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Monte là-dessus ! (Fred C. Newmeyer & Sam Taylor, 1923)
***Les plans iconiques d'Harold Lloyd suspendu au-dessus du vide et tenant seulement à une horloge prennent leur place dans la longue séquence d'ascension à mains nues du building dans lequel son personnage est employé. Extraordinaire passage dont la crédibilité est assurée par l'agilité de l'acteur et par la constante rigueur de la mise en scène, gardant le plus souvent possible dans le même cadre le héros grimpant avec difficulté et la rue animée en contrebas. En plus de l'évidente métaphore sociale, la séquence bénéficie d'une remarquable scénarisation (notamment grâce au running gag du comparse qui ne parvient jamais à prendre le relais étage après étage) et offre une variation très originale de l'effort burlesque, habituellement horizontal. C'est pourtant un morceau de bravoure qui n'est pas présenté comme tel. Tout ce qui précède tend à montrer la normalité du personnage (qui cherche à réussir socialement pour garder l'amour de sa fiancée, jusqu'à se faire passer pour directeur du magasin). Cette simplicité assumée de l'argument peut d'ailleurs décevoir le spectateur n'attendant que le clou du spectacle mais elle s'appuie sur plusieurs gags porteurs et surtout, elle assure la cohérence de l'ensemble en montrant l'originalité, paradoxale, du comique de Lloyd, un "monsieur tout le monde" seulement désireux de s'intégrer et de réussir. -
Faut pas s'en faire (Fred C. Newmeyer & Sam Taylor, 1923)
**Harold Lloyd joue un riche oisif et hypocondriaque qui part se soigner dans une île d'Amérique latine (très mexicaine d'apparence). Il tombe en pleine révolution sans d'abord s'en rendre compte. Évidemment il va se révéler à lui-même en ridiculisant les révolutionnaires et en réalisant qu'il aime son infirmière. Schéma classique pour Lloyd, toujours aussi sûr dans son timing. Le film est agréable mais un peu en-dessous, par exemple, du Talisman de grand-mère, plus inventif dans sa narration, plus évolutif dans le traitement des personnages. Ici, le changement est trop brutal, du milliardaire fainéant à l'amoureux courageux, et le cadre exotique produit des effets relativement attendus. Le burlesque tend vers l'agitation perpétuelle (le duo Newmeyer/Taylor assure cependant très bien à la réalisation) et Lloyd laisse une bonne part à un colosse (John Aasen) un peu envahissant. -
Vive le sport
(Fred Newmeyer et Sam Taylor / Etats-Unis / 1925)
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Il n'y a pas que Chaplin et Keaton dans la vie. Il est vrai que diffuseurs et distributeurs ne nous laissent pas trop le choix quand ils s'intéressent à l'âge d'or du burlesque hollywoodien (aura-t-on droit sur Arte, cette année encore pour Noël, aux films, certes géniaux, de Chaplin ?). Ainsi, je crois bien n'avoir jamais rien vu signé d'Harold Lloyd avant cette semaine. Et ne parlons même pas de Fatty, Charlie Chase, Harry Langdon ou Larry Semon... Rappellons toutefois que tout le monde connaît au moins une photo d'Harold Lloyd : celle où on le voit suspendu au-dessus du vide, accroché à l'aiguille d'une horloge, au sommet d'un building (image tirée de Safety last / Monte là-dessus).
Vive le sport (The freshman, soit "le nouveau") nous conte le récit, maintes fois réactivé par le cinéma hollywoodien, de l'homme simple tentant d'intégrer, armé de ses seuls rêves et de sa bonne volonté, un milieu très codé (ici universitaire, ailleurs politique, culturel ou social...). D'abord bousculé, moqué, pris pour un idiot par la plupart de ses condisciples, le héros saura in fine retourner les événements à son avantage et gagner l'estime de chacun, ce dont quelques rares personnes dans leur coin (et toujours, parmi elles, une jeune femme) n'avaient jamais douté.
