Présenté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac
Prenons une séquence de ce célèbre film d'Elio Petri, celle de la baise dans la petite Fiat de l'ouvrier Massa, le héros, qui déflore là une jeune collègue de travail. L'inconfort des postures y est souligné par une caméra scotchée aux visages grimaçant et aux corps morcelés. Le déshabillage est difficile, les jambes et les bras se cognent, la montée est laborieuse. La longueur insistante de la séquence ainsi que la logorrhée masculine, les commentaires incessants que suscite chez le mâle le moindre geste, accentuent le grotesque de la situation mais surtout, épuisent le spectateur. Le découpage, qui ne s'embarrasse pas, bien au contraire, de mouvements aléatoires de caméra et de raccords insignifiants, achève de rendre tout cela informe.
La classe ouvrière va au paradis, qui obtint en 1972 une demi-palme d'or à Cannes (l'autre moitié allant à L'Affaire Mattei de Francesco Rosi), est, sur toute sa longueur, à l'image de cette séquence. Criant le discours confus de son metteur en scène, Gian Maria trucule à Volonté (le mégaphone est un objet important dans le récit et l'univers de l'usine qui est arpenté pousse les voix à s'élever sans cesse). Eructant sur toute la surface de l'écran, il bouffe toutes les scènes passant à sa portée, le visage en sueur. S'appuyant une nouvelle fois sur cet ogre, Elio Petri veut réaliser un film comique, ironique, pamphlétaire, qui renvoie dos à dos toutes les parties : patrons, petits chefs, syndicalistes, étudiants gauchistes... Personne n'échappe au bruyant jeu de massacre. Tout le monde baigne dans la médiocrité et la laideur. Dans cette caricature, les changements de cap ne peuvent se faire qu'à la suite de revirements brutaux : c'est la perte d'un doigt lors d'un accident sur son outil de travail qui fait passer Massa du rôle de stakhanoviste lêche-cul à celui de leader de la contestation sociale.
Si il y a un intérêt à voir aujourd'hui La classe ouvrière va au paradis, disons qu'il se trouve dans la façon dont l'œuvre nous fait sentir combien la société italienne des années soixante-dix était sous tension. L'abrutissement que provoque le travail à la chaîne y est également rendu avec force, par l'intermédiaire de la bande sonore saturée et de la partition d'Ennio Morricone, tantôt martiale, tantôt angoissante, tantôt westernisante. Sous ces coups de butoirs stylistiques, l'usine devient le lieu (carcéral, comme l'indiquent toutes ces grilles et les appels à la liberté des manifestants au-dehors) d'un combat intense et sans merci.
Mais le film avance comme un bulldozer sans conducteur, cogne comme un marteau-piqueur sans manœuvre. Une agitation sans but, sinon sans objet, le caractérise. De même qu'une mise en scène assez étouffante. Sortant de la projection essoré, on se demande tout de même comment cette équipe avait pu pondre deux ans auparavant une Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon aussi passionnante en comparaison (et, dans notre souvenir, aussi maîtrisée).
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LA CLASSE OUVRIÈRE VA AU PARADIS (La classe operaia va in paradiso)
d'Elio Petri
(Italie / 125 min / 1971)