webster est en fait le même que peut procurer un grand film post-moderne.

 

Chronique dvd pour logokinok.jpg

Commentaires

  • Bonjour Ed, merci de m'avoir donné envie (avec ce billet) de découvrir dont j'ignorais jusqu'à l'existence. Je l'ai vu: j'ai beaucoup, beaucoup aimé les 50 dernières minutes, ce qui n'est pas si mal. J'ai trouvé le début un peu longuet. En revanche, les apparitions de de Walter Huston. J'ai goûté l'humour de la fin quand il mange la tarte de la mère de Javez et quand il nous montre du doigt, brrrh, il fait peur. La confrontation entre D. W et les damnés reste sobre. Bonne journée.

  • Je suis heureux que le film t'ait plu, Dasola, et surtout de t'avoir donné envie de le découvrir. Il me semble qu'il était complètement oublié...

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