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Étonnant. D'abord, le film est techniquement sans faille. Normal, me direz vous, c'est la Qualité française. N'empêche que dans ce cadre exotique représentant (depuis l'Espagne) l'Afrique du Nord, l'équilibre est parfaitement tenu entre intérieurs et extérieurs (avant disparition totale des décors de studio à mi-parcours), on ne remarque aucune transparence (pas même lors des séquences automobiles) et plusieurs petits bonheurs d'expression se signalent, la mise en scène jouant habilement de la profondeur, des encadrements ou des miroirs. Si l'apparente bonhomie de Folco Lulli interroge au départ sur sa capacité à imposer un antagonisme, elle concourt finalement à l'originalité du long dénouement. Quand à la raideur de Curd Jürgens, elle sert aussi le film, en atténuant le psychologisme et en éloignant tout sentimentalisme. Ce héros, si peu sympathique malgré son statut de grand médecin, est victime d'une persécution vengeresse (et démesurée, d'où l'étrangeté) qui l'oblige à quitter sa zone de confort occidentale (hôpital, belle résidence, voiture de luxe, caste des dominants fêtards), à se déplacer en terrain de plus en plus hostile, à se débarrasser de son véhicule, de ses outils et de son costume, à finir seul au milieu de nulle part. L'idée d'une résistance ou d'une critique de la colonisation affleure par moments, le peuple autochtone étant présenté succinctement mais sans pittoresque, notamment dans l'épisode du séjour forcé au village durant lequel le docteur reste longtemps sans pouvoir communiquer en français. L'ultime épreuve est une traversée du désert qui occupe toute la seconde moitié du film. Malgré la lenteur et la monotonie qu'implique ce changement de décor, Cayatte s'en sort ici aussi très bien, en traçant un chemin tortueux vers la folie et en ménageant des pauses, narratives ou plastiques, aux limites de l'absurde. Enfin, il a le mérite de clore son récit sans aucune concession.