Le film débute calmement et de manière classique, avec les préparatifs et l'arrivée de Harold à l'Université de Tate : quelques gaffes se retournant immanquablement vers le doyen, les brimades des anciens... Puis, progressivement, on se rend compte que la mise en scène (officiellement signée Newmeyer et Taylor mais ne laissant aucun doute sur le statut d'auteur de Lloyd, à l'image par exemple du Cameraman de Keaton, réalisé par Edward Sedgwick) use remarquablement de tous les ressorts comiques, jusqu'aux plus inattendus : des gags "sonores" (Harold pense s'être brisé le dos en se penchant quand un voisin casse du petit bois dans son jardin), des jeux graphiques dans les cartons (les onomatopées s'inscrivant en désordre sur l'écran quand le héros pousse les cris de guerre de son équipe sportive), des formules percutantes ("Le coach est un dur, du genre à se raser au chalumeau").
L'inévitable histoire d'amour donne lieu à de merveilleux petits instants comiques et ce dès sa naissance. Dans le train qui le mène à l'université, Harold aide Peggy, assise à ses côtés, à faire ses mots croisés. Le mot sur lequel elle bute a pour définition : "Ce que vous aimez dire à votre amoureux". Les deux jeunes gens cherchent alors à haute voix tous les deux et égrènent en toute innocence des "Mon coeur", "Amour", "Chéri"..., sous les yeux attendris de la vieille dame installée derrière eux. Le couple se retrouvera bien sûr plus loin (et d'aussi belle manière, dans un reflet de miroir), pour ne plus se quitter. L'actrice Jobyna Ralston est délicieuse et d'une justesse rare.
Quelques chutes et bris de vaisselle parsemaient la première partie, qui n'était bien qu'une mise en place. La narration, fidèle en cela à la tradition burlesque, se base sur un effet de crescendo. Une première séquence d'entraînement de football nous le montre : Harold Lloyd est bien l'un des génies de l'expression comique corporelle. A partir de ce moment-là, le héros sera sans cesse malmené, cogné, déshabillé. Comme si le masque de l'Américain modèle, devait être déchiré afin que celui-ci assume sa vulnérabilité et ose afficher sa corporéité, si besoin jusqu'au graveleux. Une extraordinaire séquence traduit cette évolution nécessaire. Harold organise le bal de l'université pour épater tout le monde. Bien évidemment, il est retardé par la confection de son costume, confiée à un tailleur victime de vertiges réguliers. Pressé par le temps, il déboule à la fête avec ses habits à peine cousus, le tailleur à ses basques, au cas où... Lloyd tient alors à peu près vingt minutes sur ce seul point de départ : un costume qui se découd de partout au fur et à mesure. Une inventivité folle nous entraîne vers un gag toutes les dix secondes, dans une progression redoublée par les mouvements des danseurs et par une mise en scène jouant merveilleusement des différents espaces (la salle, la petite pièce derrière le rideau où se tient le tailleur et l'entrée où Peggy tient le vestiaire).
Une autre séquence d'anthologie clôturera le film : celle du match de football où brille le héros, pourtant au départ simple porteur d'eau de l'équipe. Lloyd parvient là à développer une scène que l'on trouvait dans Les trois âges de Keaton, et à en décupler la force comique, par la variété des gags et la mobilité de la caméra.
J'ai parlé plus haut d'Américain modèle. Avec son visage blanc, ses petites lunettes et ses habits de tous les jours, Harold Lloyd, même dans Vive le sport, finit toujours par s'intégrer à la société. Il n'est ni Chaplin le paria, ni Keaton l'éternel décalé. Si critique il y a, elle vient de l'intérieur et le burlesque ré-ajuste les valeurs plus qu'il ne les piétine. Ici, les flèches portent sur l'esprit de compétition, l'envie d'être populaire à n'importe quel prix. Au final, porté en triomphe par la foule, comme il en avait rêvé, Harold ne croise qu'un seul regard, celui de Peggy, puisque bien évidemment tout ça ne vaut pas l'amour...